TÉLÉRAMA n°3938 - Page 4 - 3938 Gamme Lexus LBX : consommations mixtes combinées (L/100 km) et émissions de CO2 combinées (g/km) selon norme WLTP : de 4,5 à 4,8 L/100 et de 102 à 110 g/km. *Vivez l’exceptionnel. A C D E F G B 103g CO2/km LBX L'EXCEPTIONNEL COMME STANDARD Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo. Pensez à covoiturer. Au quotidien, prenez les transports en commun. #SeDéplacerMoinsPolluer 3 Télérama 3938 02/07/25 PREMIER PLAN LAURA BRETT/ZUMA PRESS WIRE C’est l’homme de tous les contrastes, l’incarnation de la mosaïque culturelle qui définit New York et la société américaine. Mais c’est aussi le visage d’un apaisement bienvenu : celui des tensions délétères qui minent la Grosse Pomme et la gauche américaine. Zohran Mamdani vient de remporter les primaires démocrates organisées en vue de l’élection municipale à New York en novembre prochaincontreuncacique duparti, AndrewCuomo. Ilest d’origine indienne — sa mère est la réalisatrice Mira Nair —, musulman et… socialiste. Un «trois-en-un» décomplexé, antithèse assumée de la culture identitaire qui sévit à droite comme à gauche, et qui lui a permis d’embrasser large dans l’électorat. Le jeune impétrant de 33 ans a par exemple bâti sa campagne sur la promesse de rendre de nouveau abordable une ville où l’expresso coûte 5 euros… mais c’est la mobilisation des classes moyennes des quartiers «gentrifiés», des classes aisées de Manhattan et de Brooklyn et des électeurs d’origine asiatique qui lui ont permis de l’emporter. Les Noirs et les plus démunis lui ont préféré son adversaire. De même, musulman pratiquant et critique acerbe de la politique d’Israël, n’hésitant pas à prononcer le mot «génocide» à propos de Gaza et à clamer son droit à se dire antisioniste sans se voir accusé d’antisémitisme, Zohran l’intrépide a réussi à rallier 20% des électeurs juifs new-yorkais! Un exploit, dans une ville au bord de la crise de nerfs sur la question palestinienne, où la communauté juive, bien que majoritairement démocrate, fait traditionnellement corps derrière l’État d’Israël quand il est attaqué. Socialiste, musulman, pro-palestinien? C’est plus qu’il n’en faut pour s’attirer la haine de la coalition réactionnaire, xénophobeetracisteréunieautourdu « chef » Donald Trump, et les tontons flingueurs du président n’ont pas tardé à sortir l’artillerie lourde contre Mamdani, en le présentant comme un pur produit de la gauche extrême — ce qu’il n’est pas. On comprend leur inquiétude: il se pourrait que, demain, la méthode Mamdani, cette façon particulière de synthétiser plusieurs nuances du combat progressiste, de se montrer intraitable sur ses convictions tout en privilégiant un discours multiculturel «à l’ancienne» — donc ouvert et non identitaire — redonne vie à une gauche américaine impuissante et divisée. Ajoutez une grosse pincée de charisme naturel, et ce candidat venu de nulle part — ou plutôt de partout — pourrait incarner le réveil inespéré d’une gauche paumée, aujourd’hui à New York, demain peut-être aux États-Unis… et qui sait, un jour, de ce côté-ci de l’Atlantique?• Un favori inattendu pour la mairie de New York: Zohran Mamdani, 33 ans (ici le 14 juin), vient de remporter la primaire démocrate en vue des élections municipales. Il fait campagne à l’aile gauche de son parti. Celui qui rallume la flamme Par Olivier Pascal-Moussellard Télérama 3938 02/07/25 4 SOMMAIRE VINCENT ISORE/IP3 | FANNY DE GOUVILLE POUR TÉLÉRAMA | CAROLINE CHEVALIER POUR TÉLÉRAMA | FANNY DE GOUVILLE POUR TÉLÉRAMA EN COUVERTURE Jimi Hendrix par Miles Hyman pour Télérama Ce numéro comporte pour la totalité des kiosques: une couverture spécifique «Paris-IDF» pour les abonnés et les kiosques de Paris-IDF, et une couverture nationale; une brochure de 32 p. Festival In Avignon posée sur la 4e de couverture pour les abonnés des dép. 75, 77, 78, 84, 91, 92, 93, 94, 95 et des villes de Marseille (insee 13201 à 13216), Toulouse (insee 31555), Bordeaux (insee 33063), Rennes (insee 35238), Nantes (insee 44109), Lille (insee 59350), Strasbourg (insee 67482), Lyon (69381 à 69389), Nice (insee 06088) Édition régionale, Télérama+Sortir, pages spéciales, foliotée de 1 à 48, jetée pour les kiosques des dép. 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95, posée sous la 4e de couverture pour les abonnés des dép. 75, 78, 92, 93, 94. 12 18 32 22 Dossier Le RN contre la culture Entretien L’anthropologue Anna L. Tsing Rencontre Le chef d’orchestre Sébastien Daucé Tendance Accros au livre audio ARTISTES DANS LA CITÉ NOS GESTES NOUS CRÉENT ET NOUS RÉVÈLENT FONDATIONDENTREPRISEHERMES.ORG La Fondation d’entreprise Hermès s’engage à favoriser la transmission des métiers de la scène auprès des talents de demain. © CHARLOTTE BOMMELAER Télérama 3938 02/07/25 6 MOTLYS/VIAPLAY GROUP/OSLO FILMFOND | BRETECHER/LA CITÉ DE LA BD, 2025 | DREAM WELL STUDIO/SACREBLEU PRODUCTIONS/TAKE FIVE DU 5 / 7 AU 11 / 7 52 Cinéma La Trilogie d’Oslo 66 Arts Bretécher à Angoulême 69 Télévision La genèse de Flow MAGAZINE CRITIQUES TÉLÉVISION & PLATEFORMES RADIO & PODCASTS 3 Premier plan Un démocrate inattendu à New York 8 L’œil sur l’actu 11 L’instant T L’acteur Sami Bouajila DOSSIER 12 Le RN et la culture Les subventions, nouvelle arme du RN en régions pour tenter d’asphyxier la création ENTRETIEN 18 Anna L. Tsing Une anthropologue sur les chemins de l’anthropocène 22 Côté chœur et côté jardin Sébastien Daucé dirigera La Calisto au Festival d’Aix 24 Louis Stettner Aux Rencontres d’Arles, un Américain francophile et engagé 27 «La Trilogie d’Oslo» Reportage en Norvège, chez Dag Johan Haugerud 30 Malaise à France Info Les syndicats dénoncent un climat de grande brutalité 32 Des livres dans le casque Les jeunes de plus en plus intéressés par l’audiolecture 36 Sophie Letourneur Une cinéaste hors des sentiers battus 38 Le webtoon qui cartonne Comment Solo Leveling est passé des écrans au papier NOS SÉRIES D’ÉTÉ 40 Les arnaqueurs de la pop Mike Jeffery, le manager véreux de Jimi Hendrix 43 Virginia Woolf Une autrice mélancolique mais aussi pince-sans-rire 44 Les œuvres volées À Boston, le musée Gardner cherche encore son Vermeer et son Rembrandt 46 Radio, les émissions cultes En 1994, mobilisation pour Doc et Difool sur Fun Radio 48 Rencontres du 3e type La grande frayeur de Ludovic, astronome amateur, dans l’arrière-pays niçois EN LUMIÈRE 52 Cinéma La Trilogie d’Oslo, trois beaux films sur les rapports amoureux venus de Norvège 62 Musiques Entre folk et soul, l’Américaine Annahstasia signe un premier album de haute volée 63 Livres Les mystères du Symbolisme dans un livre monument 66 Arts «Signé Bretécher», expo hommage à une reine de la BD 67 Scènes Les Chiens de Navarre moins ricanants qu’à l’ordinaire 69 Flow, les animaux face à la fin du monde 72 Les femmes, grandes oubliées de la Révolution française 74 Les sélections 78 Programmes et commentaires 120 Le meilleur de la semaine L’histoire de Staline; Avignon en toutes lettres; Tupperware, une success story; les concerts de Jeanine Roze 123 Les programmes 128 Talents 129 Mots croisés 130 Conversation UN FILM DE LAURENT CANTET RÉALISÉ PAR ROBIN CAMPILLO ELOY POHU PIERFRANCESCO FAVINO ÉLODIE BOUCHEZ MAKSYM SLIVINSKYI SI BEAU QU’ON Y PENSE ENCORE L I B É R A T I O N MAGNIFIQUE ET BOULEVERSANT L E F I G A R O D’UNE DÉLICATESSE INFINIE L E P O I N T ACTUELLEMENT AU CINÉMA UN DES PLUS BEAUX FILMSDE L’ÉTÉ T É L É R A M A UNGRAND FILM L E S I N R O C K U P T I B L E S MIRACULEUX F R A N C E I N T E R UNE MERVEILLE E L L E ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ UN FILM SUBLIME SUR LA JEUNESSE T R O I S C O U L E U R S ★ ★ ★ ★ ★ 8 Télérama 3938 02/07/25 L’ŒIL SUR L’ACTU L’APPEL À UN EXPERT «Détruire la culture prouve une intention génocidaire» S’attaquer au patrimoine et à l’éducation d’un peuple constitue un crime de guerre. Israël s’en rend coupable à Gaza, selon un rapport publié mi-juin par la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU chargée d’enquêter dans le territoire palestinienoccupé.ExplicationsdeVincent Négri, de l’Institut des sciences sociales du politique (ENS Paris-Saclay). de cette idée sont très profondes chez Emmanuel Kant et son droit cosmopolitique qui repose sur la dimension culturelle et l’hospitalité universelle. Ou chez le philosophe Quatremère de Quincy, qui estime en 1796, à propos des spoliations napoléoniennes: tout ce qui relève d’une «République des arts […] appartient à tous les peuples». Quels crimes commet à Gaza l’armée israélienne? Un crime de guerre est commis quand sont ciblés délibérément hôpitaux, lieux d’enseignement ou de culte, musées, sans utilité pour l’offensive. Le crime contre l’humanité est constitué quand on s’en prend à l’ensemble d’une population, y compris à travers sa culture. La Commission estime qu’Israël commet à Gaza un «crime contre l’humanité d’extermination». Et en 2001, le Tribunal spécial pour l’exYougoslavie a considéré que des destructions délibérées et répétées de sites culturels appartenant à un groupe social peuvent prouver une intention génocidaire. En Syrie, en Ukraine, en Palestine… le patrimoine est visé. À quoi sert la protection du droit international? Elle peut entraîner l’obligation, pour le contrevenant, de réparer les conséquences des violations. Si des procès ont lieu contre des militaires russes qui ont piloté l’attaque de la cathédrale d’Odessa ou des pillages dans des musées, l’intention d’effacer la culture d’un peuple pourrait être invoquée et des compensations ordonnées. Raphael Lemkin, le juriste polonais qui a théorisé le génocide en 1944, entendait y inclure le génocide culturel car, disait-il, il est difficile de séparer le corps de l’âme… ▶ Propos recueillis par Juliette Bénabent LA PHRASE «CNN,vousêtesdeslosers!» DONALD TRUMP Mardi 24 juin, agacé par un reportage de CNN mettant en doute l’efficacité des frappes américaines en Iran: «Fake news», a balayé le président américain. DAWOUD ABO ALKAS / 2025 ANADOLU Quelle vision de la culture et de l’éducation exprime cette infraction? Les conventions de La Haye de 1899 et 1907 sur le droit de la guerre stipulent que «toute saisie, destruction ou dégradation intentionnelle des […] monuments historiques, œuvres d’art ou de science, est interdite et doit être poursuivie ». Les racines philosophiques Manuscrits anciens de la Grande Mosquée d’Omar, gravement endommagés lors des bombardements israéliens sur la bande de Gaza. 9 Télérama 3938 02/07/25 JEAN-PIERRE LELOIR / GAMMA RAPHO Lalo Schifrin dans les coulisses de l’Olympia de Paris, le 18 novembre 1961, avec le trompettiste Dizzy Gillespie à l’arrière-plan. LE CHIFFRE 15 C’est le nombre d’écoliers finalistes du championnat de lecture à voix haute lancé en 2012 par le Syndicat national de l’édition. Le concours 2025 a attiré plus de deux cent mille «petits champions de la lecture». Le gagnant sacré le 25 juin est Kendjy Dionny, 10 ans, venu de Martinique pour lire À l’écoute, de Thomas Gornet (éd. du Rouergue). Sur la scène mythique de la Comédie-Française! Plus que tout, Lalo Schifrin révérait le rythme. Mission impossible, Mannix, Bullitt, Opération Dragon: le compo siteur, mort à 93 ans le 26 juin, reste associé à des génériques syncopés, obsédants, marqués par le génie de la séquence et du tempo. Il était l’ultime représentant de l’âge d’or de la mu sique de film, les années 19601970. Poursuivi par le succès du générique de la série Mission impossible (1966), le compositeur a passé sa vie à conju guer le groove du jazz et l’écriture symphonique.Unemissioncomplexe, mais avec l’impossible, Lalo aimait se colleter.«Pourfairejouerensembledes jazzmen et des musiciens classiques, j’ai dû imaginer une autre notation pour que l’orchestre symphonique puisse swinguer», nous confiaitil en 2009. Boris Claudio Schifrin, dit Lalo, naît en 1932, en Argentine. Fils du premier violon et chef de l’Orchestre philharmonique de l’Opéra de Bue nos Aires, il découvre le jazz à l’adoles cence, et le choc est total. C’est à Paris, où il passe ses journées au Conserva toire et ses nuits dans les caves de SaintGermaindesPrés, que le jeune homme se passionne pour le «swing», ce drôle de truc qui se saisit du corps et donne envie de bouger. Plus tard, Schifrin sympathise avec Dizzy Gillespie, le rejoint à New York en 1958 et compose avec lui l’album phare Gillespiana, sorti en 1960. Dès lors, il signe plusieurs albums avec Sarah Vaughan, Stan Getz, Cal Tjader ouJimmySmith.Ils’essaieavecsuccès àlamusiquepourlecinéma,encréant en 1964 la bande originale des Félins. La Metro Goldwin Mayer le repère et le fait venir à Hollywood. Devenu citoyen américain, le compositeur L’HOMMAGE Pour lui: rien d’impossible LE FESTIVAL Couthures, on s’y presse Rarement le Festival international de journalisme (FIJ), organisé et animé par le groupe Le Monde (dont Télérama fait partie), aura été autant en prise avec l’actualité. Pour sa 9e édition, du 11au13juilletàCouthuressurGaronne, leFIJnepouvaitpasignorerlecontexte mondial. Son désordre surtout, incar né en particulier par Donald Trump, dont les stratégies et la communica tionserontdécryptéesnotammentpar les journalistes Thomas Snégaroff et Pierre Haski, et le documentariste An toineVitkine,quiluiaconsacréunfilm. D’autre part, Ann Telnaes, collabora trice pendant dixsept ans du WashingtonPost,et la journaliste Jessica Jerreat, responsable des questions relatives à lalibertédelapresseauseindelaradio publique Voice of America, raconte ront la «croisade contre la liberté d’informer» menée par l’administration Trump. Autre pays et autre croisade, celle menée par des médias dits d’opi nion en France. Pourquoi CNews ou les titres du groupe Bolloré fontils re cette? Les festivaliers débattront avec des journalistes, patrons de presse ou spécialistes sur la notion d’informa tion et le rôle des grands actionnaires dansladéfinitiondesligneséditoriales. Quatre autres thèmes seront dévelop pés, en plus des ateliers, expositions, spectacles ou projections de films… Trois journées denses, et une pro messe : prendre le temps de com prendre l’information et son traite ment. ▶ Étienne Labrunie signe coup sur coup plusieurs parti tions remarquées: Le Kid de Cincinnati, Luke la main froide, Bullitt, The Fox, Un shérif à New York. Sa collaboration suivie avec Don Siegel et Clint East wood sur la série des Dirty Harry le catalogue un peu plus dans le registre des films d’action ou « à suspense » et, malgré cinq nominations, lui inter dit longtemps la statuette dorée. Un Oscar d’honneur lui sera enfin accor dé en 2018. ▶ Stéphane Jarno 10 Télérama 3938 02/07/25 L’ŒIL SUR L’ACTU ÉRIC GARAULT / PASCO&CO Nicolas Demorand le 21 mars 2025, à Paris, alors qu’allait sortir son récit Intérieur nuit. LE PILIER «Je reste avant tout pour les auditeurs de France Inter» À 54 ans, Nicolas Demorand attaquera le 25 août une neuvième saison aux commandes de la matinale de France Inter, de 7 heures à 9 heures. Sonia Devillers prendra le relais, jusqu’à 11 heures, de cette tranche allongée et remaniée,oùNoraHamadiremplacera ClaudeAskolovitchàlarevuedepresse, et Bertrand Chameroy reprendra le billet humoristique de Matthieu Noël. Vous rempilez à la matinale d’Inter, malgré le départ de Léa Salamé. Avez-vous hésité? Oui, parce qu’avec Léa on s’était toujours dit qu’on portait cette matinale ensemble et qu’on l’arrêterait ensemble. Le duo qu’on formait était tellement fusionnel, parfait sur les plans technique et radiophonique comme sur la complémentarité intellectuelle. Mais elle a saisi l’opportunité du JT de 20 heures [sur France 2, ndlr]. Devaisje continuer pour continuer, ou tourner cette page ? J’y ai sérieusement réfléchi. Je perds mon binôme, une amie si généreuse, qui m’a énormément appris, notamment à être moins raide, plus fluide. Elle a en politique un savoir immense, et un grain de folie en interview qui fait qu’à un moment la radio devient la vie. «Nicolas avait très envie de rester à la matinale», a indiqué Adèle Van Reeth, directrice de France Inter, dans Le Parisien. Malgré vos réveils à 3 heures du matin, pourquoi rester? D’abord et avant tout pour les auditeurs de France Inter. Je ne pouvais pas les quitter comme ça. Je voulais préserver l’intensité de la relation avec eux. Je me sens aussi redevable à la rédaction d’Inter: la matinale est la vitrine de son travail impeccable. Et puis il m’a paru important qu’il y ait un élément de continuité dans une tranche qui va beaucoup bouger à la rentrée.Jeveuxquel’alchimieprenne. C’est le cœur de mon boulot: on ne peut pas faire de la radio de qualité sans plaisir. Benjamin Duhamel, 30 ans, arrive à vos côtés. Est-il le futur Demorand de France Inter? Ça, je ne sais pas! Mais j’ai hâte qu’il soit là. J’ai demandé à la directrice d’Inter et au directeur de l’information, Philippe Corbé, que Benjamin Duhamel soit avec moi pour le grand entretien de 8h20. C’est un très bon intervieweur politique, je voulais absolument travailler avec lui. Cela signifie-t-il que la matinale sera encore plus politique à la rentrée? Oui, car l’année va être très politique, avec les élections municipales de 2026 et la campagne présidentielle de 2027. L’édito politique de Patrick Cohen a déjà été, cette saison, un grand momentdelamatinale.SonretouràInter a été formidable. Après son édito, l’invité de Benjamin Duhamel à 7h50 sera politique, mais pas seulement. La parole des politiques ne sature-t-elle pas les médias? Il y a différentes manières de traiter la politique. On peut le faire avec des historiens, des sociologues, des penseurs de tous les horizons. C’est cette approche qui fait la spécificité d’Inter. Je m’y tiens et j’en serai le garant. À 7h50, à 8h20, dans les débats, on va continuer à penser un monde devenu si compliqué à décrypter. De nombreux salariés de Radio France ont entamé une grève pour s’opposer au projet de regroupement de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France et l’INA) sous une même structure baptisée holding… On peine toujours à comprendre la vocation de cette holding, son efficacité réelle en l’absence, notamment, d’une étude d’impact. On voit bien en revanche quels problèmes elle peut poser, quelles questions lourdes elle soulève, questions restées, à ce stade, sans réponse. Votre livre Intérieur nuit, paru mi-mars, dans lequel vous racontez les conséquences de la bipolarité sur votre vie, a été vendu à cent vingt mille exemplaires. Qu’a-t-il changé? Ce livre est un choc, et pour moi une source d’interrogation vertigineuse: beaucoup de gens vivent donc une situation proche de la mienne. On m’arrête dans la rue pour me remercier. Du cabinet du généraliste à celui du psy, des patients arrivent armés du livre. C’est de l’ordre du phénomène de société, car ce texte, à un moment donné, a mis des mots qu’il manquait pour dire l’expérience très partagée d’une maladie très partagée. ▶ Propos recueillis par François Rousseaux 11 Télérama 3938 02/07/25 L’INSTANT T RUDY WAKS POUR TÉLÉRAMA L’ACTEUR Sami Bouajila Propos recueillis par Guillemette Odicino Le sens du grand écart «Avec Roschdy Zem, nous avons com mencé il y a un bail, dans le cinéma d’auteur — qui avait alors plus de moyens et était tourné en pellicule! —, et nous sommes toujours là. C’était beauqu’ilmeconfielerôledesonfrère dans son film, Les Miens, douze ans après Omar m’a tuer. Avec lui, je suis vraiment en famille. Ce métier m’a of fert des personnages tellement diffé rents: un flic macho qui tombe amou reux du mec qu’il poursuit dans Les Témoins, de Téchiné, un père doulou reux dans Un fils, de Mehdi Barsaoui, des flics, des gangsters et des travestis! Quelquesoitlegenredufilm,cequiest intéressant, c’est de ne pas rester sur les attendus de la masculinité. Quand je campe un braqueur, je cherche sa féminité. Dans Rapaces, j’ai donné à mon personnage un ton badin, car j’imagine que ces journalistes ont for cément de l’humour noir pour suppor ter certains faits divers. J’ai un clown inexploité en moi. Je voudrais tourner plus de comédies comme De vrais mensonges, de Pierre Salvadori. D’ailleurs, en général, il faut plus de comédies à la Salvadori dans le cinéma français!» Se perdre et se trouver «Jen’aipaspeurdemeperdredansles rôles, d’y ramener mes peurs, mes traumas, mes frustrations, mes fan tasmes. Un tournage, c’est un voyage de plusieurs semaines dont on n’a pas envie de revenir. Pendant longtemps, j’étais à l’ouest quand je rentrais à la maison. En fait, je me suis perdu dans mon métier ! Mais je commence à m’assagir.L’annéedernière,lethéâtre m’a soigné: pour Un prince, d’Émilie Frèche, je suis entré dans la tête de mon père. J’ai convoqué sa manière de raconter, de danser dans la cuisine quand il était un peu bourré, de rire ou de s’énerver. J’ai d’ailleurs une idée de spectacle sur papa. C’est une mine, cet homme! Papa, maman, on en re vient toujours là, non?»• Jouer un journaliste de faits divers dans un thriller « Je peinais, au départ, à trouver la porte d’entrée pour plonger dans ce rôle de reporteur du journal Détective. Le fait que Samuel, mon personnage, soit un enquêteur teigneux, un fin li mier qui a du métier, c’était évident au scénario, particulièrement bien écrit, et je le prenais pour acquis. Mais qu’il soit père m’a offert un autre socle, plus profond, pour l’incarner. Comme lui, toujours sur les routes pour ses en quêtes, j’ai été beaucoup absent pour ma propre fille, à cause des tournages, et j’ai projeté les rapports que j’ai pu avoir avec elle sur ma fille du film [Mal lory Wanecque, ndlr], stagiaire jour naliste qui me suit dans mes investi gations. Ce rapport pèrefille a pris d’autant plus d’ampleur qu’avec Mallo ry la complicité de jeu s’est vite impo sée. Elle a un talent si vif. Qu’estce que j’aiaimétournerlascènedurestaurant, si tendue, si bien découpée, et ce mo ment où, en sortant de l’établissement, elle prend mon bras! C’est un film où je suis beaucoup en voiture, c’était plaisant, puisque cela fait cinq ans que je n’ai plus de permis de conduire!» 2022 Les Miens, de Roschdy Zem. 2019 Un fils, de Mehdi Barsaoui. 2007 Les Témoins, d’André Téchiné. l’actu Sami Bouajila étonne à chaque rôle. Dans Rapaces, le thriller féministe de Peter Dourountzis, (lire p. 56), il est remarquable de décontraction cynique, puis de ténacité et de tension fiévreuse face au danger.
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