TÉLÉRAMA n°3921 - Page 1 - 3921 3 Télérama 3921 05/03/25 JACK TRIBECA/BESTIMAGE PREMIER PLAN Cyril Hanouna sera donc à l’antenne de W9 et de Fun Radio en septembre prochain. Ce recrutement spectaculaire, c’est la première grande décision prise par le nouveau patron du groupe M6, David Larramendy, 50 ans, qui a succédé il y a quelques mois au patriarche Nicolas de Tavernost. Ce dernier avait lancé, en son temps, la télé-réalité en France avec Loft story. Larramendy voit-il une «disruption» du même type avec l’arrivée d’Hanouna? Ou va-t-il chercher, cyniquement, un aspirateur à audience pour un groupe qui, ces temps-ci, en manque pas mal ? Pour l’heure, on voit surtout qu’un nouveau cap est franchi dans la banalisation de l’extrême droite. Une nouvelle étape de la fameuse «fenêtre d’Overton», concept qui définit le périmètre de ce qui peut être dit et discuté au sein d’une société. « Les wokes ont énormément abîmé le monde […], je défendrai tout ce qui est anti-woke, et donc je défendrai Donald Trump», a tempêté Hanouna lors de sa dernière émission sur C8 le 27 février (la chaîne a cessé d’émettre le lendemain à minuit mais TPMP se poursuit jusqu’à fin avril en numérique sur MyCanal, YouTube ou Dailymotion). Avant d’ajouter : « Tant qu’on ne cassera pas tout, la France est ingouvernable. Il faut en 2027 [année del’électionprésidentielle]quelqu’un qui casse tout. » Suivez son regard. Avec le soutien du groupe M6? Car qui peut sérieusement croire que Cyril Hanouna va arrêter de faire de la polémique et de la politique dans ses émissions juste parce que ses nouveaux employeursleluidemandent?Cetransfertfracassantsoulève interrogations et inquiétudes au sein du groupe. Les journalistes de M6 et de RTL ne décolèrent pas et pointent les «dérapages graves et répétés (relais de fausses informations, propos discriminants, théories du complot, non-respect du pluralisme, diffusion d’images susceptibles d’humilier les personnes)» de l’animateur. Une bonne trentaine de manquements en tout qui ont valu plus de 7,6 millions d’euros d’amendes cumulées à C8 et lourdement pesé dans la décision de l’Arcom de ne pas renouveler sa fréquence. «Les valeurs du groupe [M6], de ses journalistes et plus largement de ses collaborateurs, n’ont rien à voir avec celles précédemment véhiculées par l’émission de Cyril Hanouna », rappellent les deux rédactions. Bras de fer en vue?• Le 27 février avait lieu la dernière de Touche pas à mon poste! sur C8, débranchée le lendemain. Cyril Hanouna est déjà annoncé sur W9 et Fun Radio, du groupe M6, à partir de septembre. M6, le nivellement par Hanouna Par Richard Sénéjoux Télérama 3921 05/03/25 4 STÉPHANE TRAPIER POUR TÉLÉRAMA | LAURA STEVENS/MODDS | EMMANUELLE MARCHADOUR/DIVERGENCE | SVETLANA PERIC | PLAN B/WARNER BROS. PICTURES/OFFSCREEN/KATE STREET PICTURE COMPANY SOMMAIRE EN COUVERTURE Guillaume Diop devant le mur de graffitis au 6e étage de l’Opéra de Paris, le 13 février. Photo Louis Teran pour Télérama Stylisme: Kevin Lanoy, assisté de Diogou Keita. Débardeur Ouest Paris, guêtres Repetto. Maquillage: Stéphanie Rossi. Ce numéro comporte pour la totalité des kiosques: une couverture spécifique «Paris-IDF» pour les abonnés et les kiosques de Paris-IDF, et une couverture nationale. Posés sur la 4e de couverture pour les abonnés: un encart 2 pages «La sélection hebdomadaire du Monde» pour une sélection d’abonnés payant de la France métropolitaine. Édition régionale, Télérama+Sortir, pages spéciales, foliotée de 1 à 56, jetée pour les kiosques des dép. 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95, posée sous la 4e de couverture pour les abonnés des dép. 75, 78, 92, 93, 94. 14 24 40 30 Dossier Un mois sur X Portrait Shiori Itō pour Black Box Diaries Reportage La clinique des musiciens Voyage Zurich, le refuge de Germaine Richier Télérama 3921 05/03/25 5 VICTOR LOCHON/GAMMA RAPHO | SONY PICTURES RELEASING/BROADWAY VIDEO/RIGHT OF WA Y FILMS/SNL STUDIOS DU 8 / 3 AU 14 / 3 46 Cinéma Mickey 17, de Bong Joon-ho 58 Livres Vivre avec les hommes 73 Télévision 50 ans de Saturday night live MAGAZINE CRITIQUES TÉLÉVISION & PLATEFORMES RADIO & PODCASTS 3 Premier plan Cyril Hanouna, de C8 à M6 6 L’instant T Le réalisateur Bong Joon-ho 8 L’œil sur l’actu 12 Story-board Tous fans de serial killers? DOSSIER 14 Journal de X Plongée au cœur du réseau social d’Elon Musk: une expérience extrême… ENTRETIEN 20 Guillaume Diop, l’étoile solaire Nommé étoile en 2023, le danseur de 25 ans illumine l’Opéra de Paris de son talent 24 Shiori Itō, seule contre tous La journaliste combat le tabou du viol au Japon 26 L’Art déco, épris d’épure Cent ans après l’exposition qui l’a consacré, le courant a fait école dans bien des domaines 29 Les culots de Marie s’infiltre L’insolente humoriste est passée des vidéos à la scène 30 Des maux musicaux À Paris, une clinique spécialisée répare les corps que des instruments ont usés 32 Bon sens, mais c’est bien sûr Surexploitée par les politiques, l’expression tient de la rhétorique de l’évidence 35 Les tribulations d’un monteur français en Chine Matthieu Laclau est devenu le monteur attitré de Jia Zhangke et d’autres cinéastes asiatiques IDÉES 36 Empires en pire Le politologue Thomas Guénolé analyse les rivalités interétatiques au XXIe siècle VOYAGE 40 Zurich à l’écart du chaos Dans les pas de la sculptrice Germaine Richier BEAU GESTE 42 Noires ébénisteries L’ébéniste d’art Louis Chaudière travaille le bois selon une ancestrale technique japonaise 46 Cinéma L’audacieux Mickey 17, de Bong Joon-ho 54 Musiques Nothing, de Darkside: exaltant! EN LUMIÈRE 58 Livres La philosophe Manon Garcia a réfléchi au procès Pelicot 66 Arts «Un exil combattant: les artistes et la France 1939-1945» 70 Scènes Taire, ou la figure d’Antigone revisitée avec brio, en tournée 73 Les 50 ans du Saturday night live célébrés par Canal+ 76 Deux docs d’exception sur Israël et la Palestine 78 Des gens bien ordinaires, s. 2 79 La réintroduction du loup au cinéma, acclamée par tous 82 Les sélections 88 Programmes et commentaires 130 Le meilleur de la semaine Les podcasts de Louie Media, les secrets de Tony Parker, un entretien avec Gaël Faye, les oligarques de la Silicon Valley… 135 Les programmes 140 Talents 141 Mots croisés 142 Conversation 6 Télérama 3921 05/03/25 OLIVIER VIGERIE/WARNER FRANCE L’INSTANT T LE CINÉASTE Bong Joon-ho Propos recueillis par Jacques Morice Ami des animaux « Dans le roman d’Edward Ashton [dont Bong Joon-ho s’est inspiré, ndlr], les “creepers” qui vivent sur la planète gelée sont décrits comme des sortes de mille-pattes. Avec le designer des créatures, on est parti sur une autre idée d’insecte géant, qui rappelle l’armadillo et… le croissant. Quand je vois cette viennoiserie, j’ai l’impression qu’elle va bouger! (rires) À l’opposé du système inhumain qui fait mourir sans cesse Mickey (Robert Pattinson), cette communauté de “creepers” est capable de s’entraider pour sauver l’un de ses bébés. La sagesse et l’intelligence sont de leur côté. Dans Okja (2017), je montrais à quel point les humainspeuventêtrecruels,làjemontre surtout combien ils peuvent être débiles. Depuis que je suis enfant, j’ai grandi auprès de chiens et de chats. J’ai aujourd’hui un chien que j’adore. Observer les animaux, c’est toujours pour moi une grande source d’inspiration. J’aime du reste beaucoup les documentaires animaliers.» Dystopie d’hier et d’aujourd’hui «Le personnage qu’incarne Mark Ruffalo dans Mickey 17 (lire critique p. 46) est la fusion de tous les dictateurs possibles,deMussoliniàCeauşescu.Pour les Européens, les pratiques qu’on voit dans mon film peuvent rappeler les nazis, leur concept d’eugénisme basé sur la supériorité d’une race. J’ai l’impression d’ailleurs que la perception varie, chacun ayant tendance à reconnaître un tyran de son propre pays. J’ai écrit le scénario en 2021 et j’ai tourné le film en 2022. Je suis moimême un peu interloqué par tout ce qui peut apparaître comme prémonitoire dans Mickey 17. La farce se passe dans le futur, mais peut donner l’illusion de parler d’aujourd’hui. Mes parents ont vécu la colonisation japonaise, et moi-même j’ai connu la dictature militaire, jusqu’au lycée. J’ai connu cette violence, ce système d’oppression. L’histoire en vérité ne fait que se répéter.» Éloge de la gentillesse « Mon film évoque des choses assez horribles, au milieu desquelles le pauvre Mickey se débat. C’est un antihéros, un personnage un peu benêt mais qui parvient à se préserver. Quand j’ai écrit le scénario de Mother (2009), j’ai tout de suite pensé à l’actrice Kim Hye-ja. Pour Mickey 17, c’est aussi au moment de l’écriture que je me suis fixé sur Robert Pattinson, parce qu’il a un regard et une expression du visage tels qu’on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Il inspire la gentillesse. Il m’avait marqué dans Le Roi, de David Michôd (2019), où il joue un rôle secondaire un peu grotesque, avec un drôle d’accent. Et surtout dans The Lighthouse, de Robert Eggers (2019), où, aux côtés de Willem Dafoe, il déploie une énergie et une folie explosives. C’est là que je me suis dit qu’il serait parfait pour mourir dixsept fois dans mon film.» • l’actu Près de six ans après le sacre de Parasite (Palme d’or à Cannes et Oscar du meilleur film), le réalisateur sud-coréen est de retour avec Mickey 17. Une dystopie aussi sombre que farcesque sur un «employé jetable» qui ne cesse de mourir pour gagner sa vie. 2019 Parasite. 2006 The Host. 2003 Memories of Murder. 8 Télérama 3921 05/03/25 AFP PHOTO/NEOM»/NO MARKETING/NO ADVERTISING CAMPAIGNS/DISTRIBUTED AS A SERVICE TO CLIENTS LA DÉMESURE Cauchemar de béton en Arabie saoudite Au Royaume-Uni la colère gronde d’une drôle de manière contre l’intelligence artificielle. Pour contester un projet du gouvernement qui cherche à faciliter l’utilisation d’œuvres pour entraîner les IA des entreprises de la tech, mille artistes cosignent Is This What We Want?, un album composé entièrement de… silence (ou plutôt de bruit ambiant). Objectif? Montrer ce que serait un monde où les musiciens seraient privés de leur gagnepain à cause du pillage de leur travail. Parmi les « auteurs » du disque figurent des stars comme Damon Albarn ou Annie Lennox, mais aussi Hans Zimmer. Kate Bush aurait enregistré l’un des titres dans son studio. «Dans la musique du futur, nos voix seront-ellesinaudibles?» a-t-elle déclaré. LE CHIFFRE 975 C’est, en millions, le nombre d’entrées dans les cinémas européens en 2024, selon l’Union internationale des cinémas (Unic). Une fréquentation quasi stable (– 1,4%) par rapport à celle de 2023, portée par des films locaux (notamment en Bulgarie, en Finlande, en Espagne et en France, avec par exemple Un p’tit truc en plus) mais aussi par les inévitables blockbusters hollywoodiens (Vice-versa 2, Moi, moche et méchant 4…). Si le projet allait au bout, ce complexe immobilier ferait 170 kilomètres de long sur 500 mètres de haut, pour neuf millions d’habitants. En Arabie saoudite, un chantier démentiel vient de démarrer: une barre de170kilomètresdelonget500mètres de haut, The Line («la ligne»), élément d’un plan urbanistique futuriste nommé Neom. Censé éviter l’étalement urbain et la voiture, ce monstre de béton et d’acier doit accueillir neuf millions d’habitants en 2045. Il est le fruit des fantasmes mégalos du prince Mohammed ben Salmane et de plusieurs agences d’architecture, dont l’australienne Delugan Meissl, l’américaine Gensler et l’italienne Fuksas. Ce concept a un parfum de XXe siècle: dans les années 1930, Le Corbusier tente sans succès de placer son plan Obus, qui remplacerait le front de mer d’Alger par une barre d’une vingtaine de kilomètres. Au même moment, l’Allemand Clemens Klotz construit un centre de vacances nazi à Prora, le long de la Baltique: 4,5 kilomètres d’ennui architectural et de loisirs disciplinés. Vers 1970, le collectif italien Superstudio, pour pousser le modernisme jusqu’à l’absurde, invente le Monument continu : une LE COUP MÉDIATIQUE Contre la menace de l’IA, un disque de silence barre imaginaire sans fin parcourant la planète. Mais l’absurde est en train de devenir réalité. À moins que les coûts énormes, les multiples aléas, les protestations contre le déplacement forcé de populations et l’appel au secours des protecteurs des oiseaux, qui risquent de s’écraser par milliers sur les façades miroirs, ne limitent les dégâts à la seule première tranche de 2,5 kilomètres. L’agence américaine Morphosis, à l’origine du projet, a d’ailleurs déjà quitté le navire. ▶ Xavier de Jarcy L’album est déjà disponible sur les plateformes.Sesdouzetitres,The,British, Government, Must, Not…, épellent un message : « Le gouvernement britannique ne doit pas légaliser le vol de la musique au bénéfice des compagnies de l’IA. » Le Premier ministre, Keir Starmer, et les travaillistes veulent en effet créer une exception au droit d’auteur et permettre à OpenAI ou à Google d’accéder librement aux œuvres pour muscler leurs modèles d’IA — à charge pour les artistes de déclarer s’ils veulent être exclus du programme. Les profits de l’album seront reversés à une association, Help Musicians, mais on peut douter que le grand public se rue sur un disque aussi conceptuel. ▶ Thomas Richet 9 Télérama 3921 05/03/25 JULIEN PEBREL/MYOP L’ŒIL SUR L’ACTU LE DÉCRYPTAGE Directeur de théâtre, y a plus moyen? Le départ vers la Suisse du metteur en scène et directeur de théâtre Jean Bellorini est-il un symptôme de ce qui se joue plus profondément dans le paysage culturel français? Arrivé à la tête du Théâtre national populaire de Villeurbanne, dans le Rhône, en 2020, le metteur en scène Jean Bellorini a annoncé, ce 25 février, son départ vers la Suisse où il prendra, début 2027, la direction du Théâtre de Carouge, situé non loin de Genève. Pourquoi cette décision? Depuis plusieurs années, Jean Bellorini alerte sur le manque de moyens que subissent les directeurs de CDN, et par ricochet les compagnies qui y sont programmées. Le non-renouvellement par choix de son mandat au sein de l’institution villeurbannaise n’est pas corrélé, affirme-t-il. Malgré tout, un pareil départ interroge, d’autant qu’on sait que la Suisse offre de plus larges moyens à ses théâtres, tandis qu’en 2023 la Région AuvergneRhône-Alpes a réduit la subvention du TNP de 500 000 à 350 000 euros, sur un budget total de 11,5 millions d’euLA PHRASE «Cesontlesgens sansimagination[…] lesresponsablesdespiresfléaux quifrappentlemonde.» STEPHEN KING Fatigué des coupes budgétaires, le metteur en scène Jean Bellorini quitte le TNP de Villeurbanne pour travailler en Suisse. Lu dans la postface de Plus noir que noir, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch, éd. Albin Michel. Il y raconte la genèse de ce recueil de nouvelles qui vient de paraître. ros. «Même si on a encore des moyens, onvoitlebudgetfondrecommeneigeau soleil», confirme le metteur en scène. Pourquoi Bellorini se dit-il «pris en étau»? En l’espace d’une décennie, le TNP (86 salariés permanents et 220 intermittents embauchés chaque année) a vusamargeartistique,cellequipermet à son directeur de créer des spectacles, passer de 2,2 millions d’euros en 2011 à peine 1 million l’an dernier. «Quand je meretrouvefaceàunprésidentdecollec tivitéquiaunchoixà faire entre le chauf fage des bâtiments publics ou le finan cement d’un lieu de culture, je ne peux rien dire, poursuit Bellorini. Quand je prends une décision, je pense immé diatement à son coût et à toutes les con traintes qu’elle va engendrer. Il nous faut retrouverplusd’autonomie,plusdefolie, mais j’ai l’impression d’être trop souvent un chef d’entreprise.» D’autres directeurs de théâtre sont-ils dans la même situation? Difficile d’imaginer que ce ne soit le ressenti que d’un seul homme. Si la France demeure le pays qui subventionne le plus la culture, les coupes budgétaires qui se multiplient et le poids toujours plus important de l’administration tendent à faire glisser peu à peu les directeurs de lieux vers la simple gestion au détriment de l’art qu’ils sont censés faire naître. ▶ Kilian Orain 10 Télérama 3921 05/03/25 CBS ENTERTAINMENT PRODUCTION/ÉTIENNE GEORGE L’ŒIL SUR L’ACTU L’HOMMAGE Gene Hackman, bougon préféré de Hollywood C’est en voyant Marlon Brando dans Un tramway nommé Désir que Gene Hackman, mort le 26 février à l’âge de 95 ans, songe, brusquement, à devenir comédien. Le film d’Elia Kazan est sorti il y a quelque temps, et lui frôle déjà les 30 ans. C’est qu’il s’est engagé chez les Marines en trichant sur son âge puis, de retour aux ÉtatsUnis, a effectué une série de petits métiers,avantdepenseraujournalisme… Mais en découvrant Brando, sa décision est prise: il sera acteur. Hélas, les professeurs de la Pasadena Playhouse californienne le jugent sans talent ni avenir. Il gagne New York, où il partage un appartement avec un autre débutant: Dustin Hoffman. Chance : sur le tournage de Lilith (1964), de Robert Rossen, Warren Beatty, superstar de l’époque, impressionné parsa présence,convainc Arthur Penn de l’engager pour Bonnie and Clyde (1967). Ce sera sa première nomination pour un Oscar, celui du meilleur second rôle. Cela n’empêche pas William Friedkin de le refuser tout net, quelques années plus tard, pour le polar qu’il prépare, French Connection. Il voudrait Robert Mitchum, Lee Marvin ou Steve McQueen. Sur le tournage, ses rapports se tendent avec celui qu’il s’est résigné à engager après le refus de tous ses favoris: «Gene ne voulait pas aller aussi loin que je le souhaitais. Il a passé son enfance dans une petite ville de l’Illinois où régnait le Ku Klux Klan et ne voulait donc pas brutaliser des Noirs devant la caméra, parce qu’il avait vu ça en vrai. J’ai dû le pousser, le pousser et, à la fin, nous y sommes arrivés… » Le film triomphe. Gene Hackman, aussi: il empoche l’Oscar. Les années 1970 marquent son apogée. Il tourne deux films qui, coup sur coup, remportent la Palme d’or: dans L’Épouvantail (1973), de Jerry Schatzberg, face à Al Pacino, il joue un paumé irascible dont le rêve dérisoire est d’ouvrir un car wash… Conversationsecrète (1974), de Francis Ford Coppola, en fait le symbole d’une Amérique ravagée par la paranoïa: l’espion qu’il interprète est gagné par le doute, l’effroi et la folie… Sa personnalité marque tant les esprits qu’un romancier, Ken Bruen, intitule un de ses polars The Hackman Blues: il y peint un promoteur immobilier fasciné par le comédien au point de copier ses mimiques et ses intonations. Admiré, donc, mais pas vraiment apprécié: les rapports de Gene Hackman avec ses réalisateurs ont toujoursététendus.«Uncasse-couilles quatre étoiles», a dit l’un d’eux… Sur le tournage d’Il était une fois la Légion (Dick Richards, 1977), Catherine Deneuve, sans le citer, parle d’un « acteur américain très désagréable, avec un caractère de cochon»… Mais sa popularité ne faiblira jamais. Sans doute parce qu’il alterne les blockbusters à succès (L’Aventure du Poséidon en 1972, Superman 1, 2, et 4 de 1978 à 1987) et des films plus aventureux: Eureka (1983), de Nicolas Roeg, où il joue un magnat décadent. Ou Les Pleins Pouvoirs (1997), de Clint Eastwood, où il incarne un président des États-Unis violeur et meurtrier… Son goût — généralement très sûr — lui aura permis de reconnaître les auteurs: Woody Allen (Une autre femme, 1988), Sidney Lumet (Les Coulisses du pouvoir, 1986), Sydney Pollack (La Firme, 1993). Et puis, un beau jour de 2004, il en eut marre. De Hollywood. Du cinéma. Il tira discrètement sa révérence et devint romancier. On crut à un caprice. À tort. On tenta de le faire revenir. En vain. «Je n’accepterais un film que s’il se tournait chez moi et si l’équipe ne bousculait ni ma vie, ni mon intérieur.» Une fin de non-recevoir, en quelque sorte. ▶ Pierre Murat En 1985, sur le tournage de Target, d’Arthur Penn. 12 Télérama 3921 05/03/25 NETFLIX | SERIAL KILLER THE EXHIBITION WORLD TOUR STORY-BOARD Tous serial kiffeurs de serial killers? Par Rémi Guezodje Sutcliffe, un chauffeur de bus anglais qui a assassiné treize femmes dans les années 1970. Ce mélange obscène de vrais et faux artefacts, sans réelle mise à distance historique ou critique, ne pose qu’une question: jusqu’où ira le fétichisme morbide? • Lenombreconsidérabledefilmsou de séries mettant en scène des tueurs en série avait déjà largement démontré l’intérêt du public pour le sujet… et son potentiel commercial. Depuis quelques jours, à Paris, l’exposition « Serial killer » (qui avait déjà attiré plus de cent mille visiteurs à Londres en 2024) met en scène la vie de criminels tels que Jack l’Éventreur ou Ted Bundy, à travers panneaux plus ou moins sourcés, salle de torture reconstituée, mannequins mutilés ou objets comme la véritable chemise de Peter En haut à gauche: Evan Peters dans le rôle de Jeffrey Dahmer (assassin de dix-sept jeunes hommes), dans la série de Netflix Dahmer. Ci-dessus et ci-contre: dans l’exposition «Serial killer», Karl Denke, tueur en série dans les années 1920, en Allemagne. Et la statue de cire du clown tueur John Wayne Gacy, inculpé pour le meurtre de trente-trois jeunes hommes dans les années 1970 à Chicago. ESLALOIDESSÉRIES: UNÉPISODEEST TOUJOURSSUIVI D’UNAUTRE TUTOYONSLACULTURE À chaque instant, grâce à notre application, découvrez, redécouvrez le meilleur des séries sur Netflix, Arte, Canal +, France.tv... 14 MÉDIAS | DOSSIER Depuis l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier, plus rien ne filtre la haine sur X. Surtout pas Elon Musk, son patron, qui y met en scène ses nouveaux pouvoirs. Journal d’un mois en ligne. Brutal, irrespirable… Sur de la propagande XXL Illustrations Stéphane Trapier pour Télérama Par Olivier Tesquet
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