SOCIETY n°186 - Page 6 - 186 Sommaire 6 Society Actupuncture 10. Jason Brokerss sait des choses que vous ne savez pas. La vie du rail 12. L’offre TGV Max devait faciliter la vie et les voyages des jeunes Français. Elle n’est pas loin de les compliquer. Nouvelle ère en Colombie 16. Avec l’accession de Gustavo Petro à la présidence le 19 juin dernier, la Colombie vient de virer à gauche pour la première fois de son histoire. Pourquoi? Qu’en attendre? Une orchidée nommée désir 20. Cachée dans les marécages de Floride, l’orchidée fantôme est une plante rare et précieuse. Au point de faire perdre la tête à ses collectionneurs. Chevaline, dix ans de mystère 26. Qui a tué cette famille de touristes anglais et ce cycliste français le 5 septembre 2012 à Chevaline? Après dix ans d’enquête et un dossier judiciaire qui dépasse les 90 tomes, la vérité n’a toujours pas émergé. MELANIEMETZ–RENAUDBOUCHEZPOURSOCIETY Jeunes à Venise 52. Les canaux, la place Saint-Marc, les touristes. Mais aussi, au bout de la lagune, des îles moins courues, comme celle de Burano, où les journées s’écoulent au rythme de la pêche. Et où les jeunes ont inventé une curieuse façon de s’amuser. Sommaire 8 Society Jérusalem, côté Bashiti 60. C’est l’histoire d’une famille palestinienne qui vit à proximité de l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem. Et se retrouve ainsi, malgré elle, au cœur des tensions. Les démons de la télé-réalité 66. Toujours plus nombreuses, les émissions de télé-réalité sont devenues un tremplin pour la célébrité. Mais aussi un système qui broie candidates et candidats. 100 bonnes raisons… 82. … de baisser les prix. MATTEODEMAYDA–LAURALEÓNPOURSOCIETY UNE NOUVELLE ÈRE SURVOLTÉE. AU QUOTIDIEN, PRENEZ LES TRANSPORTS EN COMMUN #SEDÉPLACERMOINSPOLLUER Big love = Passionnément. Consommation d’énergie électrique : 15.8 kWh/km. Autonomie en cycle mixte : 226 km ; autonomie en ville : 296 km. Depuis le 01/09/2018, les véhicules légers neufs sont réceptionnés en Europe sur la base de la procédure d’essai harmonisée pour les véhicules légers (WLTP), procédure d’essai permettant de mesurer la consommation de carburant et les émissions de CO2 , plus réaliste que la procédure NEDC précédemment utilisée. A 0 g CO2 /km B C D E F G Society Actupuncture 10 Télex. “On ne peut pas tout faire à l’Assemblée nationale”, a indiqué la femme politique française Yaël Braun-Pivet sur France 2. …Qui récolte des tomates qui vont au-delà du kilo, des concombres de 80 centimètres ou des choux cabus de quinze kilos dans son jardin, à Montréverd, en Vendée? C’est Richard Humbert! …Bonne nouvelle: une tigresse de Sumatra a donné naissance à des jumeaux au zoo d’Oklahoma City, aux États-Unis. 1.La France a vécu début août sa troisième vague de chaleur en trois mois. Ce qui fait donc assez pour comparer: Jason, vous êtes plutôt vague de chaleur ou vague de Covid? J’ai pas besoin de m’enfoncer une tige dans le nez pour savoir que je suis bronzé, le choix est vite fait! 2.En Espagne, une entreprise de reboisement a déclenché un feu de forêt pour la deuxième fois en un mois. Et vous, c’est quand la dernière fois que vous vous êtes rendu compte que vous n’étiez pas fait pour ça? J’ai fait des travaux chez moi récemment, j’ai terminé, maintenant il faut faire des travaux chez moi. 4.Pour la première fois depuis 20 ans, un euro vaut un dollar. Concrètement, qu’est-ce que ça a changé à votre vie, Jason Brokerss? Maintenant, j’ai l’info. 3.Un article posté sur le site de CNN rappelle qu’en cas d’attaque de requin, la règle numéro un est de ne pas paniquer. C’est quand la dernière fois que vous avez compris que si ça vous arrivait, ça ne servirait à rien d’espérer? On dirait une question faite pour Manuel Valls. 5.Au McDonald’s de Saint-Witz, dans le Val-d’Oise, une femme a trouvé un lézard en croquant dans son hamburger. À votre avis, elle avait pris quelle formule? C’est les vacances, je ne travaille pas en ce moment, je n’ai pas besoin d’être drôle, alors je dirais un McLacoste. 6.À cause de la sécheresse qui frappe actuellement les États-Unis, le Grand Lac Salé, dans l’Utah, a atteint son niveau le plus bas depuis 1875. Ça vous rappelle quelqu’un? OK, maintenant c’est sûr, vous voulez que je parle de Manuel Valls. – NICOLAS FRESCO / PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY Voir: 21ème seconde, dernières représentations à Paris en septembre et en octobre à La Scala, puis en tournée dans toute la France. Six questions pointues sur l’actu à… Jason Brokerss humoriste Mûri au soleil Servi bien frais sur uneterrasse L’A B U S D’A LCO O L E S T DA N G E R E U X P O U R L A S A N T É, À CO N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N Créditphoto:Zvardon@VinsAlsace 12 Society Télex. Autoplus.fr ne recule devant rien et assure que le lave-glace été favorise le “démoustiquage”. …Saluons le courage de l’équipe municipale de Bretigny, en Côte-d’Or, qui œuvre pour la préservation de la chouette effraie. …Les habitants de Las Parejas, en Argentine, se sont rués vers la décharge publique de la ville après la découverte de 75 000 dollars au milieu des ordures. Créée en 2017 pour donner un nouvel élan à la mobilité des jeunes Français, l’offre TGV Max de la SNCF est de plus en plus critiquée par ses usagers. Qui, sans trains ni solutions, se retrouvent laissés à quai depuis le début de l’été. Pas au Max P auline n’avait jamais pensé rester trois semaines sans voir son copain. Partie travailler à Paris, lui étant à La Rochelle, la jeune Périgourdine de 25 ans avait vu en l’abonnement TGV Max de la SNCF le parfait moyen de laisser son couple sur de bons rails. Pour 79 euros par mois, l’offre était censée lui permettre de voyager en France gratuitement et sans limite, hors périodes de forte affluence. Et donc de pouvoir rejoindre son amoureux quand elle le souhaite, sans fracasser son budget de jeune intermittente du spectacle. Une illusion. “Finalement, quand on se sépare, on ne sait jamais quand on se reverra.” TGV Max, qui a rendu de fiers services à des centaines de milliers de jeunes de 16 à 27 ans depuis sa création en 2017, n’est en effet plus que l’ombre de ce qu’il a été. Ces derniers temps, trouver une place éligible pour les 90 000 usagers actuels s’avère généralement très difficile en semaine. Voire quasiment impossible le week-end. “Ça a toujours été compliqué l’été, mais on arrivait à s’en sortir. Là, c’est presque impossible”, confirme Agnès Cordier, membre du bureau collégial de 1Max2Trains, l’association des usagers de l’offre. Si certains continuent de la juger rentable, de nombreux étudiants ou jeunes actifs se retrouvent à devoir payer des trains hors abonnement (très chers cet été), prendre l’avion ou un covoiturage à leurs frais. “Ce mois-ci, j’ai payé l’abonnement et 250 euros de billets de train. Pour un étudiant, ce n’est pas tenable”, regrette par exemple Sabri, alors que le groupe Facebook “TGV Max Community”, qui regroupe 22 000 abonnés, s’est transformé en véritable cahier de doléances. En cinq mois d’abonnement, PierreAntoine, étudiant de 25 ans, n’a jamais trouvé de trajets pour rendre visite à sa famille –“J’avais toujours soit l’aller, soit le retour, jamais les deux”– et a donc rapidement quitté le wagon TGV Max. “C’est une belle idée sur le papier, mais dans les faits, c’est un fiasco complet”, tranche-t-il. En ce moment, sur bon nombre de destinations, presque aucun train n’est disponible à la réservation sur toute la période réservable (30 jours), même en semaine sur les horaires de faible affluence. Les usagers se plaignent également de voir des trains afficher complet sur le simulateur TGV Max et vides en réalité. Un souci en partie dû à la baisse forte et brutale des trajets éligibles. En juin, date des dernières données fournies par la SNCF, il n’y avait plus que 61% de trains proposant des places aux usagers TGV Max, contre 83% en mars et 94% au lancement. “En ce moment, on met moins de places à disposition, et elles sont prises d’assaut, concède une représentante de la SNCF. Les trains sont pleins et tout le monde est logé à la même enseigne.” Cet été, la compagnie ferroviaire constate en effet 10% de réservations en plus par rapport à l’été 2019, avant la pandémie, alors que le nombre de trains, lui, n’augmente pas. TGV Max, considérée par la SNCF comme une offre de déstockage, en fait les frais. “Ce que propose la SNCF actuellement est en dessous des besoins nationaux. Les trains sont hyper-remplis, donc il n’y a plus rien à offrir aux abonnés TGV Max. Ils sont arrivés à la limite de leur système. C’était un modèle économique intéressant à une époque. En ce moment, ça ne l’est plus”, analyse Patricia Perennes, économiste spécialiste du transport ferroviaire. De son côté, la SNCF dit ne pas constater plus de désabonnements qu’habituellement, jure que “chaque Vie du rail Gare Saint-Charles, Marseille, le 25 juillet. NICOLASGUYONNET/HANSLUCASVIAAFP P o u r v o t r e s a n t é , é v i t e z d e g r i g n o t e r e n t r e l e s r e p a s . w w w . m a n g e r b o u g e r . f r Écoute ça va, ça va… Ça va, mais bon. T’as vu ce temps franchement ? Depuis quand on n’a pas vu le soleil sérieux ? Ça commence à faire long. Je vais te dire, y’a plus de saisons. Mais bon, on va pas se plaindre. On est en bonne santé hein, c’est déjà ça. Même si j’avoue que je suis crevée en ce moment. J’sais pas si c’est la pleine lune ou quoi, mais j’ai pas fermé l’œil de la nuit. Et Jean-Claude qui ronfle de plus en plus fort ! J’ai l’impression de dormir à côté d’un marteau piqueur. Mais bon, à part ça, ça va. Enfin même si mon petit dernier a décidé de m’en faire voir de toutes les couleurs. Môssieur n’en fait qu’à sa tête. Et vas-y que je rentre à pas d’heure. Et vas-y que je mets la musique à s’en péter les oreilles. Je peux dire ce que je veux de toutes façons, il en a clairement rien à faire de mon avis. Le portrait craché de son père celui-là tiens. Enfin, faut bien que jeune pousse se fasse. Voilà à part ça… Ah si, y’a le nouveau du sixième aussi qui commence à me taper sur le système avec ses jardinières. C’est quoi cette mode de faire son potager sur son balcon ?! Y’ m’fout de la terre partout dans la cour celui-là ! Hey dans les parties communes y’a « communes » ! Non mais j’te jure. De qui on se moque ? Pas croyable ! Et quand c’est pas eux c’est leurs voisins d’à côté là, avec leur chien qu’arrête pas d’aboyer. Non mais sérieusement ? Ils font exprès de l’énerver comme ça ? Pas possible d’être aussi petit de faire autant de bruit. Enfin, je veux dire, les éducateurs canins ça existe hein, non ? Ah je te jure, la tranquillité c’est rare de nos jours. Vraiment, faut avoir de la patience. Et heureusement que j’en ai mais bon, je sais pas pour combien de temps encore. Mais bon, à part ça, franchement ça va. 14 Society Télex. Le fait est que le farçou aveyronnais a été mis à l’honneur du côté de Montrozier. …Des empreintes de dinosaure ont été découvertes dans un restaurant situé à Leshan, dans le sud-ouest du Sichuan, en Chine. …“On est au milieu de l’été”, a déclaré l’homme politique français Clément Beaune le 22 juillet dernier, sur CNews. …Une tortue Caouanne a pondu une centaine d’œufs sur une plage de l’Hérault. abonné(e) voyage en moyenne cinq fois par mois”, que “c’est moins facile cet été, mais ça reste très rentable”, et a même lancé TGV Max Senior pour les plus de 60 ans, fin mars. L’entreprise publique affirme aussi que l’abonnement a été créé pour les personnes flexibles au niveau des dates, et qui ne voyagent donc pas le week-end. Pourtant, une des premières publicités de l’offre jeune, en 2017, affichait en grosses lettres: “Des week-ends à 0 euro en 2 temps 3 clics”. Depuis, la SNCF a progressivement réduit les capacités de l’abonnement grâce à de discrètes modifications des conditions générales de vente (CGV). En septembre dernier, les nouvelles mentionnent que l’abonnement est désormais utilisable “hors période de forte affluence (vendredi après-midi et soirée, dimanche après-midi et soirée, grands départs en vacances et ponts)”. Agnès Cordier, qui suit de très près ces évolutions, enrage: “L’opacité autour du quota de places de TGV Max permet à la SNCF de faire ce qu’elle veut. Elle ne respecte pas les CGV et les modifie à sa guise.” La compagnie a d’ailleurs annoncé une nouvelle évolution à partir du 12 septembre. Elle ne devrait toutefois pas influer sur la disponibilité des places à venir. Des sit-in dans les gares Maxime*, un ancien salarié de la SNCF qui a travaillé dans les services TGV Max, se souvient de la création de cette offre en 2017, qui divisait en interne. “Ça partait d’une initiative militante de salariés. On voulait une idée coup de poing pour remplir les trains. La SNCF attendait environ 30 000 abonnés, il y en a eu le triple. L’offre n’a pas été dimensionnée pour ça. Bien qu’elle soit encore très utile, elle se dégrade aujourd’hui.” Pour stopper l’hémorragie, l’association 1Max2Train veut faire entendre la voix des “Maxtrotters”. Une pétition est sortie le 21 juillet. Elle peine à décoller, avec à peine 350 signatures le 28 juillet dernier. Mais ce n’est qu’une première alerte, avant de passer à des mobilisations collectives plus concrètes. “On a prévu de leur envoyer d’un seul coup des lettres de plaintes des usagers mécontents, environ 5 000. On envisage aussi d’organiser des sit-in dans les gares”, glisse Agnès Cordier. Le collectif dénonce une mise en vente des places Max à J-12 au lieu de J-30 ces derniers temps (ce que réfute la SNCF). Il réclame aussi une augmentation de l’offre globale des trains et un quota de places TGV Max. Projet inenvisageable pour la compagnie: “C’est un abonnement qui s’adapte à l’offre et à la demande. Ce qu’on propose à J-30 n’est pas fixe, on adapte en fonction du remplissage.” Selon Maxime, la SNCF n’a que peu de considérations pour les Maxtrotters. “En interne, les abonnés TGV Max sont vus comme des clients captifs. Leurs demandes ne sont quasiment pas considérées. Le personnel en gare a ordre de ne pas s’en occuper, ils les prennent en dernier à chaque fois. En bref, tout le monde se fout de leur gueule.” Pour lui, la compagnie ferroviaire aurait tout à gagner à faciliter le dialogue, et même à financer les associations d’usagers. “Les clients se sentent délaissés et ont l’impression de devoir être en guerre avec la SNCF à chaque problème, plutôt que dans le dialogue.” Pour Pauline, qui peine à retrouver son copain à La Rochelle, la situation pourrait avoir des conséquences tout autres: depuis peu, elle cogite sur sa relation à distance. “Je suis en train de me demander si ça vaut le coup, si on doit être séparés pendant trois semaines, un mois, à chaque fois. À moins d’avoir 200 euros à dépenser tous les week-ends pour se voir, ce n’est pas possible.” – TOM BERTIN *Le prénom a été changé La SNCF affirme que l’abonnement a été créé pour les personnes qui ne voyagent pas le week-end. Pourtant, une des premières publicités affichait en grosses lettres: “Des week-ends à 0 euro en 2 temps 3 clics” Gare du Nord, Paris, le 19 juillet. AMAURYCORNU/HANSLUCASVIAAFP P o u r v o t r e s a n t é , p r a t i q u e z u n e a c t i v i t é p h y s i q u e r é g u l i è r e . w w w . m a n g e r b o u g e r . f r Pffff. Quoi ? Rien. Pourquoi tu souffles ? Bah quoi, j’ai plus le droit de souffler ? Pffff. Pffff. Quoi ? Rien. Pourquoi tu souffles ? Bah quoi, j’ai plus le droit de souffler ? Pffff. Pffff. Quoi ? Rien. Pourquoi tu souffles ? Bah quoi, j’ai plus le droit de souffler ? Pffff. 16 Society Victoire Télex. Pour attirer de nouveaux habitants, la Nièvre propose aux curieux une semaine d’immersion sur place. …Le championnat de lancer de menhirs vient de débuter à Guerlesquin, dans le Finistère. …Un Britannique de 30 ans s’est fait tatouer le QR Code de sa carte de fidélité des magasins Tesco sur le bras. Avec l’accession de Gustavo Petro à la présidence de la Colombie le 19 juin dernier, le pays vire à gauche pour la première fois de son histoire. Une élection qui s’inscrit dans une tendance plus globale au niveau sud-américain, explique l’analyste politique et ancien ministre Hector Riveros, du Parti libéral, centriste, qui va faire partie de la coalition gouvernementale. Première à gauche C’ est la première fois qu’un président de gauche est élu en Colombie. Comment l’analysez-vous? Cette élection est selon moi l’expression claire du mécontentement d’une grande partie de la population colombienne vis-à-vis de la politique du président Duque (de 2018 à 2022, ndlr). La manière de traduire ce malaise dans les urnes a été le vote pour l’option de gauche, avec l’idée qu’elle était plus sensible aux problématiques sociales. Gustavo Petro, un ex-guérillero (du mouvement M-19, ndlr) dans l’opposition farouche au pouvoir depuis 30 ans, et sa vice-présidente, Francia Marquez, une femme noire qui a travaillé en tant qu’employée de maison, s’est opposée aux entreprises minières et a survécu au conflit armé, incarnent cette volonté de changement mieux que personne. Maintenant, leur défi va être de répondre aux attentes de ces électeurs, mais aussi de tranquilliser l’autre moitié du pays, à qui Petro fait presque peur. Qu’est-ce qui fait peur chez lui? Petro a toujours eu une personnalité assez mégalomane. Il porte en lui la conviction d’avoir une sorte de mandat héroïque à accomplir, celui de changer l’histoire du pays. Mais je crois qu’il a atténué cette partie de sa personnalité. Ou disons qu’il a compris que ce messianisme n’était pas forcément adapté à l’époque. Vous parliez de la vice-présidente, Francia Marquez, première femme noire à accéder à de telles responsabilités. Le symbole est-il puissant en Colombie? Une partie importante de la population colombienne ne s’est jamais sentie réellement incluse. Elle se voit aujourd’hui représentée par une femme noire, d’une condition sociale et d’origine modestes comme Francia Marquez. En Colombie, il y a un récit national qui veut qu’en 200 ans de république, le pays ait toujours été dirigé par les membres d’une aristocratie politique vivant en vase clos. Ce récit se termine avec l’arrivée au pouvoir de Francia Marquez. C’est très puissant. Comment le changement souhaité par les Colombiens va-t-il se manifester? En matière politique, je crois que les gens s’attendent à une relation avec le Congrès sans clientélisme. Mais le changement va se jouer principalement au niveau économique. Ivan Duque confiait tout au marché. Le seul indicateur dont il tenait compte, c’était l’indice de croissance économique. Il pensait que la croissance engendrerait une redistribution par la théorie du ruissellement ; quelque chose qui ne fonctionne pas. Aujourd’hui, la plupart des électeurs aspirent à une politique économique totalement différente pour palier une situation sociale complexe, avec 20 millions de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, 12% des Colombiens qui n’ont pas de revenus et presque 50% qui travaillent dans le secteur informel. C’est l’une des clés de l’élection de Petro. Les gens veulent une politique économique avec un interventionnisme de l’État beaucoup plus fort. Qu’en est-il du processus de paix avec la guérilla et des accords conclus en 2016? C’est un sujet essentiel. Par son mépris affiché envers la nécessité de construire une paix durable ou le fait qu’il impute toute la responsabilité des événements et de l’échec du processus de paix aux leaders sociaux et aux ex-combattants, Ivan Duque a totalement nié l’importance historique et détruit la symbolique politique des accords. Son attitude à cet égard était par ailleurs ambivalente, car il a suivi certaines règles de l’accord sans les attribuer au processus de paix. Par exemple, il parlait de faire des investissements dans des régions périphériques du pays, mais sans jamais mentionner qu’en réalité, il appliquait là le traité de paix, qui prévoyait une aide pour les zones les plus affectées par le conflit. Finalement, le résultat peut être le même, mais le message envoyé est très différent. Duque n’a pas été l’un des garants du respect de cet accord. Il a voulu imaginer son propre chemin. Ce sujet, dont hérite Gustavo Petro, est-il toujours un enjeu brûlant? Le 28 juin, quelques jours après l’élection de Petro, la Commission de la vérité a remis son rapport sur un demi-siècle de conflit. Petro sera enclin à suivre ses recommandations, mais un très grand pourcentage de la société et les partis de droite vont s’y opposer. C’est un sujet qui génère énormément de controverses et le passé d’ex-guérillero de Gustavo Petro crée une méfiance originelle d’une bonne partie de la société colombienne envers lui. Sa victoire s’inscrit dans un contexte sudaméricain de retour de la gauche au pouvoir. Comment l’analysez-vous? Il est vrai que récemment, le Pérou, le Chili ou même la Bolivie se sont inscrits dans la même dynamique. D’ailleurs, on peut sans aucun doute trouver quelques points communs avec ce qui s’est passé récemment au Chili, avec l’élection du président Boric. Dans nos deux pays, les mobilisations sociales étaient clairement des manifestations de rejet des politiques néoconservatrices des gouvernements précédents, avec des demandes pour davantage de justice sociale.
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