TÉLÉRAMA n°3913 - Page 4 - 3913 FESTIVAL CINEMA Avec l’AFCAE Et BNPParibas 4€ LA PLACE AVEC LE PASS TÉLÉRAMA DANS LES SALLES ART ET ESSAI LES MEILLEURS FILMS DE 2024 DES AVANTPREMIÈRES ET LE COUP DE CŒUR DES −26 ANS 22–28 JANVIER 3 Télérama 3913 08/01/25 RÉMY ARTIGES PREMIER PLAN Rarement rentrée littéraire d’hiver aura été aussi foisonnante — plus de cinq cents nouveautés. Et prometteuse, avec de magnifiques romans et récits (Vanessa Springora, Florence Seyvos, Rachel Kushner…), des auteurs reconnus poursuivant leur grande œuvre (Leïla Slimani, Haruki Murakami…), des premiers livres attachants (La Grande Sophie). Tant d’autres encore… De quoi imaginer qu’«un avenirradieux»s’offreauxlibraires—pourparaphraserletitre du troisième volet de la tétralogie de Pierre Lemaitre sur les Trente Glorieuses, également au programme de cette rentrée. Sauf que non. Pour eux, le futur n’a rien de rayonnant. Après une parenthèse post-Covid enchantée, la librairie flanche. C’est ce que disent les premiers résultats de 2024, qui font état d’un chiffre d’affaires en retrait de 0,6%. Pas de quoi en faire une montagne, penserezvous. Sauf que si, car la librairie est l’un des commerces de détail qui gagnent le moins bien leur vie. À + 1%, on est heureux, mais le moindre dérèglement a des conséquences immédiates. Et 2024 n’en a pas manqué. Les années électorales sont toujours défavorables au marché du livre, et la dissolution en a rajouté. Les JO ont un temps vidé les librairies parisiennes. Et puis il y a cette inflation qui, depuis deux ans, a fait galoper les charges (loyer,électricité,salaires,transports), tandis que le chiffre d’affaires s’essoufflait et que la marge fondait, obligeant à rogner sur tout et à différer, parfois, le remboursement d’emprunts bancaires.«Onvavraimentmal,cen’estpas une posture», affirme Alexandra Charroin Spangenberg, la présidente du Syndicat de la librairie française. Pour ajouter à l’inquiétude, Rachida Dati est venue à l’automne annoncer une refonte du pass Culture. Mauvaise nouvelle pour le livre. Il est le premier bénéficiaire de ce «chèque» de 300 euros offert à tous les jeunes de 18 ans. S’il venait à baisser ou à être fléché en partie vers le spectacle vivant, les libraires en pâtiraient, accentuant un peu plus leur déséquilibre. Sans compter avec Amazon, qui continue de mener une concurrence déloyale aux libraires en contournant la loi qui impose un minimum de 3 euros de frais de port sur les envois de livres. Alors, si vous en êtes encore au stade des bonnes résolutions: laissez-vous embarquer par cette généreuse rentrée littéraire et faites un détour par la case librairie • La librairie Shakespeare and Company, une institution parisienne. Les libraires dans la tempête Par Olivier Milot Télérama 3913 08/01/25 4 FLORENT MICHEL/11H45 | AUREL IN CHARLIE QUAND ÇA LEUR CHANTE/ÉD. FUTUROPOLIS | ALILE ONAWALE | 2025 SUCCESSION HENRI MATISSE/ARS.XSY SOMMAIRE EN COUVERTURE Leïla Slimani. Photo Fanny de Gouville pour Télérama Ce numéro comporte pour la totalité des kiosques: une couverture spécifique «Paris-ID» pour les abonnés et les kiosques de Paris-IDF, et une couverture nationale; un catalogue de 20 p. Linvosges posé sur la 4e de couverture pour les abonnés de la France métropolitaine et les Gpub; une affiche de 8 p. Le Goût des autres posée sur la totalité des dép. 14-27-5061-76-78 et en aléatoire sur le dép. 75. Édition régionale, Télérama+Sortir, pages spéciales, foliotée de 1 à 56, jetée pour les kiosques des dép. 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95, posée sous la 4e de couverture pour les abonnés des dép. 75, 78, 92, 93, 94. 28 24 40 26 Récit choral Naissance de la Philharmonie Enquête La fin du dessin de presse? Cinéma Walter Salles et les fantômes de la dictature au Brésil Décryptage Matisse dans le domaine public Télérama 3913 08/01/25 5 PATHÉ FILMS/EL DESEO | MK2 FILMS/MOMO PICTURES/XTREAM PICTURES | COURTESY L’ARTISTE ET GALERIE MAUBERT/ADAGP, PARIS 2024/PHOTO LUDOVIC COMBE, FRAC AUVERGNE DU 11 AU 17/1/25 51 En lumière La Chambre d’à côté 54 Cinéma Les Feux sauvages 72 Arts «Faits divers», au Mac Val MAGAZINE CRITIQUES TÉLÉVISION & PLATEFORMES RADIO & PODCASTS 3 Premier plan L’inquiétude des libraires 7 L’instant T L’humoriste Camille Chamoux 8 L’œil sur l’actu Hommage à David Lodge 11 Story-board Les images d’un peuple isolé en Amazonie DOSSIER 12 Spécial livres Une rentrée littéraire au féminin. Tous nos coups de cœur 20 Leïla Slimani Elle signe le troisième opus de sa saga romanesque familiale 24 Le dessin de presse Un métier en voie d’effacement? 26 L’homme de Rio Walter Salles, pour son film Je suis toujours là 28 Il y a dix ans, la Philharmonie La difficile gestation du projet par ceux qui l’ont vécue 36 L’éducation sexuelle à l’école Une affaire de prévention 38 Incorruptible Rencontre avec le journaliste Fabrice Arfi 40 Gare à la dérive Matisse dans le domaine public, et après? IDÉES 42 Une VIe République, et vite! Carolina Cerda-Guzman, spécialiste de droit public VOYAGE 46 Symphonie lacustre Sur les traces de Johannes Brahms en Suisse BEAU GESTE 48 En dentelle Pauline Nkundwanabake, à l’Atelier d’Alençon EN LUMIÈRE 51 Cinéma La Chambre d’à côté, de Pedro Almodóvar: une femme au soir de sa vie. Lumineux 59 Les films de décembre 61 Musiques Jazz Club Montmartre, un live inédit de Michel Petrucciani 65 Livres La rentrée littéraire 2/2 s’ouvre avec Et personne ne sait, de Philippe Forest 72 Arts «Faits divers», à Vitry-sur-Seine 74 Scènes Nouveau Monde, du standuppeur Malik Bentalha 77 Jacques Demy, de A comme Amour à V comme Varda 80 Rose Leslie en cinq rôles 81 Comment Ma sorcière bien-aimée a-t-elle vieilli? 82 Le documentaire Une guerre civile: Elizabethtown, USA 86 Les sélections 92 Programmes et commentaires 134 Le meilleur de la semaine radio & podcasts Suis-je lesbienne?, sur Binge Audio 139 Les programmes 144 Talents 145 Mots croisés 146 Conversation Pendant cinq ans, des femmes et des hommes, vêtus de combinaisons protectrices et masqués, ont travaillé sur des échafaudages, renouant parfois avec des gestes d’artisans du Moyen Âge. Ils ont non seulement restauré Notre-Dame de Paris après l’incendie de 2019 mais, surtout, fait des découvertes archéologiques stupéfiantes. Ce hors-série Télérama ouvre le fascinant dossier de la cathédrale par un grand entretien avec l’essayiste Maryvonne de Saint-Pulgent, des articles sur l’histoire des bâtisseurs, sur la lumière, le fameux stryge ou le roman de Victor Hugo. Il revient également sur la question des vitraux, l’œuvre de Viollet-le-Duc, la restauration du clocher, du coq et les études sur le jubé et les sarcophages trouvés dans le sous-sol de l’édifice. L’histoire de la cathédrale, ancienne et renouvelée, en quatre-vingts pages richement illustrées. Àretrouversurboutique.telerama.fr etdanslespoints deventelistésici 7 Télérama 3913 08/01/25 RUDY WAKS POUR TÉLÉRAMA L’INSTANT T L’HUMORISTE Camille Chamoux Propos recueillis par Hélène Marzolf Se trouver soi-même « En commençant ce métier, je voulais être Patrice Chéreau. Petit à petit, j’ai trouvé ma voie. Depuis Camille attaque, en 2006, j’adore créer mes propres spectacles. Je crois avoir toujours été pertinente sur scène, du moinsenaccordaveccequejevoulais donner. Mais mon public théâtral est restreint, comparé à celui qui me voit dans Les Randonneuses, sur TF1. Ce qui m’a fait connaître du grand public, ce sont des rôles de comédies populaires, les séries LaFlamme et LeFlambeau (Canal+), que j’adore, ou Terminal (Canal+), qui ont eu un impact sur les jeunes. Ces choses-là sont pour moi cohérentes. J’ai aimé les faire, mais elles ne représentent qu’une part de ma “fresque intime”. Mes premières amours ont été le cinéma d’auteur et le théâtre de Joël Pommerat. À mes débuts, j’ai eu une compagnie, je montais du théâtre contemporain. Ces années formatrices continuent à infuser dans mes spectacles, que j’espère drôles, mais aussi un peu noirs. Et profonds. » La vie et les emmerdes « Mon nouveau spectacle traite de la santé physique et mentale, de ses limites, et… de la mort. Sur le mode comique! Il m’a été inspiré par une déchirure des ligaments croisés, qui m’a immobilisée, et surtout par la perte de ma belle-mère, dont j’étais très proche et que j’ai accompagnée jusqu’au bout de sa maladie. Si mon précédent spectacle, Le Temps de vivre, était très optimiste, aujourd’hui, je ne me sens plus immortelle. J’ai réalisé que la condition humaine se rapproche, à certains égards, de celle des cafards, à ce détail près que nous sommes dotés d’un cerveau qui nous permet d’avoir pleinement conscience des misères de l’existence. Que faire quand l’esprit et le corps se mettent à dérailler? En rire à plusieurs! Échapper à notre condition grâce au vivre-ensemble dans une salle de spectacles. J’ai voulu concevoir un divertissement comme un antidote. Moi qui jusqu’ici privilégiais une forme intimiste, j’ai recherché cette fois le spectaculaire, en invitant sur scène un pianiste et des complices, et en convoquant le cabaret et la danse. Tout ce qui peut aider à créer un divertissement cathartique. » l’actu Avec Ça va, ça va, au Théâtre des Bouffes-Parisiens, du 9 au 18 janvier, Camille Chamoux crée son quatrième spectacle, sous le signe de la découverte des limites du corps et de l’âme, et des moyens de les accepter par le rire. 2023 2019 Coécrit, joue dans Premières Vacances. 2014 Coécrit et joue dans Les Gazelles et crée le spectacle Née sous Giscard. Joue dans la série Tapie. 2020 Crée le spectacle Le Temps de vivre, joue dans La Flamme. Jouer ou faire jouer « Je ne me vois plus mettre en scène du théâtre contemporain: ce n’est pas ce dans quoi j’excelle. J’ai coécrit des films (Les Gazelles, Premières Vacances…), mais ma seule réalisation, entandemavecCloéBailly,c’estl’émission de sketchs Chamouxland. J’ai eu plaisir à le faire, même si, en voyant travailler Cloé, je me disais que je ne maîtrisais pas le langage de l’image. J’écris un film de cinéma à partir d’un des personnages de Chamouxland, et il est possible que je le coréalise! »• 8 Télérama 3913 08/01/25 CULTURESPACES/C. DE LA MOTTE ROUGE/HERGÉ | PHOTO MACALL POLAY/SEARCHLIGHT PICTURES/AUTOMATIK ENTERTAINMENT/THE PICTURE COMPANY L’ŒIL SUR L’ACTU L’HISTOIRE Tintin libre de droits en Amérique Tintin dans le domaine public ! N’y cherchez pas une nouvelle histoire mettant en scène le reporter à houppette, mais simplement le fait qu’aux États-Unis et au Canada, depuis le 1er janvier, le personnage fait partie, tout comme Popeye, de la longue liste de créations publiées en 1929 — le Boléro de Ravel, L’Adieu aux armes, de Hemingway, Un Américain à Paris, de Gershwin… — qui peuvent désormais être librement copiées. Le copyright expire en effet quatre-vingt-quinze ans après la date de publication de l’œuvre, alors qu’en France (et dans le reste de l’Union européenne) le droit d’auteur court jusqu’à soixantedix ans après la mort de l’auteur. Va-t-il y avoir pour autant myriades de projets de reproduction ou d’adaptation de Tintin sur le territoire nordaméricain? Peu probable, car ce qui est tombé dans le domaine public, précisément, ce sont les premières LE CHIFFRE 6 C’est, en pourcentage et en parts de marché, l’audience de la grande soirée de France 2, Les Bravos d’or, diffusée en prime time le 1er janvier. Un bide pour ce programme imaginé et coprésenté par Nagui, qui célébrait les succès d’audience télé, cinéma, radio, etc., de l’année. La chaîne a même rassemblé moins de téléspectateurs qu’Arte. LA DÉCISION DE JUSTICE Dernier sursis pour C8 et NRJ12 La fin se rapproche pour les deux chaînes de la TNT. Après la décision de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) de ne pas renouveler leurs fréquences, C8 et NRJ12 avaient saisi en référé le Conseil d’État pour contester le choix du gendarme de l’audiovisuel. Réponse de la haute juridiction administrative, tombée le 30 décembre : leurs recours ne revêtent aucun caractère d’urgence. L’audience sur le fond se tiendra «dansles prochaines semaines », sans plus de précision. Et ce sera vraiment celle de la dernière chance : si les juges du Conseil d’État décident à nouveau de rejeter leurs requêtes, C8 et NRJ 12 auront épuisé tous les recours possibles pour sauver leur peau. Et cesseront donc d’émettre après le 28 février prochain. Au grand dam des «fanzouzes» de Cyril Hanouna et autres «défenseurs de la liberté d’expression » qui s’étaient mobilisés derrière C8, une pétition de soutien en ligne ayant même dépassé le million de signataires. ▶ Richard Sénéjoux aventures au pays des Soviets, publiées dans Le Petit Vingtième, le supplément jeunesse du journal belge catholique Le Vingtième Siècle, à partir de janvier 1929. Les personnages apparaissantplustard,commeHaddock, la Castafiore ou les Dupondt, ne sont donc pas concernés. Et il faut aussi noter qu’une exploitation de Tintin ne pourrait se faire pour l’instant que sur cette apparence de 1929, en noir et blanc, loin des traits que nous connaissons aujourd’hui, Hergé et son studio ayant, à partir des années 1940, systématiquement redessiné et colorisé tous les albums parus précédemment. EnEurope,Tintinnetomberadans le domaine public que le 1er janvier 2054 (Hergé étant mort en 1983)… et uniquement à condition que Tintinimaginatio (ex-éditions Moulinsart), qui en détient les droits d’auteur, n’en publie pas d’autres aventures d’ici là. ▶ Thomas Bécard Seule l’image originale des premières aventures de Tintin est concernée. 9 Télérama 3913 08/01/25 L’APPEL À UN EXPERT Comment faire chanter un acteur pour un biopic? Dans Un parfait inconnu (sortie le 29 janvier), de James Mangold, qui retrace les jeunes années de Bob Dylan, Timothée Chalamet s’approprie le rôle jusque dans la voix. Mais comment faire chanter un acteur dont ce n’est pas le métier? Réponses de Daniel Lucarini, auteur-compositeurinterprète et coach vocal, qui a notamment travaillé avec Tahar Rahim pour Monsieur Aznavour. vers des sons très graves et des résonances, on crée une rencontre entre l’acteur et sa voix. Il faut que ça devienne de l’ordre du réflexe et, pour ça, il faut s’entraîner suffisamment. Mais comment se mettre dans la peau d’un chanteur populaire? Le mot d’ordre, c’est «évocation». On va étudier le personnage et essayer de prendre des mimiques, de saisir des détails facilement reconnaissables, mais avec légèreté. De façon que le comédien puisse exister à travers cette évocation. Parce que, avec une copie bête et méchante, ça ne vit pas. C’est l’acteur qui doit aller à la rencontre du personnage, dans une certaine clarté. Il faut éviter la caricature. Avez-vous assisté à des transformations marquantes? Certains moments sont magiques. Quand Tahar Rahim se met dans la peau d’Aznavour et qu’on approche de la fin du tournage, je me dis: «Ça y est, c’est son truc. » Émotionnellement, c’est fou: je me rappelle avoir eu des frissons, car en face il y a un interprète qui se révèle. Il devient un «vrai» chanteur avec ses réflexes, ses manies, ses agacements… Pour le film Coluche, l’histoire d’un mec (2008), tout a été fait en live et nous avions sollicité les musiciens de l’humoriste. Lorsque François-Xavier Demaison, qui interprète Coluche, est entré sur scène, j’ai vu les yeux des instrumentistes s’embuer. Ils m’ontdit:«C’estlui.»Quandcesontles proches qui ont un coup au cœur, c’est là qu’on peut dire que c’est gagné. ▶ Propos recueillis par Pierre Cloix LA PHRASE «Lesfilms,commelesfringues, sontlerefletdeleurépoque.» DAVID FINCHER Le réalisateur explique au site Collider pourquoi il n’a pas hésité à utiliser l’IA pour améliorer certains plans de son film Se7en à l’occasion de sa ressortie en Blu-ray 4K. Timothée Chalamet dans la peau, et dans la voix, du jeune Bob Dylan. Un rôle travaillé durant des mois. Comment préparer un acteur à chanter quand il ne l’a jamais fait? C’est un travail de longue haleine, il faut compter six mois. Quand l’acteur arrive en studio, je le fais commencer par des exercices au sol, assez proches du yoga. Le but est de travailler sur le souffle et d’amener la respiration le plus bas possible, de détendre tous les diaphragmes. Ça va permettre de libérer la gorge et les cordes vocales. À tra- 10 Télérama 3913 08/01/25 KALPEH LATHIGRA POUR TÉLÉRAMA L’ŒIL SUR L’ACTU La France avait fait de David Lodge, mort le 1er janvier, à l’âge de 89 ans, l’un de ses écrivains britanniques préférés. Cela datait du début des années 1990; paraissaient alors chez Rivages une série de romans sarcastiques, vifs, malicieux, dans lesquels la drôlerie le disputait à l’intelligence: Jeudesociété,Changementdedécor,Un tout petit monde, La Chute du British Museum, Thérapie, Pensées secrètes… Des romans parus au Royaume-Uni vingt ans plus tôt, trente parfois, et qui installèrent durablement l’écrivain dans le cœur des lecteurs français. «C’est vraiment un mystère, je me sens tellement anglais, et mes romans sont si pleins de références à la culture anglaise…» continuait-il de s’étonner la dernière fois qu’on l’avait rencontré, à Londres, il y a huit ans, alors que paraissait en France la traduction du premier volume de ses Mémoires, sous le titre Né au bon moment. Ce jour de février 2016, par les larges fenêtres de son pied-à-terre londonien, entraient le soleil d’hiver et les échos de l’agitation des rues du quartier de Charing Cross. Affable, prévenant,DavidLodgevenaitd’avoir 81 ans, et de sa mémoire extrayait sans effort les souvenirs intacts d’une enfance passée à Londres, dans une famille de la classe moyenne et d’obédience catholique. «Le catholicisme a donné à mon écriture une perspective originale, différente de la majorité des auteurs britanniques, expliquait-il. Un regard critique particulier sur la société dans laquelle je vis. Un intérêt, aussi, pour les conflits moraux, les thèmes du péché et de la culpabilité, qui sont un matériau de choix pour un lisant un de mes romans ne reflète pas l’état émotionnel dans lequel je me trouvais lorsque j’étais en train de l’écrire. […] Mais, dans mes romans les plus récents, je n’ai plus cherché à déguiser ou dissimuler la mélancolie que j’éprouve. » Hors de l’abri, nourri de ses souvenirs d’enfance en temps de guerre, Thérapie, roman sur la dépression, ou encore La Vie en sourdine témoignent de cette gravité. De même que L’Auteur! L’auteur!, évocation romanesque, et doucement tragique, de la vie de Henry James, demeuré toujours — avec Joyce et Evelyn Waugh — l’undesmaîtresenlittératuredeDavid Lodge. ▶ Nathalie Crom romancier.» Ce regard critique se manifestant avec une acuité particulière dans sa peinture gentiment moqueuse du monde universitaire, qu’il connaissait bien pour avoir enseigné pendant près de trois décennies la littérature anglaise à l’Université de Birmingham: «Un début de roman, c’est souvent un thème puisé à ma propre expérience — j’ai écrit sur mon service militaire, mon enfance durant la guerre, les États-Unis, le monde universitaire dans lequel j’ai baigné, la minorité catholique et les difficultés à allier une morale spécifique au mouvement général des mœurs… Comment mettre cela en scène de sorte que ça intéresse tout le monde, tel est l’enjeu à chaque fois.» La veine ironique ne résume pas à elle seule l’œuvre de l’écrivain, qui confiait être habité par «une tendance anxieuse et dépressive », renforcée, aux abords de la soixantaine, par une propension à la mélancolie. « C’est en partie pour y échapper que je me suis adonné à la comédie. Cela dit, le comique que le lecteur peut sentir en L’HOMMAGE L’ironie en berne David Lodge a connu à partir des années 1990 un succès retentissant en France. 11 Télérama 3913 08/01/25 STORY-BOARD Par Thomas Bécard En Amazonie… ou plutôt en Autarcie On les appelle les « Massacos », du nom d’une rivière qui traverse leur territoire, dans l’ouest du Brésil, près de la Bolivie, mais on ne connaît même pas le nom qu’ils se donnent. Composée de deux cents ou peut-être trois cents personnes, cette communauté est l’un des vingt-neuf peuples «isolés» confirmés du Brésil dont on ne sait rien, ou presque. Seule une équipe régionale de la Funai, l’agence brésilienne chargée de la protection des peuples autochtones, documente leur existence à distance, grâce à quelques appareils photo placés dans la forêt et aux images satellites qui permettent de compter leurs habitations. Leur nombre semble d’ailleurs augmenter, malgré la pression des multiples trafiquants et la déforestation. Miraculeux, à tout point de vue • Ci-dessus: en forêt amazonienne, à l’ouest du Brésil, une image de «Massacos» (en train de planter des pieux dans le sol) prise par un piège photographique en février 2024. CGIIRC/FUNAI Ci-contre et en haut à gauche: abri de chasse et cordes pour fabriquer des hamacs. Des clichés de la Funai (Fondation des peuples indigènes) sur des lieux foulés par les «Massacos».
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