CRASH n°103 - Page 2 - 103 D I O R .C O M - 01 4 7 3 7 3 7 3 A Racing Machine On The Wrist RM 74-02 Calibre tourbillon maison squeletté à remontage automatique Réserve de marche de 50 heures (± 10 %) Platine et ponts en or 3N et or rouge 5N Rotor à géométrie variable Barillet à rotation rapide Boîtier en Carbone TPT® or et or rouge 5N * LA PERFORMANCE MÉCANIQUE POUSSÉE À L’EXTRÊME CRASH N°103 FALL 2024 THE SUPERNATURAL ISSUE PUBLISHER FRANK PERRIN EDITOR IN CHIEF & CREATIVE DIRECTOR ARMELLE LETURCQ ART ADVISOR PATRICIA MARSHALL FASHION DIRECTOR CHIARA FICOLA MILAN CORRESPONDENT MARTINA CONTE GRAPHIC DESIGNER MANON PIGEON ENGLISH VERSION BRIAN MEYER OFFICE MANAGER AICHA NDIAYE DIGITAL TEMOSO MOHUBA TEXTS ALAIN BERLAND CHLOE EDSTEIN LISE GUÉHENNEUX FASHION EDITORS CAROLINA ORRICO FRANCESCA CEFIS CASOLI IRENE BARRA PAULINE GROSJEAN ADVERTISING COMMUNITY@CRASH.FR PUBLISHERS ARMELLE LETURCQ & FRANK PERRIN SUBSCRIPTION WWW.CRASH.FR ISSN 1276-4108 CRASH PRODUCTION, SARL AU CAPITAL DE 21 573 EUROS. COMMISSION PARITAIRE 1202K78040. DÉPOT LÉGAL À PARUTION © CRASH TOUS DROITS DE REPRODUCTION RÉSERVÉS. LA REPRODUCTION MÊME PARTIELLE DES ARTICLES ET ILLUSTRATIONS PARUS DANS CRASH EST INTERDITE SANS AUTORISATION PRÉALABLE. CRASH 124 RUE DU CHERCHE MIDI, 75006 PARIS TÉLÉPHONE (+33)143457461 WWW.CRASH.FR IMAGES ALESSANDRA SANGUINETTI ALEX WEBB AXEL HERMANN BRUCE GILDEN CAMERON POSTFOROOSH CHARLES FRÉGER CHIARA BRUSCHINI DANIEL REGAN ELISE TOÏDÉ FANNY LATOUR-LAMBERT GABRIELE ROSATI GARETH MCCONNELL GREGOIRE ALEXANDRE HARRY GRUYAERT ISABELLE WENZEL JIM GOLDBERG KAREN PAULINA BISWELL MANUEL OBADIA-WILLS MARCUS OHLSSON RNOLWENN BROD OLIVIA ARTHUR RETO SCHMID SARAH MOON TARRAH KRAJNAK THOMAS HAUSER TOBY COULSON TORBJØRN RØDLAND CRASH MAGAZINE IS PRINTED IN BELGIUM WITH PLANT-BASED INKS Photo: Bruce Gilden, Sunglasses Carrera, Wool coat Maitrepierre RM 74-02 Calibre tourbillon maison squeletté à remontage automatique Réserve de marche de 50 heures (± 10 %) Platine et ponts en or 3N et or rouge 5N Rotor à géométrie variable Barillet à rotation rapide Boîtier en Carbone TPT® or et or rouge 5N * LA PERFORMANCE MÉCANIQUE POUSSÉE À L’EXTRÊME A Racing Machine On The Wrist Marise in Noir Kei Ninomiya Photo Charles Fréger Style Chiara Ficola Suki Waterhouse in Fendi and Tiffany & Co. Photo Cameron Postforoosh Style Carolina Orrico Amelia in The Kooples Photo Chiara Bruschini Suki Waterhouse in Rodarte and Tiffany & Co. Photo Cameron Postforoosh Style Carolina Orrico Lily in Chanel Photo Reto Schmid Style Francesca Cefis Casoli Andrea in Prada Photo Sarah Moon Style Armelle Leturcq Franziska in Nelson Santos Photo Thomas Hauser Style Chiara Ficola Alex in Loewe and Carrera Photo Bruce Gilden Style Armelle Leturcq Tessa in Loro Piana Photo Fanny Latour-Lambert Style Chiara Ficola Taryn in Issey Miyake and Carrera Photo Bruce Gilden Style Armelle Leturcq Julien De Saint Jean in Dior Men x Lewis Hamilton Photo Grégoire Alexandre Style Chiara Ficola Madi in Dior and Rose in Celine, Glasses Carrera Photo Bruce Gilden Style Armelle Leturcq Photo: Bruce Gilden, Tortoiseshell glasses Carrera, Dress, jacket, and cardigan Issey Miyake, Jewelry Model’s own Pino Pascali at Fondazione Prada in Milan Colomba della Pace (1965), artist’s studio, Rome, Photo Claudio Abate ©Archivio Claudio Abate the supernatural issue À propos de l’image de mode, certains diront qu’elle est un simulacre puisqu’en creux, il s’agit de représenter un vêtement. C’est sans compter sur tout ce que véhiculent ces images sur notre époque. Dans ce numéro 103, qui questionne à l’occasion des 100 ans du Surréalisme, notre rapport à la réalité et à l’imaginaire aujourd’hui, le master Bruce Gilden, se rend à Brighton Beach, banlieue balnéaire de Manhattan et terre d’accueil des gens venus de Russie et des pays de l’Est, faisant irruption dans ce monde où tout le monde parle russe. L’émergence dans les images de personnages bien réels, mais semblant tout droit sortis d’un film de Scorcese, rajoutant à la confusion. Quand la réalité est plus fictionnelle que la fiction. Quand Charles Fréger, habitué à photographier les tribus et les vêtements traditionnels, est plongé dans une caverne avec une mannequin habillée en Fendi, que se passe-t-il? Reto Schmid est transporté à Montreuil dans une architecture futuriste pour photographier la nouvelle collection automne-hiver de Chanel, alors que la mythique Sarah Moon s’installe dans un immense hôtel particulier de Saint-Germain des Prés pour capturer la collection Prada automne-hiver. Chaque histoire de mode est une aventure, une réflexion, une tentative de créer des situations et de tout simplement, créer sa propre réalité, ses propres simulacres. AL 020 MOZINOR BY RETO SCHMID 034 RAPHAËL ZARKA, RETOUR VERS LE FUTUR 042 AMELIA GRAY, L’INGÉNUE 044 NOBODY IS A STRANGER 070 SUKI WATERHOUSE 082 ADEL ABDESSEMED 084 BRIGHTON BEACH BY BRUCE GILDEN 096 PINO PASCALI OU LES MÉTAMORPHOSES DE LA SCULPTURE 102 BEAUTIFUL FALL BY SARAH MOON 114 ALLEN JONES, FROM THE GODS 118 1924 BY FANNY LATOUR-LAMBERT 140 JÜRGEN KLAUKE, SUR LE FIL 148 JULIEN DE SAINT JEAN 160 JOALIN, FIRE & ICE 162 REVERSING TIME BY GRÉGOIRE ALEXANDRE 168 BERTRAND MANDICO, FLUIDITY AND SEXUALITY EVERYWHERE 174 THE CAVE BY CHARLES FRÉGER 184 ALEX COULON, STRANGE CREATURES 186 FEAR OF FEAR BY THOMAS HAUSER 208 THE LOST BOYS BY CHARLES FRÉGER 216 RAY OF LIGHT BY GRÉGOIRE ALEXANDRE 224 LA RÉPARATION 226 ADDICTIONS Jürgen Klauke, Heimspiel, aus dem Zyklus Sonntagsneurosen, 1990 - 1992, 171 x 125 cm Mozinor 1 Photo Reto Schmid Style Francesca Cefis Casoli 10 1. Cardigan noir et jaune pastel en laine, orné de boutons bijoux, Pantalon noir et jaune pastel en laine, Ceinture bijou en métal et résine Chanel 2. Robe noire et blanche en crêpe de Chine imprimé, ornée d’une poche en cuir matelassé et de boutons bijoux, Boucles d’oreilles en métal, verre et strass, Bottes à plateforme noires en tissu, Sac «11.12» bleu, noir et gris en tweed et métal Chanel 3. Veste rose en tweed de laine, ornée de boutons bijoux, Jupe-culotte rose en tweed de laine, Boucles d’oreilles en métal, strass et verre, Bottes à plateforme beiges en veau velours, Sac «11.12» gris en cuir et métal Chanel 4. Manteau long saumon en laine d’alpaga, orné de boutons bijoux, Sac «11.12» gris en cuir et métal Chanel 5. Combinaison noire et bordeaux en cuir, ornée de galons, Sac noir en cuir matelassé et métal, Sac «11.12» gris en cuir et métal Chanel 6. Manteau long saumon en laine d’alpaga, orné de boutons bijoux, Chanel 7. Veste rose en tweed de laine, ornée de boutons bijoux, Boucles d’oreilles en métal, strass et verre Chanel 8. Veste et pantalon écrus, argentés et dorés en tweed de cachemire irisé, ornée de galons et de boutons bijoux, Ceinture bijou en métal et résine, Bottes beige clair et noires en agneau velours et veau brillants, Sac «11.12» rose, noir, beige et écru en tweed et métal Chanel 9. Robe à bretelles noire en satin de soie, Bottes à plateforme noires en velours, Sac «11.12» marron en tweed et métal Chanel 10. Robe bleue et rose en charmeuse de soie peinte, ornée de boutons bijoux Chanel 1er Assistant lumière Peter Keyser, 2e Assistant lumière Quentin Farriol, Digital Opérateur Sascha Heintze, Modèle Lily Vander Meeden at IMG Models, Styliste Francesca Cefis Casoli, Assistant Styliste Glorija Gzimailaite, Make-up Tiziana Raimondo at Home Agency, Hair Jacob Kajrup, Assistant de production Kristina Yavorskaya, Directeur decasting SébastienHernandezBertrand. Mozinor, un bâtiment réalisé par l’architecte Claude Le Goas, Montreuil. Mozinor, à Montreuil, à la périphérie de Paris, est une cité industrielle verticale, construite dans les années 1970, par les architectes Gilbert-Paul Bertrand et Claude Le Goas. Un projet architectural à la fois brutaliste et utopique, avec son imposante structure monolithique en béton brut et ses lignes pures. Sous le regard du photographe Reto Schmid et grâce à la verticalité du bâtiment, flanqué d’escaliers futuristes, le jeu dramatique de l'ombre et de la lumière et les lignes architecturales inflexibles, convoquent une ambiance cinématographique. La collection automne-hiver 2024 de Chanel et le sac «11.12», réinterprétation moderne de l'emblématique Chanel «2.55», créé en 1955 par Gabrielle Chanel sont incarnés ici par Lily Van Der Meeren, comme tombée dans une faille spatio-temporelle… 36 37 CRASH CRASH Raphaël Zarka, Cycloïde Piazza, 2024, Centre Georges Pompidou, Paris. Courtesy Galerie Miterrand, Photo Chiara Bruschini. À la faveur de la foisonnante actualité de Raphaël Zarka, depuis Trélazé (Maine et Loire, France) où la commande publique La Doublure vient d’être inaugurée, au MRAC Occitanie (Sérignan) où il signe le commissariat en invitant vingt-cinq artistes pour Fortuna, une exposition sur les formes dans l’espace, marqué par le skateboard, jusqu’à Paris, où sa sculpture skatable Cycloïde piazza, prend place sur le parvis du Centre Pompidou jusqu’au 15 septembre. La galerie Mitterrand lui consacre une exposition personnelle Tautochrone, comprenant des maquettes de sculptures pour l’espace public, une sculpture reprenant une cheminée anglaise en brique du XVIe , ainsi qu’une nouvelle série de peintures, Bois gnomoniques (2024) où recouvrements et permutations de «motifs instrumentaux» (triangles, cercles, demi-cercles…) prélevés dans le socle de cadrans solaires écossais du XVIIe et XVIIIe siècles viennent jouer leur partition, jusqu’à saturer le plan. Retour sur la pratique passionnée et passionnante de l’artiste. INTERVIEW LISE GUÉHENNEUX PHOTO CHIARA BRUSCHINI LISE GUÉHENNEUX On t’a souvent présenté comme un artiste contemporain qui utilise tous les médiums, photographie, vidéo, sculpture etc. selon les besoins spécifiques des projets, mais n’es-tu pas plutôt sculpteur aujourd’hui? RAPHAËL ZARKA Je n’ai pas fait de vidéo depuis quinze ans. LG Pourrais-tu nous éclairer sur la «sculpture documentaire», un terme qui revient souvent pour qualifier ta pratique sculpturale? RZ Au départ, Les formes du repos, les premières sculptures que j’ai produites, étaient des photographies d’objets trouvés, de sculptures involontaires, pour reprendre l’expression de Brassaï qui m’a marqué. Donc en 2001, je photographiais des sculptures que je n’avais pas réalisées. LG À la façon de Gabriel Orozco dont tu aimes le travail? RZ Complètement. Borges, Orozco constituent les fondations de mon travail. Quand je suis arrivé à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1999, après avoir commencé à l’université de Nîmes puis continué par l’Ecole d’art de Winchester au sud de Londres, c’était l’époque de l’art relationnel et on me disait que tout ce que j’aimais était un peu ringard et l’artiste qui m’a un peu sauvé et dont j’avais le droit de parler était Orozco. Il faisait le lien entre des pratiques ultra contemporaines, l’Arte Povera et mon goût pour le constructivisme avec toutes ces histoires d’ellipses, de cercles, de permutations. Un art de permutations, de citations, très borgésien finalement. LG Les années 1990 sont également celles d’une remise en question de l’objet, de l’exposition. RZ J’étais dans l’atelier de Jean-Luc Vilmouth qui était considéré comme un espace où l’on se retrouve et où l’on ne s’installe pas. Vilmouth nous parlait avec générosité de ses projets dans l’espace public, notamment celui d’une éolienne en 2000 sur le parvis du Centre Pompidou, fonctionnant avec tous les flux d’air des chauffages du bâtiment pour alimenter l’escalator du centre. La Doublure, commande publique que je viens d’inaugurer à Trélazé doit d’ailleurs beaucoup aux doubles cheminées (Comme deux tours, 1995) de Vilmouth à Châtellerault. Il s’imaginait qu’il y avait une progression dans l’art et là, l’époque était à la dématérialisation. Philippe Parreno disait se souvenir juste des images passant à la télévision durant son enfance en Algérie, alors que je me souviens de toute la matérialité du village où j’ai grandi dans le sud de la France et en tant Raphaël Zarka, Cycloïde Piazza, 2024, Centre Georges Pompidou, Paris. Courtesy Galerie Miterrand, Photo Chiara Bruschini. 40 41 CRASH CRASH que skateur, de tous les sols que j’ai pratiqués, de toutes les villes où j’ai skaté. LG Tes études en Angleterre, c’était pour échapper à quoi en France? RZ Depuis le Sud j’avais envie d’autre chose, et comme à dix-huit ans je commençais comme tout le monde à faire de la peinture, j’ai vite compris qu’aux Beaux-Arts en France, faire de la peinture en 1997 c’était juste impossible. Donc sur les conseils d’une artiste anglaise qui habitait Nîmes, je me suis dit que si l’école ne me plaisait pas, il y aurait l’Angleterre. Et j’ai été pris à Winchester, à une heure de Londres, école qui invitait de très bons intervenants. Et là, j’ai fait une des rencontres qui a changé ma perception. Tacita Dean est venu pour une conférence et des visites d’ateliers. Elle nous a parlé des recherches autour de la Spiral Jetty de Robert Smithson, introduit la pratique de l’écrit. Et je découvrais mon intérêt pour le côté spéculatif, discursif que je sentais déjà croitre en moi par la lecture de Borgès. J’ai compris que je pouvais intégrer tout cela dans mon travail artistique. Ensuite, j’ai fait des recherches sur le travail de Robert Smithson, des sculptures super formalistes, des textes, des photos, des vidéos. C’est un peu Orozco avant Orozco, Smithson pour moi, avec l’écriture en plus. C’était mes modèles. Et comme aux Beaux-Arts de Paris c’était trop old school de faire quelque chose de ses mains, j’ai commencé comme Orozco, tu le soulignais, à prendre des photos. LG Et c’est à ce moment-là que tu tombes sur un récif artificiel photographié au bord de la route dont la structure est un rhombicuboctaèdre? RZ C’est la première Forme du repos que j’ai photographiée et que j’ai reconstruite en bois. J’ai ensuite commencé à travailler de cette façon en fabriquant des répliques, notamment une sculpture de l’artiste brésilien Iran do Espirito Santo pour mon diplôme de fin d’études avec une sorte de sous texte borgésien et conceptuel: «Il y a des œuvres qui sont des définitions». L’œuvre d’Espirito Santo, consistait à découper un cercle dans un mur en brique. Donc à partir du moment où tu peux résumer ainsi l’œuvre, cela devient un statement à la Lawrence Wiener que tu peux refaire. Même chose avec une œuvre d’Espirito Santo si tu en retrouves la racine. Les deux axes de départ étaient les photos documentaires de sculptures, les Formes du repos et la possibilité de dupliquer autrement des objets trouvés en fabriquant des répliques. Cycloïde Piazza, 2024. Centre Georges Pompidou, Paris © Raphaël Zarka Avec la collaboration de Jean-Benoît Vétillard, 22 juin – 15 septembre 2024, Centre Pompidou, Piazza. Commissariat: Jean-Max Colard La Doublure, commande publique Trélazé (Maine et Loire, France) Fortuna, MRAC Occitanie (Sérignan) Tautochrone, Galerie Mitterrand, Paris de Philippe-Alain Michaud sont deux écritures marquantes quant à la transmission d’une méthode qui ont permis l’essor d’une génération d’artistes assez archivistes, même si à la fin, on n’en pouvait plus de voir des expositions où il n’y avait que des documents. LG Mais dans ta pratique, la forme, les couleurs, les matières sont importantes. RZ C’est mon côté formaliste refoulé. J’ai toujours été à cheval sur deux approches de l’art, l’une extrêmement formaliste, un intérêt pour les matériaux, les couleurs, les structures, mais aussi l’aspect conceptuel, discursif, de recherche. LG D’où les ouvrages publiés. Et le catalogue raisonné des rhombicuboctaèdres? RZ Ce côté archiviste est toujours là et je suis aussi d’une nature ultra obsessionnelle. Les thèmes et les objets du travail ont été énoncés de façon assez claire durant les six premières années. LG Pourquoi as-tu fait un focus sur les rhombicuboctaèdres? RZ Après avoir fait cette découverte archéologique du bord de route, pris en photo et découvert cette structure, je croyais en avoir fini avec elle. Puis trois ans plus tard, j’ai trouvé dans un ouvrage d’un mathématicien de la Renaissance, une gravure avec la même structure. Ensuite j’ai vu que le dessin de ce module était utilisé pour concevoir la forme générale de la bibliothèque nationale de Biélorussie à Minsk et je me suis embarqué là-dedans en commençant un catalogue raisonné pour marquer des récurrences très borgésiennes. LG Comment le présentes-tu? RZ Au début, en 2009, c’était un diaporama de soixantecinq images accompagnées d’un texte de Didier Semin et très vite il a pris la forme d’un poster réactualisé au fil des expositions. On en est au cinquième poster qui comporte cent-cinquante images. Et pour la dernière exposition à Tokyo avec Nicolas Floc’h, la version diaporama diffuse deux-cent cinq rhombicuboctaèdres dans différents contextes. LG Pourquoi continues-tu à suivre cette piste des rhombicuboctaèdres? RZ Je n’arrive pas à m’arrêter mais en même temps je fais de gros zig zag qui m’amènent à trouver des figures qui vont devenir très importantes dans le travail, de gros modules skatables, permutables, et ces détours finissent par composer un énorme corpus d’œuvres. Et puis grâce aux rhombicuboctaèdres, j’ai découvert en 2009 un type de cadran solaire que je suis allé photographier en Alsace, en entrant des mots-clés sur Internet. Tu mets les mots dans plusieurs langues et tu comprends que tout le monde ne désigne pas l’objet par le même mot. Tu comprends qu’il y a aussi des dés, des «dés à vingt-six faces», des «corps à vingt-six faces». Tu tapes d’autres choses pour faire apparaître des formes et tu lis un traité de géométrie, une histoire du polyèdre. Tu découvres d’autres pistes et parmi ces pistes, le cadran solaire mais qui formellement ne m’intéressait pas beaucoup. LG Il est resté en jachère dans le catalogue. RZ Il y a plein de choses comme ça qui restent en jachère, soit des formes, soit des noms. Puis j’en ai trouvé un en Écosse sculpturalement plus intéressant. Une espèce d’obélisque avec un rhombicuboctaèdre à l’intérieur et de drôles de motifs sur le socle. Je suis allé le voir et à partir de là, les cadrans solaires ont commencé à m’intéresser jusqu’à en faire le sujet de ma thèse, en cours actuellement. Ce qui m’intéresse dans la poursuite des rhombicuboctaèdres c’est que cela ne m’oblige pas à choisir mon camp car le polyèdre a gardé différentes orientations soit un objet ultra rigoureux et scientifique soit un objet métaphysique ou même chamanique . LG Pour trouver des fictions qui te permettent de développer un imaginaire de liberté? RZ La question de la fiction est très importante. Dans mon cas il y a Borgès mais aussi Roger Caillois qui n’a pas cessé de provoquer ce genre de montage de sens que les historiens n’aiment pas beaucoup. J’ai l’impression que je travaille avec les cauchemars des historiens. Depuis le Sud j’avais envie d’autre chose, et comme à dix-huit ans je commençais comme tout le monde à faire de la peinture, j’ai vite compris qu’aux Beaux-Arts en France, faire de la peinture en 1997 c’était juste impossible. Donc sur les conseils d’une artiste anglaise qui habitait Nîmes, je me suis dit que si l’école ne me plaisait pas, il y aurait l’Angleterre. Et j’ai été pris à Winchester, à une heure de Londres, école qui invitait de très bons intervenants. Et là, j’ai fait une des rencontres qui a changé ma perception. Tacita Dean est venu pour une conférence et des visites d’ateliers. Elle nous a parlé des recherches autour de la Spiral Jetty de Robert Smithson, introduit la pratique de l’écrit. Et je découvrais mon intérêt pour le côté spéculatif, discursif que je sentais déjà croitre en moi par la lecture de Borgès. J’ai compris que je pouvais intégrer tout cela dans mon travail artistique. LG C’était vraiment les questions que travaillaient Georges Didi-Huberman qui a monté sa première exposition en 1990, «Régions de dissemblance» au Musée d’Art Contemporain de Rochechouart où l’avait invité Guy Tosatto qui en était le conservateur. Dans le catalogue, il écrit «Giotto, Fra Angelico, couvrent les registres inférieurs de leurs grandes fresques de projections picturales qui, ironie de l’histoire, « ressemblaient» presque à du Jackson Pollock et pour cela n’ont jamais été prises en considération par l’histoire de l’art traditionnelle…». RZ Quand j’étudiais aux Beaux-Arts de Paris, j’allais suivre les cours de Didi-Huberman à L’école des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Je ne comprenais rien aux concepts d’Aby Warburg mais j’observais tout cela, les diapos de pièces que je vais voir aujourd’hui en Italie. Quant à Guy Tosatto, c’est presque lui qui m’a formé parce qu’il était conservateur du Carré d’Art à Nîmes où j’ai vu mes premières expositions d’art contemporain. J’étais époustouflé par la précision des pièces d’un Penone et par le contexte de la pensée qui les faisait émerger. J’ai lu assez jeune le texte de Didi-Huberman sur TonySmithetsurtoutjesuivaislescoursdeDidierSemin. Les recherches sur Aby Warburg de Didi-Huberman ou
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