LA RECHERCHE n°577 - Page 13 - 577 N°577 | La Recherche • 7 GRAND ENTRETIEN JUNG YEON-JE / AFP RECHERCHE ET INNOVATION CONVERGENT” La Corée du Sud consacre 5% de son PIB à la recherche scientifique, la plaçant au second rang mondial, derrière Israël. Autant dire que la recherche et l’innovation forment une composante centrale du système économique et social du pays. Ayant dirigé un institut consacré à la recherche et à la politique scientifique,Mun Mi-ok dénoue les fils de cette convergence entre recherches publique et privée, qui fait du Pays du Matin calme l’une des nations les plus innovantes au monde. Entretien avec Mun Mi-ok ANCIENNE PRÉSIDENTE DU SCIENCE AND TECHNOLOGY POLICY INSTITUTE (STEPI), CORÉE DU SUD La Recherche : Après trois ans, votre mission en tant que présidente du Science and Technology Policy Institute (STEPI) vient de s’achever. Pouvez-vous nous en dire plus sur le STEPI et sa place dans l’écosystème de la recherche sud-coréenne ? Mun Mi-ok : En Corée du Sud, l’écosystème de la recherche repose sur deux piliers principaux. Le premier est constitué par les instituts de recherche,crééspardesuniversitésoudesentreprises,etquisontchargésdelarechercheuniversitaire et de l’éducation. Le second pilier est la recherchepublique.Danslesdomainesdel’économie,desscienceshumainesetdelarecherche sociale, il existe 25 instituts, dont le STEPI, qui dépendent du bureau du Premier ministre et mènent des recherches liées aux politiques de la nation : dans le domaine économique (Institutcoréendedéveloppement),l’éducation(Institut coréen de développement de l’éducation), etc. Pour la recherche en science et technologie (S&T), il existe le Conseil national de recherche enscienceettechnologie(NST),quidépenddu ministère de la science et des technologies de l’information et de la communication. Le NST soutientetpromeut25institutsderecherchetravaillantdanstouslesdomainestechnologiques. En outre, il existe d’autres centres de recherche, quidépendentd’autresadministrations. Depuis les années 1970, la recherche sudcoréenne s’est développée rapidement. Comment cela s’est-il déroulé ? En Corée du Sud, la recherche et le développement (R&D) sont indissociables. Le 8 • La Recherche | N°577 activitésdusecteurprivé.Ainsi,l’Institutcoréen des technologies de la construction travaille aujourd’hui avec des entreprises privées afin de concevoir des projets de politique urbaine intelligente. L’Institut coréen de biotechnologie, lui, a créé des pôles et des zones spéciales deR&Dpouraiderlesentreprisesàdévelopper l’innovationdanslessecteursdelacosmétique etdel’alimentation.Àcechangementd’orientation s’est ajouté, dans les années 2010 et au début des années 2020, un élargissement de la mission de la recherche publique. À quels domaines ? En premier lieu, la crise climatique et les questions énergétiques, auxquelles la Corée du Sud doit faire face, de concert avec la communauté internationale.Enmai2023,legouvernementa annoncé,parexemple,unplanrépertoriantles 100 technologies qu’il place au cœur de sa stratégiepouratteindrelaneutralitécarboned’icià 2050.Depuisledébutdesannées2020,l’accenta égalementétémissurlasécurisationdestechnologiesstratégiquesnationales,dansuncontexte dereculdelamondialisationetd’intensification delaconcurrenceentrelesÉtats-UnisetlaChine pourl’hégémonietechnologique. Comment la Corée du Sud gère-t-elle l’équilibre entre la recherche et l’innovation, entre recherche publique et recherche privée? Ce n’est pas d’équilibre qu’il s’agit, mais plutôt de coopération et de convergence. Les universités et les instituts de recherche publics sont chargés de la recherche et les instituts privés, de l’innovation. La « coopération industrieuniversité» s’inscrit dans le cadre du système desoutienàlaS&T:lesuniversitésfournissent les ressources humaines, la science et la technologie nécessaires au développement industrieletàl’innovation,ellessoutiennentlapolitique industrielle nationale et la politique des entreprises,ouellesmènentaveccesdernières des recherches conjointes. C’est moins le cas aujourd’hui, car les entreprises du privé ont beaucoup d’argent et disposent également d’une excellente main-d’œuvre, de sorte que leurs capacités de recherche et d’innovation progressentplusrapidementquecellesdesinstituts de recherche publics. À l’avenir, j’espère quecesderniersjouerontlerôledeplateforme deR&Dpourlacroissancerégionale,nationale développement économique étant l’objectif primordial, les politiques scientifiques et technologiques ont davantage été axées sur le «développement technologique», afin de parvenir à la croissance industrielle, que sur la recherche fondamentale en sciences et en ingénierie. Au cours des années 1970-1990, le pays a ainsi connu un développement rapide de son industrie lourde (*). Il le doit aux stratégies nationales mises en place par les gouvernements successifs, et axées sur la promotiond’unsecteurindustrielfortdirigéparl’État. Toutes les infrastructures du pays, ainsi que le systèmedeformationdelamain-d’œuvre,ont été construits en mettant l’accent sur le développement industriel. À l’époque, les entreprises privées disposaient de faibles capacités deR&Dpourdévelopperleursproprestechnologies. Le gouvernement a donc créé des instituts nationaux de recherche pour les soutenir. Par exemple, l’Institut coréen des sciences et technologies a aidé l’entreprise sidérurgique POSCO à développer ses activités. Comment l’écosystème de recherche a-t-il poursuivi son développement par la suite ? Àpartirdel’an2000,lesmoyensetlesinvestissements de la recherche privée sont devenus plusimportantsqueceuxdusecteurpublic.Ils ont commencé à jouer un rôle majeur dans le développementdesinfrastructuresetdestechnologies pour les nouvelles industries. Mais la recherche publique a encore largement son mot à dire. Par exemple, lorsque les autorités dupaysontdécidédedévelopperlesTIC(télécommunications, semi-conducteurs, etc.) en tantqu’industries,cesontdesinstitutspublics comme l’Institut de recherche sur l’électroniqueetlestélécommunications(ETRI)quiont fourni des technologies clés pour développer les infrastructures pour l’Internet à haut débit etlescommunicationssansfil,tellesquelesystème de communicationWCDMA (Wideband Code Division Multiple Access), une technologie de maintenance des navires à distance ou, plusrécemment,unetechnologiedediffusion à ultra-haute définition. Cela va dans le sens de ce que l’on observe plus largement, depuis deux décennies, dans le pays : les politiques publiques de S&T se déplacent du développement technologique vers l’innovation liée aux n 1968 Elle naît à Sancheong-gun (Corée du Sud). n 1997 Elle devient docteur en physique de l’université technologique de Pohang. n 2001 Elle est nommée professeur à l’université Yonsei. n 2011-2016 Elle est directrice générale du Centre de soutien aux femmes dans le domaine des sciences et de la technologie. n 2016 Elle devient viceprésidente du Parti démocrate. n 2017-2018 Elle est conseillère pour la science et la technologie auprès de la présidence de la République de Corée. n 2018 1re vice-ministre des Sciences et des TIC. n 2021-2024 Présidente du Science and Technology Policy Institute (STEPI). BIO (*)L’industrie lourdeimplique l’utilisation de machines grandes ou lourdes, ou la production de produits grands ou lourds. Elle comprend des secteurs tels que l’extraction du charbon, la construction navale, etc. N°577 | La Recherche • 9 GRAND ENTRETIEN et mondiale, à l’image de ce qu’a fait l’Institut coréen des métaux et des matériaux (KIM) lorsquedesrestrictionsàl’exportation,ciblant l’industriedessemi-conducteurs,ontétéimposées par le Japon en 2019. Le KIM a alors rassemblédesinstallationsderechercheàtravers tout le pays, afin de gérer les approvisionnements nationaux en matériaux critiques, de développer des technologies pour compenser cette crise d’approvisionnement, et de réduire notredépendanceàl’égarddesÉtatsétrangers. Quelles sont les priorités de la recherche aujourd’hui en Corée du Sud ? La concurrence technologique est désormais considérée comme une question de «sécurité et de souveraineté ». Douze domaines ont été sélectionnés, d’abord par le ministère des Sciences et des TIC en 2021, puis en 2023 par la nouvelle administration, comme technologies critiques et émergentes (CET) : il s’agit des semi-conducteurs, des batteries de nouvelle génération (batteries tout solide, lithium-métal,etc.),destransportsdufutur,de l’énergienucléairedenouvellegénération,dela biotechnologieavancée,del’aérospatialeetde la marine, de l’hydrogène, de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle (IA), des moyens de communication de nouvelle génération, de la robotique avancée pour la fabrication de pointe, des technologies quantiques. La Corée du Sud coopère-t-elle avec d’autres pays dans le domaine de la recherche ? Ces dernières années, il peut y avoir cette impressiondominantequelaCoréeduSuds’est unpeuisolée.Lapolitiquenationaleétantaxée sur l’augmentation de la compétitivité et de la productivitéindustriellesgrâceauxtechnologies avancées, le pays a mis l’accent sur le fait de sécurisersonindépendancesurcestechnologies. Bienentendu,nousparticiponstoutdemêmeà desprojetsinternationaux:ITER[lemégaprojet international de recherche et d’ingénierie sur la fusionnucléaire,NDLR],Artemis[unprogramme d’exploration de la Lune mené par la NASA qui vise à rétablir une présence humaine sur notre satellite naturel dans les années à venir,pour la première fois depuis Apollo 17 en 1972,NDLR], ouencorelarecherchesurlestrousnoirs.Nous coopérons par ailleurs à différentes initiatives internationales de recherche en Arctique et en Antarctique (étude des changements environnementaux, microbiologie, entre autres). Nous possédons également un accord de coopération internationale avec le CERN, le laboratoire européen pour la physique des particules. Toutes ces coopérations se font à l’échelle de l’État. Mais il est bien sûr possible, pourleschercheursoulesinstituts,departiciper, àleuréchelle,àdesprojetsinternationaux. Qu’en est-il, plus spécifiquement, de la collaboration scientifique avec la France ? La Corée du Sud collabore avec la France dans lecadredeprojetseuropéensetinternationaux tels qu’ITER ou le port spatial de Kourou, en Guyane. L’Institut Pasteur dispose d’un centre dans le pays, organisé autour de la coopération dans des domaines comme l’immunologie, la résistance antibactérienne ou les virus zoonotiques, et de la gestion d’une biobanque Alors qu’elle était l’un des pays le plus pauvres de la planète au sortir de la guerre de Corée (1950-1953), la Corée du Sud a connu un développement rapide. Pour réussir aussi vite, impossible de tout réinventer. «Ils se sont emparés de technologies qui se présentaient à eux, puis ils les ont améliorées et développées. C’est ce qu’ils appellent la “coréanisation de la technologie”», explique Jean-Claude Masy, conseiller nucléaire à l’Ambassade de France à Séoul. Dans bien des domaines où les technologies ont été inventées ailleurs – écrans plats, téléphones mobiles, voiture à hydrogène –, ils sont aujourd’hui leaders mondiaux. C’est aussi vrai du nucléaire, où les Sud-Coréens sont désormais capables de construire des centrales de type EPR rapidement et de manière indépendante. Leur industrie a aussi été favorisée par une politique du prix de l’électricité extrêmement bas – moins cher qu’en Chine, pour un niveau de vie incomparablement plus élevé. Celle-ci est devenue intenable avec la crise mondiale du prix de l’énergie et les considérations sur le changement climatique. «Ils continuent à innover dans tous les domaines. Par exemple, ils étudient la propulsion nucléaire compacte, qui permettrait d’importer de l’hydrogène, indispensable dans leur mix énergétique décarboné. La Corée du Sud est avant tout un pays d’ingénieurs», conclut Jean-Claude Masy. Ph. P. Le miracle économique coréen 10 • La Recherche | N°577 JUNG YEON-JE / AFP quisécurise,normaliseetfournit,àlacommunauté des chercheurs, des agents pathogènes demaladiesinfectieusesàhautrisqueetémergentes et des échantillons humains. Il existe également des échanges de chercheurs et des discussionsenvued’unecoopérationdansdes domaines d’intérêt national tels que les technologiesquantiques.LorsdusommetCoréedu Sud-France de 2023, il a ainsi été convenu de renforcerlacoopérationdansleschaînesd’approvisionnement industrielles de haute technologie, y compris l’IA, les centrales nucléaires etlessemi-conducteurs,toutenpartageantdes donnéesbilatéralesetderechercheetentravaillant avec le programme clé de financement de l’Union européenne, Horizon Europe. Un protocoled’accordaparailleursétérenouveléentre le KAIST et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) afin de développer la coopération scientifique et technologique. La Corée du Sud est connue pour sa recherche de pointe sur l’IA, la physique quantique ou l’énergie. Dans quels domaines possède-t-elle des faiblesses et devrait-elle déployer davantage d’efforts ? La force du pays réside dans sa flexibilité et sa capacité à répondre immédiatement aux changements et aux tendances. Bien qu’il soit à la pointe de la recherche sur l’IA, la physique quantique, l’énergie et quelques autres domaines encore, il se trouve néanmoins à la cinquième place mondiale derrière les superpuissances scientifiques que sont les ÉtatsUnis,laChine,leJaponetl’Europe.Cetteposition est source d’inquiétude et constitue en même temps un puissant stimulant. Je pense que la biologie, la santé et la culture sont des domainesdanslesquelslaCoréeduSuddevrait prendre toute sa part. À l’heure où la réduction des émissions de carbone et la lutte contre le changement climatique sont devenues une urgence absolue, qu’en est-il des recherches sur l’environnement ? Cette question est évidemment fondamentale, pour la sauvegarde de l’espèce humaine comme pour celle de la planète dans son ensemble.LorsdelaCOP26de2021àGlasgow (Écosse),leprésidentMoonJae-in(quiadirigé la Corée du Sud entre 2017 et 2022) a participé auxeffortsmondiauxvisantàfixerdesobjectifs trèsambitieuxpourrésoudrecesproblèmes.À la suite de cette conférence, le gouvernement s’estd’ailleursengagéàcequelepaysatteigne la neutralité carbone d’ici à 2050. En 2018, le président Moon avait aussi présenté, lors de son passage en France, une nouvelle orientation pour la technologie et l’économie basée sur l’hydrogène. On a pu observer, encore dernièrement, des effets de cette vision d’une «société de l’hydrogène». Lors du Consumer ElectronicsShow(CES)de2024àLasVegas,aux États-Unis [le CES est le plus grand salon technologique du monde, NDLR], le constructeur Divers dispositifs sont en place pour soutenir les femmes tout au long de leur parcours scientifique” N°577 | La Recherche • 11 GRAND ENTRETIEN automobilecoréenHyundaiMotoraainsiprésenté ce à quoi pourrait ressembler sa contribution à cette stratégie; au-delà de la simple fabricationdevéhiculesalimentéspardespiles à combustible à hydrogène, elle inclurait une activitédeproduction,destockageetdetransport de cette forme d’énergie. Parlons un peu de vous. Pourquoi avez-vous décidé de devenir chercheuse ? Et pourquoi en physique ? Ce n’était pas une décision. J’ai simplement suivimonenvie.Danslesannées1980,lorsque j’étais collégienne, une personne qui faisait de la physique était une personne cool et intelligente. Je voulais être cool, moi aussi ! Le fait d’être une femme dans le milieu de la recherche vous a-t-il porté préjudice ? Pendant longtemps, je n’ai pas ressenti de discrimination,parcequej’évoluaisdansunenvironnement où il n’y avait que des hommes. Ce n’estqu’àpartirdemonpostdoctorat,quandje me suis retrouvée dans des laboratoires où il y avaitd’autresfemmes,quej’aiprisconscience qu’il existait certaines différences de perceptionetdecomportement,etquej’avaispuêtre victime d’injustice. Cela m’a mise mal à l’aise, aussi parce que je me suis rendu compte que j’avais intériorisé certains de ces mécanismes de discrimination. Cette sensation s’est reproduitelorsquej’aieuunenfant.J’aieul’impression,àcemoment-là,d’êtreralentiedansmon travailetmonévolutionprofessionnelle,quand bien même j’étais convaincue de pouvoir faire la même chose qu’auparavant. Au-delà de votre cas personnel, quelle est la situation pour les femmes dans la recherche en Corée du Sud ? Cela ne se passe pas différemment d’ailleurs dans le monde, je dirais. D’une manière générale, les femmes qui décident de se lancer dans la recherche savent qu’elles vont devoir affronter un certain nombre de difficultés, de préjugés,descepticisme,etqu’ellesvontdevoir enfairepluspourqueleurtravailsoitapprécié àsajustevaleur.LaCoréeduSudamisenplace despolitiquesetdispositifsdivers,aujourd’hui bien établis, afin d’augmenter le nombre de femmes dans le domaine des sciences et des technologies, et de les soutenir tout au long de leur parcours. Il s’agit par exemple d’offrir la possibilité aux étudiantes d’effectuer des expériences de terrain dans l’industrie, les universités, le milieu de la recherche, afin qu’elles abandonnent leurs appréhensions sur ces milieux. Il s’agit aussi d’identifier et de mettreenavantdesmodèlesfémininsauxquels ellespourrontseréférer,ouencored’établirdes filières(sélection-éducation-carrière)pourles étudiantes douées en sciences. Vous avez rejoint le Korea Center for Women in Science, Engineering, and Technology (WISE) en 2003, avant d’en devenir la directrice générale (2011-2016). Là-bas, vous avez contribué à un programme de soutien aux femmes dans les sciences et l’ingénierie. Que retirez-vous de cette expérience ? Participeràceprojetaététrèsstimulant,d’autant que le contexte était assez particulier au moment de mon arrivée : la Corée du Sud venait de connaître, à la fin des années 1990, une crise financière sans précédent, provoquée par un niveau record de créances douteuses dans les banques; cela avait entraîné la chute du won [la monnaie nationale sudcoréenne, NDLR] et l’effondrement de 11 des 50 plus grands conglomérats de la Corée du Sud–obligeantleFondsmonétaireinternational(FMI)àintervenirmassivementpouraider le pays –, mais aussi le départ pour l’étranger de nombreux talents. Pour remédier à cette situation, le gouvernement a notamment mis en œuvre, en 2002, une loi sur la promotion et le soutien des femmes dans les sciences et la technologie et a élargi sa politique en faveur des chercheuses. Depuis vingt ans, cette dernière a été constamment soutenue. Actuellement, cette politique se concentre sur l’augmentation du nombre d’étudiantes dans les écoles d’ingénieurs, sur la réduction des obstacles qui empêchent les femmes de poursuivre une carrière dans l’ingénierie, sur leur retour au travail après une grossesse ainsi que surl’équilibreentrelarechercheetlavieprivée lorsqu’ellesontdesenfants.Laloisurlapromotionetlesoutiendesfemmesdanslessciences et la technologie, quant à elle, est réexaminée touslescinqans;desenquêtessontmenéeset denouvellesmesuressontrégulièrementmises en place. LeWISE a accompagné cette évolution. Lorsque j’ai rejoint le centre, basé à l’uniLA RÉDUCTION du budget de la recherche et du développement (R&D) en Corée du Sud pour 2024 par rapport à 2023. 14,7% 12 • La Recherche | N°577 Aujourd’hui, l’accent est mis sur l’espace et les technologies critiques et émergentes” versité pour femmes Ehwa, à Séoul, son budget annuel n’était que de 200 millions de wons [139000 euros, NDLR]. Aujourd’hui, le centre s’estconsidérablementdéveloppéetsonbudget dépasse les 25 milliards de wons [17 millions d’euros,NDLR] ! Vous êtes entrée en politique en 2017. Pourquoi ? J’avaissoifdedépasserleslimitesquejeressentaisaprèsavoirtravaillépendantdixansàaméliorer la place des femmes dans les domaines de la science et de la technologie. De plus, j’estimais que l’innovation, qui avait été largement promue sous l’administration du président Roh Moo-hyun (2003-2008), avait été négligée durant le mandat de ses successeurs Lee Myung-bak (2008-2013) et Park Geun-hye (2013-2017).Lorsquejesuisentréeenpolitique, j’aid’abordtravaillécommeconseillèreduprésident Moon Jae-in pour la science et la technologie à partir de 2017, avant de devenir Premier vice-ministre de la Science et des TIC de décembre 2018 à décembre 2019. J’avais envie d’élargir et de développer le cadre de l’innovation scientifique et technologique. C’était une bonne occasion d’œuvrer en ce sens. Qu’avez-vous fait ? Nousavonsétabliunprogrammevisant,entre autres, à renforcer le système de soutien à la recherche,lebudgetdeR&Dpourlarecherche fondamentale, la R&D des PME et des entreprises, et à améliorer le traitement des chercheurs et des étudiants diplômés. Sur ce dernierpoint,nousavonsparexemplefaitensorte deréduireetdesimplifierletravailadministratif. Pour ce qui est des chercheuses, le gouvernement a mis en place un système qui vise à lesaideràpoursuivreleursrecherchesàtoutes les étapes de leur carrière et à commercialiser uneinnovationqu’ellesauraientmiseaupoint. L’administrationMoonJae-inaégalementmis en œuvre une stratégie de croissance économique axée sur la «smartisation» et la numérisation des nouvelles industries majeures et prometteusesdelaCoréeduSud,tellesqueles drones, les nouvelles énergies ou la fintech (*). Au niveau international, le ministère des AffairesétrangèresetleministèredesSciences et des TIC ont, pour la première fois en 2019, annoncé conjointement une stratégie pour la diplomatie scientifique et technologique. Afin de faire face activement aux nouveaux enjeux diplomatiques et sécuritaires, tels que l’intensification de la concurrence technologique et l’augmentation des nouvelles menaces sécuritaires, il a été décidé de se concentrer sur la croissancemondialepartagée,surlacontribution au développement durable de la communautéinternationaleetsurl’améliorationdela sécurité nationale et de la qualité de vie. Comment évaluez-vous la politique de recherche de l’administration actuelle ? SousleprésidentYoonSuk-yeol,l’accentestmis surl’espaceetlestechnologiescritiquesetémergentes.Leproblème,selonmoi,estl’absencede politique globale. Mais la décision la plus problématiquemesembleêtrelaréductionde17% dubudgetdeR&Ddugouvernementpour2024, parrapportà2023.L’Assembléenationaleafinalement limité cette baisse à 14,7%, mais cela inquiètelesjeunesscientifiques(1). Quelle sera votre prochaine mission, maintenant que vous avez quitté le STEPI ? J’ai travaillé sur des sujets qui me semblaient importants. Cette période est maintenant terminée,j’aifinimamission.Placeàd’autrespersonnes, qui vont proposer d’autres projets ! Le poèteallemandGoetheaécrit:«C'estletemps, mon bien,le champ que je laboure» («Die Zeit istmeinBesitz,meinAckeristdieZeit»)(2).C’est cette idée qui me guide ces jours-ci. Je pense maintenant à me cultiver. J ProposrecueillisparPhilippeMesmer (1)B. Kim et A. Go, Nature, doi : 10.1038/d41586-024-00525-7, 2024. (2)Johann Wolfgang von Goethe, Le Divan occidental-oriental, 1835 (1819 pour l’édition originale en allemand sous le titre West-östlicher Divan). (*)La fintech désigne l’ensemble des nouvelles technologies dont l’objectif est d’améliorer l’accessibilité ou le fonctionnement des activités financières. © Radio France/Ch. Abramowitz La science, CQFD. > Disponible sur le site et l’appli Radio France. Natacha Triou. DU LUNDI AU JEUDI 16H - 17H L’esprit d’ouverture En partenariat avec Une heure dédiée à toutes les sciences, et à leurs problématiques éthiques, politiques, économiques et sociétales qui font l’actualité. 14 • La Recherche | N°577 TROIS MOIS DANS LE MONDE 15 NOVEMBRE LeRoyaume-Unidevientlepremierpays àapprouverl’utilisation,danslecadred’un traitementcontreladrépanocytose(maladie génétiquedusang),d’unethérapieutilisant l’outild’éditiondegènesCRISPR-Cas9. LesÉtats-Unisl’autorisentle8décembre. http://tinyurl.com/casgevycrispr 30 NOVEMBRE Lesmanchotsàjugulaire(Pygoscelisantarcticus), quiviventprincipalementenAntarctique, sontleschampionsdelamicrosieste:ils s’assoupissentenviron10000foisparjour, durant4secondesenmoyenne.Unsommeil ultra-fragmentémaisrégénérateur. P.-A. Libourel et al., Science, 382, 1026, 2023. 8 DÉCEMBRE Uneétudearchéologiquederestes dechevauxretrouvésenPatagoniesuggère quelespopulationsindigèneslocales avaientréintégréàleurspratiquesl’élevage deséquidésdepuisaumoinslemilieu duXVIIe siècle,prèsdedeuxsièclesavant l’installationdéfinitivedescolonseuropéens. W. Taylor et al., Sci. Adv., 9, 49, 2023. Deschercheursfrançaisontréalisélapremière cartographie3Dd’unetêtehumaineaustade del’embryogenèse.Muscles,systèmevasculaire etcartilagesysontrépertoriésavecprécision. Dequoimieuxcomprendrecertainesanomalies crânio-facialesouneurologiques. R. Blain et al., Cell, 186, 26, 2023. 13 DÉCEMBRE Lemystèredesnauséesetvomissements pendantlagrossesseestlevé!Encause:une seuleetmêmehormone,GDF15,quiest produitequasiexclusivementparlefœtus lorsquelafemmeestenceinte. M. Fejzo et al., Nature, 625, 760, 2024. 18 DÉCEMBRE Les singes possèdent une excellente mémoire sociale : ils se souviennent très bien du visage de congénères qui leur sont familiers, même une vingtaine d’années après les avoir vus pour la dernière fois. L. S. Lewis et al., PNAS, 120, e2304903120, 2023. 20 DÉCEMBRE Unenouvelleclassed’antibiotiques–contre lasouchedustaphylocoquedorérésistant àlaméticilline(SARM)–vientd’êtredécouverte, grâceàuneintelligenceartificielle.Unepremière depuissoixanteans. F. Wong et al., Nature, 626, 177, 2024. 5 JANVIER LesdeuxgéantesdeglaceduSystèmesolaire, NeptuneetUranus,seraientbienplusproches encouleurqu’onnelepensait:bleuverdâtre. P. G. J. Irwin et al., Mon. Not. R. Astron. Soc., 527, 11521, 2024. 11 JANVIER EnHauteAmazonieéquatorienne,desfouilles deterrain,combinéesàlatechnologieLidar,ont révélé,sousuneépaissevégétation,leplusgrand etplusancienréseaudecentresurbainsetde routesdelarégion.Ceséléments,répartissur plusde300km2 ,ontétéconstruits,pourlesplus vieux,ilyaenviron2500ans. S. Rostain et al., Science, 383, 6679, 2024. 17 JANVIER LetélescopespatialJames-Webbdécouvrele plusvieuxtrounoirsupermassifdel’Univers. SituédanslagalaxieGN-z11,ilseraitné 438millionsd’annéesseulementaprèsleBig Bang,soit17millionsd’annéesavantletrou noirquidétenaitleprécédentrecord. R. Maiolino et al., Nature, doi : 10.1038/s41586-024-07052-5, 2024. 25 JANVIER Victimed’unaccidentquiaendommagél’une desespalesderotor,l’hélicoptèreIngenuitydela NASA,quieffectuaitdesvolsdereconnaissance surMarsdepuisprèsdetroisans,doitstopper samission.Ilauraeffectué72volsautotal, bienplusquelescinqinitialementprévus. http://tinyurl.com/nasa-ingenuity 31 JANVIER Denouvellesfouillesd’unsitepréhistorique situéenAllemagneindiquentqu’Homosapiens 15 novembre CRISPR-Cas9 utilisé pour lutter contre la drépanocytose. 18 décembre S’il a vu un visage, ce singe ne l’oubliera pas. 8 décembre Le spectacle du cerveau humain en formation. 5 janvier Uranus et Neptune, deux nuances de bleu. Nouveaux antibiotiques créés grâce à l’IA, thérapie génique autorisée : les actus ont une coloration médicale. Côté astronomie, le plus vieux trou noir et un océan découvert sous la surface du satellite saturnien Mimas. NASA/JPL-CALTECH/B. JÓNSSON - DANIEL HEUCLIN / BIOSPHOTO - RAPHAEL BLAIN ET AL - NIH / IMAGE POINT FR / BSIP N°577 | La Recherche • 15 AU FIL DES TWEETS seseraitinstalléenEuropeduNord-Ouest ilyaenviron45000ans,etyauraitcohabité avecNéandertaldurantplusieursmillénaires. D. Mylopotamitaki et al., Nature, 626, 341, 2024; S. Pederzani et al., Nat. Ecol. Evol., doi : 10.1038/s41559-023-02318-z, 2024; G. M. Smith et al., Nat. Ecol. Evol., doi : 10.1038/s41559-023-02303-6, 2024. 5 FÉVRIER Va-t-onbientôtveniràboutdumystère despapyruscarbonisésd’Herculanum?Il yaquelquesmois(lireLaRecherchen°576, pp.14-15)étaitannoncéledéchiffrementd’un premiermot(«pourpre»).Lesalgorithmesd’IA enontmaintenantrévéléplusieurscentaines d’autres.Ilsfontpartied’unessaiphilosophique surlessensetlesplaisirsdelavie. http://tinyurl.com/papyrusdherculanum 7 FÉVRIER Onpensaitquel’intérieurdeMimas,l’une deslunesdeSaturne,étaitentièrementsolide. Surprise:ilabriteraitenfaitunocéangéant, 20à30kmsouslasurfaceglacéeetcratérisée. Relativementjeune,ilseseraitforméilyamoins de25millionsd’années. V. Lainey et al., Nature, 626, 280, 2024. 15 FÉVRIER Ilestthéoriquementpossibled’obtenirdes étoilesemboîtéeslesunesdanslesautres. Principalementcomposéesdevide,elles tiendraientgrâceàl’énergienoireetauraient unedensitésimilaireàcelledestrousnoirs. D. Jampolski et L. Rezzolla, Classical Quant. Grav., 41, 065014, 2024. DU 21 MARS AU 3 AVRIL LE PRINTEMPS DE L’ESPRIT CRITIQUE TRAITERA DE NOTRE RAPPORT À L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : DE MULTIPLES ÉVÉNEMENTS SONT PRÉVUS PARTOUT EN FRANCE. printempsdelespritcritique.fr LES 6 ET 7 AVRIL LE FESTIVAL SCIENTILIVRE, À LABÈGE (HAUTE-GARONNE), SERA CONSACRÉ AUX OCÉANS. AU PROGRAMME : CONFÉRENCES SUR LA BIODIVERSITÉ ET L’EXPLORATION SOUS-MARINE, EXPOS ET RENCONTRES LITTÉRAIRES. scientilivre.org DU 13 AU 26 MAI LA QUESTION DE L’EAU SERA AU CENTRE DU FESTIVAL ART ET SCIENCES «LES ANTHROPOSCÈNES», À ÉVREUX (EURE), AVEC PLUS DE 100 ÉVÉNEMENTS. JonathanBernard (@J_Y_Bernard), épidémiologisteàl’Inserm,met enavantlarécenteétudeà laquelleilaparticipé,visantà tempérerlesrésultatsd’autres travauxquiaffirmaientqueles enfantsregardantlatéléplus d’uneheureparjourdessinent moinsbien.Finalement,il sembleraitquecesoitplutôt lecontextesociocultureldela famillequiauneincidencesur lacapacitédedessin,etquele tempsd’écraninfluetrèspeu. http://tinyurl.com/JYBernardtemps-ecran AnneLavigne(@Anne_ Lavigne),économisteet professeureàl’université d’Orléans,inviteàrelativiser labaisseactuelledutauxde natalitéenFrance.Selonelle, l’indicateurlepluspertinent àsuivrepouranalyser correctementlatendancede l’évolutiondelapopulation françaiseestletauxde fécondité,qui«semaintient stable»pourlemoment. Elleajouteque«siletaux deféconditédéclinepeu,on devraitobserveruneremontée dunombredesnaissances àpartirde2026». http://tinyurl.com/ALavignenatalite-fecondite WilliamBarrie (@WilliamBarrie), post-doctorantengénétique àl’universitédeCambridge (Royaume-Uni),raconte comment,enanalysant 5000osetdentsancestraux, sescollèguesetluisont parvenusàretracerl’origine delascléroseenplaquesetà expliquersaprépondérance actuelledanslenordde l’Europe.Cettemaladieaurait étéapportéeparunpeuple pastoraléleveurdebétail, ilyaenviron45000ans. http://tinyurl.com/WBarriesclerose-origine WilliamFarley (@ArchaeologyGame), archéologueàl’université d’ÉtatduConnecticut méridional(États-Unis), expliqueenquoil’annonce selonlaquelleunepyramide, datéede27000ans,aurait étédécouverteenIndonésie estunexemplede«science malhonnête,mensongère». Aucœurduproblèmed’après lui,lesmatériauxqueles auteursontdatéspoursoutenir leurthèse:«[Ils]ontprélevé descarottesdesolsousle site,etdatédessolsriches enmatièresorganiquessans aucunlienavecdesartefacts dequelquenaturequecesoit.» http://tinyurl.com/WFarleypseudo-pyramide OlivierMinazzoli (@OMinazzoli),astrophysicien àl’ObservatoiredelaCôte d’Azur,revientsurles travauxthéoriquesrécents dumathématicienRoyKerr, selonlequeliln’yaaucune preuvedufaitquelarelativité généralepréditl’existence inévitabledesingularitésà l’intérieurdestrousnoirs. http://tinyurl.com/ OMInnazzoli-trous-noirs À VENIR 25 janvier L’hélicoptère Ingenuity tire sa révérence, après trois ans et 72 vols de reconnaissance sur Mars. 5 février Le décryptage des papyrus d’Herculanum se poursuit grâce à l’IA. L’originedela scléroseenplaques enEurope,lesenfants etlesécrans,letaux deféconditéetune supposéepyramide ontfaitparlerles chercheurs. VESUVIUS CHALLENGE - NASA - WILLIAM FARLEY DOSSIER L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE N°577 | La Recherche • 17 PETICA POUR LA RECHERCHE Bien implantés dans les laboratoires, les systèmes d’intelligence artificielle (IA) ont le potentiel de remodeler la découverte scientifique en accélérant le processus de la recherche. S’ils sont encore essentiellement fondés sur l’apprentissage statistique, ces systèmes permettent d’explorer de nouvelles hypothèses, de concevoir des expériences et d’accélérer la collecte et l’analyse des données massives.Au travers de ce dossier,qui dresse un panorama non exhaustif de la manière dont les outils d’IA rentrent dans la besaceduscientifique,vousaurezunaperçudecenouveaupaysage de la recherche,avec ses succès,ses espoirs et ses limites. LA SCIENCE À L’ÂGE DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
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