ARGUMENT n°12 - Page 4 - 12 4 | Argument Sommaire David Bartholoméo 58 6 Vassiliki Koukou 18 Davide Puma 30 Maria Laura Perilli Albane de Labarthe 46 32 Julia A. Etedi Argument | 5 150 Liste des œuvres 86 Patricia Perello 68 Bao Vuong 96 Andrea Britto 120 Marie Gueydon de Dives 142 Vanessa Ohl 6 | Argument 1 Portrait de l'artiste, 2024 → Vassiliki peint des mondes à son image, pleins de vie, de couleurs, et de fantaisie. Elle y intègre des personnages aux identités composites et se projette dans ces univers grâce à des avatars. Ces projections sont des portes vers des contrées fantastiques et paisibles, dont les réminiscences investissent la réalité. S’ajoute à la peinture, la fabrication de bijoux, autant d’indices nous démontrant que ces mondes mythiques existent, et restent peut-être à notre portée. Quant à ses sculptures, elles sont élaborées comme des talismans ou des jouets, ramenant les spectateurs en enfance. Depuis sa sortie de l’école en 2019, elle participe à de nombreuses expositions de groupe et a pu organiser en 2024 ses deux premières expositions individuelles : « Where Flowers Are Singing » dans la galerie Zoumboulakis et « Leafscapes of the Unseen » au musée d’histoire naturelle Goulandris. Elle représente cette nouvelle vague d'artistes athéniens, hyperactifs aux multiples casquettes, engagés socialement, dont l’impact ne cesse de se ressentir dans cette ville en pleine mutation. Vassiliki Koukou Alexandre Ortiz Herviaz 8 | Argument 3 That Eclipse Night, Bright Fungi Popped out of the Ground and the Sound of the Leaf Creature Came too My Ears, crayons de couleur et encre sur papier, 35 x 25 cm, 2023 4 Trying to Catch the Lotus Flower, crayons de couleur et encre sur papier, 35 x 25 cm, 2023 → Vassiliki Koukou Au regard de vos créations, vous m’apparaissez comme une artiste totale. Des interconnexions existent dans vos œuvres entre la réalité et votre univers fantastique. Comment le construisez-vous ? Je le construis à partir de mes souvenirs d’enfance. J’ai des réminiscences très vives des moments passés à jouer avec ma mère, au sol, avec des jouets, à inventer des mondes imaginaires et des créatures bizarres. Ces créatures ressemblent parfois aux dessins animés que je regardais plus jeune. J’étais très souvent devant la télévision et j’adorais les dessins animés comme les Pokémon ou les Digimon. Ce qui me fascinait, c’était surtout la transformation des créatures. Chacune d’entre elles avait des caractéristiques qui apparaissaient en grandissant. Dans la nature, il est possible de retrouver ce type de métamorphose un peu partout, l’exemple le plus flagrant étant la chenille se transformant en papillon. Il est dit qu’au moment de sortir du cocon, le papillon se souvient d’avoir été une chenille. Ces métamorphoses sont également visibles avec des fleurs qui changent de couleurs en fonction des saisons. Je peux aussi dire que j’adore l’espace, les étoiles, les planètes. J’ai d’ailleurs visité l’observatoire quelques semaines auparavant, ce qui m’a fascinée. L’idée que mère nature donne naissance à toute cette diversité m’inspire énormément. Cet univers est-il une protection contre la vie d’adulte ? Selon moi, l’art consiste à ne jamais grandir. J’estime avoir une certaine maturité, mais je conserve un enfant en moi, plein d’énergie, d’enthousiasme et de spontanéité. J’essaie de réprimer ces traits de caractère parfois. Je pense que nous sommes ce que nous pensons être. Si j’ai le sentiment d’avoir 80 ans, j’aurai 80 ans. Parfois, la vision d’un enfant de 10 ans sera bien plus sophistiquée ou mature que celle d’une personne de 16 ans. En voyant vos créations, j’ai la sensation que vous essayez d’y faire figurer des créatures féminines, d’autres masculines et certaines non genrées. Le spectre de lecture est très large. Comment l’envisagez-vous ? Mes créatures n’ont pas de genre. J’estime que chaque personne possède en soi une partie féminine et une partie masculine, mais aussi quelque chose d’indéfinissable, entre les deux, un peu magique. Je veux que mes créatures soient elles-mêmes neutres, et heureuses dans le monde que j’ai inventé pour elles. Je leur donne naissance et les laisse vivre dans cet univers écoféministe. 2 World Map, crayons de couleur et encre sur papier, 32 x 57 cm, 2024 → Argument | 9 10 | Argument ↑ 5 Daffodil a Windy Day, acrylique sur toile, 80 x 80 cm, 2024 Vassiliki Koukou Pourriez-vous m’en dire plus sur vos références ? Certains de vos tableaux m’ont immédiatement fait penser à la mythologie nordique et sont représentés dans le film Midsommar. Mais les éléments dont vous vous inspirez ne s’arrêtent pas là, ils sont multiples. Vous catalysez de nombreuses représentations. J’adore l’animation japonaise, mais aussi les bibles romanes avec tous leurs détails et les lettrines utilisées pour orner les textes. Je lis beaucoup à propos de la mythologie. D’ailleurs, mon dernier voyage était au Caire. J’ai pu y visiter le Grand Musée égyptien dont l’ouverture vient tout juste d’avoir lieu. La culture égyptienne m’inspire beaucoup. Cette culture donne une grande place à la magie et au symbolisme, les dieux y sont très présents. Je suis admirative de tout cela. Bien évidemment, je puise aussi dans des éléments de la mythologie grecque. Certains mythes m’ont inspirée pour la confection de céramiques. Je les appelle la Blooming Family. Elles sont composées de bleu, de blanc, de noir et du marron de la glaise. Elles se fondent sur le mythe de Zagréus, fils de Perséphone et de Zeus. Lorsque Héra, femme de Zeus, entend parler de l’existence de Zagréus, sa colère est sans limite. Elle essaie donc de le tuer et envoie les Titans à sa poursuite. Ces derniers tentent de le piéger en lui offrant des jouets parmi lesquels se trouve un miroir. S’en saisissant, Zagréus réussit à voir les Titans s’approcher de lui. Pour fuir, il change d’apparence et se transforme en lion, en aigle, en cheval. Toutes ces métamorphoses m’intéressent infiniment. Les créatures que j’imagine ont des caractéristiques provenant d’animaux, de plantes. J’y mélange toutes ces composantes : plantes, animaux, jouets. D’une certaine manière, ce sont mes gardiens. D’ailleurs, je figure dans ce monde fantastique, j’y ai créé mon avatar. Il est possible de le retrouver un peu partout. Je me représente avec des cornes pour me protéger, j’y évoque aussi un compagnon qui me suit en tout lieu, mon meilleur ami ou mon amoureux, quelqu’un que j’ai envie d’avoir à côté de moi. Je raconte ma vie dans ces tableaux. Argument | 11 6 Ambrosia Potion, acrylique sur toile, 80 x 80 cm, 2023 7 Listening to Plantasia, acrylique sur toile, 100 x 100 cm, 2024 ↓ 12 | Argument Pourriez-vous m’en dire plus sur votre parcours ? Mes deux parents sont peintres. J’ai grandi dans un environnement très créatif où l’art est prépondérant. D’abord, je voulais être fashion designer, mais en commençant à peindre, j’ai pris goût à cette manière de créer. Je ne voulais pas devenir ce que mes parents étaient, mais j’ai tellement aimé cela que je n’ai pas pu résister. J’ai donc entamé mes études aux Beaux-Arts d’Athènes. Elles ont duré cinq ans, puis j’ai entamé mon travail en tant que professeure d’art. De cette manière, j’ai pu créer des programmes éducatifs dans les musées puis j’ai étudié l’artthérapie destinée aux personnes atteintes de maladies mentales. Quand j’ai obtenu mon diplôme, je voulais vraiment trouver une galerie pour présenter mes œuvres. Je me sentais prête. J’ai donc participé à de nombreuses expositions de groupe. Cette année, j’ai pu organiser deux manifestations importantes pour moi. L’exposition dans la galerie Zoumboulakis a pour titre « Where Flower Are Singing ». Celle au musée Goulandris se nomme « Leafscapes of the Unseen ». Les deux ont le même thème. Il s’agit d’un zoom sur la nature et la possibilité d’une vie harmonieuse. ↑ 8 When Tulips Are Dancing, We Will Find the Key to Parnassia, acrylique sur toile, 160 x 90 cm, 2024 Vassiliki Koukou ← 9 Gloriosa Superba Nails, acrylique sur toile, 40 x 40 cm, 2024 10 I Found My Inner Peace Inside an Iris, acrylique sur toile, 190 x 190 cm, 2024 Argument | 13 14 | Argument Vassiliki Koukou 11 When Flowers Are Singing, We Are Together, crayons de couleur et encre sur papier, 35 x 25 cm, 2023 → Vous avez de nombreuses casquettes. Comment naviguez-vous entre ces différentes pratiques ? J’aime la peinture, je ne peux pas vivre sans. Mais je m’autorise à explorer d’autres domaines. Par exemple, je confectionne des modelages à partir de glaise. En regardant les dessins animés, enfant, j’ai toujours voulu être amie avec les êtres représentés. À l’époque, les peluches me permettaient de les matérialiser. Je les avais toutes surtout les Pokémon. J’ai conservé ce fantasme d’être accompagnée par les créatures que je peins en grandissant, les avoir en 3D, pour leur faire des câlins, les sentir. Je les ai donc fabriquées. Un autre domaine que j’explore est la création de bijoux. Enfant, je me souviens que ma mère m’avait acheté des cristaux et j’avais eu un désir très fort d’en faire des formes pour confectionner un collier. Maintenant, je réalise mes pièces avec de l’argent, des colliers, des boucles d’oreille, des bagues. Elles sont toutes inspirées de mes peintures. Tout est connecté. Ce sont mes créatures, mes fleurs, mes baguettes magiques, mes potions. Ce sont des talismans, qui me protègent. En Grèce, nous utilisons des tamata, en guise d’offrande lors des prières. Il s’agit de petites plaques de métal ornées. D’une certaine manière, le monde
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