ANIMELAND n°249 - Page 1 - 249 Disponibles en boutique et sur Disponibles en boutique et sur www.dontpanicgames.com www.dontpanicgames.com ©2002MK - 2007SP Unissez-vous contre l’Akatsuki ! Unissez-vous contre l’Akatsuki ! Chacun pour soi ou tous contre un, Chacun pour soi ou tous contre un, jouez le destin de vos ninjas aux dés ! jouez le destin de vos ninjas aux dés ! naruto naruto ninja arena ninja arena naruto naruto ninja arena ninja arena genin pack genin pack naruto naruto ninja arena ninja arena sensei pack sensei pack tokyo ghoul tokyo ghoul district district battle battle également disponibles : juin 2024 DISPONIBLE LE 21 MARS 2025 ©Tite Kubo/Shueisha, TV TOKYO, dentsu, Pierrot ©Bandai Namco Entertainment Inc. ©2024 Sony Interactive Entertainment LLC. The “1” Family logo, “PlayStation”, “5” are registered trademarks of Sony Interactive Entertainment Inc. アニメランド WWW.ANIMELAND.FR Retrouvez toute l’actualité anime, manga et les chroniques d’AnimeLand sur notre site internet. Également disponible sur smartphone ! AnimeLand n°249 • janvier - mars 2025 • 14,95 € Publication trimestrielle d’Ynnis Editions, S.A.S. au capital de 10.000 € ■ SIRET 79325950800026 ■ Siège social : 38, rue Notre-Dame de Nazareth 75003 Paris ■ Directeur de publication : Cedric Littardi ■ Directeur artistique et éditorial d’Ynnis : Sébastien Rost ■ Directeurs éditoriaux d’AnimeLand : Joséphine Lemercier et Bruno de la Cruz ■ Contact rédaction : brunodelacruz@animeland.com ■ Publicité : florian@feelgoodmedia.fr ■ Communication : Célia Bourrel ■ Abonnements et anciens numéros : serv-abo@animeland.com ■ Logo : Élise Godmuse ■ Conception graphique et mise en page : Wilfrid Desachy ■ Corrections : Émilie G. ■ Fabrication : centSucres ■ Ont collaboré à ce numéro : Carole Martinato, Yassine, Stéphanie Chaptal, Jonathan Cordier de Mello, Jérémie Bluteau, Ilyes Rahmani Martinez, Valentin Costes, Nicolas Chazan, Damien Hilaire, Emmanuel Bochew, Bruno de la Cruz et Joséphine Lemercier ■ Pour toute correspondance, adressez votre courrier (accompagné d’une enveloppe timbrée libellée à votre adresse pour la réponse) à : AnimeLand - 38, rue Notre-Dame de Nazareth - 75003 Paris contact@animeland.com Les opinions exprimées dans les colonnes de ce journal n’engagent que leurs auteurs. 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Le rédacteur fou : « Qui est l’ange gardien d’Ichigo ? Oliver ! Car l’enjoliveur protège les roues » ■ Première impression ■ Achevé d’imprimer en France par Aubin Imprimeur en décembre 2024 ■ Diffusion MLP ■ Dépôt légal à parution ■ Commission paritaire 0228 K 82755 Toute reproduction, même partielle, des textes est strictement interdite. Saoule société C’est dans un contexte international et politique instables que la petite équipe d’AnimeLand a monté ce numéro dédié à BLEACH, œuvre phare de Tite Kubo. Tout comme au Seireitei, le monde de la politique multiplie les alliances et les coups bas pour prendre le pouvoir. Certaines, tel Ichigo, se battent pour le(s) peuple(s), tandis que d’autres, façon Aizen, ne visent que leur confort. Ce climat crépusculaire ne doit pas nous dévier de notre objectif : continuer de proposer des numéros les plus complets possibles. Consacrer un numéro à BLEACH s’impose pour nous comme une évidence. D’abord parce qu’il s’agit d’un shônen méritant qui a fait vibrer le Jump pendant 15 ans, ensuite parce qu’elle est l’œuvre d’un auteur qui a su imposer ses idées et croire en lui. C’est un message fort — à plus forte raison quand on connaît la capacité de certaines sociétés éditrices à écraser leurs auteurs sous le travail — qui doit toutes et tous nous guider. Chez AnimeLand, nous avons foi en notre mission, et les mots courageux de Kubo renforcent notre détermination. Traiter BLEACH nous permet par extension de célébrer les 45 ans du studio qui produit son adaptation animée, Pierrot. Par son travail sur Kimagure Orange Road, Creamy et Urusei Yatsura, Pierrot est devenu une maison historique de l’animation japonaise. Grâce à de nombreux témoignages sans tabou, dont celui du génie Mamoru Oshii, l’histoire et le savoir faire de ce studio ne seront plus un secret pour vous ! Comme souvent depuis quelques mois, AnimeLand revendique le statut du seul et unique média français capable de diffuser de longs entretiens avec des figures emblématiques de l’animation japonaise. Nous espérons que vous l’appréciez et comptons sur votre soutien ! En attendant de se retrouver en avril avec le numéro 250 — on prépare quelque chose de fort ! — nous dédions ce magazine à Joséphine Lemercier (rédactrice et co-rédactrice en cheffe) et Sonia Jensen (correctrice), deux noms importants de notre histoire, envolées vers de nouveaux horizons. L’équipe d’AnimeLand é d i t o é d i t o MAGAZINE #249 Offrez-vous un moment de votre anime préféré ! La Galerie de la Bande Dessinée vous propose une sélection de dessins originaux de production, réalisés par les animateurs japonais. Avec entre autres Bleach, Naruto, Black Clover, Tokyo Ghoul, One Piece, Dragon Ball, Pokemon, … VENTE DE DESSINS ORIGINAUX 237, Chaussée de Wavre 1050 Bruxelles info@galeriebd.com • +32 485 985 618 www.galeriebd.com © Kubo/Studio Pierrot Wish List Toutes les sorties manga, anime et jeu vidéo du moment. Jeu Vidéo Rencontre avec Toshihiro Kondo, président de Falcom et camarade de Makoto Shinkai. Hommages Emi Shinohara et Atsuko Tanaka, les voix de Sailor Jupiter et Major Kusanagi. 120 130 138 Portrait de Tite Kubo 006 006 Interview Atsushi Wakabayashi (animateur) 092 092 Interview Mamoru Oshii (réalisateur) 104 104 Historique Studio Pierrot 084 084 Le manga BLEACH 016 016 Interview Ken Hagino (producteur) 060 060 Les anime BLEACH 032 032 Interview Masashi Kudo (chara-designer) 054 054 Interview Noriyuki Abe (réalisateur) 040 040 Rencontre avec la VF de BLEACH 070 070 Offrez-vous un moment de votre anime préféré ! La Galerie de la Bande Dessinée vous propose une sélection de dessins originaux de production, réalisés par les animateurs japonais. Avec entre autres Bleach, Naruto, Black Clover, Tokyo Ghoul, One Piece, Dragon Ball, Pokemon, … VENTE DE DESSINS ORIGINAUX 237, Chaussée de Wavre 1050 Bruxelles info@galeriebd.com • +32 485 985 618 www.galeriebd.com © Kubo/Studio Pierrot ANIMELAND 249 Offrez-vous un moment de votre anime préféré ! La Galerie de la Bande Dessinée vous propose une sélection de dessins originaux de production, réalisés par les animateurs japonais. Avec entre autres Bleach, Naruto, Black Clover, Tokyo Ghoul, One Piece, Dragon Ball, Pokemon, … VENTE DE DESSINS ORIGINAUX 237, Chaussée de Wavre 1050 Bruxelles info@galeriebd.com • +32 485 985 618 www.galeriebd.com © Kubo/Studio Pierrot 06 Portrait Tite Kubo 16 BLEACH, la voix du coeur 24 L’écriture de Tite Kubo 32 L’anime BLEACH 38 L’anime BURN THE WITCH 40 Rencontre avec Noriyuki Abe 54 Rencontre avec Masashi Kudo 60 Rencontre avec Ken Hagino 70 Les coulisses de la VF de BLEACH 74 Ikai, le presqu’isekai © Tite Kubo/Shueisha. TV TOKYO, dentsu, Pierrot 4 4 5 DOSSIER BLEACH PORTRAIT DE TITE KUBO PORTRAIT DE TITE KUBO LA FORTE TÊTE DU JUMP Contrairement à Kentarô Miura, auteur complexé et peu sûr de lui, ou Akira Toriyama, génie pragmatique qui n’a pas vraiment dessiné ce qu’il voulait, Tite Kubo est un artiste hors pair qui a mené sa carrière comme bon lui semble. Retour sur une personnalité étonnante de l’écurie Jump. Nicolas Chazan et Bruno de la Cruz « J’aime les chiens. À part ça, je n’ai pas de personnalité. » C’est par ces mots que se décrit lui-même, sans une once d’ironie, Tite Kubo, invité en août 2024 dans le podcast de Daisuke Sakuma1 . Paradoxalement, cette déclaration, pour le moins surprenante, est en réalité très révélatrice de la personnalité singulière de l’auteur et de sa façon de voir son œuvre. En effet, en lisant les nombreuses interviews auxquelles il a répondu, on remarque que Tite Kubo a du mal à se montrer très loquace quand on lui demande de parler de son processus créatif. À l’écouter, son histoire, sa composition des cases, sa façon de dessiner, tout lui vient naturellement. Ainsi, lors d’une discussion avec son confrère Yûsei Matsui (Assassination Classroom) dans le Jump Giga 2017 volume 2, concernant sa façon de composer ses cases dans ses œuvres, Kubo déclare avec légèreté : « Je n’y pense pas, je le fais à l’instinct […] Les premiers compliments que mon premier éditeur m’ait faits concernaient mon découpage des cases et ma composition des plans. Je me suis alors dit : “Super, c’est bien” et ensuite, je n’y ai plus jamais repensé ». Abasourdi par cette réponse, Matsui essaie d’arracher plus de détails de la bouche de Kubo. À travers sa réponse, on comprend alors qu’en réalité, l’auteur de BLEACH possède une formidable capacité à se créer des images mentales, qu’il parvient ensuite à matérialiser sous forme de dessins. Des dinosaures et des yôkai On retrouve d’ailleurs ce rapport naturel avec le dessin dès sa plus tendre enfance. Né en 1977 à Fuchûchô, dans la campagne de Hiroshima, selon ses propres dires, Tite Kubo dessinait déjà avant d’entrer en maternelle. Il recopiait les scarabées qu’il voyait sur ses livres d’images, mais aussi et surtout les dinosaures. Ces derniers étant bien souvent représentés de profil, Kubo s’amuse alors à les redessiner de face. Impressionnés par la perception spatiale de leur fils, les parents de Kubo décident de lui acheter un carnet de croquis. À partir de là, une véritable vocation naît chez le futur auteur de BLEACH qui passe ses journées à dessiner. C’est cependant en deuxième année d’école primaire que Kubo fait la rencontre de sa première grande inspiration, Shigeru Mizuki. Le jeune homme est en effet fasciné par les étranges créatures qui foisonnent dans les livres de l’auteur connu pour ses yôkai. Ainsi, l’année suivante, Kubo achète un grand recueil de dessins en noir et blanc de Mizuki, et commence à s’en servir comme ouvrage de référence pour ses dessins. Dès lors, Kubo prend conscience de l’existence du métier de mangaka. « Quand j’étais en CE1 ou CE2, j’adorais l’anime GeGeGe no Kitarô. » se souvient Tite Kubo dans un entretien croisé avec Akutami Gege, donné dans l’ouvrage Jujutsu Kaisen - Characters Book. « Puis, je suis devenu un lecteur assidu du manga GeGeGe no Kitarô, ce qui m’a poussé à ne dessiner que des dessins pointillistes ; j’ai même ajouté des ombres en pointillés à mes croquis de yôkai. La seule raison pour laquelle je me suis mis au dessin était de devenir mangaka. » Pour l’amour des mots Par la suite, dès son entrée au collège, il se forme une solide réputation d’artiste auprès de ses camarades. Ainsi, des écoliers qu’il ne connaissait pas l’abordent pour le complimenter sur ses dessins. Durant cette période, il lit assidûment les œuvres populaires du Jump de l’époque, et notamment Saint Seiya, qu’il cite comme sa deuxième grande influence après Mizuki. Le jeune artiste se prend également de passion pour le style de Muscleman qu’il recopie avec ardeur. C’est un garçon méthodique qui fait ses devoirs d’été durant les premiers jours des vacances, car il déteste être pris par le temps (ce qui lui sera fort utile, puisqu’il n’aura que rarement du mal à respecter les deadline). Il fait également preuve d’un fort intérêt pour la psychologie humaine, puisqu’il adore réfléchir à la façon de penser et à la portée des mots de ses interlocuteurs. Autre particularité pour le moins étonnante, c’est aussi un féru du dictionnaire, qu’il lit amoureusement. En plus de lui apporter un solide bagage linguistique qu’il mettra à profit dans ses œuvres à travers son sens de la réplique percutante, cette passion lui permet par ailleurs d’obtenir de très bonnes notes en japonais, ce qui contraste avec ses notes bien en dessous de la moyenne en mathématiques. Toujours dans l’optique de soutenir le talent de leur fils, les parents de Kubo lui achètent Tite Kubo, à gauche, prend ici la pause aux côtés de l'idol Daisuke Sakuma Comme beaucoup de japonais de la génération 1970, Tite Kubo est fan du travail de Masami Kurumuda. Saint Seiya et BLEACH partagent d’ailleurs de nombreux points commun. © Snow Man / Daisuke Sakuma “Les premiers compliments que mon premier éditeur m’ait faits concernaient mon découpage des cases et ma composition des plans” 6 7 une méthode pour dessiner des mangas, et Kubo dessine sa première œuvre (il ne se souvient malheureusement plus du contenu). Néanmoins, à cette époque, imaginer des mangas n’est qu’un passe-temps, il n’envisage pas encore véritablement une carrière d’auteur. Pourtant, quand Kubo entre au lycée, tout s’accélère. La question de son avenir se fait de plus en plus pressante, et le jeune artiste choisit définitivement la carrière de mangaka. Dès lors, il écrit « mangaka » sur sa fiche d’orientation de terminale dans la case « futur métier envisagé » et, pendant les vacances d’été, il dessine une œuvre de science-fiction, Fire in the Sky, qu’il soumet au prix Hop Step, un prix du Weekly Shônen Jump. L’œuvre attire alors l’attention de Takanori Asada, un éditeur de Jump notamment connu pour son travail avec Eiichirô Oda (Asada sera l’éditeur avec qui il commencera BLEACH). Deux pages de l’œuvre accompagnées d’un synopsis et d’un commentaire des éditeurs, membres du jury, sont publiées dans le 45e numéro de l’année 1995 du Jump. Impressionné par le talent du jeune homme, Asada demande à Kubo de dessiner une nouvelle œuvre, mais ce dernier refuse pour terminer tranquillement sa scolarité de lycéen. Une fois diplômé et suite aux relances d’Asada, il envoie à l’éditeur ULTRA UNHOLY HEARTED MACHINE, une œuvre publiée dans le hors-série spécial été de Jump de 1996. Cette histoire est accompagnée d’une présentation de celui qui se fait pour l’instant appeler par son vrai nom, Noriaki Kubo. Dans celle-ci, l’auteur déclare énormément apprécier le travail de la mangaka Yun Kôga (Loveless). Les premières galères Dans le 36e numéro de l’année 1996 du Shônen Jump est publiée sa deuxième histoire courte, Rune Master Urara. Durant cette période, Asada commence de plus en plus à évoquer avec son auteur l’idée d’une sérialisation. De ce fait, l’auteur de BLEACH se met à réfléchir à ses mangas en pensant à cette possibilité. Une fois Rune Master Urara terminée, Kubo décide de prendre une pause. Cependant, l’équipe éditoriale du Jump est bien décidée à développer ce nouveau talent prometteur, et l’année suivante, en 1997, pour le motiver à dessiner, le comité éditorial décide de lui laisser 45 pages dans un des numéros du Shonen Jump. Cependant, la conduite de ce projet, BAD SHIELD UNITED, est chaotique, car Kubo n’a que trois semaines pour dessiner son manga. De plus, comme il le révèle au duo de comiques Sandwichman lors d’une émission de radio en 2018, l’auteur se prend les remontrances de l’éditeur en chef du Jump (sûrement Kazuhiko Torishima). Ce dernier lui dit que son travail est mauvais et qu’il devrait s’inspirer des meilleurs, tout en lui mettant devant lui les premiers tomes de Dragon Ball et Hokuto no Ken. Cependant, Kubo ne l’entend pas de cette oreille : il refuse de céder aux demandes éditoriales et de changer son récit. Lors d’une interview pour un manuel de dessin de Jump sorti en 2021, Tite Kubo considérait « le fait de faire ce que mon éditeur voulait comme une défaite ». À © Tite Kubo, TV Tokyo, dentsu, Pierrot D.R. ULTRA UNHOLY HEARTED MACHINE C’est en 1996, à 18 ans, qu’il connaît sa première publication via une édition spéciale du Jump avec la série ULTRA UNHOLY HEARTED MACHINE. Ce premier titre est assez surprenant au regard de la carrière de Kubo. Il s’agit d’abord d’un titre de SF voire de Hard SF, dans lequel un effaceur accompagné d’un androïde mène une attaque au QG d’un groupe mafieux afin d’arrêter la production d’une drogue. Développée sur une trentaine de pages, cette histoire est très violente, chargée de gunfights et de balles dans le crâne. Bien que l’auteur place déjà des soupapes humoristiques typiques de son humour et additionne les punchlines, sa proposition est assez radicale et aurait largement sa place dans l’Afternoon de Kôdansha. Sur le plan graphique, Tite Kubo n’est, logiquement, pas tout à fait proche du style qu’il aura sur BLEACH. On reconnaît bien sûr la finesse de ses visages, sa façon de faire les yeux, mais les visages de ses antagonistes et le rendu de ses effets spéciaux n’ont rien à voir avec sa forme artistique finale. Puis, ci et là, on croit parfois voir du Kia Asamiya (Silent Mobius) ou du Masamune Shirow (Ghost in the Shell). Rune Master Urara En 1996, paraît son histoire courte, Rune Master Urara. Il s’agit des premiers pas de l’auteur dans l’illustre Weekly Shônen Jump. Il est amusant de voir que Kubo insiste déjà sur un gimmick qui reprend des éléments de ULTRA UNHOLY HEARTED MACHINE et de ses futurs mangas. Le mangaka crée à nouveau un binôme féminin, se lance dans de la baston assaisonnée de comédie, et le ton virulent, « grande gueule » de son art est déjà bien présent. Tite Kubo est confronté à quelques refus de son éditeur, notamment concernant une première version du personnage Tensa qui apparaîtra finalement dans BLEACH. Le métier commence à rentrer. Chronologie des œuvres BAD SHIELD UNITED À l’automne 1997, Tite Kubo a 20 ans. Il produit, en 3 semaines, l’histoire courte BAD SHIELD UNITED pour le Weekly Shônen Jump. C’est ici que la patte graphique de Tite Kubo rejoint ce que l’on verra dans BLEACH, et ce sentiment n’est pas seulement renforcé par la présence d’un Ichigo bis version brun doté d’une grande épée. Une nouvelle fois, c’est une vibe SF qui enrobe la proposition de Tite Kubo, puisqu’il s’agit d’une chasse aux androïdes, par des androïdes. L’auteur ne cherche pas à donner une leçon à Asimov avec cette proposition, mais c’est suffisamment philanthrope pour nous toucher. 9 D.R. © SHUEISHA DOSSIER BLEACH PORTRAIT DE TITE KUBO cause de cette expérience déplaisante, Kubo s’éloignera ensuite, pendant un peu plus d’un an, de son métier d’auteur. Cette épreuve va également avoir une forte influence sur sa manière de considérer les éditeurs. Dans le numéro de Jump Ryû qui lui est consacré, quand on lui demande de donner des conseils aux jeunes mangakas, l’auteur n’y va pas par quatre chemins : il leur demande d’endosser la responsabilité de leur œuvre et de ne pas écouter leur éditeur. On comprend ainsi que Kubo n’a jamais eu beaucoup de considération pour eux. De ce fait, durant la sérialisation de BLEACH, Kubo fera toujours en sorte que ses interactions avec son tantô soient les plus courtes possibles. Dans son interview radio avec Sandwichman, il déclare qu’il se contentait de dire à son éditeur ce qu’il allait dessiner pour la semaine suivante, sans qu’il n’y ait vraiment de discussion. Du côté éditorial, cet aspect peu coopératif avait d’ailleurs pleinement été compris, comme on peut le constater à travers l’anecdote que Kubo révèle à Sakuma. Lorsqu’il était allé à une soirée organisée par Jump avec son éditeur, ce dernier aurait déclaré en montrant Kubo du doigt : « Il me considère juste comme un transporteur de planches de manga, c’est tout. » Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas loin de la vérité. La route vers le succès En 1999, après s’être ressourcé grâce à son break, le jeune auteur reprend du service. Appuyé par Asada, il se lance dans la confection de sa prochaine œuvre, ZOMBIEPOWDER. Alors que normalement, il faut un minimum de trois chapitres pour passer la réunion de sérialisation, les planches de Kubo convainquent, et la sérialisation est décidée par les éditeurs après seulement la lecture du premier chapitre. Ainsi, la prépublication de ZOMBIEPOWDER. commence dans le 34e numéro de l’année 1999 du Weekly Shônen Jump et se termine dans le 11e de celui de l’année 2000. C’est à partir de cette œuvre que Kubo prend le nom de Tite Kubo. Parallèlement au lancement de sa série, il utilise ses économies accumulées ZOMBIEPOWDER, la première série Le 2 août 1999, Tite Kubo délivre sa première série dans le Weekly Shônen Jump, avec ZOMBIEPOWDER. Pour l’occasion, l’œuvre est en couverture de ce numéro, dans lequel figure le 247e chapitre de Kenshin le Vagabond ou encore le 3e de Prince du Tennis. « Salut, c’est Kubo. C’est mon tout premier manga. Le thème, c’est le combat. Le lire assis sans penser à rien, c’est bien. Mais si ça vous dit, essayez de réfléchir en le lisant », peut-on lire en préface du premier volume relié. L’auteur remet les mains dans la SF, mais situe l’action dans un cadre western qui n’aurait rien à envier à l’extravagance de Trigun (1996). Tout comme dans le titre de Yasuhiro Nightow, on retrouve un héros aussi gaffeur que génial dont la tête est mise à prix. Si Vash avait des guns, le héros de Kubo a cette fois-ci une grande épée (!) et mène une quête pour des anneaux permettant de ressusciter les morts. En deux ans, l’auteur affiche des progrès fulgurants : son dessin est bien plus maîtrisé et s’approche grandement de ce qu’il montrera dans les aventures d’Ichigo Kurosaki. Il y a une plus grande variété dans les designs et les morphologies. Et surtout, son découpage et sa narration plus aérée sont les signes d’un grand potentiel. Pour une première série, Tite Kubo est techniquement au point et n’a rien à envier aux vétérans qui l’accompagnent dans le Jump. Comme a pu le dire l’auteur, ZOMBIEPOWDER. demeure un vrai titre de baston, et Kubo démontre son savoir -faire dans l’exercice. Il imagine des bretteurs et des cracheurs de feu avec une ingéniosité de tous les instants. ZOMBIEPOWDER. ne squattera pas le haut du classement (sa position moyenne est 14e ) et ne comptera que 4 tomes. Néanmoins, le titre est apprécié en interne. Shûeisha et la rédaction du Jump comptent énormément sur le potentiel de Kubo. Ils lui proposent alors de faire une nouvelle série pouvant s’étendre sur une grande tomaison. La pause n’est pas longue pour l’auteur, qui lance près de 18 mois plus tard BLEACH. De façon plus globale, les premiers travaux de Tite Kubo partagent de nombreux points communs avec BLEACH, son œuvre phare. Il y a toujours cette énergie débordante qui émane des personnages principaux — à commencer par des binômes qui s’engueulent en permanence — et ce sentiment de drame qui plane constamment. L’utilisation d’armes blanches, les digressions comiques et cet art pour la phrase qui tue sont autant d’éléments qui fomentent l’ADN du mangaka. depuis le collège à livrer des journaux (son père étant à la tête d’une entreprise de livraison de journaux) pour déménager à Tokyo. Puis, seulement un an après la fin de ZOMBIEPOWDER., Asada demande à Kubo de recommencer à travailler sur une nouvelle œuvre. Fatigué, comme il le révèle aux membres de Sandwichman, l’auteur est surpris par le faible laps de temps qu’on lui laisse pour se reposer. Mais Kubo reste un jeune auteur, et la prépublication de ZOMBIEPOWDER. a été interrompue prématurément. Asada craint que les lecteurs ne l’oublient rapidement. Il prend donc les devants et il décide de rapidement confier la couverture du prochain hors-série à son auteur. Kubo n’a plus le choix, il doit recommencer à dessiner. Ainsi, c’est dans le numéro d’hiver de 2001 du Akamaru Jump que paraît l’histoire courte à l’origine de BLEACH. Le succès auprès des lecteurs japonais est immédiat, si bien qu’ils placent l’histoire en tête du sondage de popularité. Dès lors, la sérialisation de l’œuvre est décidée et le talent de son auteur se révélera au monde entier. Un travail d’architecte En observant le parcours de Tite Kubo, le verdict semble être clair. L’auteur de BLEACH appartient à la caste des génies. Sans qu’il ne puisse vraiment l’expliquer, les choses lui viennent naturellement. D’ailleurs, il dira à Sakuma ne pas avoir eu l’impression de progresser durant toute sa carrière. Cependant, en creusant un peu ses diverses réponses, on remarque qu’en réalité, tout ne lui est pas simplement tombé du ciel. Son succès est également dû à une éthique de travail et une passion exceptionnelle pour le dessin. En effet, en plus de dessiner avec ardeur depuis sa tendre enfance, en lisant sa discussion avec Matsui, on apprend notamment que dès qu’il a une idée de personnage ou de nom de technique par exemple, il la note tout de suite dans son carnet. Il fait également énormément de croquis. De plus, dans le DVD offert en supplément du Jump Ryû où l’auteur présente son lieu de travail, on remarque la quantité astronomique de livres de références qu’il possède. En plus de ses copies des planches de nombreux autres auteurs du Jump, Kubo est particulièrement friand des magazines d’architecture. Par exemple, on peut notamment apercevoir des dizaines d’anthologies compilant les différents numéros de la revue d’architecture et de design Domus depuis les années 1920. Une grande famille Quand Sakuma demande à Kubo d’expliquer sa façon de dessiner les mangas, fidèle à luimême, l’auteur se contente d’un simple : « Je n’ai pas vraiment de façon de Kubo demande aux jeunes d’endosser la responsabilité de leur œuvre et de ne pas écouter leur éditeur Le 18 février 2016, la collection JUMP RYÛconsacre un numéro à Tite Kubo : on y découvre l’auteur dans son atelier en pleine éxécution de l’illustration figurant en bas, à gauche de la couverture. 10 11 faire. J’essaie juste de dessiner un manga que j’aurais envie de lire. » Cette déclaration pourrait refléter un certain détachement de l’auteur concernant son œuvre, mais il n’en est rien. À l’inverse, le moins qu’on puisse dire, c’est que Kubo écrit de manière très passionnée. Pour bien le comprendre, il est possible de se référer une nouvelle fois à sa discussion avec Matsui. Il y révèle que, selon lui, pour créer un personnage attrayant, il faut le montrer sous son meilleur jour « comme si l’on présentait un membre de sa famille à un inconnu ». Matsui note alors qu’après 15 ans de sérialisation de BLEACH, sa famille doit être gigantesque, ce à quoi Kubo répond avec le sourire : « Ça me convient tout à fait. » Cette manière de considérer ses personnages comme des membres de sa famille explique sans doute en partie pourquoi il déteste l’interventionnisme éditorial. Ainsi, toucher à un de ses personnages revient à toucher à un membre de cette grande famille qu’est son œuvre. C’est pourquoi, lors de son interview avec Sandwichman, il déclare que lors de la première adaptation animée de BLEACH, il avait commencé à vérifier les scénarios car voir que les scénaristes de l’anime ne comprenaient pas ses personnages et les modifiaient de manière incohérente l’irritait au point d’avoir mal à l’estomac. On retrouve également cette implication émotionnelle dans sa façon de donner une musique thématique à de nombreux personnages. En effet, la musique occupe une place importante dans la vie de l’auteur, et il en écoute systématiquement en dessinant. S’il pense à un personnage en écoutant une chanson, il en fait sa chanson thème. Ses diverses écoutes lui permettent également de définir le passé de ses personnages. Selon Kubo, les différents Masakazu Morita © VIZ MEDIA © Tite Kubo D.R. © SEGA © Ohji Hiroi, Kosuke Fujishima, Ikku Masa / Kôdansha Ltd. DOSSIER BLEACH PORTRAIT DE TITE KUBO caractères de ses personnages ne sont pas le reflet de sa propre personnalité, mais on comprend bien, à travers sa réticence à voir d’autres personnes y toucher, à quel point il leur accorde de l’importance. L’après succès 22 août 2016. Le 38e Weekly Shônen Jump de l’année propose le 703e et dernier chapitre de BLEACH, le manga qui l’a révélé aux yeux du monde et fait de lui un riche mangaka. Un médaillon avec la tête d’Ichigo habille le coin supérieur droit du magazine qui préfère mettre en avant l’anecdotique comédie romantique Love Rush! (conclue en 2 tomes) de Ryohei Yamamoto. Pour autant, l’auteur n’en n’a pas complètement terminé avec BLEACH. Tite Kubo participe de très près aux nouvelles adaptations anime de sa série phare. L’adaptation de la fin de BLEACH en anime est en réalité une aubaine pour un auteur comme puisque le format TV lui permet de faire ce qu’il n’a pu terminer dans le manga. En effet, des combats supplémentaires sont traités, ce qui amène Kubo à dialoguer très fréquemment avec le staff afin de donner des consignes sur les couleurs à appliquer ou les mouvements de certains personnages. Dans un entretien donné au média américain Anime Corner, Kubo le chara-designer Dans la 2e partie de sa carrière, Tite Kubo se prêtera aussi au jeu du chara design. Ça commence en 2009 avec l’anime Aoi Bungaku Series. Ce projet propose de réadapter quelques récits des grands noms de la littérature japonaise (Ryûnosuke Akutagawa, Osamu Dazai, Sôseki Natsume et Ango Sakaguchi). Ce projet produit par Madhouse voit plusieurs équipes créatives travailler, chacune séparément. Ainsi, Takeshi Obata signe le chara design de certains épisodes, tandis que Tite Kubo s’occupe de ceux réalisés par Tetsurô Araki (Death Note, L’Attaque des Titans). Le travail de Kubo se reconnaît immédiatement : les personnages ont la classe, paraissent nobles, et les drapés leur vont si bien. En 2020, la célèbre saga vidéoludique Sakura Taisen, qui mêle le steampunk à l’ère Taishô (1912 - 1926), fait appel à lui pour donner un coup de neuf à ses personnages. Depuis ses débuts en 1996, cette création de SEGA reposait sur les designs du mangaka Kôsuke Fujishima (Ah! My Goddess). Le coup de polish ne révolutionne pas l’univers — c’est certainement pas ce qu’on lui a demandé — mais le nom de Kubo suffit à rameuter une nouvelle génération d’adeptes sur la licence. Masakazu Morita, la voix d’Ichigo ici invitée à la convention Anime Expo en 2024, reconnait l’investissement de Tite Kubo dans le nouvel anime BLEACH. Notez qu’il est également connu pour interpréter Tidus dans Final Fantasy et Whis dans Dragon Ball Super. En novembre 2024, Tite Kubo s’est associé à la marque de mode Margiela pour signer une illustration exclusive. “Je n’ai pas vraiment de façon de faire. J’essaie juste de dessiner un manga que j’aurais envie de lire.” 12 13 Masakazu Morita, la voix d’Ichigo, témoignait de l’investissement de l’auteur dans BLEACH: Thousand-Year Blood War : « Je suis vraiment reconnaissant que maître Kubo soit complètement impliqué dans tout le processus, il travaille du matin au soir tous les jours. Il y a des histoires originales que maître Kubo a fournies pour l’anime. Donc pour nous, c’est un territoire inconnu. » Ainsi, Tite Kubo est totalement accessible pour répondre aux questions du staff et des comédiens : « En réponse, il sort un morceau de papier intitulé “Choses importantes”, puis il écrit ses notes et ses suggestions sur ce morceau de papier. J’ai pu le lire ; les suggestions qu’il a faites ne pouvaient tout simplement pas être imaginées par une personne normale. Grâce à ce morceau de papier, j’ai eu un petit aperçu de la façon dont son esprit fonctionne, et tout ce que je peux dire, c’est que c’est juste un monde immense dans son cerveau. » Contrairement à certains mangakas retranchés, le créateur de BLEACH semble prendre une forme de plaisir à répondre au jeu de la promotion et se montre en vidéo pour soutenir le travail du staff de l’anime. Néanmoins, pour Tite Kubo, l’achèvement du manga BLEACH est une délivrance après plus de 15 ans de sérialisation, et une fin marquée par son état physique diminué. À ce jour, l’auteur n’est plus véritablement un mangaka actif. Il fait partie de cette génération d’artistes lessivés par les échéances et le travail. Malgré tout, il n’a pas lâché les crayons comme le prouve la relance de Burn the Witch et la production d’un chapitre spécial délivré pour les 20 ans de BLEACH en juillet 2021. Un repère pour la génération 2000 Le travail de Tite Kubo restera quoi qu’il arrive une référence et un repère pour toute une génération d’auteurs, à commencer par Gege Akutami. Le mangaka derrière Jujutsu Kaisen a reconnu l’immense influence de Yoshihiro Togashi (Hunter x Hunter) et du père de BLEACH. Pourtant, cela ne se vérifie pas vraiment dans le trait. Là ou Kubo est graphiquement clinique, Akutami est plus virulent et besogneux. « BLEACH est en fait ce qui m’a fait découvrir le concept de mangaka. [...] Quand j’étais en CM1, mon frère aîné achetait toujours Weekly Shônen Jump. Cependant, il ne me laissait jamais lire les numéros qu’il achetait, car il était très possessif avec ses affaires. Un jour, alors qu’il n’était pas là, j’ai ouvert en secret un numéro, et il s’est avéré que c’était celui dans lequel BLEACH a fait ses débuts. Ce premier chapitre était si impressionnant qu’il m’a fait prendre conscience à quel point les mangakas sont incroyables. Je suis accro depuis. Il a été ma première source d’inspiration à l’école primaire, puis Hunter x Hunter et Neon Genesis Evangelion ont été ajoutés au mélange au collège...» Dans des propos rapportés par son éditeur en 2016, l’autrice Koyoharu Gotouge évoquait les mangas qui ont influencé la création de son Kimetsu no Yaiba : Demon Slayer : « Il y a trop de [mangas] pour les compter, mais si je devais choisir les trois meilleurs, ce seraient Jojo’s Bizarre Adventure, NARUTO et BLEACH ». Yuki Tababa, auteur de Black Clover, n’a pas non plus caché son admiration pour l’œuvre de Tite Kubo. Pour célébrer l’exposition dédiée aux 20 ans de BLEACH, le mangaka a signé un joli fan art de Kenpachi et Yachiru, accompagné d’une déclaration d’amour. Enfin, Kohei Horikoshi (My Hero Academia) a noué une certaine relation L’histoire de la lettre…et du clash Le 17 novembre 2016, Tite Kubo partage sur X une histoire courte dans laquelle il se met en scène. Dessinée grossièrement, la séquence voit l’auteur remercier ses fans et expliquer que son état de santé s’était quelque peu dégradé en fin de sérialisation de BLEACH à cause d’un rhume. Mais l’auteur revient surtout sur un événement marquant, en expliquant avoir reçu une lettre anonyme d’un enfant malade. Ce jeune fan, alors déjà condamné et décédé au moment où Kubo lisait cette missive, y expliquait avoir repris goût à la vie grâce à BLEACH et demandait à l’auteur de finir son manga comme bon lui semble. L’auteur, particulièrement touchée, a même lancé un appel à témoin pour connaître l’identité du garçon. Une séquence émouvante qui tranche avec une autre interaction, toujours sur X, avec certains fans plus virulents qui critiquent BLEACH. Dans des messages désormais supprimés, Tite Kube challengeait ses opposants avec son franc parler : « Si vous avez le talent pour faire mieux que BLEACH, alors devenez mangaka. Et si vous ne savez pas dessiner, donnez le maximum pour être éditeur [...] Mais si vous n’avez pas de talent ou que vous ne faites aucun effort et que vous et que vous êtes là pour geindre, alors vous n’êtes qu’un type qui essaie de gêner une personne qui se démène. Alors fermez les yeux et cachez-vous dans votre coin, ouvrez la bouche seulement pour manger de la pluie et de la poussière. » Le message est passé. © Tite Kubo © VIZ MEDIA / Tite Kubo DOSSIER BLEACH PORTRAIT DE TITE KUBO “Pour moi, BLEACH est la référence en matière de répliques marquantes.” avec Tite Kubo, auteur qu’il admire depuis ses années au collège, où il dessinait des personnages armés de zanpakutô. Les styles sont franchement opposés — Horikoshi est un adepte du dessin très détaillé là ou Kubo préfère l’épure —, mais le créateur de My Hero Academia est surtout admiratif des dialogues de Tite Kubo : « Pour moi, BLEACH est la référence en matière de répliques marquantes. »2 Derrière cet auteur considérant ne pas avoir de personnalité, se cache donc un homme admiré et haut en couleur, ainsi qu’un bourreau de travail méthodique et passionné. Singulier, c’est en réalité sûrement le mot qui le résume le mieux, lui qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus et à aller à l’encontre de la doxa au cœur d’une industrie réputée pour écraser ses auteurs. Les conseils qu’il donne aux futurs mangakas dans le Jump Ryû illustrent bien cette idée : ne pas trop écouter son éditeur, assumer la responsabilité de ses propres échecs, et toujours chercher à comprendre les différents points de vue et les différentes facettes d’un problème, sans s’arrêter à ce qui est présenté dans les médias, afin de se faire sa propre opinion. Si ça ce n’est ne pas avoir de personnalité, (…) on se demande bien ce que c’est. 1 Un chanteur et acteur faisant partie de la célèbre agence de talent Starto Entertainment. 2. Propos à retrouver dans le guide My Hero Academia Ultra Analysis 2 En 2012, Tite Kubo a livré une interview accompagnée d’un dessin exclusif pour les membres Alpha du Weekly Shônen Jump de VIZ MEDIA. © Tite Kubo 14 15 DOSSIER BLEACH LA VOIE DU COEUR LA VOIE DU CŒUR DEATH AND STROMBERRY 20 août 2001. Le numéro double 36-37 du Weekly Shônen Jump accueille le premier chapitre de BLEACH. À ce moment-là, le nouveau rouquin du Jump prend place aux côtés du chapitre 80 de Stone Ocean (la 6e partie de JoJo’s Bizarre Adventure) et du 88 de Naruto. Par son entêtement, son art fashion et sa régularité, Tite Kubo restera 15 ans dans le Jump. Bruno de la Cruz 1 www.viz.com/ blog/posts/ interview-titekubo-318 2 Entretien accordé au média IGN en 2008 3 Propos à retrouver sur le site de rookie Shonen Jump. Takanori Asada était également en charge d’Eiichirô Oda « Si un nouveau dessinateur de manga me disait : “Je compte utiliser BLEACH de maître Kubo comme référence”, je l’arrêterais immédiatement. Après tout, c’est quelque chose que seul maître Kubo aurait pu produire. » Ces mots d’Akutami Gege (Jujutsu Kaisen) illustrent bien la dimension unique de BLEACH. Qu’est-ce qui fait l’unicité de la série et de l’art de son créateur ? C’est d’abord l’entêtement de Tite Kubo. Le jeune mangaka veut faire le manga qu’il veut, sans parasitage. Il a beau avoir connu plusieurs éditeurs durant sa sérialisation, BLEACH reste son manga et non un gentlemen’s agreement entre la proposition d’un jeune talent et les sommations des tantô. « La chose la plus importante que j’ai apprise avec ZOMBIEPOWDER., c’est que je dois toujours suivre mon cœur et dessiner ce que je veux dessiner », se souvient Tite Kubo. « Quand je travaillais sur ZOMBIEPOWDER., j’étais encore réticent. Je n’étais pas habitué aux sérialisations hebdomadaires et je réagissais aux commentaires de mon éditeur. Mais maintenant, je me concentre davantage sur le fait de rester fidèle à mon propre style et de créer ce que je veux. »1 Le manga de Tite Kubo fait partie de ses purs titres d’action, de drame et de comédie qui n’ont connu qu’une évolution — stylistique ou de ton — relative au fil des tomes. La promesse du premier chapitre tient encore quand on vérifie l’ultime planche du manga. Au-delà des progrès de l’auteur, BLEACH n’a jamais dévié de son chemin, restant un vrai manga de baston, chic, drôle, parfois mélancolique, mais toujours démonstratif et spectaculaire, sans artifice ou sans jouer les moralisateurs : « Dans mon travail, je n’aime pas imposer un message ou un thème au lecteur. Je veux que les personnages se développent d’euxmêmes et créent l’histoire eux-mêmes. »2 En ce sens, Tite Kubo est resté fidèle à son intention de départ et peut faire office d’anti-Hunter x Hunter dans sa propension à constamment renouveler son univers et ses arcs, bien que Kubo aime aussi édicter les règles de son monde. En qualité d’auteur à fort potentiel, Tite Kubo voit son nouveau manga BLEACH logiquement occuper la couverture du magazine. « Du temps s’est écoulé depuis ma dernière série, donc je me sens nerveux. Merci à tous, je ferai de mon mieux. » On connaîtra plus loquace comme préface dans le magazine, mais Tite Kubo se concentre sur l’essentiel, à savoir livrer un premier chapitre très efficace et accessible qui pose les bases d’un récit que Shûeisha entend bien installer. Pour cette nouvelle série, il imagine un manga d’action frontal, dans la droite lignée de ce qu’il aime, et on retrouve ses habituelles ruptures de ton avec des scènes comiques, qui viennent casser la dramaturgie des affrontements sanglants. BLEACH ne dégage pas une impression de « jamais-vu » ni d’être une œuvre à la marge parmi les propositions du Jump, mais il suscite l’intérêt, notamment grâce à l’aspect très fashion de son art, et la qualité de son dessin. La dimension du beau En mars 2020, Takanori Asada, ancien tantô phare de Tite Kubo, évoquait les qualités de son auteur : « Maître Kubo est un auteur aux nombreux charmes, mais lequel d’entre eux vous attire le plus ? C’est le sens de la conception des personnages, l’utilisation lyrique des mots et la présentation des attaques spéciales. »3 L’art de Kubo oscille à merveille entre traits souples et secs, sans artifice, sans en rajouter. Son style est d’abord à ranger dans la famille des semi-réalistes : le respect de l’anatomie humaine reste la base de son art. Ichigo, qui devient un véritable bellâtre, en est la preuve : il marie la © SHUEISHA 16
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