LE FIGARO n°230915 - Page 9 - 230915 1A mardi 19 septembre 2023 le figaro 2 l'événement Harcèlement: l’école, cette au Après le courrier choquant du rectorat de Versailles aux parents d’une victime, Gabriel Angélique Négroni anegroni@lefigaro.fr LES INITIATIVES devant la justice pour pointer la responsabilité des réseaux sociaux dans les suicides d’adolescents cyberharcelés se multiplient. Après la mort, en mai dernier dans le Pas-de-Calais de Lindsay, 13 ans, des plaintes ont été déposées par la famille contre Facebook et Instagram. Deux ans après la disparition de Marie, une adolescente de 15 ans en septembre 2021 à Cassis (Bouches-duRhône), ses proches ont décidé d’emprunter la même voie. Ils viennent d’engager des poursuites contre TikTok pour «provocation au suicide», «non-assistance à personne en péril» et «propagande ou publicité des moyens de se donner la mort». Ces affaires dramatiques rappellent combien les réseaux sociaux sont une véritable jungle où les paroles les plus violentes se répandent sans aucune retenue. À tel point que, même après la mort de Lindsay, le harcèlement s’est poursuivi contre sa maman. «On lui a dit qu’on allait kidnapper ses deux garçons, rapporte Séverine, la mère de Maïlys, la meilleure amie de l’adolescente décédée, elle-même prise pour cible. Sur TikTok, en août dernier, quelqu’un réclamait le suicide de ma fille dans une vidéo.» Le combat de ces familles contre les réseaux sociaux ressemble à celui du pot de terre contre le pot de fer. Pourtant, deux lois, l’une votée en juillet dernier et l’autre débattue ce mardi devant l’Assemblée nationale, s’attellent à la tâche. Les députés vont se pencher cette semaine sur le projet de loi «visant à sécuriser et réguler l’espace numérique» : le texte, qui contient un volet cyberharcèlement, est une transposition de mesures adoptées par l’Europe. Si ces dispositions déjà votées par le Sénat sont adoptées, elles permettront de contraindre davantage les réseaux sociaux qui ont l’obligation de bloquer les comptes litigieux. Ils devront produire des rapports réguliers devant l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et s’exposeront en cas de non-respect à des amendes pouvant atteindre 6% de leurs chiffres d’affaires. Des «signaleurs de confiance» désignés parmi des associaLes familles des victimes poursuivent les réseaux sociaux complet. Le mot harcèlement est entré dans le code de l’éducation en 2019 - tardivement par rapport à d’autres pays -, et la loi Balanant, adoptée en mars 2022, a créé un délit de harcèlement scolaire prévoyant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement en cas de suicide ou tentative de suicide de la victime. «C’est à la fois satisfaisant et désolant. Le pénal, c’est la société qui se défend ! L’Éducation nationale, elle, est censée agir immédiatement pour que l’enfant aille à l’école en sécurité.» «Déni de la directrice et du corps enseignant, psychologue scolaire qui ne viendra jamais, inspection académique qui arrive pour éteindre le feu et étouffer assiste à deux types de réactions de l’institution. D’abord la menace, illustrée par cette phrase type qu’elle a tant de fois lue : «Je me réserve la possibilité de donner la suite qui s’impose à ces accusations qui portent gravement atteinte à la réputation du service public de l’éducation». Mais aussi la minimisation des faits, «avec ces phrases du type “vous le couvez trop”, “votre enfant est hypersensible”…». L’avocate incite généralement ses clients à sortir du «huis clos avec l’Éducation nationale» en recourant au Défenseur des droits et à la justice, pour qu’il y ait des suites disciplinaires. Dans la loi, l’arsenal juridique est désormais plaisir», résume Valérie Piau, avocat spécialisé dans le droit de l’éducation, qui accompagne chaque année une centaine de familles confrontées au harcèlement. «Ce courrier n’a pas été rédigé par un gratte-papier, seul dans un bureau. Il représente la posture de l’Éducation nationale. Le problème de fond, c’est de voir une administration qui protège systématiquement ses personnels, au point d’être dans le déni, et qui ne prend pas le temps de mener une enquête interne.» Pour l’avocate, ce réflexe de défense est encore plus aigu lorsque le harcèlement est le fait d’un professeur, «le grand tabou». Plus généralement, elle Caroline Beyer £@BeyerCaroline C’EST LE COURRIER de la «honte», pour reprendre les mots de Gabriel Attal qui a convoqué lundi les recteurs par visioconférence pour les appeler à un «électrochoc», et les inviter à prendre leurs responsabilités en matière de harcèlement. Le ministre de l’Éducation nationale a lancé un audit dans l’ensemble des académies sur la gestion des cas de harcèlements signalés l’année dernière. «Mon rôle n’est pas de défendre à tout prix nos institutions, c’est de défendre à tout prix nos élèves et nos enfants», avait-il réagi samedi, après la publication par BFMTV de la lettre du rectorat de Versailles adressée aux parents de Nicolas, l’adolescent de 15 ans retrouvé pendu aux barreaux de son lit, le 5 septembre. Dans ce courrier daté du 4 mai - quatre mois avant ce suicide -, le service des affaires juridiques de l’académie met en garde les parents qui, le 18 avril, ont signifié au proviseur de leur fils le dépôt d’une main courante et leur intention de porter plainte. Dans leur lettre, ils accusent le lycée professionnel AdrienneBolland de Poissy d’immobilisme face au harcèlement subi par Nicolas depuis octobre. Pour réponse, le service juridique commence par parler d’un «supposé harcèlement», avant de juger leurs propos «inacceptables». Il leur rappelle surtout les risques pénaux d’une dénonciation calomnieuse et les «enjoint à adopter désormais une attitude constructive et respectueuse». Le ton est froid, violent, menaçant et infantilisant. «Choquant», selon la première ministre, Élisabeth Borne. Mais pour les associations de lutte contre le harcèlement, les victimes et leurs parents, ce type de courrier administratif, dénué d’empathie, prenant fait et cause pour ses agents n’a rien de surprenant. «C’est la grande muette», lâche Nora Fraisse, qui, il y a dix ans, a retrouvé sa fille de 13 ans, Marion, pendue, une lettre laissée à ses côtés, adressée à ses camarades de classe harceleurs. «Ce type de courrier émanant de l’institution, nous en lisons régulièrement», poursuit la présidente fondatrice de l’association Marion la main tendue, qui accompagne les victimes. «L’institution renvoie la culpabilité sur les parents et c’est toujours à la victime de prouver ce qui lui arrive… Et ils sont où les harceleurs de Nicolas?», interroge-t-elle. «La publication de cette lettre de l’académie de Versailles, qui a choqué la France entière, me fait presque tions veilleront au respect de ces règles et produiront également des rapports pour l’Arcom. Explosion des cas Ce texte, qui donne lieu aujourd’hui à plus de 800 amendements, contient par ailleurs de nouvelles dispositions visant les auteurs de cyberharcèlement. En plus des peines de prison existantes contre ces derniers, le projet de loi prévoit leur bannissement durant 6 mois de la plateforme utilisée pour le harcèlement. Une éviction portée à 12 mois en cas de récidive. «Le nouvel outrage numérique qui ouvre souvent la voie au cyberharcèlement va également être débattu», complète le député MoDem Erwan Balanant, spécialiste du sujet. Le 7 juillet dernier, une loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne a par ailleurs été votée. Le texte prévoit notamment que les jeunes de moins de 15 ans devront disposer d’une autorisation parentale pour s’inscrire sur un réseau social. Une mesure louable mais dont on se demande comment elle pourra s’appliquer. Pour l’heure, la loi, qui n’est toujours pas entrée en vigueur, est entre les mains de la Commission européenne, qui s’assure de sa conformité aux textes européens. Or, selon des connaisseurs du dossier, certaines mesures bloqueraient. Pour Justine Atlan, directrice de l’association e-Enfance, qui dispose d’un numéro d’assistance aux victimes, ces lois vont toutes dans le bon sens. Il faut, selon elle, tout tenter pour faire reculer le cyberharcèlement qui explose littéralement comme en atteste le nombre d’appels qu’elle reçoit. «Chaque mois est un mois record. En 2023, on finira l’année avec 45000 appels, annonce-t-elle. Le cyberharcèlement donne lieu à des suicides, mais aussi à du décrochage scolaire, à des scarifications, à une désocialisation.» Des souffrances que connaît trop bien Nora Fraisse, qui a créé une association après avoir perdu sa fille, Marion, victime de ce fléau il y a dix ans. Pour elle, ces nouvelles lois ne suffiront pas pour remettre les réseaux sociaux dans le droit chemin. Face à ce combat qu’elle estime «perdu d’avance», il faut alors miser sur la prévention auprès des jeunes mais aussi des parents. ■ Une marche blanche s’est tenue, le 18 juin, à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), en mémoire de Lindsay (13 ans), qui, victime de harcèlement, s’était suicidée en mai. Ce courrier est une honte (…) J’en tirerai toutes les conclusions, y compris en matière de sanctions (…) Mon rôle, ce n’est pas de défendre à tout prix une institution, c’est de défendre à tout prix la protection de nos élèves et de nos enfants, et c’est comme ça que je continuerai à avancer»Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, à propos du courrier envoyé par le rectorat de Versailles aux parents de Nicolas N. 1élève sur 10 serait victime de harcèlement scolaire en France. 54% de ces violences ont lieu au collège contre 23% en primaire et 13% au lycée. (source : Ifop) La justice en pointillé En 2005 étaient créés des magistrats référents dans les parquets pour lutter contre les violences scolaires. Quatorze ans plus tard, en 2019, une circulaire estimait «nécessaire de redynamiser les dispositifs mis en place de manière hétérogène (…) et de mobiliser à nouveau l’ensemble des acteurs en renforçant et en intensifiant les actions déjà engagées localement». Les ministères de l’Éducation nationale et de l’Intérieur ont alors établi «un état des lieux de la violence en milieu scolaire». Mais aujourd’hui, la Chancellerie n’a toujours pas de chiffres pour mesurer ce fléau. L’infraction de harcèlement scolaire a été créée en 2022 et une nouvelle circulaire a vu le jour en 2023 concernant les violences sur mineurs : elle recommande en la matière «la diffusion plus large d’une culture du partage de l’information propice à des réponses collectives et plus globales». P. G. LUDOVICMARIN/AFP Un siècle ...... Photocyclistes©HermannLandshoff,Lescyclistes(détail),1946.Munich,MünchnerStadtmuseum.Photo©BPK,Berlin,Dist.RMN-GrandPalais/imageBPK©Droitsréservés;photohorloge:DRLescyclistes (Publicité) 1A le figaro mardi 19 septembre 2023 3l'événement tre «grande muette» Attal a demandé aux recteurs de prendre leurs responsabilités. eugénie boilait POUR LUTTER contre le harcèlement scolaire, Gabriel Attal a émis plusieurs pistes, parmi lesquelles des «cours d’empathie». Vendredi, le ministre de l’Education nationale se rendra au Danemark où de telles séances ont lieu dans les écoles pour développer «une culture de l’empathie». C’est-à-dire la capacité des enfants à reconnaître les sentiments de leurs camarades. Ces exercices permettraient, à terme, d’apprendre le «respect de l’autre» et d’empêcher, autant que faire se peut, les comportements violents. «C’est une partie importante du système scolaire danois, surtout pour les enfants très jeunes (6-12 ans)», témoigne Amalie, étudiante copenhaguoise de 22 ans. Dans son pays, les écoles ont décidé de miser sur cette prévention dès le plus jeune âge depuis une loi sur l’éducation de 1993 qui vise à enseigner aux enfants ce que sont «les limites, l’empathie et la sexualité». «Lorsque j’étais à l’école, les exercices pour développer l’empathie étaient intégrés aux cours normaux, se souvient celle qui étudie aujourd’hui l’architecture. En cours de danois, on nous demandait par exemple d’écrire de petits textes sur nos différentes émotions, puis d’en parler avec nos camarades de classe.» L’objectif est de créer un rapprochement entre les élèves. Bien audelà de la lutte contre le harcèlement scolaire, les Danois pensent que cet enseignement contribuera à l’épanouissement futur des citoyens. différences (physiques, vestimentaires ou culturelles). Mais bien souvent, le harceleur est lui-même victime dans «une autre sphère de sa vie». Ce dernier en déduit instinctivement que ceux qui ont le pouvoir sont ceux qui font peur. Les exercices qui permettent la prise en compte de ses propres sentiments autant que ceux des autres, telles que la peine ou la peur, peuvent «le faire sortir de ce système», estime l’enseignante. Il comprend qu’il n’a pas besoin de se moquer ou d’être violent avec l’autre pour se sentir puissant. Pour la psychologue et clinicienne Isabelle Miguet, les bienfaits de cette méthode sont évidents. Mais elle doit être accompagnée d’un autre discours. «Il faut parallèlement avoir conscience de nos forces plus négatives, insiste-t-elle. Dans la cour d’école, quand on trouve quelqu’un bizarre, le système de protection se met en place et cette personne devient plus facilement un bouc émissaire.» D’après la professionnelle, ce comportement provient d’une «pulsion d’autoconservation pure». La même qui va faire que de nombreux élèves ne défendent pas une victime de harcèlement, par peur d’en devenir une à leur tour. Pour que ces enseignements soient efficaces, il faudrait donc expliquer simultanément aux élèves que la méfiance, comme l’empathie, «est profondément ancrée en nous». Connaître ces forces permettra de mieux les maîtriser, insiste l’experte. Et surtout, «de se saisir le plus souvent possible de nos capacités d’empathie en les développant». ■ Ces «cours d’empathie» dispensés au Danemark dont Attal veut s’inspirer Vanessa Esma Saban, enseignante à Bruxelles, souscrit entièrement à ces méthodes. La professeur belge a d’ailleurs décidé d’organiser ses propres cours d’empathie. «Je pars d’abord de l’autoempathie, explique-t-elle. Il faut que les très jeunes connaissent leurs émotions, leurs besoins par rapport à ces émotions et qu’ils apprennent à les formuler de manière bienveillante.» Colère, jalousie, joie… Lorsqu’ils sont un peu plus âgés, l’enseignante leur propose des jeux de rôle ou des échanges. «Face à une même situation, chacun doit évoquer ce qu’il ressent. Cela permet de voir que tout le monde ne réagit pas de la même manière», poursuit-elle. Cette «profonde prise de conscience de l’individu» aurait un impact dans la lutte contre le harcèlement scolaire. «La personne qui harcèle est dans un jeu de pouvoir, elle n’existe que dans ce système et trouve un bénéfice à harceler. Celui d’exister dans sa toute-puissance, sans s’occuper de l’autre», souligne Vanessa Esma Saban. Le harceleur se moque de l’autre ou l’insulte, notamment sur ses “La personne qui harcèle est dans un jeu de pouvoir, elle n’existe que dans ce système et trouve un bénéfice à harceler ”Vanessa Esma Saban, enseignante l’affaire. Et s’entendre dire, à la fin : “Ce ne sont que des chamailleries”», raconte Sophie, dont la fille a été harcelée en CE1 et CE2 dans une petite école de campagne. Les témoignages comme le sien sont courants. «Ah, vous savez, les enfants entre eux…» Réponse que Marie a plusieurs fois entendue du directeur de l’école de sa fille, Manon, harcelée en CM2 par un groupe de sept fillettes. Perdue, elle contacte l’association SOS Éducation qui lui détaille le protocole de l’Éducation nationale, qui prévoit de rencontrer individuellement la victime, les harceleurs et les témoins. «Ça, c’est votre protocole», lui assène le directeur de l’école privée sous contrat. Et puis, les faits se produisent pendant le temps périscolaire, qui ne relève pas de sa responsabilité. Le midi, c’est un agent municipal qui surveille les 70 enfants. Le diocèse ne répondra jamais à ses lettres. C’est finalement par le biais d’une connaissance de la famille, enseignant retraité et syndiqué, qui a toujours des contacts, que les choses bougent. Les harceleurs et leurs parents ont été convoqués. Mais il n’y aura pas eu de sanctions. «Maman, je n’ai plus confiance dans le directeur de l’école pour me protéger», a répondu Elsa à sa mère quand cette dernière, après l’avoir récupérée en larmes, lui a demandé pourquoi elle n’avait pas parlé du harcèlement qu’elle subissait. «Nous avons vécu cela : le directeur qui met la poussière sous le tapis. Pendant quatre mois, nous avons été considérés comme coupables. Elsa était traitée de menteuse. Elle a été harcelée de la grande section de maternelle au milieu du CE2», raconte la maman qui l’a finalement changée d’école, une «double injustice» pour la fillette. Les choses sont appelées à changer depuis la parution d’un décret préparé par PapNdiaye,leprédécesseurdeGabrielAttal rue de Grenelle, confronté au suicide de Lindsay en mai 2023. Le texte publié miaoût prévoit qu’un élève responsable de harcèlement scolaire pourra désormais êtretransférédansunautreétablissement. Une grande nouveauté à l’école primaire. Après le suicide de Nicolas, Gabriel Attal a par ailleurs indiqué que les sanctions devaient être «beaucoup plus claires», précisant qu’il valait mieux «une sanction légère plutôt qu’une sanction grave, qui arrive trop tard». «Malgré le programme Phare, on a toujours le sentiment de ne pas avoir de procédures claires», estime Justine Atlan, de l’association e-Enfance. Mis en place en 2019 et expérimenté pendant deux ans dans six académies, ce programme de lutte contre le harcèlement compte 91% de collèges et 64% d’écoles inscrits, selon l’Éducation nationale. «Tout est dans le mo “inscrits”, lâche Nora Fraisse. Ce programme est exceptionnel, quand il fonctionne», poursuit-elle, rappelant que l’académie de Versailles a bénéficié de la plus importante dotation. Confronté à de nombreux suicides d’adolescents, le gouvernement doit dévoiler fin septembre un plan interministériel. «Il faut des moyens financiers, martèle Justine Atlan. Il y a aujourd’hui un énorme décalage entre les familles, médiatiquement très sensibilisées au harcèlement, et l’institution, ce monstre froid qui répond aux parents de Nicolas.» ■ “Il y a aujourd’hui un énorme décalage entre les familles, médiatiquement très sensibilisées au harcèlement et l’institution, ce monstre froid qui répond aux parents de Nicolas ”Justine Atlan, Directrice générale d’Association e-Enfance L’entrée du lycée professionnel AdrienneBolland, à Poissy, le 7 septembre dernier, deux jours après le suicide de Nicolas, victime de harcèlement. JULIENDEROSA/AFP 7H-9H EUROPE 1 MATIN Dimitri Pavlenko 7 EUROPE 1 MATIN Dimitri Pavlenko ©CAPAPictures/Europe1 Retrouvez l’Edito politique à 7h53 avec Alexis Brézet et Vincent Trémolet de Villers du Figaro de l’environnement dans son pays, il n’en va pas de même à l’étranger. Peu après avoir reçu le titre de «champion de la Terre», Emmanuel Macron voyait sa politique environnementale louée sur scène par la chanteuse américaine Patti Smith, alors en concert à l’Olympia. Réaction du public : un concert de sifflets. «Vous vivriez aux États-Unis, vous sauriez vraiment ce qu’est un président arrogant qui n’en a rien à foutre», s’était agacée la rockeuse. Le même accueil est promis à l’agenda de transition écologique. Lundi, c’est avec scepticisme que les chefs de parti Nupes : une règlements Après une nouvelle montée Pierre Lepelletier £@PierreLepel et Sophie de Ravinel £@S2RVNL Gauche «J’avais espéré que l’été soit profitable aux apaisements. Ça n’a pas été le cas.» Lundi matin, rue Robespierre à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), lors du séminaire de rentrée parlementaire de la Nupes, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, n’a pas cherché à esquiver la dure réalité. À l’heure du lancement des élections européennes, socialistes, écologistes et communistes ont acté leur intention de partir seuls, faisant exploser une union qui a d’abord été voulue à gauche pour sauver les législatives de juin 2022… L’ambiance est morose. Et Jean-Luc Mélenchon enfonce le clou du cercueil. «Il ne faut pas donner le sentiment que le divorce est consommé, a pourtant souhaité moduler Boris Vallaud. Parfois, il faut renégocier le contrat de mariage.» S’il y a un lieu en effet où survit cette Nupes, c’est bien l’Assemblée, surtout par stratégie politique. «Nous faisons la démonstration qu’on est capable de travailler ensemble au quotidien», a avancé le député des Landes, rejoint par le coordinateur des Insoumis et député de Marseille, Manuel Bompard. «On travaille sur la manière de mener les batailles parlementaires ensemble», a reconnu ce dernier. Tout en rappelant : «On ne va pas tout régler, des divergences existent.» Ces différends ont largement trouvé un terrain pour s’exprimer ce week-end à la Fête de l’Humanité. Vendredi sur BFMTV, avant même son ouverture, Clémentine Autain avait pourtant tenté de l’éviter. «Je suis fatiguée de partout là, en fait. Stop, voilà, ras-le-bol ! Je voudrais que la Nupes, elle se remette sur pied, elle travaille et elle arrête de s’envoyer des piAA s’en ajoute une autre, de temps court celle-là : l’utilisation de l’écologie par l’extrême gauche comme tête de pont de la lutte contre l’économie de marché. Jean-Luc Mélenchon, ne s’en cache d’ailleurs même pas. «Une écologie qui n’est pas anticapitaliste pour moi, c’est du jardinage», jurait encore dimanche le leader de La France insoumise. Façon de dire en creux qu’Emmanuel Macron peut bien prendre toutes les mesures qu’il veut pour lutter contre le réchauffement climatique, rien ne trouvera jamais grâce aux yeux de ses opposants. L’écologie, ce sont eux et personne d’autre. D’où la difficulté pour le chef de l’État à enfiler le costume. «Nous ne voulons pas laisser le monopole de l’écologie aux écologistes purs et durs, s’agaçait-on déjà au sommet de l’État en 2019. L’écologie, ce n’est pas professer la fin du monde du matin au soir, promettre la fin des avions, des voitures ou des centrales nucléaires.» À l’époque, l’exécutif avait même tenté de lancer l’idée d’«écologie souriante» par opposition à l’«écologie punitive». Sans convaincre. Ou en tout cas pas en France. Car si le président de la République a du mal à se draper dans l’habit de défenseur François-Xavier Bourmaud £@fxbourmaud élysée Le «champion de la Terre» défend son titre. Décoré par l’ONU en septembre 2018 pour avoir lancé «Make our planet great again» à Donald Trump après son retrait de l’accord de Paris sur le climat, Emmanuel Macron tente de reprendre la main sur l’environnement. Ce sera le 25 septembre prochain pour dévoiler son agenda de planification écologique, promis pendant la campagne présidentielle de 2022 à Marseille. «La politique que je vais mener dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas. (…) L’économie sera écologique ou ne sera pas. (…) Nos vies seront écologiques ou ne seront pas», avait alors lancé le président-candidat. Pour l’instant, donc, le compte n’y est pas. Ce n’est pas faute d’avoir essayé tout au long de son premier quinquennat en multipliant les gestes à l’attention des écologistes. Arrêt du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, arrêt du projet de la Montagne d’or en Guyane, arrêt du projet de centre commercial géant EuropaCity à Gonesse, convention citoyenne sur le climat, création du Conseil de défense écologique, loi antigaspillage… Pourtant, dans le costume de défenseur de l’environnement, Emmanuel Macron ne convainc pas. «J’ai la foi des nouveaux convertis», reconnaît-il, comme pour s’en excuser. Parfois, il se dessert aussi lui-même. Comme en 2020 lorsqu’il défend le déploiement de la 5G en France en ironisant sur ceux qui préfèrent «le modèle Amish» et le «retour à la lampe à huile». Comme début septembre encore lorsqu’il rappelle que la France ne représente que «1% des émissions mondiales» de gaz à effet de serre. Alors après tout, à quoi bon? L’écho lointain des propos de Nicolas Sarkozy qui, après avoir décrété «l’urgence écologique» et lancé le Grenelle de l’environnement, avait lâché en 2011 devant des agriculteurs en colère : l’écologie, «ça commence à bien faire!» Accusations d’immobilisme Au sommet de l’État, c’est ainsi, il faut réussir à marier les contraintes. Celles liées à la défense de l’environnement sont d’autant plus complexes que les politiques déployées s’inscrivent dans le temps long. Et ouvrent la porte aux accusations d’immobilisme. «Toute la tension est là, observe un proche de Macron. Les propos d’estrade donnent l’impression que l’on peut réaliser en deux ans une transition, alors que cela exige des politiques structurées et ambitieuses qui assument la complexité et la durée.» Difficile par exemple de supprimer du jour au lendemain les emballages plastiques alors que, de la cuisine à la salle de bains, ils occupent une place prépondérante dans la vie quotidienne des Français. À cette contrainte de temps long pour lutter contre le dérèglement climatique mardi 19 septembre 2023 le figaro 4 Politique Macron repart à l’assaut du réchauffement climatique Le chef de l’État prépare l’agenda de planification écologique promis durant la campagne présidentielle de 2022. À l’Assemblée, les postes clés du RN menacés par des manœuvres de couloir Les écologistes ont élaboré un plan en coulisses, mais leur stratagème a peu de chance d’aboutir. wally bordas £@wallybordas et paul laubacher £@Paul_Laubacher parlement Au Palais Bourbon, les petites combines d’arrière-boutique ne cessent jamais. Même hors session parlementaire, les députés complotent, conspirent et manigancent. En juillet dernier, certains macronistes, à l’initiative de l’ex-patronne du groupe Renaissance, Aurore Bergé, avaient imaginé un plan pour exclure le RN et LFI de tous les postes clés de l’Assemblée. L’idée avait agité les couloirs de la Chambre basse pendant plusieurs semaines, avant que la nomination estivale d’Aurore Bergé au gouvernement ne signe la fin de cette manœuvre. Sauf que l’initiative a donné des idées aux écologistes qui, en cette rentrée, ont fait savoir qu’ils n’hésiteraient pas à tout faire pour que les deux vice-présidents RN de l’Assemblée, Hélène Laporte et Sébastien Chenu, perdent leurs responsabilités. Vendredi dernier, dans une lettre aux présidents de groupe de la majorité relative, la patronne du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, écrivait : «En reprenant le nom d’un parti fasciste et collaborationniste, le RN revendique son antirépublicanisme. (…) Il n’a pas sa place dans l’une des plus hautes instances de notre République.» L’an dernier, déjà, pour éviter que le RN - premier groupe d’opposition à l’Assemblée - n’obtienne ces postes clés, les écologistes y avaient présenté deux candidats : Sandrine Rousseau et Benjamin Lucas. En vain, les députés de la majorité ayant décidé de «respecter les équilibres» en apportant certaines de leurs voix aux deux élus lepénistes. Cette année, Cyrielle Chatelain propose à la majorité «une autre manière de procéder» : «Travaillons ensemble à élaborer une nouvelle proposition en adéquation avec les équilibres au sein de notre institution, hors du RN.» Le hic? Personne au Palais Bourbon ne semble disposé à suivre les écologistes dans leur démarche. Le nouveau président du groupe Renaissance, Sylvain Maillard, comme la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël BraunPivet, sont pour le «statu quo». Cette dernière l’a d’ailleurs rappelé la semaine dernière lors des journées parlementaires du groupe Renaissance. «Il est très important de reconduire le bureau tel qu’il est aujourd’hui», a-t-elle plaidé devant les élus de son camp. Depuis plusieurs jours, l’élue des Yvelines échange d’ailleurs avec tous les présidents de groupe de la Chambre basse pour trouver un accord en vue de la réunion du 26 septembre prochain, où chacun sera amené à se prononcer sur une question : faut-il reconduire le bureau sortant qui a, de l’avis d’une grande majorité, largement donné satisfaction? Si le «oui» ne s’impose pas à l’unanimité, alors de nouvelles élections seraient organisées, avec leur lot d’incertitudes. «S’il n’y a pas d’accord, on ouvre la boîte de Pandore et on se retrouve dans une situation où tous les excès sont possibles», estime-t-on dans l’entourage de la présidente de l’Assemblée. Au RN, les proches de Marine Le Pen se disent «sereins». «La manœuvre des écologistes ira-t-elle jusqu’au bout?», se demande-t-on, sceptique. «Le problème avec les Verts, c’est qu’ils ne demandent rien en retour! Comment peuton négocier avec des gens qui ne veulent rien?», commente un cadre frontiste. Par ailleurs, si Cyrielle Chatelain venait à mettre son veto à la reconduction du bureau, les proches de Marine Le Pen envisagent une idée : que soit présenté sur une liste unique l’ensemble des six vice-présidents sortants. «Une manière de proposer aux députés de voter sur les équilibres existants», explique un collaborateur du groupe RN. Ce serait aussi le meilleur moyen, selon les proches de Marine Le Pen, d’assurer que des postes de vice-présidents reviennent aux oppositions. «Sinon, il est fort probable qu’on se retrouve avec six vice-présidents MoDem, Horizons et Renaissance», assène un élu RN. Par ailleurs, on prévient d’emblée : «Ce genre de manœuvre peut avoir comme conséquence les effets inverses de ceux désirés», anticipe Sébastien Chenu, vice-président RN, qui imagine deux «dommages collatéraux». «D’abord, que la Nupes ne se fasse pas d’illusion sur le poste de vice-présidente de Caroline Fiat (députée Insoumise de Meurthe-et-Moselle, NDLR)». Ensuite, la tête de la commission des finances serait aussi remise en cause. «Il ne faut pas qu’Éric Coquerel s’imagine encore président», lâche un élu frontiste. Un autre prévient, menaçant : «L’entente cordiale à l’Assemblée nationale va prendre fin immédiatement.» Mais pour beaucoup, les menaces écologistes ne seraient que du «bluff». «La tacite reconduction est la meilleure solution. Les écologistes le savent. Ils veulent ouvrir le débat, mais ils n’iront pas au bout de leur démarche», croit savoir un poidslourd Insoumis. «Personne n’a envie de bordéliser d’entrée, tout cela va se calmer», se rassure quant à lui un cadre de la majorité. Car en cas de remise en jeu des postes clés, plusieurs éléments pourraient venir perturber le jeu. «La LR Annie Genevard fait des pieds et des mains pour redevenir vice-présidente de l’Assemblée nationale, l’aile gauche de la majorité ne dirait pas non à un vote anti-RN au profit des Verts… Tout peut arriver et les équilibres pourraient complètement exploser», redoute un stratège macroniste. Avant de conclure : «Si les écologistes décident de mettre le bazar dans tous les camps, ils n’ont qu’à appuyer sur le bouton.» ■ “Si les Verts décident de mettre le bazar dans tous les camps, ils n’ont qu’à appuyer sur le bouton ”un stratège macroniste Politique Nos rêves, nos passions, nos ambitions ... passions,passions, nos ambitions ... Photocyclistes©HermannLandshoff,Lescyclistes(détail),1946.Munich,MünchnerStadtmuseum.Photo©BPK,Berlin,Dist.RMN-GrandPalais/imageBPK©Droitsréservés;photomains:DRLescyclistes (Publicité) sont ressortis de leur rencontre à huis clos avec la première ministre. Élisabeth Borne leur présentait le contenu du plan pour identifier les dissensus et procéder aux derniers ajustements. Mardi, c’est au Conseil national de la refondation que la première ministre le présentera. À Emmanuel Macron d’en tirer ensuite les conclusions pour bâtir son discours. «Le président continue à tirer le même fil depuis 2017 : la mise en place d’une politique cohérente et rationnelle sur l’environnement», explique-t-on à l’Élysée. Sans espoir d’apparaître comme un écolo en son pays. ■ Loris Boichot £@lboichot et Anne-Laure Frémont £@alaurefremont ÉLISABETH BORNE prépare le terrain pour Emmanuel Macron. Une semaine avant la prise de parole du chef de l’État, prévue le 25 septembre, la première ministre a présenté lundi aux chefs de parti, réunis à Matignon, la «planification écologique» de son gouvernement. Une manière de «tester», selon un membre del’exécutif,lesgrandsaxesd’unefeuille de route plusieurs fois reportée, que l’Élysée promet «cohérente», «rationnelle» et «ambitieuse». Ce mardi, c’est aux membres du Conseil national de la refondation (CNR) que la chef du gouvernement doit énoncer ses ambitions. Lundi, à l’issue de deux heures de discussions à huis clos - sans l’Insoumis Manuel Bompard, hostile à une «nouvelle opération de communication sans effet» -, les responsables des oppositions ont manifesté leur scepticisme. La patronne des Verts, Marine Tondelier, a reconnu «un constat très complet, très lucide et assez inédit», mais elle a appelé à «l’action». À droite, le président des LR, Éric Ciotti, a pour sa part déploré le manque de «perspectives» sur les moyens «de parvenir et de financer» ce plan. Avec les représentants du RN et des communistes, il a alerté sur le risque de contraintes fortes sur le pouvoir d’achat. Au moment où les prix des énergies explosent. Devant eux, Élisabeth Borne est venue avec une synthèse du plan publiée en juillet. L’objectif : préserver les écosystèmes et les ressources, mais surtout réduire de 55% les émissions nettes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. Cela signifie passer de 408 millions de tonnes équivalent CO2 émises en 2022 à 270 millions en 2030. «Nous devons aujourd’hui réussir à faire davantage en sept ans que ce que nous avons fait ces trente-trois dernières années», rappelle-t-on ainsi à Matignon. Pour y parvenir, l’effort doit être réparti de façon «juste» : «La moitié de la baisse attendue des émissions est entre les mains des entreprises, un quart entre celles des pouvoirs publics et un quart, des ménages», selon le cabinet de la première ministre. À titre d’exemple, le secteur des transports - le plus polluant en France - doit passer de 129 millions de tonnes émises l’an dernier à 92 millions en 2030. Annonces inédites Possible, selon le plan, si l’on passe à «15% de véhicules 100% électriques roulant en 2030 contre seulement 1% aujourd’hui», via un renforcement de l’aide à la conversion ou le déploiement des bornes de recharge. Possible aussi si l’on triple l’usage quotidien du vélo, si sept millions de salariés télétravaillent trois jours par semaine, si cinq millions de Français choisissent un tourisme plus local, si l’on développe des RER métropolitains dans une dizaine de villes… Autre exemple, le secteur des bâtiments, qui doit diminuer ses émissions de 28 millions de tonnes d’ici à 2030. La suppression de 75% des chaudières au fioul et de 20% des chaudières au gaz permettrait déjà une baisse de «presque 40% des émissions directes du secteur». L’isolation des bâtiments est également un enjeu majeur, nécessitant le recrutement de 4000 à 5000 «accompagnateurs Renov’», rien qu’en 2025. «La difficulté du plan, c’est qu’il faut assumer une part techno pour être crédibles auprès des spécialistes, et en même temps rendre nos mesures visibles auprès du grand public par des objets concrets», explique l’un de ses artisans. Pour tenir ses objectifs, l’État compte mobiliser 7 milliards d’euros supplémentaires dans son budget 2024, qui doit être présenté le 27 septembre en Conseil des ministres. Reste à savoir comment il entend les répartir. Des réponses d’Emmanuel Macron, pressé d’avancer par les écologistes et une partie de son camp, sont espérées. En attendant, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, prépare les esprits à des annonces inédites : ce que le chef de l’État va présenter, assure-t-il, «aucun pays au monde ne l’a fait». ■ À Matignon, Borne prépare le terrain devant des chefs de parti sceptiques rentrée entre divisions, de comptes et provocations des tensions, certains députés de l’intergroupe rêvent d’une période d’accalmie. ques en permanence.» Une tirade faisant suite à une énième engueulade - via les réseaux sociaux - entre le secrétaire national des communistes, Fabien Roussel, et Jean-Luc Mélenchon… Risque électoral La députée de Seine-Saint-Denis ne semble pourtant pas avoir été entendue. Sur une scène de la Fête quelques heures plus tard, au cœur du rassemblement annuel de la gauche, Jean-Luc Mélenchon a durement lancé : «Il y a une personne qui s’en fiche de l’union, elle s’appelle Fabien Roussel.» Le communiste, pour sa part, étrille l’Insoumis à toutes les occasions données, convaincu que David finira bien encore une fois par terrasser Goliath… Le leader Insoumis a compris que beaucoup veulent lui faire la peau désormais, jusque dans ses rangs. Il a observé ce week-end le jeu tactique de rapprochement entre Clémentine Autain et François Ruffin, une figure montante de la gauche radicale. Samedi, lors d’une table ronde avec Clémentine Autain, le député de la Somme a pris ses distances avec la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, jugeant que la constitution de listes autonomes aux européennes ne sera pas gage de la mort de la Nupes. «Nous formons un couple à cinq, a-t-il dit, et une infidélité ne doit pas nécessairement conduire au divorce.» Son objectif est clairement énoncé : «Non pas exister, mais gagner.» Ce qu’il juge possible avec le score présidentiel (22%) de Jean-Luc Mélenchon en 2022. Pour cela, «il faut soigner l’habillage», soit «passer du bruit et de la fureur à une force plus tranquille». Lors de l’université d’été des Insoumis à Valence (Drôme) fin août, Ruffin avait déjà pointé du doigt le risque électoral pour la gauche à se faire dicter son agenda par des minorités intersectionnelles. Sur la stratégie, pour entraîner l’adhésion populaire face à l’extrême droite, Clémentine Autain n’est pas très éloignée de lui. «Si dans le ton, on donne le sentiment d’être virulents, tranchants et péremptoires, il y aura un effet ne nous permettant pas de nous situer de façon apaisante pour le grand nombre. Ce ton quiparfois,reconnaîtladéputéeLFI,nous empêche d’être bien compris…» De ces échanges, Jean-Luc Mélenchon semble se moquer. Il lui faut donner un sentiment de force, et attaquer. Son mantra est posé. Hors de l’union dès 2024, point de salut. «Si on aime le peuple, si on se dévoue à lui, si on lui est voué, alors on fait l’union parce qu’on peut battre tous les autres», a-t-il lancé dimanche soir sur BFMTV. Ses partenaires ? Réduits en bouillie. «Une écologie qui n’est pas anticapitaliste, pour moi, c’est du jardinage. Le socialisme qui ne remet pas en cause le capitalisme, c’est mignon, et le communisme qui ne se donne pas comme objectif de mener une révolution socialiste, je me demande ce que c’est !» «Je ne fais pas la Nupes parce que j’aime les autres», a-t-il encore balancé. D’ailleurs, il le reconnaît : «Je ne les aime pas. Non.» Cette union a juste lieu «dans l’intérêt du peuple et pour vaincre sa misère». Ceux qui la refusent iraient à l’encontre de ses intérêts… «La question n’est pas de savoir si on s’apprécie ou pas, si on s’aime ou pas, la question est de savoir si nous sommes présents pour répondre aux enjeux», a répondulundilaprésidentedugroupeécologiste à l’Assemblée, Cyrielle Chatelain, soucieuse de ne pas rentrer dans le jeu des provocations du leader Insoumis. ■ Emmanuel MacronEmmanuel Macron au sommet du G7, en juin 2022,au sommet du G7, en juin 2022, à Elmau (Allemagne).à Elmau (Allemagne). SUSANWALSH/AFP De gauche à droite. Boris Vallaud (PS), Mathilde Panot (LFI) et Cyrielle Chatelain (EELV) lors du séminaire de rentrée parlementaire de la Nupes, lundi, à Ivry-sur-Seine. GEOFFROYVANDERHASSELT/AFP 5Politique le figaro mardi 19 septembre 2023 AA mardi 19 septembre 2023 le figaro 1A 6 Politique utile, mais pas toujours. Aujourd’hui, on ne se pose pas ces questions», se désole Philippe Juvin. Pour le député Horizon Frédéric Valletoux, les leviers d’économies se trouvent aussi dans la pertinence des actes. «En 2018, Emmanuel Macron appelait lui-même à lutter contre les 30% d’actes redondants, depuis on n’a pas vu grand-chose», regrette-t-il. «Il faudrait aussi réviser les tarifs des actes pour tenir compte des progrès médicaux et de leur coût réel. Un travail au long cours», poursuit-il. Or il y a urgence, car le trou de la Sécu se creuse. «À partir de 2024, le déficit devrait de nouveau se dégrader à plus de 13 milliards d’euros par an, en raison du déficit croissant de la branche vieillesse et de la progression des dépenses maladie», a alerté la Cour des comptes en mai dernier. Si la réforme des retraites va avoir des effets favorables sur la branche vieillesse de la Sécu, l’assainissement des comptes sociaux suppose aussi de contenir les dépenses de santé, ont prévenu les magistrats financiers. Un énième avertissement, reçu comme tel par le ministre de la Santé. ■ Marie-Cécile Renault £@Firenault Santé Il est l’homme qui va devoir limiter les dépenses de santé. Surprise du remaniement de juillet, Aurélien Rousseau s’apprête à vivre, à 47 ans, son baptême du feu cet automne, au Parlement, où il aura à défendre son premier budget de la Sécurité sociale face aux oppositions. Après l’avoir présenté en Conseil des ministres le 27 septembre. Après les milliards déversés sur la santé durant le Covid, le ministre de la Santé le sait : l’heure est désormais à la fin du quoi qu’il en coûte. Alors que Bercy cherche des économies tous azimuts pour boucler le prochain budget, il devra aussi mettre la santé à contribution dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Et pour cause : les dépenses de santé progressent à vive allure depuis 2021, certes en raison des charges exceptionnelles liées à la crise sanitaire et des mesures salariales du «Ségur de la santé», mais aussi du fait d’une croissance forte des arrêts maladie et de la consommation de produits de santé. Les arbitrages se dessinent alors que se tenaient lundi les «dialogues de Duquesne», réunissant autour d’Aurélien Rousseau et du ministre du Budget Thomas Cazenave des députés de tous les groupes. Outre un renforcement des mesures de lutte contre la fraude, Bercy a déjà prévenu qu’il envisageait de doubler la franchise médicale. Ce reste à charge que paient tous les patients passerait de 50 centimes à 1 euro par boîte de médicaments, et de 1 euro à 2 euros pour chaque consultation chez le médecin toutefois plafonné à 50 euros par an. Une mesure qui rapporterait de 500 millions à 600 millions d’euros à la Sécurité sociale. Renforcer les contrôles Pour enrayer l’explosion des arrêts maladie, qui ont bondi de 7,9% en 2022, l’exécutif avait un temps évoqué l’allongement du délai de carence. Une piste qui semble finalement délaissée au profit d’un renforcement des contrôles. L’objectif national des dépenses de santé - le fameux Ondam qui fixe chaque année l’enveloppe de crédits pour la santé - devrait progresser en 2024 de 3,2%, loin des 9,4% de 2020 et 8,7% de 2021, et surtout loin des 5% de hausse (soit une rallonge de 5 milliards d’euros) demandés pour les hôpitaux par Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), alertant sur «la situation budgétaire des hôpitaux et Ehpad publics qui n’a jamais été aussi fragile». D’ores et déjà, les discussions s’avèrent «sportives» entre Bercy et Aurélien Rousseau. Si l’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne à Matignon est rompu aux arbitrages, tailler dans les dépenses de santé risque de se révéler un exercice difficile pour cet homme de gauche, militant PCF dans sa jeunesse, du temps où il était professeur d’histoire-géographie à Bondy (Seine-Saint-Denis). Maîtriser les dépenses de santé, le défi d’Aurélien Rousseau Le ministre de la Santé, issu de la gauche, devra faire des choix pour éviter d’aggraver le trou de la Sécu. de juguler l’inflation pour maintenir en vie nos cabinets, qui sont des entreprises comme les autres», explique le Dr Agnès Gianotti, présidente de MG France. Le syndicat des médecins libéraux (SML) réclame la création «d’un espace de liberté tarifaire sous forme de l’ouverture du secteur 2 pour tous les médecins». En clair, les professionnels seraient autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires, alors que le secteur 2 n’est réservé aujourd’hui qu’aux anciens chefs de clinique ou assistants des hôpitaux. Alors que le gouvernement veut maîtriser les dépenses, une piste pourrait être de demander aux médecins d’améliorer «la pertinence de leurs prescriptions sur le volume de médicaments», avance la députée Renaissance Stéphanie Rist, rapporteur général du PLFSS. Il faut dire que chaque médecin généraliste prescrit en moyenne 760000 euros d’examens, médicaments et arrêts de travail par an. Si Aurélien Rousseau connaît indéniablement le sujet et le secteur, il lui faudra prouver sa capacité à discuter et à trouver des accords. «Il arrive à un moment où les syndicats et la base sont chauffés à blanc, met en garde le député Renaissance, Frédéric Valletoux. Tout se mélange : l’échec de la convention, le regard de la société sur les médecins, la crise démographique, les propositions coercitives pour lutter contre les déserts médicaux…» Des phénomènes conjoncturels et structurels qui créent un cocktail explosif. ■ M.-C. R. et, durant l’été, une partie d’entre eux a décidé d’augmenter unilatéralement leurs honoraires à 30 euros. Une pratique à la limite de la légalité et qui revient à faire payer aux patients la différence avec le tarif remboursé par la Sécu. Cette fronde tarifaire «prend de l’ampleur et ne va pas s’arrêter. D’autant que les médecins sont soutenus par leurs patients», constate le Dr Raphaël Dachicourt, généraliste à Lille et président du syndicat Reagjir. «À l’écoute» Les syndicats ont été reçus au ministère la semaine dernière. S’ils ont trouvé Aurélien Rousseau «plutôt à l’écoute», aucune date de reprise des négociations n’est arrêtée. Les médecins campent sur leur position et font des 30 euros un préalable pour revenir autour de la table. «96% des généralistes sont en secteur 1, donc ils n’ont aucune marge pour augmenter les tarifs et faire face à la hausse des dépenses de cabinet, de secrétariat, de matériel… À 30 euros, ce n’est même pas une augmentation, cela permet tout juste ALORS même que le ministre de la Santé est sous la pression de Bercy pour maîtriser les dépenses de santé, il va devoir dégager des moyens supplémentaires pour répondre aux très fortes attentes de la médecine de ville. Après l’échec en mars des négociations entre les médecins et l’Assurance-maladie sur le tarif de la consultation, Aurélien Rousseau va s’attacher à trouver une issue pour sortir de l’impasse et renouer la confiance avec le monde libéral. Et vite, car les libéraux appellent à un mouvement de grève illimité des cabinets à compter du 13 octobre. Un dossier inflammable sur lequel le nouveau ministre est très attendu, et qui sera son baptême du feu. «26,50 euros le prix de la consultation est un point de départ, pas un point d’arrivée», a déclaré Aurélien Rousseau, en signe d’apaisement. «Nous avons sans doute mal estimé le malaise de la profession», a reconnu Thomas Fatôme, directeur général de l’Assurance-maladie. En mars dernier, au terme d’un long bras de fer, l’Assurance-maladie a accordé 1,50 euro de revalorisation aux médecins, faisant passer le prix du rendez-vous de 25 euros à 26,50 euros à compter du 1er novembre prochain. Les médecins eux réclamaient a minima 30 euros, pour tenir compte de l’inflation. Le collectif Médecins pour demain, très actif sur les réseaux sociaux, revendiquait même un tarif à 50 euros en contrepartie de la suppression de différents forfaits. L’échec des discussions a laissé les libéraux amers positions risquent de s’engouffrer : sa femme, Marguerite Cazeneuve, numéro deux de l’Assurancemaladie, qui traite de nombreux dossiers communs. Si la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a conclu à l’absence de conflit d’intérêts, le début de polémique lors de sa nomination pourrait ressurgir. Mais, surtout, Aurélien Rousseau risque de se heurter à un écueil de fond. «Le PLFSS est un outil purement comptable, qui ne permet pas de construire la stratégie nationale de santé dont nous avons besoin», observe le député LR Philippe Juvin, directeur des urgences de l’Hôpital européen Georges Pompidou. «Le PLFSS fait des coups de rabot alors qu’il faudrait faire des choix. Si on veut vraiment dégager des économies, il faut s’attaquer à l’hypertrophie administrative de l’hôpital, restreindre aux justes soins ce qui est remboursé par la solidarité nationale. Par exemple, pourquoi fait-on plus d’opérations du canal carpien que la Grande-Bretagne pour peu de bénéfice médical? Fautil rembourser toutes les chirurgies de réduction mammaire? C’est parfois Aurélien Rousseau n’est pas médecin, contrairement à ses prédécesseurs - l’hématologue Agnès Buzyn, le neurologue Olivier Véran ou l’urgentiste François Braun. Mais ce «techno de gauche» qui a gardé l’accent de sa terre natale d’Alès (Gard), énarque promu PDG de la Monnaie de Paris après avoir été directeur de cabinet de Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, tire sa légitimité du rôle moteur qu’il a joué dans la gestion de la crise Covid. Pertinence des actes Patron de l’ARS Île-de-France quand la pandémie éclate, il est sur tous les fronts, nuit et jour, avec sa cellule de crise, organise la réponse, coordonne l’offre de soins entre hôpitaux publics et cliniques privées, met en place les trains d’évacuation sanitaire quand la digue hospitalière menace de s’effondrer. Il en a tiré un livre, La Blessure et le Rebond. Dans la boîte noire de l’État face à la crise (Éditions Odile Jacob). Si le ministre allie une connaissance de l’appareil d’État, des enjeux budgétaires et du terrain, il offre cependant une faille dans laquelle les opLe sujet est politiquement inflammable dans l’opinion, où la santé s’est érigée en préoccupation principale des Français. D’autant que les milliards du «Ségur de la santé» distribués par ses prédécesseurs sont loin d’avoir réglé la crise de l’hôpital. Les tensions restent en effet fortes dans de nombreux services (urgences, psychiatrie, pédiatrie, gériatrie). Quant à la médecine de ville qui s’estime oubliée de ce rattrapage, elle nourrit de fortes attentes après l’échec des négociations sur le tarif de la consultation (lire ci-dessous). Le ministre de la Santé reste vigilant à l’approche du 13 octobre, jour de mobilisation de l’intersyndicale et d’appel à la fermeture reconductible des cabinets médicaux. «Aurélien Rousseau saura défendre ce budget, c’est un homme qui a le sens des responsabilités et de l’intérêt général, défend le député Renaissance Marc Ferracci. Il a été directeur de cabinet de la première ministre, un poste où vous êtes obligé de faire parfois des choix un peu drastiques sur le plan budgétaire, ce qui est toujours un peu douloureux.» «Je crois qu’Aurélien Rousseau a toutes les qualités pour tenir ce budget. C’est un ministre qui connaît parfaitement les dossiers et le terrain», conforte la députée Renaissance Stéphanie Rist, rapporteur générale du budget de la Sécu. Face à la fronde des médecins, le ministre très attendu sur le tarif de la consultation «96% des généralistes sont en secteur 1, donc ils n’ont aucune marge pour augmenter les tarifs et faire face à la hausse des dépenses de cabinet, de secrétariat, de matériel…»Dr Agnès Gianotti, présidente de MG France 30euros Montant minimum de la consultation réclamé par les médecins Marine Le Pen estime «être la candidate naturelle» du RN en 2027 Elle a mis fin lundi soir à un silence médiatique, long de deux mois et demi. Invitée du 20h de TF1, deux jours après les universités d’été du RN qui se sont tenues à Beaucaire (Gard), la présidente des députés nationalistes est revenue sur son avenir politique et présidentiel. A-t-elle prévu de passer son tour en 2027 et de laisser sa place à Jordan Bardella ? Alors que le patron du RN sera la tête de liste de son parti lors des prochaines élections européennes en 2024, Marine Le Pen a estimé être «la candidate naturelle de (son) camp». Pour la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, cette décision tient «pour l’instant tant qu’(elle) n’en a pas décidé autrement». Marine Le Pen a beau garder intactes ses ambitions personnelles, elle n’a pas oublié d’imaginer une future place pour son jeune dauphin. Selon les informations du Figaro, la triple candidate à l’Élysée, qui a totalisé 41,45% au second tour de la dernière élection présidentielle, a prévu de faire du président du RN son prochain premier ministre si elle était élue en 2027 à la fonction suprême. Interrogés ce week-end sur cette hypothèse, les deux intéressés se sont contentés de ne pas démentir, sourire en coin. zoom Le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, s’est rendu, le 22 août, au centre hospitalier de Valence (Drôme). Nicolas Guyonnet/ Hans Lucas via Reuters Connect Albin Michel notre h sto re! Un siècle, nos passions, nos rêves, nos ambitions... LE CLUB DES INCORRIGIBLES OPTIMISTES APRÈS Jean-Michel Guenassia nous livre l’immense saga d’un siècle, comme lui seul en a le secret. Des passions amoureuses, des ambitions contrariées, des rêves de jeunesse qui se fracassent contre les bouleversements des sociétés... Et de nouvelles générations qui, sur les ruines, reconstruisent un monde et des idées nouvelles. Photocyclistes&couverture©HermannLandshoff,Lescyclistes(détail),1946.Munich,MünchnerStadtmuseum.Photo©BPK,Berlin,Dist.RMN-GrandPalais/imageBPK©Droitsréservés;photomainsethorloge:DRLescyclistes A le figaro mardi 19 septembre 2023 Société 7 Des images de l’agression de Philippe Monguillot à Bayonne ont été diffusées, lundi, devant la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques. aude bariéty £@AudeBariety envoyée spéciale à pau (Pyrénées-Atlantiques) Assises Un premier coup de tête porté par Philippe Monguillot à Wyssem M. Une rixe, hors champ de la vidéosurveillance, impliquant les deux hommes ainsi qu’un troisième, Maxime G., ami de Wyssem M. Puis, quelques minutes plus tard, un ultime coup de poing asséné par Wyssem M. à Philippe Monguillot, qui tombe alors à terre, sa tête heurtant le sol. Aucun son n’a été capté par les caméras qui ont filmé ces images. Mais la salle – comble – de la cour d’assises des PyrénéesAtlantiques en perçoit sans difficulté la violence. Quelques jours après cette bagarre, Philippe Monguillot, chauffeur de bus de 59 ans, rendait son dernier souffle au centre hospitalier de Bayonne. «Dès sa prise en charge, le pronostic était funeste», témoigne à l’audience un médecin légiste, illustrant son propos par une photo du crâne de la victime traversé par une impressionnante fracture de 17 centimètres de long. Trois ans plus tard, Wyssem M. et Maxime G., en état de récidive légale, sont jugés à Pau pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur un agent de service public et en réunion», encourant tous deux la réclusion criminelle à perpétuité. En ce deuxième jour d’audience, outre la diffusion de ces vidéos, il était prévu de procéder à l’audition des accusés, tous deux âgés de 25 ans, sur le fond des faits qui leur sont reprochés. Las, ces déclarations très attendues ont été quasiment inaudibles, en particulier celles de Wyssem M.. Les multiples changements de micro n’y ont presque rien changé. Tout juste retiendra-t-on que les accusés reconnaissent les coups assénés à Philippe Monguillot, mais qu’ils assurent n’avoir «jamais voulu la mort» de ce dernier. Excuses inaudibles «Pour moi, ce n’était pas possible, il n’était pas mort. (…) Cette histoire a pris tellement d’ampleur en une fraction de seconde… Si je pouvais donner ma vie pour Philippe Monguillot, je le ferais. (…) Je ne suis pas un monstre», insiste Wyssem M., chemise blanche boutonnée jusqu’au cou et lunettes sombres. «Je ne pensais pas que ça irait aussi loin… J’y pense tous les jours», renchérit Maxime G., T-shirt noir et cheveux noués en une petite queue-de-cheval, qui présente ses «excuses» à la famille de la victime. À leurs côtés, dans le box des accusés, une place est désormais vide. Quelques minutes auparavant, elle était encore occupée par Mohamed A.. Ce dernier aurait dû comparaître pour avoir logé Wyssem M. et Maxime G., en fuite après le drame. Mais dès les premières minutes de l’audience, il apparaît difficile, voire impossible, de juger un homme à la santé psychiatrique si dégradée. Derrière la vitre, Mohamed A. tremble. Même accroché à la rambarde, il ne peut empêcher le micro – encore lui - de tressaillir dans sa main droite. Le peu de réponses qu’il fournit ne nécessite de toute façon pas d’amplificateur. La salle partage vite les «doutes» de son avocate sur sa capacité à participer pleinement à ce procès. Ce qui conduit la présidente à disjoindre son cas et à le renvoyer devant un tribunal correctionnel qui le jugera ultérieurement pour «soustraction de criminels à l’arrestation ou aux recherches». C’est donc avec deux accusés, et non plus trois, que le procès se poursuit, en théorie jusqu’à jeudi. ■ Les excuses de Rédoine Faïd au pilote d’hélicoptère Pris en otage par le braqueur pour s’évader de prison, l’homme a témoigné au procès de sa «peur constante» pendant ce vol. Stéphane Durand-Souffland sdurandsouffland@lefigaro.fr Justice «Je ne suis pas physionomiste pour un rond», affirme Stéphane Buy. C’est cet homme de 70 ans, silhouette dégingandée en costume foncé, qui, le 1er juillet 2018, avait été forcé de piloter l’hélicoptère à bord duquel Rédoine Faïd s’était évadé du centre pénitentiaire de Réau (Seine-etMarne). Après qu’il a raconté son calvaire, la présidente lui demande si, dans le box, il reconnaît d’autres protagonistes de l’affaire – d’où sa réponse prudente. Selon le ministère public, Steeve Escrihuela et Ishaac Hérizi sont montés dans l’aéronef détourné (ils le nient vigoureusement). Le pilote reconnaît-il le premier? «Non, pas vraiment.» Et le second? «Je ne suis pas affirmatif.» Avant qu’il n’identifie Rachid Faïd, frère de Rédoine, celui-ci avoue : «J’étais dans l’hélicoptère. Je suis désolé de ce qui vous est arrivé, je ne vous ai pas frappé. (À la cour) J’ai failli pleurer, il est choqué, ce monsieur.» La présidente : «Qui l’a frappé? » Rachid Faïd : «Des gens, des amis de Rédoine Faïd, que je ne connais pas.» Rédoine Faïd enchaîne : «Je suis extrêmement navré de ce qui vous est arrivé. J’espère que vous trouverez la résilience, que ces débats vous y aideront. Je vous présente mes profondes excuses, ainsi qu’à votre épouse, j’ai beaucoup pourri votre existence. (À la cour) J’affirme que M. Buy n’a rien à voir làChauffeur de bus tué : au procès, des vidéos glaçantes dedans, jamais sa belle-fille (avec laquelle il avait entretenu une correspondance deux ans auparavant, NDLR) ne m’avait dit qu’il était pilote.» «Casse-toi, ça va exploser» Avant cela, Stéphane Buy, bouleversé, avait relaté sa matinée du 1er juillet. Un décollage en douceur de Lognes pour un vol d’initiation avec deux clients qu’il avait déjà pris à son bord, un pseudo «arrêt pipi» dont deux individus cagoulés reviennent armés et lui indiquent approximativement les directions à prendre («un peu plus à gauche, un peu plus à droite»), un deuxième «posé» dans un champ marqué d’une couverture rouge, l’irruption d’un troisième homme masqué et de sacs de matériel, une panne de moteur, une réparation sous les coups et les menaces, un redécollage, la Seine-et-Marne survolée en rase-mottes, la prison de Réau. «Je me suis approché du gros logo “interdit de survol”, ça fait bizarre», se souvient Stéphane Buy. Il poursuit : le vol stationnaire dans la cour d’honneur, le niveau de kérosène qui baisse, – l’engin en consomme trois litres à la minute –, la peur constante, Rédoine Faïd qui surgit avec ses complices à visage découvert, pose la main sur le genou du pilote qui ne l’a pas reconnu et lui lance : «Je suis pas un terroriste, pas un tueur, décolle!», l’ultime «posé» sur un étroit chemin. «On va t’asperger d’eau de Javel pour effacer les traces d’ADN», annonce Rédoine Faïd. «J’avais un polo tout neuf que j’aimais bien, je l’ai retiré en descendant, je me suis retrouvé torse nu, c’est complètement idiot», admet Stéphane Buy. Une voiture noire vient récupérer le commando. L’évadé tente d’incendier l’hélicoptère. Le pilote le «supplie» de ne pas détruire l’antique Alouette II car «c’est du patrimoine», le braqueur réplique : «Casse-toi, ça va exploser» - il y avait un cocktail Molotov sous un des sièges, mais Stéphane Buy l’ignorait. Le pilote termine son récit : «Le feu a commencé à prendre, Rédoine Faïd s’est envolé.» Pour la deuxième fois de la journée. ■Rédoine Faïd, le 5 septembre, au palais de justice de Paris, BENOITPEYRUCQ/AFP mardi 19 septembre 2023 le figaro A 8 International gien de Bidzina Ivanichvili, qui depuis la tient par le collet. Après être restée longtemps silencieuse face au glissement prorusse du pouvoir, la présidente est allée défendre en Europe la cause de la Géorgie, dont le statut de candidate à l’UE, refusé en juin 2022, doit être réexaminé à la fin de l’année. Dans sa très grande majorité (80%), la population géorgienne se prononce pour l’entrée dans l’Union européenne et dans l’Otan. Mais ce n’est ni la volonté de Vladimir Poutine, ni celle, par ricochet, de l’actuel gouvernement. C’est déjà pour empêcher le rapprochement avec l’Occident et enrayer la dynamique démocratie géorgienne que la Russie avait envoyé ses troupes de l’autre côté de la frontière en août 2008. «Les Russes dehors, à mort Poutine» : dans les rues de Tbilissi, les graffitis anti-Kremlin voisinent avec les drapeaux bleu et jaune de l’Ukraine. Face à la complaisance de leur gouvernement envers le Kremlin, les Géorgiens, qui Isabelle Lasserre £@ilasserre Envoyée spéciale à Tbilissi, Odzisi, Kazbegi (Géorgie ) Caucase Sur la route en lacets qui grimpe jusqu’au pied du mont Kazbek (5047 m), le deuxième plus haut sommet de Géorgie, la Russie toute proche déverse et absorbe chaque jour des milliers de camions qui contournent les sanctions occidentales. Depuis le début de la guerre en Ukraine, le trafic a été multiplié par trois sur cet axe parfois escarpé qui livre à la Russie toutes sortes de produits venus d’Asie centrale, de Turquie ou d’Arménie. Et pour rendre l’accès plus rapide et plus facile, surtout en hiver, des travailleurs chinois creusent dans la montagne un gigantesque tunnel de 9 km. Dans ce Caucase qui a toujours été un carrefour d’influences culturelles, le destin de la petite Géorgie (3,7 millions d’habitants) est plus que jamais lié à celui de la Russie. Mais il est aussi enchaîné à celui de l’Ukraine, qui a traversé les mêmes secousses. Des plaines ukrainiennes aux massifs caucasiens en passant par les steppes d’Asie centrale, l’élan impérialiste qui prend sa source sur la place Rouge à Moscou a partout les mêmes ramifications. «Vaincre le poutinisme», partout où il se manifeste : c’était le thème général de la 7e conférence internationale de Tbilissi, organisée (1) début septembre dans la capitale géorgienne et boycottée, comme l’année dernière, par le pouvoir pro-russe qui n’applique pas les sanctions contre la Russie. Si les yeux, depuis février 2022, sont fixés sur l’Ukraine, la guerre continue aussi en Géorgie, elle se poursuit au Haut-Karabakh et couve également en Moldavie, où les Russes occupent toujours la Transnistrie. «Vladimir Poutine a deux méthodes pour soumettre ses voisins : s’emparer de la terre et s’emparer de l’État», résume Batu Kutelia, membre du Conseil atlantique de Géorgie et ancien ambassadeur à Washington. En Ukraine, après avoir capturé l’État à l’époque du prorusse Viktor Ianoukovitch, la Russie a lancé deux invasions terrestres, en 2014 et en 2022, pour tenter de tuer l’esprit européen de la révolution de Maïdan. En Géorgie, après avoir accaparé 20% du territoire géorgien et avoir lancé une courte guerre en 2008, à l’époque où Tbilissi regardait vers l’ouest, le Kremlin a refermé sa main sur le pouvoir, par le truchement d’un milliardaire géorgien, Bidzina Ivanichvili, qui doit sa fortune et donc sa liberté à Vladimir Poutine. Ce que le maître du Kremlin n’a pas réussi à faire en Ukraine, il est en passe de le réussir en Géorgie. En quelques années, la petite République caucasienne, qui, sous le règne de Mikhaïl Saakachvili, avait emprunté une autoroute pour se réformer à grande vitesse et rejoindre les démocraties européennes, a été de nouveau aspirée dans la zone d’influence russe avec le consentement du Rêve géorgien, le parti au pouvoir. L’ancien président a été jeté en prison pour des raisons politiques. Et même si, sur la ligne d’occupation de ce front gelé, à Odzisi, les bases blanches du FSB, l’ancien KGB, ont été désertées par les Russes, la menace est toujours là. «La région a été intégrée à la sphère d’influence russe. Rien ne les empêche aujourd’hui d’organiser, comme en Ukraine, des référendums d’autodétermination», prévient un officier, jumelles en main. La crise politique s’est aussi aggravée depuis que le parti au pouvoir, au début du mois, a lancé une procédure de destitution contre la présidente, la FrancoGéorgienne Salomé Zourabichvili, élue en 2018 avec le soutien du Rêve géorchaque mardi avec de Jean-François Achilli et Bérengère Bonte du lundi au vendredi à 20h 1h de décryptage et d’analyse de l’actualité Les informés Inféodé au Kremlin, le gouvernement freine tout rapprochement avec l’Occident au profit de l’influence de Moscou. Ossétie du Sud 50 km Tbilissi Kazbegi Odzisi Ossétie du nord Abkhazie RUSSIE ARMÉNIETURQUIE GÉORGIE Mer Noire Infographie un pouvoir prorusse», poursuit la députée. Depuis qu’il est au pouvoir, Vladimir Poutine s’est attaché à maintenir le plus de zones grises possibles sur le territoire de l’ancienne Union soviétique. «50% d’action militaire et 50% de guerre hybride. Le maintien de zones grises permanentes dans la région permet à Poutine de prévenir la consolidation de fortes démocraties à l’occidentale», explique Tinatin Bokuchava, membre d’opposition du Parlement géorgien. Vu de Géorgie, comme de Kiev, l’une des plus grandes erreurs commises par les Occidentaux fut le «non» opposé par l’Otan, à Bucarest en 2008, à cause d’un double veto franco-allemand, aux candidatures de la Géorgie et de l’Ukraine. Moins de quatre mois plus tard, la Russie de Vladimir Poutine envoyait ses troupes en Géorgie. «Si on nous avait écoutés à Bucarest, il n’y aurait pas eu d’occupation de la Géorgie ni de l’Ukraine», rappelle Zigmantas Pavilionis, membre influent du Parlement lituanien. Il regrette que la même erreur ait été reproduite à Vilnius en juillet 2023, cette fois sur une initiative américaine. «De Bucarest à Vilnius, la politique occidentale est une honte ! Nous n’avons fait que mener une politique d’apaisement avec la Russie. Où sont le courage et la volonté politiques ? Où sont les Américains et leurs valeurs ? Si vous continuez ainsi, nous allons tous avoir notre Pearl Harbor et la Russie va couler l’Otan ! Nous sommes au bord de l’effondrement. C’est un nouvel Armageddon !» Un an et demi après la guerre, la péenne et ancien vice-ministre des Affaires étrangères de Saakachvili. Les Occidentaux investiront-ils les armes et l’énergie politique nécessaires au renversement du rapport de force ? Les leçons de 2008 puis de 2014 ont-elles été entièrement tirées ? «En 2008, pendant la guerre, se souvient Batu Kutelia, on nous disait déjà: “Faites attention, restez calmes, faites des concessions à la Russie qui est une puissance nucléaire !” ». Depuis, les troupes russes n’ont jamais quitté les territoires occupés comme le prévoyait pourtant l’accord de cessez-le-feu négocié par Nicolas Sarkozy au nom de l’Europe. À l’époque, le diplomate Dan Fried gérait les affaires européennes au secrétariat d’État à Washington. «On savait que la guerre arrivait, mais une partie de l’Administration américaine ne voulait pas le voir. Elle disait que les Géorgiens étaient trop alarmistes. Nous avons raté l’occasion pour la Géorgie car nous avons été trop lents à reconnaître le danger que représentait Poutine.» Ce ne fut pas la seule erreur des Occidentaux, qui ont cru à tort qu’intégrer la Russie dans les institutions internationales permettrait de la normaliser, puis que lui imposer des sanctions entraînerait l’effondrement de l’économie. «On aurait pu éviter les guerres de 2008, de 2014 et de 2022. L’erreur initiale a été commise dans les années 1990. Les Occidentaux ont reconnu nos indépendances, mais sans se demander comment elles allaient fonctionner. La Géorgie était considérée comme un élément, annexe, de leur politique russe. Très rapidement après la guerre, ils ont tourné la page et vanté les mérites d’un nouveau départ entre la Russie et la Géorgie. Tous ont préféré le retour du “business as usual”», explique Salome Samadachvili, députée d’opposition du Parlement géorgien. Depuis, l’oligarque Bidzina Ivanichvili et son Rêve géorgien ont fait repartir le pays, qui était un modèle de réformes occidentales, à l’est, vers la Russie autoritaire, toujours gérée, comme à l’époque communiste, par le KGB, même si les «organes» ont aujourd’hui intégré les méthodes des mafias. «Les gouvernements démocratiques ne peuvent pas tenir éternellement dans un pays en guerre, dont une partie du territoire est occupée. Dans ces conditions, il est facile pour la Russie de ramener à Tbilissi ont manifesté au printemps pour forcer le retrait d’une loi d’inspiration russe sur les «agents de l’étranger», savent que leur destin dépend en grande partie du résultat de la guerre en Ukraine. «89% des Géorgiens pensent que la guerre en Ukraine est la leur. Cinquantedeux volontaires y sont morts au combat. Ici, tout le monde sait que les Ukrainiens défendent, en se battant contre les Russes, leurs voisins, mais aussi la sécurité de l’Europe», résume Nino Evgenidze, la directrice de l’Economic Policy Research Center (EPRC). Une victoire militaire des Ukrainiens entraînerait, veut-on croire à Tbilissi, une victoire en Géorgie, car elle mettrait fin à l’occupation des troupes russes. Comme elle pourrait aussi mettre fin à celle de la Transnistrie en Moldavie. A contrario, une défaite de Kiev replongerait encore plus profondément la petite Géorgie caucasienne dans la prison tsaro-soviétique que Vladimir Poutine tente de reconstruire sur les ruines des empires russes. Mais pas seulement. «Les attaques russes contre la Géorgie et l’Ukraine sont aussi des attaques contre les démocraties occidentales. Il n’y aura ni paix, ni sécurité, ni liberté en Europe tant que le régime de Poutine sera là et continuera d’agir comme il le fait», prévient l’ancien diplomate américain Kurt Volker, ex-envoyé spécial du gouvernement en Ukraine et membre du Center for European Policy Analysis (Cepa). La guerre en Ukraine constitue une nouvelle opportunité de changer l’ordre russe des choses. «C’est un sujet stratégique et géopolitique. Il s’agit de défendre le monde libre. Nous avons la possibilité de couper définitivement l’appétit qu’a la Russie d’envahir ses voisins, d’attaquer le monde libre et la démocratie, avec l’aide de la Chine», explique Giga Bokeria, membre du parti Géorgie euroEn Géorgie, l’avenir est suspendu à de la guerre russe en Ukraine “Ici, tout le monde sait que les Ukrainiens défendent, en se battant contre les Russes, leurs voisins, mais aussi la sécurité de l’Europe ”Nino Evgenidze, la directrice de l’Economic Policy Research Center (EPRC) “La société civile géorgienne combat le poutinisme mais le régime de Tbilissi collabore avec Vladimir Poutine. Si nous ratons l’opportunité de nous rapprocher de l’Europe cette année, nous la perdrons pour plusieurs décennies ”Keti Khutsichvili, membre de la Fondation Géorgie société ouverte le figaro mardi 19 septembre 2023 A 9International foulée la guerre dans le Donbass : ils exigeaient en contrepartie un assainissement du système bancaire du pays. Mais aussi de se débarrasser d’un homme d’affaires insatiable et potentiellement concurrent. Kiev avait nommé Ihor Kolomoïsky en mars 2014 gouverneur de sa région natale, celle de Dnipropetrovsk, avec pour mission de stopper l’avancée des troupes russes. Tâche dont il s’est acquitté avec efficacité, dépensant des dizaines voire des centaines de millions d’euros pour créer des bataillons, dont certains étiquetés d’extrême droite. À l’époque, le goguenard milliardaire juif, qui pèse près de deux milliards d’euros, arbore un tee-shirt noir où est écrit en rouge « Joudobandera », que l’on peut traduire par « Bandera juif », allusion au dirigeant nationaliste ukrainien Stepan Bandera érigé par la propagande russe en symbole du «nazisme qui serait le lot de tout le peuple ukrainien». Avec moins d’humour, Kolomoïsky attendaient son retour sur investissement… Porochenko le démet de ses fonctions de gouverneur de l’oblast de Dnipropetrovsk en mars 2015. Dans le même temps, « nous nous battions bec et ongles, et nous avons souvent échoué, pour déloger les hommes que Kolomoïsky avait placés dans les conseils d’administration des entreprises du secteur de l’énergie et dans des postes clés dans les ministères ou dans les tribunaux », se souvient un ancien haut responsable de Naftogaz, la société gazière et pétrolière nationale. Une fois élu à la présidence, Zelensky a entretenu la rumeur qu’il était une créature de Kolomoïsky, en donnant de multiples signes qui l’alimentaient. D’abord en nommant comme chef de son administration, vrai centre du pouvoir en Ukraine, Andryi Bohdan, un des avocats de Kolomoïsky. Ensuite, et surtout, en résistant longuement avant d’assurer que l’argent des bailleurs de fonds ne finirait pas dans les poches du turbulent oligarque. Les bailleurs réclaIhor Kolomoïsky, gloire et misère de l’oligarque ukrainien qui a propulsé la carrière de Volodymyr Zelensky Ihor Kolomoïsky, dans un survêtement du FK Dnipro, à son arrivée dans un tribunal de Kiev, le 2 septembre, où il doit être jugé pour fraude et blanchiment d’argent. maient de recouvrer le contrôle de la banque Privat ou le remboursement intégral de sa valeur. Le président Zelensky ira jusqu’à risquer de ne pas obtenir un prêt d’environ 5 milliards de dollars dans ce qui est apparu comme une volonté de soutenir Kolomoïsky. « Après la mise à l’écart d’Andryi Bohdan en 2020, Volodymyr Zelensky a commencé à agir de façon beaucoup plus indépendante à l’égard de Kolomoïsky », note le journaliste Andrii Ianitskyi, auteur d’un livre sur la banque Privat et son propriétaire. Combattre une oligarchie compte parmi les choses les plus difficiles en politique. Rares sont les exemples de succès en la matière dans l’histoire. « Dans la foulée de sa victoire en 2019, Zelensky a essayé de mettre fin au pouvoir qu’avaient sur la politique les Kolomoïsky, Akhmetov, Firtach et autres oligarques. Mais la guerre que ceux-ci lui ont livrée, avec leurs médias notamment, puis la pandémie de Covid l’ont obligé à leur concéder une sorte d’armistice au début de 2020 », raconte Mikhaïl Minakov. Avec la guerre et le nouvel arsenal juridique contre les oligarques, ces derniers ont vu fondre leurs avoirs. Ihor Kolomoïsky n’est plus à la tête que de 930 millions d’euros, selon le magazine Forbes, après entre autres que sa raffinerie de Krementchouk a été bombardée par les Russes. « Zelensky a construit initialement son image sur la confrontation avec les oligarques, les anciens du moins, ceux qui ont fait fortune dans les années 1990, souligne Andrii Ianitskyi. Il doit s’y tenir. La société le veut. » ■ “Dans la foulée de sa victoire en 2019, Zelensky a essayé de mettre fin au pouvoir qu’avaient sur la politique les Kolomoïsky, Akhmetov, Firtach et autres oligarques ”Mikhaïl Minakov Régis Genté £@regisgente Tbilissi À L’ÉTROIT dans un survêtement bleu et un tee-shirt jaune, Ihor Kolomoïsky, 60 ans, a le visage fermé en ce 2 septembre. De sa figure ronde à la barbe broussailleuse, ont disparu son assurance légendaire et son humour grinçant. Un tribunal de Kiev vient de le placer en détention provisoire pour deux mois après qu’a été établi qu’il a entre 2013 et 2020 « blanchi plus d’un demi-milliard de hrivnas (13 millions d’euros, NDLR) en les retirant à l’étranger et en utilisant l’infrastructure des banques sous son contrôle », selon les juges. Depuis, le magnat des produits pétroliers, de la métallurgie et de la banque a été inculpé pour deux autres affaires, pour avoir monté des stratagèmes similaires. La nouvelle a surpris. Certes, dans le contexte de la guerre et du besoin existentiel du soutien occidental, le président Zelensky donne des gages de sérieux notamment dans le domaine de la lutte contre la corruption. D’où diverses lois et mesures adoptées ces derniers mois. Cela fait partie aussi des conditions dont l’UE tiendra compte pour décider, en décembre, de l’ouverture des négociations pour l’adhésion de l’Ukraine. Mais pourquoi Kolomoïsky ? Il n’est pas moins accusé de quantité de fraudes que les autres oligarques du pays, mais contrairement à la plupart de ces derniers, il s’est très peu compromis avec la Russie. « Ses ennuis aux États-Unis, l’enquête du FBI diligentée en 2019 et son placement sous sanctions en 2021, le rendent plus vulnérable », estime un vétéran de la diplomatie européenne à Kiev. La surprise vient aussi de ses liens anciens et profonds avec Volodymyr Zelensky, du temps où il était comédien et homme de télévision. C’est sur sa chaîne, TV 1+1, que l’actuel chef de l’État a notamment produit sa série Serviteur du peuple, qui lui a servi de véritable tremplin vers la magistrature suprême, précisément avec un programme de lutte contre les oligarques. Volodymyr Zelensky y jouait le rôle d’un anonyme, professeur d’histoire au lycée, élu quasi fortuitement à la tête du pays. Zelensky allait jouer de la comparaison avec le personnage, se faisant passer pour un anonyme en politique du moins, lors de sa campagne électorale de 2019, qui s’est d’abord jouée sur Instagram et les réseaux sociaux. L’ironie de l’histoire est que le candidat allait donc s’appuyer sur certains moyens mis à sa disposition par un oligarque, Kolomoïsky, essentiellement sa puissante chaîne de télévision, pour combattre un autre oligarque, le président d’alors, Petro Porochenko. « C’est à tort que l’on a dit de Kolomoïsky qu’il avait fait Zelensky. Ce dernier, comme tout homme de télévision, avait besoin de l’argent des oligarques pour faire ses shows. Zelensky et Kolomoïsky ont eu des relations d’affaires et chacun a poursuivi ses intérêts et ambitions », explique Mikhaïl Minakov, politiste du Kennan Institute. De ce point de vue, Volodymyr Zelensky s’est en quelque sorte appuyé sur les incessantes querelles entre oligarques ukrainiens pour se hisser à la présidence. Kolomoïsky en voulait mortellement à Porochenko, qui avait fait fortune dans le chocolat et qui l’avait dépossédé de sa banque, Privat, fin 2016. Le président Porochenko, avait décidé de la nationaliser. Il s’agissait de plaire aux bailleurs de fonds occidentaux, qui voulaient aider l’Ukraine après que la Russie eut annexé la Crimée en mars 2014 et déclenchée dans la “C’est à tort que l’on a dit de Kolomoïsky qu’il avait fait Zelensky. Ce dernier, comme tout homme de télévision, avait besoin de l’argent des oligarques pour faire ses shows ”Mikhaïl Minakov, politiste du Kennan Institute. présente NOUVEAU Drôle, féroce, émouvant, parfois péremptoire, un héritage à préserver ! 150 pages, EN VENTE ACTUELLEMENT Chez tous les marchands de journaux et sur www.figarostore.fr9,90 € Se mettre sur son 31 Il est propre comme un sou neuf Gros-Jean comme devant En baver des ronds de chapeau Tailler une bavette Le roi n’est pas son cousin Avoir le trouillomètre à zéro Avoir le béguin Jeter sa gourme Mener une vie de patachon Faire des yeux de merlan frit Coiffer Sainte-Catherine Faire sa Marie-Chantal Courir sur le haricot L’avoir dans le baba Le Bon Dieu sans confession Rabattre le caquet Minute papillon Encore un que les Boches n’auront pas En route mauvaise troupe Ça ne vaut pas un fifrelin Tirer le diable par la queue Fauché comme les blés La mort du petit cheval C’est riquiqui Kif-kif bourricot Que pouic Deux sous de jugeote … VladyslavMusiienko/REUTERS tentation de négocier est toujours présente dans certaines capitales occidentales. Depuis 2008, toutes les paix temporaires signées avec la Russie de Poutine n’ont pourtant fait que nourrir la guerre. «Ce qu’il faut, c’est penser nos actions autrement. Il faut que Vladimir Poutine se lève chaque matin en se demandant ce que nous allons faire, et non le contraire», propose le sénateur américain Chris Socha. En attendant, la Géorgie perd l’équilibre sur l’arête qui sépare l’Europe de l’ancien monde soviétique. Des douze conditions qui avaient été imposées par Bruxelles en vue du réexamen de sa candidature, aucune ou presque n’a été respectée par le gouvernement, qui freine le rapprochement avec l’Occident sous l’influence du Kremlin. «Tout le monde sait que la décision sera politique, comme elle l’a été pour l’Ukraine et la Moldavie», affirme John Herbst, ancien diplomate américain aujourd’hui à l’Atlantic Council. Personne en revanche ne sait répondre à la question suivante : l’obtention du statut de candidat ralentira-t-elle ou accélérera-t-elle le rapprochement avec l’Europe ? Pour la plupart des participants à la conférence de Tbilissi, la réponse, une fois encore, est à Moscou et à Kiev. «Seule une défaite de la Russie en Ukraine signera la fin de l’empire russe et empêchera de nouvelles attaques du Kremlin contre Kiev et Tbilissi, mais aussi les intimidations contre les pays de l’Union européenne. Nous sommes à un tournant», estime Oleh Chamchour, ancien ambassadeur d’Ukraine à Paris. La direction du continent dépend de la réussite de la contre-offensive ukrainienne, mais aussi de l’aide miliaire et de la volonté politique des Occidentaux. Comme le dit Keti Khutsichvili, membre de la Fondation Géorgie société ouverte : «La société civile géorgienne combat le poutinisme mais le régime de Tbilissi collabore avec Vladimir Poutine. Si nous ratons l’opportunité de nous rapprocher de l’Europe cette année, nous la perdrons pour plusieurs décennies.» La défaite russe en Ukraine, affirme le spécialiste de l’Atlantic Council Brian Whitmore, «permettra à toute la région d’avoir un nouveau moment 1989».■ (1) Par l’Economic Policy Research Center (EPRC) de Géorgie, le McCain Institute et le George W. Bush Institute. Des inscriptions antirusses dans une rue de Tbilissi, en juin 2023. 89% des Géorgiens pensent que la guerre en Ukraine est la leur. Cinquante-deux volontaires y sont morts au combat. l’issue UlfMauder/dpaviaReutersConnect mardi 19 septembre 2023 le figaro C 10 International L’utilisation de ces fonds ne peut être qu’à des « fins humanitaires » et sera « sous stricte surveillance », a précisé le Conseil national de sécurité américain. Ce à quoi Téhéran a répondu avoir la possibilité d’user autrement de cette enveloppe. En 1986, pour récupérer des otages américains au Liban, l’Administration Reagan était allée beaucoup plus loin en négociant des ventes d’armes secrètes à l’Iran, en violation d’un embargo sur les livraisons d’armes. D’abord annoncé le 10 août, cet accord souligne, de part et d’autre, une volonté d’apaisement, alors que le différend nucléaire reste dans l’impasse. Profitant de la dynamique enclenchée à Doha, cet échange de prisonniers sera-t-il suivi d’autres pourparlersirano-américainsenvue de calmer les tensions persistantes sur le nucléaire, comme l’illustre la dernière décision de Téhéran, samedi, de ne pas renouveler le mandat d’inspecteurs, français et allemands, qui surveillent ses installations atomiques ?Cespourparlersauraienten fait déjà commencé à Oman – l’autre médiateur des crises irano-américaines –, mais nul ne sait s’ils seront couronnés de succès. ■ « deal » aux États-Unis, au moment où l’on marque le premier anniversaire de la sanglante répression contre les Iraniennes qui se dévoilent, l’Administration Biden se défend en assurant qu’il ne s’agit pas d’un « chèque en blanc » à l’Iran. Pour faire passer la pilule, Washington a annoncé de énièmes sanctions contre le ministère iranien du Renseignement et contre l’ancien président de la République Mahmoud Ahmadinejad, largement sorti des circuits politiques. Le ministre chinois de la Défense, Li Shangfu, lors du Shangri-La Dialogue, le sommet sur la sécurité en Asie, le 3 juin à Singapour. Britta Pedersen/dpa via Reuters Connect En Chine, la disparition du ministre de la Défense alimente les rumeurs Cet été, le chef de la diplomatie n’avait pas été vu en public pendant un mois avant d’être démis de ses fonctions. Siamak Namazi (en haut), Emad Sharghi (en bas, à gauche) et Morad Tahbaz (en bas, à droite), trois des ex-captifs américains, à leur descente de l’avion, lundi à l’aéroport international de Doha, au Qatar. KARIM JAAFAR/AFP Cinq captifs américains ont quitté Téhéran pour le Qatar, où attendaient plusieurs ex-détenus iraniens, arrivés d’outre-Atlantique. Georges Malbrunot £@Malbrunot moyen-orient Cela ressemble fortement à une libération d’otages, mais au dénouement particulièrement sophistiqué, mettant en scène une dizaine de captifs, deux États ennemis et le transfert, via des circuits bancaires complexes, de 6 milliards de dollars. On ne parle pas de rançon, puisqu’il s’agit d’argent iranien bloqué sur ordre américain dans des banques de Corée du Sud. Pourtant, la synchronisation du « séquençage » final, aboutissement de huit rounds de négociations sur quatorze mois entre Iraniens et Américains, via des émissaires qatariens à Doha, évoque le dénouement d’une prise d’otages. Lundi matin, apercevant enfin le bout du tunnel, cinq citoyens américains d’origine iranienne, détenus depuis des années en Iran, ont d’abord été convoyés vers un aéroport de Téhéran, où un avion du Qatar attendait le feu vert pour décoller. « Nous espérons avoir la confirmation aujourd’hui du versement de la totalité » des avoirs débloqués et que « l’échange de prisonniers se fera le même jour », déclarait alors le ministère des Affaires étrangèresiranien.« Ilssontenbonne santé », confiait quasi simultanément une source à l’agence Reuters. L’identité de trois d’entre eux est connue : Siamak Namazi, 51 ans, homme d’affaires arrêté en 2015 alors qu’il rendait visite à sa famille ; Emad Sharghi, 59 ans, homme d’affaires lui aussi, appréhendé en 2018 puis relâché sous condition mais qui avait interdiction de quitter le pays, puis fut de nouveau arrêté alors qu’il aurait tenté de fuir ; et Morad Tahbaz, spécialiste de l’environnement âgé de 67 ans, interpellé en 2018. Tous étaient accusés d’espionnage, ce qu’ils nient. L’identité des deux autres ex-captifs n’est pas connue. Peu après, le Qatar confirmait que les 6 milliards avaient été transférés de la banque centrale suisse vers Doha, un porte-parole de la banque centrale iranienne précisant que six comptes iraniens dans deux banques qatariennes avaient été activés pour recevoir 5 573 492 000 euros. Téhéran préférait des euros aux dollars. Mais il a encore fallu attendre plusieurs heures pour que la Maison-Blanche annonce que les ex-détenus américains et deux membres de leurs familles avaient décollé d’Iran, et pour que Joe Biden ait une conversation «pleine d’émotion» avec leurs familles. Comme par hasard, au même moment ou presque, le président iranien, Ebrahim Raissi, atterrissait aux États-Unis, où il participe, cette semaine, à l’Assemblée générale des Nations unies. Une volonté d’apaisement Dans la foulée, selon une chorégraphie savamment calibrée, on apprenait, de source iranienne, que deux des cinq prisonniers iraniens libérés par les États-Unis en contrepartie de ce deal étaient arrivés à Doha, où l’échange allait se faire. Chaque camp a donc pu annoncer la récupération de ses captifs. Reza Sarhangpour et Mehrdad Moin-Ansari retournent en Iran. Quant à Amin Hassanzadeh et Kaveh Afrasiabi, ils ont prévu de rester aux États-Unis. Et le dernier, Kambiz Attar-Kashani, d’aller dans un pays tiers où réside sa famille. La justice américaine les accusait d’avoir détourné les sanctions contre l’Iran. Confrontée à l’opposition des nombreux adversaires de ce Sébastien Falletti £@fallettiseb Correspondant en Asie ASIE Wang Yi a esquivé le sujet brûlant pendant les près de douze heures d’entretien qu’il a eues avec Jake Sullivan, à Malte, ce weekend, selon le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden. Le plus haut diplomate de la Chine communiste n’a offert aucun indice sur les causes de la « disparition » de son ministre de la Défense, Li Shangfu, lors de cette rencontre discrète visant à stabiliser les relations entre les deux premières puissances mondiales. Selon le Financial Times, les services de renseignements américains estiment que le général Li est visé par une enquête pour corruption. Ce fidèle du président Xi Jinping n’est plus apparu en public depuis le 29 août, lors d’un forum Chine-Afrique, à Pékin et a annulé un déplacement au Vietnam « pour raison de santé », prévu le 7 septembre. Depuis, le régime se mure dans le silence, fidèle à son culte du secret, pendant qu’enfle la rumeur d’une nouvelle mise au pas abrupte d’un personnage de haut rang, après celle du ministre des Affaires étrangères Qin Gang, pendant l’été. Le diplomate avait disparu des radars pendant un mois, avant d’être démis de ses fonctions d’un trait de plume, le 25 juillet, et Pékin n’a depuis offert aucune explication sur la cause de sa disgrâce. La chute de Li, si elle se confirme, marquerait un second revers de fortune d’un fidèle du président Xi, à l’orée de son troisième mandat, seulement quelques mois après leur nomination dans la foulée du Congrès de l’automne dernier, qui avait consacré la mainmise sans partage du dirigeant le plus centralisateur depuis Mao. Une brièveté inhabituelle dans ce régime obsédé par la stabilité, nourrissant l’hypothèse de tensions internes à l’appareil, sur fond de difficultés économiques grandissantes. Le dirigeant aurait même été tancé par les caciques du Parti lors de leur conclave estival à Beidaihe, avance le Nikkei sans présenter de sources tangibles. Un dossier scruté par la MaisonBlanche, qui guette les signes d’instabilité à Pékin, et tente de rétablir des canaux de communication avec le commandement chinois, pour prévenir un éventuel dérapage en Asie-Pacifique. Le général Li est la cible d’un nouveau coup de filet anticorruption au parfum de purge au sein de l’Armée populaire de libération (APL) visant huit hauts gradés, selon plusieurs sources. Fin juillet, le général Li Yuchao, commandant de l’unité des « fusées stratégiques », chapeautant les forces nucléaires du pays, ainsi que son adjoint Li Guangbin ont été remplacés, et seraient depuis sous enquête, accusés d’avoir accepté des pots-de-vin. Xi a rappelé à l’ordre ses troupes, lors d’une tournée des garnisons dans la province du Heilongjiang, le 8 septembre, exhortant « un haut niveau d’intégrité dans l’armée », préférant inspecter sa frontière nordest, plutôt que de participer au sommet du G20, à New Delhi, auprès des grands de ce monde. Une absence sans précédent remarquée, nourrissant les spéculations de tensions en interne exigeant sa présence. Les bouleversements de l’organigramme militaire confirment « qu’il existe des frictions entre Xi et des hauts personnages de l’appareil », juge Lee Dong Gyu, spécialiste à l’Asan Institute, à Séoul. Pour autant, « son pouvoir demeure sans rival » tempère le sinologue. Cette nouvelle purge signale les défis rencontrés par Xi dans sa volonté de contrôle absolu de la pléthorique APL, encore aiguillonnée par la rébellion du groupe Wagner, en Russie, pays partenaire et ancien « grand frère » soviétique. Si l’affaire ne remet pas en cause son rôle incontesté de chef des armées, à la tête de la toute-puissante Commission militaire centrale (CMC), l’APL étant soumise au Parti, elle trahit des frictions et les limites de la quête centralisatrice du « prince rouge ». « Ces troubles dans les hauts rangs militaires indiquent que la campagne anticorruption menée depuis une décennie n’a pas réussi à discipliner l’APL. Les pots-de-vin lors des appels d’offres sont monnaie courante. Cela ne remet pas en cause son autorité, mais Xi risque de douter de son commandement », juge Eurasia Group. Derrière la chasse aux pots-de-vin, pointe l’agacement devant un haut commandement arc-bouté sur ses prébendes, jaloux de ses prérogatives, ralentissant la modernisation de l’armée, avec Taïwan en ligne de mire. Des difficultés impactant la stratégie extérieure de la Chine, notamment en direction de Washington. Le président a été furieux d’apprendre bien trop tard de ses généraux l’existence d’un « ballon espion » de l’APL survolant le territoire américain fin janvier, rapporte le New York Times, citant les services de renseignements américains. L’aéronef sera finalement abattu par l’US Air Force, torpillant la fragile détente diplomatique lancée par Xi lors du sommet du G20, à Bali. Depuis, l’unité stratégique des « fusées » est dans le collimateur de Pékin. «Il faut adhérer sans relâche à un ton de rigueur » et réaffirmer la « discipline » a encore déclaré Xi le 26 juillet, lors d’une inspection de casernes dans l’ouest du pays. Une œuvre de longue haleine, lancée dès son premier mandat, marqué par la chute de plusieurs « tigres » galonnés, dont les généraux Xu Caihou et Guo Boxiong, tous les deux vice-présidents de la CCM. En 2016, Guo est condamné à la prison à perpétuité pour « corruption », sonnant la reprise en main de l’état-major, marquée également par une réorganisation des commandements régionaux. La mise à l’écart de Li, visé par des sanctions américaines pour sa coopération avec Moscou, pourrait, si elle se confirme, paradoxalement lever un obstacle à la reprise d’un timide dialogue avec le Pentagone. Pékin avait décliné une rencontre avec le secrétaire d’État à la Défense, Lloyd Austin, en juin lors du Shangri-La Dialogue de Singapour, exigeant au préalable la levée des sanctions américaines contre son ministre. Ce dialogue de sourds, malgré l’accumulation d’incidents entre marins et aviateurs des deux géants, nourrit dans les capitales de la région la crainte d’une erreur de calcul en cas de crise. Le mystère entourant le sort du ministre de la Défense chinois, après celui de son collègue des Affaires étrangères, épaissit encore le voile enveloppant la diplomatie de la seconde puissance mondiale, entrée dans une période de flottement. Il attise aussi l’anxiété d’une région Asie-Pacifique condamnée à scruter les contours d’ombres chinoises toujours plus fuyantes. ■ Troc calibré de prisonniers entre Washington et Téhéran «Ces troubles dans les hauts rangs militaires indiquent que la campagne anticorruption menée depuis une décennie n’a pas réussi à discipliner l’APL»eurasia group “Il existe des frictions entre Xi et des hauts personnages de l’appareil. Mais son pouvoir demeure sans rival ”Lee Dong Gyu, sinologue À L’Asan Institute, à SéouL le figaro mardi 19 septembre 2023 A 11International PROPOS RECUEILLIS PAR Renaud Girard rgirad@lefigaro.fr PROCHE-ORIENT L’homme politique sunnite venu du monde des affaires Najib Mikati est premier ministre du Liban depuis septembre 2021. Depuis le départ du président Michel Aoun en octobre 2022, il est le seul à assurer le gouvernement du pays. Il a accordé cet entretien exclusif au Figaro avant de se rendre à l’Assemblée générale des Nations unies. LE FIGARO.Dans quelle situation se trouve la nation libanaise, que vous gouvernez depuis juillet 2021? Najib MIKATI.Le Liban a connu un appauvrissement d’une dureté incroyable à l’issue de la crise financière de 2019. En 2011, quand je suis devenu premier ministre pour la seconde fois (jusqu’en 2014), le taux de pauvreté était de loin inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. Actuellement, nous avons 2 millions de personnes résidant sur le sol libanais qui sont dans une situation d’extrême pauvreté: 1 million de réfugiés syriens et 1 million de Libanais. Quand je parle d’extrême pauvreté, je parle de moins de 3 dollars par jour et par personne pour vivre, voire survivre! C’est une situation alarmante et déchirante. Que s’est-il passé exactement en 2019? Le gouvernement de l’époque a voulu introduire une taxe sur les communications téléphoniques, qui a provoqué de très vives manifestations. C’était la goutte qui a fait déborder le vase. Puis les émeutes dans la rue ont engendré des retraits massifs de devises auxquels les banques n’ont pas pu faire face, et le pays a fini par faire défaut sur sa dette. La livre libanaise a depuis perdu 98% de sa valeur. Pour les épargnants, cela représente une ruine que nous n’avions jamais connue dans notre histoire. Il y avait, au Liban, une classe moyenne supérieure qui vivait aisément, et des dépôts bancaires de plus de 130 milliards de dollars! Ces Libanais ont maintenant les plus grandes difficultés à assurer leurs fins de mois, même pour les produits de première nécessité. À cela s’ajoutent la fuite des cerveaux et le peu d’espoir que les jeunes ont dans l’avenir du pays. Qui est responsable de cet effondrement économique? Est-ce l’ancien gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé? On me demande souvent de désigner des responsables; pour moi, le principal responsable, c’est l’État, sans pour autant oublier la culture de la corruption, du gaspillage au sein de la fonction publique et le manque de réformes. Je vous donne un exemple: avant la crise, l’État a dépensé un total de 45 milliards de dollars de subventions sur l’électricité. C’était une attitude démagogique et irresponsable! Qu’en est-il de la situation actuelle? J’ai finalement réussi à faire adopter un projet de budget par le gouvernement, le 12 septembre dernier. Je tiens à préciser que c’est le premier depuis 2002 à avoir été présenté au Parlement dans les délais constitutionnels. J’appelle maintenant les députés à faire preuve de responsabilité en matière financière et à adopter ce budget. Dans tous les cas, une réforme profonde doit être amorcée. Que voulez-vous dire par «responsabilité»? Je vais vous donner un exemple qui illustre la situation: la discussion autour du «capital control» a débuté il y a quatre ans déjà. Ce n’est que le mois dernier que les députés ont été invités au Parlement afin d’adopter une loi de «contrôle des capitaux». Hélas, le quorum nécessaire de 65 députés n’a pas été atteint, alors qu’il s’agit d’un texte prioritaire pour améliorer la situation financière du Liban. Je suis désolé de voir presque tout le monde exiger des réformes mais, quand on les propose, peu sont au rendez-vous. Qui s’est opposé à vous? Le Hezbollah? Sur les questions de réformes économique et financière, le Hezbollah se montre favorable. Mais certaines factions de l’opposition avancent l’argument qu’il faut commencer par élire un président avant de voter les lois; à leurs yeux, le Parlement est un collège électoral qui n’est pas en mesure de légiférer dans cette situation. Je leur ai répondu de se mettre d’accord entre eux et d’en élire un rapidement! Nous ne pouvons plus retarder les réformes à cause de désaccords internes. En quoi ces réformes sont-elles importantes? Ces réformes sont cruciales. Car une fois que les lois seront votées et l’accord avec le FMI signé, la confiance envers le Liban reviendra graduellement, et le pays sera de nouveau une place financière. Le paquet d’aides de 11 milliards de dollars, négocié lors de la conférence du Cèdre à Paris, pourra être réactivé, rassurant les investisseurs afin qu’ils reconsidèrent les opportunités au Liban. Ils trouveront alors un pays où les entrepreneurs sont prêts à collaborer et ont déjà commencé à améliorer la situation. Le Liban a tous les moyens de sa résurrection, il ne tient qu’à sa classe politique de le permettre. L’État existe et pourrait parfaitement bien fonctionner : depuis le départ du président Aoun, j’ai signé pas moins de 1400 décrets! Un autre aspect rassurant reste que les Libanais – jeunes et moins jeunes – sont instruits, brillants et compétitifs à l’échelle nationale et internationale. Dans le monde entier, les Libanais réussissent extrêmement bien dans les affaires. Pourquoi ne parviennent-ils pas à créer un État qui fonctionne? Les Libanais sont fortement capables à titre individuel et ils ont le sens aigu du devoir et des valeurs, mais lorsqu’il s’agit de joindre leurs forces et talents dans le cadre d’une structure étatique performante, le défi devient plus grand. Cette semaine vous serez à New York, pour parler devant l’Assemblée générale des Nations unies. Quel sera votre message? Je demanderai à la communauté internationale et aux pays donateurs d’aider mon pays, sur plusieurs plans. Tout d’abord, je demanderai aux puissances mondiales d’user de leur influence pour convaincre les différents courants libanais d’élire enfin un président. Le président à venir, quel profil doit-il avoir? Un profil conforme à la Constitution. C’est-à-dire qu’il doit être accepté par tous les partis, se placer au-dessus de la mêlée et agir en arbitre. Mais aussi un président qui aurait une vision, du leadership et un esprit d’équipe, pour pouvoir œuvrer en étroite collaboration avec le gouvernement à la résolution des problèmes et à l’édification de la nation. Le Hezbollah soutenait la candidature de Sleiman Frangié, qui a été rejetée par les députés. Était-il un bon candidat selon vous, malgré sa proximité avec les régimes iranien et syrien? Je n’ai pas l’intention de m’immiscer dans l’élection présidentielle, mais il ne serait pas logique, voire raisonnable, d’élire un président qui antagoniserait le Hezbollah. Car il est l’un des principaux partis de la communauté chiite, qui représente presque un tiers de la population du pays. Le peuple libanais n’a pas de problème avec la dimension politique du Hezbollah. Par contre, leurs appareils paramilitaires et sécuritaires, associés à leur rôle régional, sont progressivement devenus un sujet de polarisation, voire de division, et une source de crainte pour de nombreux Libanais. Quel sera votre second message à destination de la communauté internationale? Je lui demanderai de nous soutenir face à la crise migratoire. Nous hébergeons déjà plus de 1 million de réfugiés syriens, et des centaines de migrants supplémentaires arrivent chaque jour au Liban et bouleversent l’équilibre économique, démographique et confessionnel du pays. Ils disent venir au Liban en transit vers l’Europe, il faut donc que l’Europe nous aide à traiter cette question avec le gouvernement syrien. L’accueil des migrants au Liban, fourni par le HautCommissariat des Nations unies aux réfugiés (l’UNHCR), a le défaut de constituer une incitation financière forte à l’immigration illégale, sans traiter le problème à la source. Il faudrait que l’UNHCR négocie directement avec les autorités syriennes. Les Européens ont tout intérêt à nous aider à traiter ce problème, au vu du fort accroissement du trafic d’êtres humains vers Chypre ou d’autres destinations. La menace d’une nouvelle invasion migratoire en Europe est réelle, ce qui entraîne également un impératif de sécurité. J’imagine que votre troisième message concerne la frontière du Liban avec Israël… Nous avons des différends territoriaux dans la délimitation de la frontière avec Israël. Nous avons besoin que les Nations unies nous aident à délimiter une frontière terrestre claire, comme nous avons réussi à le faire avec la frontière maritime. C’est dans l’intérêt des Nations unies de nous aider à résoudre ce problème, qui permettrait de renforcer la sécurité au Sud-Liban et de progressivement retirer les soldats de la Finul, à l’origine «intérimaire», mais en réalité présente depuis 1978. Mon troisième message concerne également l’aide requise de la communauté internationale et des pays donateurs pour pouvoir faire face à notre grave crise socio-économique et financière. Six États arabes ont déjà reconnu Israël, dont deux de ses voisins, l’Égypte et la Jordanie. Vous, qui êtes aussi un pays voisin, pourquoi ne le reconnaissez-vous pas? Une initiative de paix a été proposée à Israël en 2002 à Beyrouth par les pays arabes réunis. Si des négociations s’engagent sur cette base entre Israël et la Ligue arabe, nous serons ouverts à la discussion, sachant que le Liban a déjà un accord d’armistice avec Israël. Je suis un homme pragmatique et nous avons besoin de paix, de stabilité et de prospérité dans la région. Je serais prêt à considérer les initiatives de paix qui permettraient l’essor du Liban et préserveraient nos causes nobles et nos droits légitimes, dans le respect des résolutions du Conseil de sécurité, bien sûr. ■ Premier ministre du Liban depuis septembre 2021, Najib Mikati est le seul à assurer le gouvernement du pays depuis le départ du président Michel Aoun, le 31 octobre 2022. Karim Daher/Hans Lucas Najib Mikati : «Le Liban a tous les moyens de sa résurrection!» Le premier ministre espère obtenir de la classe politique de son pays les réformes favorisant l’aide du FMI. «Le peuple libanais n’a pas de problème avec la dimension politique du Hezbollah. Par contre, leurs appareils paramilitaires et sécuritaires, associés à leur rôle régional, sont progressivement devenus un sujet de polarisation, voire de division, et une source de crainte pour de nombreux Libanais.»Najib Mikati
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