TÉLÉRAMA n°3874 - Page 7 - 3874 NOUVEAU E-3008 100 % ÉLECTRIQUE Le SUV français nouvelle génération Nouveau Peugeot i-Cockpit® panoramique( 1) 527( 2) et 680( 3) km d’autonomie Au quotidien, prenez les transports en commun. #SeDéplacerMoinsPolluer ( 4) Consommation mixte WLTP (l/100 km) : 0. ( 1) De série ou en option selon les versions. ( 2) pour une version Allure ( 3) : pour une version Allure, en cours d’homologation. ( 2)( 3) :Norme WLTP en cycle mixte. L’autonomie de la batterie peut varier en fonction des conditions réelles d’utilisation. Commandez la version avec 527 km d’autonomie maintenant ou pré-réservez la version avec 680 km d’autonomie disponible à la commande ultérieurement ( 4) Voir conditions Programme Allure Care sur Peugeot.fr. Automobile PEUGEOT 552 144 503 RCS Versailles. 4 Télérama 3874 10/04/24 L’INVITÉ Il nous parle du plagiat, aussi bien que de son besoin d’être aimé et de ses racines marocaines. L’humoriste n’esquive rien. Il revient avec un nouveau spectacle et se livre comme jamais. Gad Elmaleh À VOIR Lui-même, en tournée dans toute la France en 2024 et 2025. tickets.gadelmaleh. com Propos recueillis par Yasmine Youssi Photo Yann Rabanier pour Télérama sionnellement, désormais, j’ai juste besoin que la vanne claque, d’arriver au prochain show. Et quand j’y suis, j’ai hâte de filer dans un Comedy Club pour roder un nouveau bout de spectacle, parler avec les humoristes. Je n’ai pas d’autre vie sociale. Qu’est-ce qui vous a donné confiance en vous? J’ai bâti ma carrière sur un manque de confiance en moi — une fragilité finalement utile pour les thèmes que j’évoque sur scène. Sauf que cela générait en retour une forme de mégalomanie. Aujourd’hui, si je joue dans une salle de dix mille personnes, c’est la conséquence de quelque chose. Avant, c’était un but. Mais peut-être que je ne tiendrais pas le même discours si ça ne marchait plus. Je crois, cependant, m’être débarrassé de l’ego. Quand avez-vous compris que votre vie était sur scène? Gamin, à Casablanca. J’avais gravé sur le banc de l’école «la vie est sous les projecteurs». D’où cela m’est-il venu? Thierry Le Luron me fascinait. Il doit aussi y avoir une forme d’atavisme. Mon grand-père faisait le comique dans les mariages. Mon père, du mime. Nous vivions dans une ambiance mélancolique mais pas triste, plutôt créative et assez agréable. Mes parents nous inculquaient l’honnêteté, la charité, l’intégrité — même si je ne l’ai pas toujours été. Mon père est un «silanxieux», vulnérable et sensible. Un artiste qui n’a pas été au bout de son rêve. Son parcours professionnel est éclaté: tantôt il tenait une pizzeria, tantôt un magasin de jouets, ou il vendait du matériel sanitaire quand il n’était pas agent immobilier. Cette instabilité a provoqué en moi S’est-il jamais autant livré? À nous, autant qu’à Lui-même — le titre de son nouveau spectacle. Comme pour solder ses propres comptes, en finir avec unecrisequiaéclatéen2019etenarévélétantd’autres.Gad Elmaleh, l’enfant chéri du public et des médias, était alors accusé de plagiat d’humoristes américains, vidéos à l’appui. Ce qu’il avait commencé par nier, s’enferrant plus encore dans ses problèmes d’ego. Ne lui restait qu’une issue de secours: retrouver du sens. À sa vie. À son œuvre. Cette quête l’a amené, lui, le Juif marocain, à se plonger dans l’étude du christianisme — ce qui lui a inspiré un film délicieusement intimiste, Resteunpeu. Et à se recentrer sur l’essence de son art. Cette capacité à faire un pas de côté pour regarder son quotidien, à dynamiter les expressions toutes faites, créant ununiversportéparunelanguequ’iltord,modèleàsaguise, pique de néologismes et accompagne de quelques gestes minimalistes. On le rencontre au Théâtre national de Nice, qu’il aime particulièrement, et la discussion se prolonge. Car il cherche le mot juste, n’hésite pas à puiser au plus profond, à ponctuer ses réponses de ces blagues juives qui révèlent le sens et la complexité de la vie et des choses. Gad Elmaleh, effectivement, tel qu’en lui-même. Il y a trente ans, votre premier spectacle mettait en scène l’éclosion de votre double. Comment a-t-il évolué depuis? Au-delà de l’envie de devenir comédien, j’avais alors besoin d’être connu et reconnu, de signer des autographes. D’être différent. Cette volonté de lumière guidait jusqu’à mes histoires d’amour. J’en suis tellement revenu. Profes☞ 1971 Naissance à Casablanca, au Maroc. 1994 Présentation de son premier spectacle, Décalages, au Québec. 2009 L’humoriste réalise son premier film, Coco. 2014 Installation aux États-Unis pour y mener carrière. 2022 Sortie de son film Reste un peu, sur son rapport au catholicisme. 6 Télérama 3874 10/04/24 ☞ Qu’est-ce que ce scandale a changé? D’un point de vue professionnel, ce que j’écris avec ma sœur ou avec mes copains, comme Roman Frayssinet, est passé au scanner. J’ai aussi compris qu’il fallait dire les choses, quelles qu’elles soient. Finalement, ça a été la période la plus bénéfique de ma carrière. Mes certitudes se sont toutes effondrées. Je me suis remis aux études au CollègedesBernardins.J’aid’abordrencontrélesociologue Gérard Bronner — c’était passionnant. Puis je suis passé à la théologie et à l’anthropologie. Le rôle de l’humoriste se réduit-il à faire rire? Quoi qu’on dise, la liberté de parole n’est pas totale. Il y a une autocensure et une crainte globale de ce que quelqu’un pourrait avoir à dire, alors, pour beaucoup, mieux vaut se taire. Mais je réfute l’idée selon laquelle «on ne peut plus rien dire». Si la route est bloquée, il faut trouver d’autres chemins. L’humour prévisiblement transgressif ne me parle pas. Les chroniques de France Inter sont d’emblée présentées comme telles. Alors, où est la surprise? Or ce qui est transgressif doit surprendre. Les humoristes sont, à mes yeux, les soupapes des Cocottes-Minute. Lorsque j’évoque la guerre en Israël dans mon spectacle, j’envoie un message de paix. Pas parce que je suis cucul la praloche, mais parce que la situation est complexe. Referiez-vous, aujourd’hui, le sketch de 2016 sur les Asiatiques, avec Kev Adams? Les gens ont fait semblant de ne pas comprendre, d’autant que je commence par dire à Kev «tuvasmeniquertrenteans de carrière avec ça, tu ne peux pas parler avec un accent chinois». Un accent que je ne prends jamais: je parodie un mec déguisé qui fait mal cet accent. Et je me fais massacrer. Là encore, j’ai mal géré. Un grand article m’a traité de raciste. Au lieu de dire à celle qui l’a écrit «ce sont des conneries», je me suis moqué d’elle sur Instagram, m’enfonçant tout seul, de nouveau. Quel a été le changement majeur dans l’humour depuis vos débuts? L’arrivée du stand-up: venir sur scène tel que l’on est dans la vie, pour s’adresser directement au public, avec des observations et un partage du quotidien. Ceux qui font des sketchs ont un grand talent. Ce sont des comédiens comiques. Les stand-uppers sont des anthropologues, des sociologues, des philosophes. On peut passer sa vie à faire d’excellents sketchs, sans jamais partager avec le public sa vision du monde. Or dans un monde où l’on est abreuvé de contenus, il faut être dans un discours de vérité, sinon ça passe à la trappe. Autre changement majeur: les réseaux sociaux. Beaucoup d’humoristes y voient le jour. Nous, il fallait qu’on se fasse «druckeriser». Vous rapprochez votre travail de celui du peintre Pierre Soulages. Je devais être très prétentieux le jour où je me suis comparé à lui. J’aime la radicalité de son œuvre. D’une même matière, d’une même couleur, il arrive à s’exprimer et c’est ce que je vise: l’épure. J’ai découvert Soulages il y a une vingtaine d’années, chez un ami. Et j’ai commencé m’intéresser à l’art à partir de là. Dernièrement, j’ai été saisi par les marines du photographe japonais Sugimoto. Leur radicalisme un besoin de rigueur inouï. Pour les miens, je suis un Suisse allemand. Mais quand je me mets au lit, j’ai toujours une flamme. Comme une aspiration à quelque chose. Les cathos appellent ça le Saint-Esprit. Les musulmans diraient «du grand n’importe quoi». Et les Juifs, «dors, il est tard». Qu’aviez-vousenviederaconteraveccenouveauspectacle? Pas d’histoire. Plutôt un état des lieux, où j’en suis dans ma quête de sens, dans mon combat contre l’ego. Plusieurs voix parlent en moi. Ce que je vis très bien. L’islamologue et politologue Rachid Benzine, avec qui j’échange beaucoup, me dit toujours de ne pas oublier qu’étant marocain, j’appréhende le monde à travers cette «marocanité». Si quelqu’un se lance dans un discours sur l’immigration, je lui rappelle que j’ai une carte de séjour. Pourquoi l’immigré doit-il toujours avoir la place que l’autre a décidé de lui assigner? Il est soit un être perdu à qui on tend la main, soit une menace. L’immigré, on en a fait un fonds de commerce, un sujet de film, un carburant électoral. Pour ce spectacle, je me suis aussi demandé de quelle manière ma vie serait impactée si j’arrêtais les petits mensonges du quotidien. Une psy m’avait encouragé à noter chaque moment, même le plus insignifiant, où je n’avais pas dit la vérité. Si on s’en arrange, ce n’est pas grave. Ça le devient s’ils pèsent, donnant alors une couleur sombre à la vie. Et on ne peut plus exiger tout ce à quoi on aspire si on est intègre. Or on ment pour tout. Par manque de confiance, pour être accepté par les autres, pour être aimé. Vous ne semblez plus avoir besoin de séduire le public… Quand je pense que je suis allé aux États-Unis pour me dépasser, être aimé, alors que j’ai tout ici. Ça participait d’un rêve, d’un fantasme, d’un besoin de sortir de ma zone de confort, de me prouver très vite que c’était possible. Et que la France et le Maroc le voient. Certes, je côtoyais d’immenses humoristes comme Jerry Seinfeld ou Chris Rock. Mais je me suis vite aperçu que ce n’est pas ça qui compte. Faireletalk-showdeJimmyFallon,penserêtreaufirmament de sa vie pendant ces douze minutes, sans pouvoir le partager avec les siens qui, du fait du décalage horaire, dorment de l’autre côté de l’Atlantique, est d’une tristesse à pleurer. AlorsjeretournaisauComedyClubtesterdesblagues—d’autant plus qu’à l’époque, je buvais. Et c’était pire encore. D’où vient votre anxiété? De la peur de ne pas être à la hauteur. On me dit parfois que j’ai de la repartie. En fait, non. J’imagine tout ce qu’on pourrait me dire, les pièges et les agressions, et je prépare les réponses. Alors comment ne pas avoir anticipé le scandale du plagiat? C’est idiot, mais au moment du plagiat, Instagram et YouTuben’existaientpas.J’auraisdûassumerqu’ilm’étaitarrivé de prendre des vannes à des Américains. Pas parce que j’étais en panne d’inspiration — j’ai prouvé que j’en avais —, mais par facilité. Comme ceux qui disent aux juges «je pensais que ça ne se verrait pas». Nous étions plusieurs épinglés pour plagiat. Mais je suis le seul à avoir autant pris. Enfermé dans mon orgueil, je suis rentré dans le jeu, je me suis justifié. Je n’en dormais plus la nuit. Ce n’est pas l’accusation qui me faisait mal, mais la peur qu’on ne m’aime plus. 7 Télérama 3874 10/04/24 lespetitsmensongesduquotidien.» «Pourcespectacle,jemesuisdemandé commentmavieseraitimpactéesij’arrêtais dées sur les murs, non par de jeunes musulmans fondamentalistes, mais par des mamans bobos. Et quand on leur demande pourquoi, elles répondent «parce qu’Israël, quand même…». Déchirer la photo d’un être humain pris en otage par des barbares, alors que celle-ci lui donne de la lumière, de la vie, relève de l’antisémitisme. Appeler à une solution à deux États, vouloir la paix, le dialogue, et que les gens arrêtent de crever là-bas: c’est ça, être propalestinien. On peutmêmeêtre Juifetpropalestinien. J’aimeraisaussiqu’on arrête de penser qu’en Israël, tout le monde est d’accord et du même bord. D’ailleurs, on peut davantage discuter avec ceux qui sont au cœur de la tragédie qu’ici. L’histoire de votre grand-mère Mimi, à qui votre sœur Judith a consacré un livre 1, n’aurait-elle pas dû faire de vous le premier des féministes? Mon grand-père et sa première femme étaient fous amoureux. Mais puisqu’elle ne pouvait pas tomber enceinte, ils ont appliqué une loi rabbinique et elle lui a «donné» sa nièce de 14 ans pour lui faire des enfants: ma grand-mère Simha, «la joie», en hébreu, Mimi, comme on l’appelait. Sept enfants sont nés, qui ont cohabité chez les uns et les autres. J’ai toujours pensé que ma grand-mère était une féministe dans l’âme, dans son ADN de femme, dans ses revendications. Un jour, pensant lui faire plaisir, je lui ai dit:«Mimi, j’aimerais me marier avec une Juive marocaine qui saura faire à manger comme toi et s’occuper de mes enfants.» Elle m’a attrapé le bras et elle m’a dit, en arabe, «tu cherches une femme ou une bonne?». Le féminisme doit aussi être une affaire de mec. Vous admiriez ou étiez proche de Depardieu, de Caubère ou de Polanski, qui sont aujourd’hui poursuivis pour viols… Ces hommes étaient pour moi des modèles que j’ai idéalisés. Je suis très touché, à l’écoute de ce que disent ces femmes, parce qu’il faut un sacré courage pour prendre la parole. Ceux qui ont commis des abus et des crimes doivent et vont répondre de leurs actes. Et je vais être très attentif à la réponse de la justice. Mais, et je pèse mes mots tant le sujet est délicat, ne comptez pas sur moi pour enfoncer qui que ce soit plus bas qu’il ne l’est déjà. Ce n’est pas parce qu’on lynche quelqu’un que la justice sera mieux rendue. Votre dernier spectacle s’intitule Lui-même. Que peut-il y avoir, après ça? Quand j’ai arrêté l’alcool j’ai suivi un programme qui s’appelait «Juste pour aujourd’hui», d’après un livre des Alcooliquesanonymesquidisait:«Sionvousdemandesivousavez arrêtél’alcool,répondez“justepouraujourd’hui”.Aufinal,ça fera toute une vie.» Sincèrement, je ne sais pas si je ferai un autre spectacle. Ou alors, je jouerai celui-là jusqu’à la fin de ma vie, en le changeant tous les jours• 1 Une reine, de Judith Elmaleh, éd. Pocket, 224 p., 7,70€. et leur minimalisme m’apaisent. Voilà pourquoi la vie monastique m’intéresse. Je suis fasciné par la manière dont les moines travaillent. Chaque geste, chaque acte est coordonné. J’ai demandé à un moine comment ils faisaient: «On va tous dans le même sens: on cherche Dieu. Mais le but n’est pas de le trouver», m’a-t-il répondu. Qu’a changé la découverte du catholicisme en vous? Elle m’a rapproché de mon identité juive, au sens profond. Les textes du Talmud, de la Guemara, de la Mishna, de la Torah, appris dans mon enfance, se sont alors réveillés. Pendant la messe est lu le livre des Tehilims — c’est-à-dire des psaumes du roi David — ou un extrait de l’Ancien Testament, qui est quand même la clé USB de base. Même dans cette quête spirituelle, j’aime être ce gars différent, qui va là où on ne l’attend pas. Ce Juif qui se tourne vers les autres, ce Marocain qui aime les cathos. Bien sûr que les dérives de l’Église me mettent en colère. Mais on ne peut la réduire à cela. Je ne me suis pas converti comme certains ont voulu le faire croire pour me décrédibiliser auprès de la communauté juive, alors que «ce détour» met encore plus de lumière sur la richesse de la pensée juive. Avec Jamel Debbouze, vous aviez caressé l’idée d’un spectacle qui s’appellerait Gad et Jamel vous foutent la paix… Ce rendez-vous, on l’a manqué il y a vingt-cinq ans, emportés par la folie de nos notoriétés. Pourtant, il était nécessaire. À l’époque, on était animé par notre fraternité avec une forme de candeur et de naïveté propice au sujet. On se retrouvait aux Halles, Éric et Ramzy nous rejoignaient, on riait huit heures d’affilée. À la fin de la soirée, on se disait « on est bien ensemble, il faudrait en faire un spectacle ». L’écrire maintenant? J’aurais peur que ça ne soit pas aussi naturel, d’être dans une forme d’opportunisme. J’ai une immense affection pour Jamel. Mais je ne sais pas de quoi il a envie aujourd’hui. Juif et Arabe, comment vivez-vous la guerre en Israël? Mal, mais je ne me sens pas tiraillé. Les gens me disent que ça doit être difficile pour moi, du fait de mon histoire. Je leur réponds que c’est difficile pour les otages et pour le peuple palestinien. Pour le peuple israélien, aussi, qui a peur pour sa sécurité. En France, le retentissement est important, parce que les deux communautés sont fortement représentées, et que cette guerre charrie des questions qui vont de la Shoah à la colonisation. Je condamne haut et fort, avec colère,lesattaquesdu7octobre.Etjesuistoutautanteffondré de tristesse quand je vois ce que subissent les enfants palestiniens. Jemefaisinsulterparbeaucoupdejuifsquandjedis ça, et par des musulmans quand je dénonce le terrorisme et la barbarie du Hamas. Je suis aussi profondément heurté quand je vois des gens arracher les photos des otages placarL’INVITÉ L’HUMORISTE GAD ELMALEH 8 Télérama 3874 10/04/24 JUSTIN PICAUD/SIPA | FONDS NARDAL-ACHILLE | SEBASTIEN BOTELLA/ PHOTOPQR/NICE MATIN | CAROLINE CHEVALIER POUR TÉLÉRAMA SOMMAIRE COUVERTURE L’humoriste Gad Elmaleh Photo Yann Rabanier pour Télérama Ce numéro comporte pour la totalité des kiosques et les Gpub: un cavalier «Pass Week-end Musées» de 4p. sur la couverture; une couverture spécifique «Paris-IDF» pour les abonnés et les kiosques de Paris-IDF, et une couverture nationale. Posé sur la 4e de couverture: un encart 16p. Marianne en aléatoire sur les abonnés particuliers payants France métropolitaine à toper; une affiche Centre Pompidou en aléatoire sur les abonnés des dép. 75-78-91-92-9394-95. Édition régionale, Télérama+Sortir, pages spéciales, foliotée de 1 à 56, jetée pour les kiosques des dép. 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95 ; posée sous la 4e de couverture pour les abonnés des dép. 75, 78, 92, 93, 94. CRITIQUES 41 Le rendez-vous Biographie des sœurs Nardal 44 Cinéma 52 Musiques 56 Livres 60 Arts 62 Scènes 64 Enfants 65 Festival cinéma Télérama enfants TÉLÉVISION 73 Le meilleur de la semaine télé Ripley, Plein Soleil et Le Talentueux Mr Ripley, sur Netflix 84 Programmesetcommentaires RADIO & PODCASTS 140 Lemeilleurdelasemaine radio& podcasts Clotilde Leguil, sur France Inter 145 Les programmes 150 Talents 151 Mots croisés MAGAZINE 4 L’invité L’humoriste Gad Elmaleh 9 Premier plan La crise du spectacle vivant 10 Ici et ailleurs 12 Repéré Le réalisateur Florent Bernard LE DOSSIER 14 Les fractures de la gauche Les héritiers de l’universalisme des Lumières se heurtent aux revendications d’une nouvelle génération de militants 20 Loin de la Silicon Valley Rencontre avec l’auteur Alain Damasio, en Provence 23 Il était une fois… le double L’alter ego au cœur du Festival cinéma Télérama enfants 24 Le bâtisseur des mers Jacques Rougerie, pionnier de l’architecture subaquatique 26 La religion selon saint Bolloré Sur ses chaînes d’info, le magnat des médias promeut le catholicisme le plus réac 30 L’uniforme, c’est la classe ? La tenue scolaire unique expérimentée à Puteaux et Béziers AUTREMENT 33 Penser Le pouvoir des femelles dans le monde animal, par la zoologue Lucy Cooke 36 Voyager À Riec-sur-Bélon, au pays de la cuisinière Mélanie Rouat 38 Vivre Le designer Thomas Noui, l’art et le changement climatique… Du 13 au 19 avril 2024 41 20 14 30 Sur le site Est-ce un effet des jeux Olympiques de Paris à venir? Télérama propose cette semaine un grand écart qui témoigne de sa belle souplesse. Le télescopage de deux anniversaires – les 300 ans de la Passion selon saint Jean, de Johann Sebastian Bach, et les 30 ans de la mort de Kurt Cobain – nous a poussés à concocter deux listes de leurs créations inoubliables. À notre droite, un portrait-patchwork du compositeur allemand par seize mélomanes de la rédaction, où l’on retrouve sa complexité, sa générosité et son infinie curiosité. À notre gauche, les vingt titres les plus électrisants de Nirvana, classés par ordre de préférence après un vote de nos journalistes. Adagio mélancolique ou riff rageux de guitare, il y en aura pour tous les goûts, et vous avez même le droit d’aimer les deux. telerama.fr/musique ICI ET AILLEURS 9 Télérama 3874 10/04/24 MICHEL WIART Par Olivier Milot D’uncôté,60%desstructureslabelliséesparleministèrede la Culture (théâtres, opéras, centres chorégraphiques…) clôturent leurs comptes 2023 sur un déficit. De l’autre, les compagnies (théâtre, danse, arts de la rue…) sont aux abois. L’Association des professionnels de l’administration du spectacle a réalisé une enquête dont les résultats vont au-delà des craintes imaginées. Le nombre de dates des représentations baisserait de plus de la moitié pour la saison 2024-2025. Corollaire de cette chute d’activité? Plus d’un artiste sur cinq réfléchirait à arrêter sa carrière ou à dissoudre sa compagnie. Même si la réalité s’avérait moins brutale, les faits sont là. Les financeurs de la culture —État et collectivités locales— sont désargentés; la Rue de Valois incapable de penser une politique publique; notre modèle privilégiant la création à sa diffusion, à bout de souffle. Nous sommes condamnés à réinventer le système. Périlleuse obligation • Jusqu’ici, le système tenait. En apparence du moins. En coulisses, c’était une autre histoire. Lesdirigeantsdesallesdespectacles,dethéâtres, d’opéras tiraient partout la sonnette d’alarme. Ici on ne disposait plus d’assez d’argent pour proposer une saison pleine, là des salles fermaient temporairement, les compagnies avaient de plus en plus de mal à vendre leur création à des programmateurs qui croulaient sous des propositions qu’ils ne pouvaient plus accepter, ou à prix cassés, ou pour des durées réduites. La faute à l’inflation qui renchérit tout, aux subventions qui stagnent quand elles ne baissent pas. Avec toujours la même conséquence: une amputation des moyens disponibles pour la création artistique. Ce délitement à bas bruit prend des proportions effarantes. Avec la chute des subventions, le nombre de représentations pourrait baisser de moitié (ici, au festival Chalon dans la rue, en 2023). PREMIER PLAN LE SPECTACLE VIVANT SE MEURT ICI ET AILLEURS 10 Télérama 3874 10/04/24 DÉCRYPTAGE DES JEUNES PERDUS POUR LA LECTURE ? LadernièreétudeduCentrenationaldulivre(CNL) metenévidenceundécrochagechezlesjeunesFrançais, particulièrementpréoccupantauseindelatranche16-19ans. LeCovidest-ilresponsabledelabaissedelecturechez certainsjeunes? L’hypothèse peut paraître improbable, elle est pourtant en train de prendre corps. L’étude1 montre en effet un décrochage très fort de la lecture chez les 16-19 ans. Dans cette tranche d’âge, les filles ne sont désormais plus que trois sur quatre à lire durant leurs loisirs (moins 11 points) et les garçons, un sur deux (moins 15 points). Or, dans la précédente étude réalisée en 2022, on avait également constaté un décrochage de lecture marqué, mais chez les 13-15 ans. Les mêmes, donc. «Nous nous demandons s’il n’y a pas une “génération Covid” ou en tout cas “une tranche d’âge Covid” qui aurait durablement perdu certaines habitudes de lecture pendant la pandémie», explique la présidente du CNL Régine Hatchondo. Une hypothèse qui demandera à être confirmée en observant quel rapport à la lecture auront ces jeunes quand ils seront plus âgés. Lalecturea-t-elledéfinitivementperdufaceauxécrans? Pas encore, mais le déséquilibre entre le temps de lecture et le temps passé devant les écrans ne cesse de se creuser. Les 7-19 ans passent désormais dix fois plus de temps devant les écrans (trois heures onze par jour en moyenne et jusqu’à cinq heures dix chez les 16-19 ans) qu’à lire des livres (dixneuf minutes en moyenne). Régine Hatchondo juge urgent de «sensibiliser massivement les jeunes et leurs parents en mettant en exergue les bienfaits de la lecture chez les enfants, notamment en matière de concentration, d’imagination, d’empathie, de développement du langage et du cerveau…» Lesmangas,véritabledoudoudesjeuneslecteurs Même si leurs ventes baissent un peu après des années de progression, les mangas sont plébiscités à tous les âges, en particulier par les garçons de 13-15 ans, chez qui ils représententtroisquartsdeslivreslus.Leromanpoursuitsonérosion mais reste en bonne place grâce à une progression spectaculaire des romans sentimentaux ou d’amour (plus 9 points), dontlesjeunesfillesfontunelectureeffrénée.Enfin,ladark romance effectue une entrée remarquée dans l’étude puisqu’elle est déjà prisée par 17% des jeunes lecteurs, notamment les 16-19 ans. — OlivierMilot 1 Étude réalisée par Ipsos en janvier 2024 auprès d’un échantillon de 1500 personnes âgées de 7 à 19 ans. PLUS DE FEMMES, PLUS OSÉ, ÇA PROMET À AVIGNON Pour le 78e Festival d’Avignon et sa deuxième programmation, le Portugais Tiago Rodrigues change de cap. Le festivalserapluslong—commençantplus tôt (le 29 juin) et finissant plus tard (le 21 juillet), JO obligent — et on y verra deux étrangères électriser en VO la Cour d’honneur : la sulfureuse sorcière espagnole Angélica Liddell (photo), avec Dämon, autour du cinéaste Bergman ; et la singulière polonaise Marta Górnicka, dirigeant un chœur defemmesukrainiennesdansMothers. A Song for Wartime. Parti pris gonflé, longtemps espéré: en 2023, Julie Deliquet n’était que la deuxième femme invitée dans la Cour depuis Ariane Mnouchkine en 1982! Tiago Rodrigues affirme atteindre la parité absolue en matière de création avec d’autres passionnantes artistes: Caroline Guiela Nguyen, Séverine Chavrier et Lorraine de Sagazan. Pourtant, c’est le chorégraphe Boris Charmatz, directeur du Tanztheater Wuppertal, qui sera l’«artiste complice» du maître de céans avec trois spectacles à l’affiche. Quèsaco? Apparemment «en proximité» mais pas «associé»… Avignon 2024 sera international, pluridisciplinaire ou ne sera pas: retour bienvenu du polonais Krzysztof Warlikowski avec Elizabeth Costello, d’après J.M. Coetzee, arrivée du cirque avec la compagnie Baro d’evel. La langue invitée est l’espagnol, et l’on se réjouit de voir Jeanne Balibar dans le Quichotte revu par Gwenaël Morin, comme du soutien aux créateurs argentins (Mariano Pensotti, Lola Arias, Tiziano Cruz). Mais Tiago Rodrigues se défend de faire un festival politique. Même si Hécube, pas Hécube, qu’il montera avec la Comédie-Française, raconte la guerre de Troie et les combats d’une femme d’aujourd’hui. Et si les spectacles sont moins nombreux, pas de panique: leurs représentations seront plus longues. Pour endiguer les frustrations. — Fabienne Pascaud ICI ET AILLEURS 11 Télérama 3874 10/04/24 COLIN DELFOSSE/NYT-REDUX-REA | JEAN-JACQUES BERNIER/GAMMA RAPHO LA GUERRE CONTRE LES POLLUANTS ÉTERNELS A DÉMARRÉ L’écrivaine Maryse Condé en 1984, à Ségou, ville du Mali qui a inspiré son best-seller sur l’empire bambara au XIXe siècle. UNE PLUME TREMPÉE DANS L’HISTOIRE NOIRE L’écrivaine Maryse Condé s’est éteinte discrètement, à l’âge de 90 ans, le 2 avril. Elle lègue une œuvre monumentale de plus de soixante-dix romans, essais, pièces de théâtre et livres pour enfants. Elle se voit récompensée du prix Nobel alternatif de littérature en 2018, qui saluait la précision « bouleversante » d’une langue affrontant sans répit, à la croisée des continents, la question des origines, du racisme et des identités. Maryse Boucolon est née le 11 février 1934, «jour de carnaval», note la plaque commémorative apposée sur sa maison d’enfance par la commune de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. Gorgée de littérature, la jeune fille y écrit une première ébauche de roman à 11 ans. Huit ans plus tard, elle étudie à Paris et expérimente, à l’aube de la vingtaine, une grossesse traumatisante, dont elle fera le récit en 2012 dans La Vie sans fards. En 1959, elle part enseigner le français en Côte d’Ivoire, avant de rejoindre la Guinée, le Ghana, puis Londres, où elle travaille pour la BBC. En 1969, déjà séparée de son mari Mamadou Condé, elle s’installe au Sénégal et rencontre son futur partenaire et acolyte, le traducteur Richard Philcox. Elle publie un premier roman à 42 ans, Heremakhonon (1976), amorce d’une œuvre explorant les vies de femmes noires: Une saison à Rihata (1981), Ségou (1984-1985), best-seller en deux volets retraçant le déclin du royaume bambara, et Moi, Tituba, sorcière noire de Salem (1986), dont l’édition anglaise est préfacée par Angela Davis. Fondatrice du Centre des études françaises et francophones de l’université Columbia, à New York, où elle a habité pendant vingt ans, Maryse Condé préside également le Comitépourlamémoiredel’esclavageen 2004. Figure majeure de la littérature française, elle entretient cependant un rapport complexe à la France et re«Nous sommes tous contaminés.» L’air grave, Camille Étienne fixe la caméra. Les PFAS (« peret polyfluoroalkylés »), ces « polluants éternels » car indestructibles, pour la plupart cancérogènes, se répandent dans l’air, l’eau, les sols et le sang, et s’y accumulent. Dans Toxic Bodies, un documentaire bricolé en un mois, l’activiste a rassemblé quelques-unes des sommités de la question — dont Robert Bilott, l’avocat pugnace incarné par Mark Ruffalo dans Dark Waters (2019), film qui avait révélé le scandale des PFAS contenus dans le Teflon aux États-Unis. Sa mise en ligne sur YouTube en mars a créé une mobilisation citoyenne et médiatique inédite, un appel d’air bienvenu pour porter à la connaissance du grand public les alertes des scientifiques. En face — cas d’école de contre-attaque du lobby industriel —, l’entreprise SEB, propriétaire de Téfal, a incité ses salariés à venir manifester à Paris la veille de la discussion d’une proposition de loi déposée par le député écologiste Nicolas Thierry et visantà interdire lesPFAS. Une stratégie bien connue, selon Olivier Petitjean, de l’Observatoire des multinationales: «Après avoir euphémisé le risque et semé le doute, les lobbies usent de l’argument économique de la perte des emplois.» Le 4 avril, contre l’avis du gouvernement, le texte a tout de même été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale… excepté l’alinéa 5 de l’article premier, qui portait sur les ustensiles de cuisine. S’il n’a donc pas suffit à contrer le «lobby de la poêle à frire», ce vote fait tout de même prendre à la France une certaine avance sur ses voisins européens. — Natacha Marbot grette de ne pas y être suffisamment lue. C’est pourtant dans un petit village du Vaucluse qu’elle choisit de s’exiler dans les années 1980. Atteinte d’une maladie dégénérative, elle y dicte son dernier roman à une amie: L’Évangile du nouveau monde (2021), grandiose éloge de l’amour, où flotte, déjà, le parfum d’un testament. — Caroline Pernes
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