PREMIÈRE n°545 - Page 1 - 545 PHOTODECOUVERTUREETINTÉRIEUR :photographeAudoinDesforges-assistant photographeThomasCecchelani-stylisteEvedeMareuil-productionNicolas/Pasco&co •ManonBreschstylisme:topGucci-coiffure:Kanysahair-KanySadio-maquillage: SamiraPikpo•AdèleExarchopoulosstylisme:pullÉricBompard-coiffure:Mathieu Laudrel-maquillage:AndreeaAli-manucure:RachelLevy•MélanieLaurentstylisme: pullComptoirdesCotonniersetpantalonValentineGauthier-coiffure:RudyMarmetmaquillage:ChristopheDanchaud-manucure:SophieEsnard•IsabelleAdjanistylisme: costumeAmi-coiffure:DelphineCourteille-maquillage:MargauxJalouzot Remerciementsparticuliers:AidaBelloulid,RadiaKerroumietCamilleMadelaine Pourjoindrelarédactioncomposerle017039suividun°depostedevotrecorrespondant RÉDACTION GAËL GOLHEN : Rédacteur en chef (53 90) – ggolhen@premiere.fr THIERRY CHEZE : Rédacteur en chef magazine (43 95) – tcheze@premiere.fr ÉDOUARD OROZCO : Rédacteur en chef adjoint numérique (5384) – eorozco@premiere.fr FRÉDÉRIC FOUBERT : Rédacteur (5389) – ffoubert@premiere.fr SYLVESTRE PICARD : Rédacteur (5394) – spicard@premiere.fr THOMAS BAUREZ : Rédacteur (43 90) – tbaurez@premiere.fr ÉLODIE BARDINET : Rédactrice – ebardinet@premiere.fr FRANÇOIS LÉGER : Rédacteur – fleger@premiere.fr CHARLES MARTIN : Rédacteur – cmartin@premiere.fr COLLABORATIONS DIRECTEURARTISTIQUE:ÉMILIEN GUILLON RÉDACTRICEGRAPHISTE:HÉLÈNE GIQUELLO PHOTO:NELLY MACHANEK 1RE SECRÉTAIREDERÉDACTION:ESTELLE RUET(5388)–eruet@premiere.fr SECRÉTAIRESDERÉDACTION:ISABELLE CALMETS,MARIANNE RAVEL TEXTES:ESTELLEAUBIN,BASTIENASSIÉ,JONATHANBLANCHET,GUILLAUMEBONNET, LUCIECHIQUER,FRANÇOISGRELET,YOHANHADDAD,DAMIENLEBLANC,PIERRE LUNN, DAVIDMARTINEZ,NICOLASMORENO,EMMAPOESY,THÉORIBETON,ROMAINTHORAL SITEINTERNET WALID CHARFEDDINE:Digitalmanager DIRECTION,ÉDITION REGINALD DE GUILLEBON:Directeurdelapublication LAURENT COTILLON:Directeurexécutif CHRISTINETURK:Directriceéditorialetdigital FRÉDÉRIC TEXIER ET RICCARDO MOLTENI:Responsablesfinanciers FANNYTITON:Comptable(CabinetCertus) FABRICATION CREATOPRINT-ISABELLE DUBUC–0671724316 /SUPPLÉANTE:SandrineBourgeois MARKETING CAROLINEPAQUET:Directricemarketingetabonnements–0170360998 caroline.paquet@lefilmfrancais.com PUBLICITÉ MEDIAOBS –44rueNotre-DamedesVictoires–75002Paris-Tél:0144889770 –Fax:0144889779–mailpnom@mediaobs.com.Pourjoindrepartéléphonevotre correspondant,composezle014488suivides4chiffresentreparenthèses DIRECTRICE GÉNÉRALE : CorinneRougé(9370) DIRECTRICE COMMERCIALE : SandrineKirchthaler(8922) DIRECTEUR DE PUBLICITÉ : ArnaudDepoisier(9752) DIRECTEUR DE PUBLICITÉ : RomainProvost(8927) BUSINESS MANAGER WEB : BaptisteMirande(8906) STUDIO : BruneProvost(8913) COMMANDEANCIENSNUMÉROS Tél.:0155567137 ABONNEMENT Tarifstandard1anFrancemétropolitaine:49,99€pour11parutions Tarifavechors-séries1anFrancemétropolitaine:64,99€pour11parutionsdunumérorégulier +3hors-séries.Tarifsautresdestinationssurdemandeauprèsduserviceabonnements. 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Fax:(514)355-3332.Prix:1an59,99$,USA.Prix:1an59,99$,Canada(TPSetTVQnon incluses).«Première»ISSN0399-3698,ispublishedmonthly(11timesperyear, exceptAugust)byPremièreSAS,c/oDistributionGrid,600MeadowlandsParkway,Unit14, Secaucus,NJ07094USAPeriodicalsPostagepaidatSecaucus,NJ.Postmaster: Sendaddresschangesto“Première”,c/oExpressMag,POBox2769, Plattsburgh,NY,12901-0239. VENTEDÉPOSITAIRE ISSN0399-3698.Tousdroitsdereproductiontextesetphotosréservéspourtouspayssous quelqueprocédéquecesoit.Commissionparitaire: n°0923K82451.ImpriméenItaliechezArtiGraficheBoccia-84131Salerno. Dépôtlégal:novembre 2023.DistributionMLP. DIFFUSION Venteaunuméro(réservéauxmarchandsdejournaux): DESTINATIONMEDIA–tél:0156821206etreseau@destinationmedia.fr ADRESSE 241,boulevardPereire,75017Paris IMPRIMÉPARARTIGRAFICHEBOCCIASPA-SALERNO Cemagazineestéditépar:PremièreMédiaSARL, aucapitalde10000€,241,boulevardPereire, 75017Paris,RCSParis820201689. Papier:origineAllemagne, tauxdefibresrecyclées:100%, certification:PEFC100%, eutrophisation:Ptot0,003kg/tonne. Avec lesoutiendu Édito À « CARE » JOIE u créeras dans la douleur. » On ne parle pas des bouclages de ce magazine, qui se font chaque mois dans l’euphorie et un calme olympien (n’est-ce pas?), mais des films. On a grandi avec l’idée qu’il fallait souffrir pour créer, que chaque œuvre n’est que le produit d’un long cheminement semé d’embûches, un chemin de croix d’où jaillit l’art pur. Conséquence (quasiment) logique, il faut faire souffrir pour créer. Les exemples célèbres de domination et de violence sur les plateaux pullulent. Hitchcock, Bertolucci sur Le Dernier Tango à Paris ou Kubrick sur Shining… la liste est longue et fait froid dans le dos. Mais, la société évoluant, ce fantasme est en train d’être renversé. Et ce ne sont pas les quatre actrices en couverture qui nous diront le contraire. Dans l’entretien qu’Isabelle Adjani, Mélanie Laurent, Adèle Exarchopoulos et Manon Bresch nous accordent en exclusivité, certaines avouent avoir eu leur lot de situations tendues, de cinéastes autoritaires et tyranniques. Voleuses est (en partie) né de l’envie de faire du cinéma sans rapport conflictuel, en harmonie. Dans la bienveillance. Il faut évidemment veiller à ne pas tomber dans la tiédeur où tout se vaudrait et où la gentillesse deviendrait l’alpha et l’oméga de la création artistique. On a aussi besoin de regarder le Mal dans les yeux, ce qui ne peut se faire qu’au prix d’une (relative) mise en danger. Mais dans le contexte actuel, un peu de respect, d’égard, de care, ne fera jamais de mal. GAËL GOLHEN RÉDACTEUR EN CHEF t « Novembre 2023 3 INFORMATIONS ET COMMANDES : 01 55 17 16 16 elephant1@wanadoo.fr / www.elephantfilms.com NOUVELLES RESTAURATIONS HAUTE-DÉFINITION EN COMBO BLU-RAY + DVD & DVD COLLECTOR En suppléments exclusifs : Présentation des films par des spécialistes (Caroline Vié, Julien Comelli...), Documents d’époque, Bandes-annonces, Jaquettes réversibles... GHOULIES LA CHASSE EST TOUTE VERTE ! BMX BANDITS “L’ÉQUIVALENT AUSTRALIEN DES GOONIES” QUENTIN TARANTINO ÉGALEMENT DISPONIBLES ÉGALEMENT DISPONIBLES ÉGALEMENT DISPONIBLES ÉGALEMENT DISPONIBLES Sommaire N ° 5 4 5 – N O V E M B R E 2 0 2 3 26 62 42 38 46 54 36 58 34 50 06 LESNEWS 26 ENCOUVERTUREVoleuses de Mélanie Laurent 34 PORTRAITBenjamin Lavernhe 36 PORTRAITStéphane Caillard 38 RENCONTREMona Achache 42 FOCUSHunger Games : La Ballade du serpent et de l’oiseau chanteur 46 FOCUSLe Garçon et le Héron 50 INTERVIEWTrân Anh Hùng 54 RENCONTREMonia Chokri 58 FOCUSLa Chute de la maison Usher 62 CLASSICS Les suites de Psychose 69 SOMMAIRECRITIQUES 70 ENSALLES 86 STREAMING/VOD/DVD 88 SÉRIES 92 CLASSICS 97 AGENDA 98 LEFILMQUI…Eye Haïdara Novembre 2023 4 Novembre 2023 6 NEWS N etflix poursuit son OPA autour des gros bras 80s : quelques semaines après le panégyrique sur Schwarzenegger, voici celui sur Stallone. Mais alors que le documentaire sur l’Autrichien faisait partie de la stratégie promo bâtie autour de sa série Fubar, Sly n’a, semble-t-il, rien d’autre à vendre sur la plateforme que lui-même. L’homme, le mythe, quoi. Le docu prend place alors que la star décide de déménager de son palais californien rempli de colonnes romaines (encore un qui doit penser quotidiennement à ce bon vieil Empire). Le contexte permet subtilement d’entrecouper ses vieux souvenirs déclamés face caméra par des plans d’ouvriers empaquetant une statue de Rocky dans du carton bulle et en la déplaçant à l’horizontale vers un gros camion. Tout cela serait-il furieusement testamentaire? On a l’air de se moquer mais au fond, c’est très touchant (plus touchant que sa récente real TV où il joue au papa poule). Et ce encore plus dans un contexte où Expendables 4 est l’un des pires bides de l’année et son probable dernier blockbuster. Comme à son habitude, Stallone met de l’intensité et du mélodrame partout : lorsqu’il raconte ses années de galère ou la manière dont il a détruit son corps, mais aussi lorsqu’il évoque l’écriture du navet FM Rocky 3 (« Tout le monde me disait que c’était ridicule, mais je savais que je ne devais écouter que moi-même »). Des monologues « over the top » évidemment déclamés avec l’habituelle voix d’outretombe et l’œil triste, qui font de ce tout petit objet un beau moment d’émotion stallonienne. u STALLONEEST-IL UNE DRAMA QUEEN? © 2023 NETFLIX, INC. PAGE 8 L’INSIDER DU MOIS PAGE 10 COURANTS ALTERNATIFS PAGE 12 INTERVIEW EXPRESS PAGE 14 TOP 10 PAGE 16 IMPORT TROP LOIN PAGE 18 MICROCLIMAT PAGE 20 CARTOGRAPHIE PAGE 22 INTERVIEW EXPRESS PAGE 24 ZONE INTERDITE Alors que son Expendables4 se joue dans des salles vides, Sly se fait tirer le portrait pour un docu Netflix rempli d’anecdotes qu’il a passé sa vie à raconter. Et évidemment, c’est bouleversant.u PAR ROMAIN THORAL EXPENDABLES 4 De Scott Waugh • Ensallesactuellement (peut-être) SLY : STALLONE PAR STALLONE De Thom Zimny • Documentaire • Sur Netflix Novembre 2023 6 NANNIMORETTIDOMENICOPROCACCIRAICINEMA PRÉSENTENT LE 15 NOVEMBRE EN DVD ET BLU-RAY © MICHAEL BUCKNER/DEADLINE/PENSKE MEDIA VIA GETTY IMAGES 8 Novembre 2023 Après avoir déposé plainte contre Harvey Weinstein au début du mois d’octobre, l’actrice Julia Ormond a également décidé de poursuivre ses anciens agents pour l’avoir conseillée « activement » de se taire après le viol qu’elle venait de subir. Une première. Et un probable futur séisme.◆ PARROMAIN THORAL I l y a de fortes chances pour que le nom de Julia Ormond ne dise rien à nos plus jeunes lecteurs. Et les plus vieux auront sans doute besoin, comme souvent, qu’on leur rafraîchisse la mémoire. La dame était au début des années 90 l’une des plus grandes promesses du cinéma britannique. Une série BBC qui vira au phénomène médiatique (Traffik, remaké plus tard par Soderbergh) et un Peter Greenaway qui fit scandale à Cannes (The Baby of Mâcon) furent sa rampe de lancement vers Hollywood. À 28 ans, elle enchaînait les premiers rôles féminins dans de grosses productions remplies de stars (Légendes d’automne avec Brad Pitt, Lancelot, le premier chevalier avec Richard Gere et Sabrina avec Harrison Ford) qui rapportèrent pas mal de sous, puis sa carrière s’arrêta net. Le 4 octobre dernier, Julia Ormond a porté plainte contre Harvey Weinstein pour agression sexuelle, elle affirme que le producteur l’aurait violée en 1995. Comme d’autres actrices de l’époque (Mira Sorvino, Ashley Judd…), Ormond a vu sa carrière se briser après avoir menacé de traîner en justice le big boss de Miramax, ce qu’elle a finalement réussi à faire… trente ans plus tard. L’histoire pourrait sembler tristement classique si Julia Ormond n’avait pas doublé sa plainte contre Weinstein d’une autre contre CAA, c’est-à-dire ni plus ni moins que la plus grande agence de talents hollywoodienne des quarante dernières années – rachetée en septembre dernier par le milliardaire français FrancoisHenri Pinault. C’est le journaliste Matthew Belloni sur l’excellent site Puck qui a dévoilé récemment cette affaire, et elle pourrait bien ébranler Hollywood, mettant à jour derrière la figure ogresque de Weinstein les arcanes d’un système plus anonyme et tout aussi dangereux. La chute de la maison CAA La plainte d’Ormond concerne Bryan Lourd et Kevin Huvane, aujourd’hui à la tête de CAA. À l’époque des faits, ils étaient parmi les agents les plus réclamés de Hollywood, et l’actrice britannique, leur cliente. La plainte affirme qu’elle les aurait informés immédiatement de l’agression qu’elle venait de subir et que l’un comme l’autre l’auraient dissuadée de faire quoi que ce soit. D’après les documents envoyés à la justice, leurs arguments auraient été les suivants : si leur cliente informait la police, elle prenait non seulement le risque de ne pas être crue mais aussi de déclencher la colère de Weinstein. Ils auraient ensuite insisté sur le fait qu’une plainte pour agression ne rapporterait à l’actrice que guère plus de 100000 dollars, et qu’elle devait donc se demander si une telle somme valait la peine, compte tenu de l’argent qu’elle gagnait dans l’industrie du cinéma. Enfin, ils auraient averti Julia Ormond qu’elle ne devait parler à personne de ce que le producteur venait de lui faire subir, car il la poursuivrait en justice pour diffamation. L’ironie étant que, malgré son silence, sa carrière a malgré tout été sabotée par Weinstein… Voilà pour les accusations de complicité, que l’agence nie évidemment en bloc, et pour lesquelles l’actrice réclame 15 millions de dollars de dommages et intérêts. Suffiront-elles pour qu’un procès ait lieu? C’est apparemment peu probable, mais alors que la grève des acteurs a mis l’industrie au ralenti, la décision d’Ormond, qui est la première à s’attaquer officiellement au pouvoir de nuisance des agents durant l’ère Weinstein, fait parler. Elle pourrait annoncer, si ce n’est la chute de la maison CAA, une grande remise en question du métier. Comment des figures importantes du mouvement #MeToo, comme Charlize Theron ou Scarlett Johansson, pourront être représentées par l’agence sans avoir à s’en expliquer très vite? Un mouvement semble s’amorcer : d’ici peu, tous les jeunes lecteurs de Première devraient connaître le nom de Julia Ormond. ◆ L’INSIDER DU MOIS ELLE VA (RE)METTRE HOLLYWOOD À SES PIEDS La revanche de Julia 16 - 23 DÉCEMBRE 2023 15ÈME ÉDITION © Photo - Pidz INFORMATIONS/INSCRIPTIONS LESARCS-FILMFEST.COM #LESARCSFILMFEST © DR Exhumation d’un court inédit d’Agnès Varda autour d’une déambulation new-yorkaise aux côtés d’une icône italienne. À regarder en ligne avant de filer à l’expo que lui consacre la Cinémathèque. u PAR THOMAS BAUREZ Lesombresduguerrier Le Toshiru Mifune de Sanjuro peut-il vraiment devenir le héros de l’adaptation d’Onimusha? Et peut-on rêver un jour de le voir croiser Jean Reno? Des questions importantes dont seul Takashi Miike possède les réponses.u PARSYLVESTREPICARD T andis que la guerre fait toujours rage autour des IA et de leur application dans l’art (récemment, un Tom Hanks numérique faisait la pub pour des mutuelles dentaires), l’animation peutelle faire joujou avec l’image des stars d’antan? Ce mois-ci, Takashi Miike, stakhanoviste du cinoche d’exploitation nippon, coréalise ainsi la série animée Netflix Onimusha. Une adaptation de jeux vidéo Capcom (neuf titres depuis 2001) mettant en scène un guerrier japonais qui avait le visage de Takeshi Kaneshiro (acteur vu chez Wong Kar-Wai dans les années 90 et chez John Woo plus récemment). Dans la série en 8 épisodes de Takashi Miike et Shin’ya Sugai, le héros ressemble cette fois au plus célèbre des comédiens japonais, Toshiro Mifune, et porte le patronyme de Miyamoto Musashi (un sabreur mythique du XVIe siècle). Mais attention, le Mifune en animation n’a pas la tête du Musashi que l’acteur avait interprété dans la trilogie de Hiroshi Inagaki datant des années 50. Il possède ici les traits, autrement plus connus et identifiables pour le grand public, de Sanjuro, ronin culte de la doublette Yojimbo/ Sanjuro signée Akira Kurosawa. Le geste artistique se situe donc entre la récupération commerciale d’acteurs trop morts ou trop vieux (comme le fait une bonne partie de la production Star Wars actuelle), et l’appropriation par Takashi Miike de la mythologie du film de sabre japonais (à la manière de son magistral 13 Assassins, qui cherchait à « épuiser » le chambara). Un truc rigolo en passant : on peut, dans le jeu Onimusha 3 : Demon Siege (2004), jouer aussi un flic français nommé Jacques Blanc, qui a le visage de notre Jean Reno national. Léon animé par Miike, ça pourrait arriver dans la saison 2 d’Onimusha… u U n carton noir exhibe d’abord l’alléchante « marchandise » : Pier Paolo Pasolini – Agnès Varda – New York – 1967. Bientôt la rythmique soul-rock du Changeling des Doors électrise un cadre agité façon docu underground… Ce très court métrage de quatre minutes tourné par Varda à même le bitume de la grouillante 42nd Street, croupissait dans des cartons de la rue Daguerre, l’antre parisien de la cinéaste. L’auteure de Cléo de 5 à 7, décédée en 2019, a laissé ses enfants – Rosalie et Mathieu – le soin de ranger la maison et d’en exhumer ses ONIMUSHA Réalisée par Takashi Miike & Shin’ya Sugai • Sur Netflix à partir du 2 novembre Novembre 2023 10 Novembre 2023 10 Vardaetla GrossePomme L’ACTU HORS SALLES MÉRIT COUR ANTS © DR Après Killers of the Flower Moon, le nouveau bouquin de David Grann ferait (encore) un bon film de Scorsese. Get a room, Messieurs ?u PARGAËL GOLHEN A lors que la sortie salle de Killers of the Flower Moon approchait (le film est l’adaptation de son roman La Note américaine), David Grann faisait la tournée des grands-ducs avec son nouveau livre, Les Naufragés du Wager. Une aventure maritime qui débute sur la constitution d’une escadre prête à partir à la chasse au galion espagnol, puis enchaîne avec la traversée de l’Atlantique jusqu’au Cap Horn. Là, c’est le drame. L’hiver austral broie les vaisseaux. Quelques mois plus tard, des survivants réapparaissent et s’installent sur une île en face du Chili. Trois groupes de naufragés s’affrontent. Et tout devient flou : mutinerie? Cannibalisme? Meurtre? Lors de leur retour en Angleterre, face à l’Amirauté, chacun racontera sa version des faits pour sauver sa peau. Si on vous en parle ici, c’est d’abord parce que la puissance cinématique de Grann transpire à chaque page. Tous les segments du livre feraient un film génial. Le début a un potentiel Master and Commander ; le passage sur l’île avec les survivants qui s’affrontent évoque Sa Majesté des mouches, tandis que le temps du procès, qui donne sa véritable profondeur au roman et ses échos les plus contemporains, pourrait être un procedural fabuleux. Forcément, ça n’a pas loupé. Au moment de sa sortie française, on annonçait que Scorsese avait acheté les droits du livre. On voit bien pourquoi : le cinéaste de Silence ou du Temps de l’innocence est le type idéal pour interroger l’héroïsme de certains personnages ou la folie orgueilleuse du capitaine Cheap (super rôle pour DiCaprio), poser les questions sur le divin et mettre en scène la parabole biblique, la violence fratricide ou le péché colonial. On ne sait pas encore si l’option était juste un coup marketing pour booster la sortie conjointe de Killers... et du roman, mais franchement, vous n’avez pas envie de voir ça tout de suite? u trésors. Et donc ces deux boîtes de pellicule 16 mm, aujourd’hui restaurées en 2K, sur lesquelles s’affichaient les noms de la Big Apple et du futur auteur de Salò. Il y avait aussi une bande-son à « coller dessus », échange réalisé à postériori entre Varda et Pasolini. Intervieweuse et interviewé. Des questions aussi vastes que le temps est court : « C’est quoi la différence entre la réalité et la fiction? » ; « Tu as dit l’autre jour que tu étais un marxiste qui avait la nostalgie de la foi… » ; « Pourquoi utilises-tu dans tes films autant d’images de la religion chrétienne? » Pasolini, magnétique en diable, lunettes noires, cheveux de jais, chemise rayée, beau comme un italo-dandy en vadrouille, reste muet à l’image. Il répond off, dans un français perfetto. Pensée fulgurante et limpide. La malicieuse Varda conclut : « Sur ce plan flou, ciao Pier Paolo Pasolini! » Fondu au noir. Jim Morrison again : « I live uptown, I live downtown, I live all around… » Une perle. u LES NAUFRAGÉS DU WAGER DeDavid Grann (Les Éditions du sous-sol) PIER PAOLO PASOLINI – AGNÈS VARDA – NEW YORK – 1967 DeAgnès Varda •Sur la plateforme HENRI de la Cinémathèque française VIVA VARDA ! À la Cinémathèque française jusqu’au 28/01/24 Enavantsoute © DR Novembre 2023 11 TE AUSSI VOTRE ATTENTION ALTERNATIFS TE AUSSI VOTRE ATTENTION ALTERNATIFS © PHILIPPE QUAISSE/PASCO&CO INTERVIE W E XPRE SS LES PLUS COURTES SONT-ELLES FORCÉMENT LES MEILLEURES? 12 Novembre 2023 que ces films s’adressaient à des gens comme vous, qui connaissaient forcément sa musique et qui en savaient plus que moi. Pas besoin d’expliquer quoi que ce soit, pas besoin de mettre du contexte. Par un enchaînement de circonstances, on m’a proposé de les sortir en dehors de ses concerts. J’étais farouchement contre au début, jusqu’à ce que je me rende compte que l’énergie de John, sa joie, son intelligence séduisaient des spectateurs en dehors du cercle zornien. Je crois que c’est partageable, même si je ne vais pas faire des millions d’entrées! Vous aviez des références de films documentaires? Tout s’est fait dans l’instant et à l’instinct… Mais évidemment, je mets les documentaires d’André Labarthe tout en haut. Et puis, rien à voir, mais il se trouve que j’ai vu The Beatles : Get Back pendant le montage de Zorn III et ça m’a totalement décomplexé sur la durée. Je n’avais plus peur d’étendre certaines scènes, comme la séquence de la répétition qui dure plus d’une demi-heure. En regardant le film, je me suis dit que Zorn était aussi un personnage de fiction. John,pourmoi,c’estJoeGideondansAllThat Jazz. Un personnage à la fois flamboyant, exigeant et très drôle aussi. Mais pour Barbara [Hannigan, la cantatrice au cœur de Zorn III], je pensais à Rocky Balboa. Parce que tout l’enjeu du film ,au fond, c’est de savoir si elle va réussir à chanter la partition. C’est pas mal ça, non? John Zorn : Entre Rocky et Que le spectacle commence! u MathieuAmalric Ah, vous êtes zornien vous aussi? Mathieu Amalric signe trois documentaires bruts et fascinants sur John Zorn, pape du jazz d’avant-garde. Rencontre aussi brutiste que raffinée.u PAR GAËL GOLHEN PREMIÈRE : Quand j’ai lancé le premier de vos trois films dans mon salon, ma femme et mes enfants m’ont immédiatement supplié d’arrêter « cette musique du diable »… MATHIEU AMALRIC : « Musique du diable »! C’est bien, ça… Ça plairait beaucoup à John. Il le revendique d’ailleurs : il est passionné par Aleister Crawley, le mysticisme, les Cathares et le spiritisme magique. Votre femme et vos enfants n’ont pas complètement tort. Mais vous avez tenu, vous, devant cette « musique du diable »? Oui, oui, je l’écoute depuis longtemps, en fait. D’où l’envie de voir vos trois documentaires… Ah, vous êtes un zornien, alors… Mais vous savez, à l’origine, je ne voulais pas qu’on sorte ces films en salles. Tout a commencé il y a un peu plus de dix ans. John m’a demandé de reprendre un film de commande à son sujet un peu à la volée. Et puis le projet est tombé à l’eau. Il aurait fallu que je monte un dossier de financement, que j’explique le projet. Mais c’est impossible de résumer la musique de John. Pour autant, notre amitié grandissant, il m’a proposé de continuer de le filmer. Comme ça, de manière très simple. J’étais là, avec ma petite caméra, tout seul, dans les coulisses, pendant les répétitions, les concerts, les voyages… partout. Et je filmais. Et puis, un jour, il m’a demandé si j’accepterais de projeter les films pendant ses concerts, entre deux sets. Mais comment le projet a-t-il pu devenir aussi tentaculaire? (IlimiteZorn.)«Whataboutafilm?Between the music! Think of it. » Et puis : « What about a second one? » Et puis, un peu plus tard : « Mon frère, in Hamburg march 2022, there could be a third! » Tout ça pour dire ZORN I, ZORN II & ZORN III De Mathieu Amalric • Documentaire • Durée 0h54, 0h59 et 1h18• Critique page 76 PHOTO © JOSS BARRATT AU CINÉMA LE 25 OCTOBRE
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