TÉLÉRAMA n°3864 - Page 1 - 3864 Avec SG, faites grandir vos idées partout en France. 4 Télérama 3864 31/01/24 Unhurluberludelaculturepop,prince et pirate. Quentin Dupieux réalise des comédies avides de non-sens, qui attirent des acteurs de tous horizons. Serial killer amoureux de son blouson en daim (Le Daim, avec Jean Dujardin), idiots qui trimballent une mouche géante (Mandibules, avec Grégoire Ludig et David Marsais du Palmashow), couple qui emménage dans une maison cachant un conduit à légère connotation sexuelle (Incroyable mais vrai, avec Léa Drucker et Alain Chabat): ses histoires fantasques, entre rêves éveillés et pièges temporels, font rire, intriguent. En donnant cette sensation rare d’un cinéma frais et fait main. Multiforme, réfractaire à toute règle, ce cinéma est abstraitouconcret,trivialouformaliste.AprèsYannick,huis clos sobre avec Raphaël Quenard sorti l’été dernier, voilà Dupieux qui passe au surréalisme baroque dans Daaaaaalí!, portrait démultiplié du fameux peintre espagnol, incarné par six comédiens à moustache (Édouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche, Pio Marmaï…). Un anti-biopic qui s’amuse follement à dérégler le temps et les codes narratifs. Un contre-modèle de plus aux normes en vigueur régissant la pratique du cinéma français. Car ce réalisateur ne cesse d’enchaîner les films, tous saillants de concision, tel un chantre loufoque du circuit court. Artisan, artiste, fumiste, stakhanoviste, oui, c’est un peu tout cela, Dupieux. L’INVITÉ Il s’est installé aux États-Unis sans parler anglais, s’est lancé dans l’électro armé d’une peluche, a magnifié les aventures d’un pneu. Cinéaste inclassable, il sort un Daaaaaalí! complètement fou, incarné par six acteurs. Quentin Dupieux À VOIR ; Daaaaaalí!, Sortie le 7 février. LIRE la critique dans notre prochain numéro. Propos recueillis par Jacques Morice Photo Audoin Desforges pour Télérama Vous êtes un cas atypique du cinéma français: un marginal hyperactif et couronné? J’occupe une place à part, mais j’ai bataillé pour l’avoir. J’ai dû forcer l’industrie pour en arriver à ce niveau de liberté. J’ai été chiant avec les producteurs. Personne ne voulait de moi après Steak (2007). J’avais planté Éric et Ramzy, qui faisaient 2 millions d’entrées. Le film n’a fait que 300000 entrées, un four à l’époque. L’industrie m’a dit: «Toi, c’est fini.» J’ai alors décidé de faire un petit film vraiment pas cher, sur un pneu tueur dans le désert: Rubber, tourné en douze jours avec un appareil photo. Le film a ses défauts, on peut le voir comme un court étiré. Mais cela m’a assuré une certaine réputation. Je suis parvenu peu à peu à modeler mon système, qui s’avère raisonnable, avec une courbe de spectateurs à peu près stable. Vos budgets augmentent-ils de film en film malgré tout? Pas nécessairement. Yannick a coûté moins de 1 million d’euros, sans financement extérieur. Il a attiré 450000 spectateurs. Mon plus gros score, alors que j’étais à deux doigts de m’excuser avant la sortie. Je croyais faire un film expérimental. On a créé la surprise. Et encore, Yannick est une version luxueuse. On aurait pu le tourner avec des optiques moins onéreuses, des figurants amis. Vu la simplicité du dispositif, j’aurais pu encore dégrossir. ☞ 1974 Naissance à Paris. 2001 Nonfilm, premier long métrage. 2007 Steak. 2014 Réalité. 2020 Mandibules. 2023 Yannick. 6 Télérama 3864 31/01/24 L’INVITÉ LE RÉALISATEUR QUENTIN DUPIEUX Votre méthode laisse supposer l’idée d’un gâchis d’argent et de temps dans le cinéma. Comme si vous prôniez une juste économie… Il m’arrive d’être effaré par la dépense monstrueuse d’argent dans certaines grosses comédies. Où des scènes qu’on pourrait boucler en deux heures prennent la journée. Parce que la machine est très lourde, parce qu’il y a vingt camions à garer dans la rue, parce qu’on veut accrocher d’énormes projecteurs sur des nacelles, tout cela pour une lumière affreuse la plupart du temps! Dans le cinéma spectaculaire, cela se justifie. Pour une comédie avec des acteurs médiocres qui discutent dans une cuisine, j’ai plus de mal. D’autant que la technologie permet aujourd’hui beaucoup avec peu. Je connais des réalisateurs en herbe de 20ans qui font des images sidérantes avec une caméra à 1 500 euros. La publicité, il y a vingt ans, coûtait une fortune. Aujourd’hui on peut faire une pub Nike avec un appareil photo en dix minutes dans la rue. Pareil pour la musique. Il fallait autrefois un bon studio pour enregistrer une chanson avec des arrangements. Aujourd’hui, les jeunes le font sur un ordinateur portable. Au final, le rendu est quasi identique. De Jean Dujardin à Léa Seydoux, que vous venez de diriger pour votre prochain film, comment vos acteurs ne font-ils pas exploser les budgets? Parce que je réduis au maximum mes durées de tournage. Gilles Lellouche n’est venu que dix jours sur Fumer fait tousser. Par ailleurs, tous ces comédiens exposés savent très bien où ils mettent les pieds et qu’ils ne gagneront pas des fortunes chez moi. C’est une récréation pour eux, une façon de redécouvrir le cinéma dans sa légèreté. Pensez-vous à des acteurs quand vous écrivez? Cela m’arrive. C’était le cas avec Raphaël Quenard. C’est inspirant et agréable. Mais j’embrasse aussi le hasard des calendriers de chacun. Si un acteur n’est plus disponible, un autre le remplace, cela me force à repenser le personnage autrement. C’est une bonne manière de garder le film vivant. Benoît Poelvoorde n’était pas prévu pour Au poste! J’ai donc adapté les dialogues pour qu’ils fonctionnent mieux avec lui. Qu’attendez-vous de ces comédiens? J’aime quand ils jouent parfaitement mon texte en me donnant l’impression qu’ils viennent de l’inventer. C’est en général à ce moment-là que la prise me plaît. Vous écrivez le scénario, vous cadrez, vous montez, parfois vous êtes producteur et auteur de la musique. Pourquoi tout faire? Mon école, entre 15 et 20 ans, a été «le système D». Je bricolais des courts métrages avec un caméscope et un magnétoscope pour le montage. Mon premier caprice a été de demander à mes parents de m’offrir une caméra 16 mm pour des images plus belles et plus crédibles — la vidéo, c’était très cheap à l’époque. C’est devenu naturel pour moi d’assurer toutes ces fonctions, j’aime le faire, sans que cela obéisse à un souci de contrôle. Steak, je l’ai réalisé dans les règles, avec un chef opérateur ami. Or, je me suis rendu compte que j’avais perdu du temps à discuter avec lui au lieu de me consacrer aux comédiens. Le montage, c’est toujours le plus important? C’est le moment où la magie opère ou non. Cela peut se jouer à deux ou trois images près, à un raccord loupé… La science du montage, c’est un art magnifique. Le scénario, ce n’est rien, c’est juste un document. La véritable écriture, c’est le montage. Qui dit montage dit collage, art plastique, Dalí… Sur Daaaaaalí!, il était impératif que le montage soit un minimum créatif. C’est vrai aussi des décors, dont se charge ma femme, Joan Le Boru. On a travaillé ensemble de manière rapprochée pour que les spectateurs soient embarqués dans un imaginaire insolite. J’ai eu la chance de recevoir la musique brillante de Thomas Bangalter [l’un des deux membres de Daft Punk, ndlr], qui fait décoller le film. Son morceau, décliné en plusieurs arrangements, contient tout ce dont j’avais besoin: l’Espagne, l’angoisse de la mort, la poésie, la fantaisie enfantine, l’obsession qui rend marteau. Il est parvenu à synthétiser l’artiste presque mieux que moi avec les comédiens. Comment avez-vous découvert Dalí? Dans L’œil du cyclone, une émission d’art alternatif, sur Canal+, qui présentait de courtes créations. L’une d’elles était une compilation totalement psychédélique regroupant les interventions de Dalí à la télé. Depuis, ma passion n’a fait que croître. C’est son personnage qui m’intéresse, presque plus que son art lui-même. Il me fascine dans sa façon d’être et de s’éclipser, de toujours répondre à côté, de parler français, de se mettre en scène en étant insaisissable. C’est pourquoi j’ai imaginé une journaliste, jouée par Anaïs Demoustier, qui essaie de le capturer. Au départ, il n’y avait qu’un seul comédien pour l’incarner mais je n’arrivais pas à m’en faire une image mentale. Il m’a fallu deux ou trois mois avant de penser qu’il fallait six comédiens pour reproduire toutes ses facettes. En poussant les curseurs du pastiche. Dalí est provocateur, d’un ego surdimensionné, pas forcément sympathique… Il est pathétiquement drôle, surtout. C’est un grand gamin malade. Il a dit des horreurs parfois, mais j’ai l’impression qu’ilétaitincapabledanslavraieviedefairelemoindremal. Cela aurait été ma limite. Lui est sans limite, apte à déclamer: «Jésus est un fromage.» C’est cette liberté folle de l’artiste que je défends, en lui rendant hommage, ainsi qu’à Luis Buñuel. Le Chien andalou, quel chef-d’œuvre ! Personne, avant eux, n’avait eu cette idée d’un tel magma sans queue ni tête d’obsessions et de cauchemars. Buñuel, c’est une amie qui m’en a parlé en regardant mes histoires, déconstruites surtout parce que j’ignorais ce qu’était un script! Elle m’a dit: «Ah oui, tu essaies de faire du Buñuel.» J’ai découvert ce cinéaste, qui avait défriché le terrain quarante ans avant moi et bien plus brillamment. Dans ces jeux de déconstruction et de détournement des codes du cinéma, visez-vous surtout l’absurde? Tout est absurde. Les attentats du Bataclan, c’est absurde. Des jeunes qui viennent en tuer d’autres dans un concert, cela n’a aucun sens, en dehors du fait que c’est épouvantable et qu’on en fait des cauchemars. L’absurde peut donc aller de pair autant avec l’humour qu’avec l’horreur. Ma limite de la cinéphilie tordue, c’est Buñuel. Sans son humour, ☞ Contactez votre agent de voyage ou appelez le 04 91 26 71 62. Document non contractuel. Droits réservés. ©StudioPONANT - Olivier Blaud/ Lorraine Turci. IM013120040. L’Antarctique emblématique 12 jours/10 nuits 8 Télérama 3864 31/01/24 ☞ L’INVITÉ LE RÉALISATEUR QUENTIN DUPIEUX son surréalisme m’ennuierait. Ce qui m’intéresse, ce sont vraiment les réalisateurs qui ont ouvert de nouveaux territoires d’humour, Blake Edwards, les Monty Python, Bertrand Blier, parce que je trouve chez eux une forme de dérision. Je l’ai déjà dit mais je le répète en toute sincérité: je préfère regarder Le Père Noël est une ordure qu’un grand classique en noir et blanc. À vous entendre, vous seriez un simple amuseur. Mais votre cinéma ne se réduit pas à ça? Je ne suis pas dans la fausse modestie. J’ai la prétention de penser que mes films peuvent divertir et comporter quelques moments étranges, voire du brio. Mais l’exercice consistant à parler de mon travail me pèse. Au moment même où je vous parle, je me vois comme quelqu’un d’ennuyeux à qui j’ai envie de mettre des tartes. Il n’y a rien de pire qu’un artiste avec une position supérieure qui dit «Moi je,moije».C’estunmétierfacile,lecinéma,quoiqu’ondise. On n’y sauve pas des vies. Être un réalisateur populaire, c’est ce que vous souhaitez? Je ne plais pas à tout le monde, fort heureusement, sinon il y aurait de quoi se flinguer. Il n’y a rien de pire que faire l’unanimité. Mais je me dis parfois que j’ai le meilleur des deux mondes: une part de public populaire et une part de cinéphiles. Mon but n’est pas de produire du rire à la commande. J’ai conscience que, dans mes films, j’injecte un peu du mental, des choses personnelles, de la contemplation. Reste que ma satisfaction première est d’entendre une salle réagir. Votrecinémadégagetoujourslafraîcheurdel’amateurisme. Lapirechose,selonvous,seraitdedevenirunprofessionnel. Ne l’êtes-vous pas malgré tout? Si, en participant à l’industrie. Mais dans la fabrication, dès que je n’ai plus la sensation vive d’expérimenter, je m’ennuie. La magie de l’amateur, c’est qu’il invente, car il ne sait pas faire. Je me méfie du savoir-faire. J’aime bien me lancer de petits défis, me confronter à des difficultés pour vivre des expériences inédites, ne pas me répéter. Dès que c’est maîtrisé, c’est cuit. Votre cinéphilie est née avec le cinéma de genre. Comment de l’horreur êtes-vous passé à l’humour? Ma cinéphilie est liée aux cassettes des vidéo-clubs. Mon premier choc a été Massacre à la tronçonneuse et d’autres films d’horreur. J’en ai beaucoup regardé. Ils m’ont donné envie de réaliser mes premiers courts métrages, où j’essayais de reproduire le climat de tension. Sauf que très vite je déviais vers le bavardage, les dialogues farfelus. Idem sur Rubber: au départ, l’idée était vraiment de tourner Les Dentsdelamer avec un pneu. Mais à quoi bon reproduire ce que les autres ont fait… J’ai fait confiance à mon instinct pour aller vers une forme de métacomédie. Vous êtes un réalisateur autodidacte. C’est rare. Je viens d’une famille de la classe moyenne. Mon père était garagiste et concessionnaire, porte de Vanves, à Paris. Un milieu simple, où j’ai grandi sans souci. J’ai arrêté les études trop tôt, je n’ai pas eu le bac. Je suis autodidacte sur plusieurs métiers. Je me souviens que le producteur de Rubber avait tenté de me dissuader: si tu es réalisateur, tu ne peux pas être monteur! Étant obstiné, je me suis dit: je travaillerai peut-être deux fois plus qu’un monteur, mais j’y arriverai. Michel Gondry explique souvent qu’il faut faire pour apprendre, et non l’inverse! Il a absolument raison. Avant d’être reconnu comme réalisateur, vous avez percé dans la musique. Le hit Flat Beat et Mr Oizo, peluche avatar, vont ont propulsé star de l’électro. Vous avez fait les couvertures des magazines anglais. À l’époque, la musique comptait autant que le cinéma? Le cinéma a toujours été la priorité. Ado, j’écoutais surtout du rap, et j’étais obsédé par ce qu’on appelle les «beatmakers». Je composais un peu d’électro. Laurent Garnier fréquentait le garage de mon père, je l’ai rencontré, il a bien aimé mes démos. C’est lui qui m’a lancé, en me produisant et en m’embauchant pour tourner deux clips alors que je balbutiais. Je me suis retrouvé emblème de ladite French Touch, aveclesDaftPunk.J’auraisdûfairecommeeux,meplanquer, car j’étais très mal à l’aise en interview, à la télé. J’étais jeune, pas du tout préparé à ce succès. Le pompon étant ce jour où un journaliste m’a interviewé et demandé que, pour la photo, je monte sur une table pour faire l’oiseau, allusion à Mr Oizo. Là, j’ai dit stop. Par la suite, j’ai composé pour mes premiersfilmsmaisj’aiarrêtédepuis.Mamusiqueesttropfaible. Vos films de la première période, à Los Angeles, étaient plus silencieux. En revenant en France, vous avez retrouvé la parole? Lorsque je suis arrivé aux États-Unis, je ne maîtrisais pas du tout la langue. Comme j’ai vécu là-bas sept ans, mon anglais s’est un peu amélioré. Mais je continuais de faire traduire mes scénarios. Les États-Unis ne correspondaient pas du tout à mon univers intellectuel. Quand j’utilisais un mot anglais, je ne savais pas exactement ce qu’il contenait culturellement. Donc je misais sur l’ambiance, la composition plastique, la musique. En France, je m’amuse beaucoup plus avec les dialogues. C’est un jeu naturel. Je ressens un vrai plaisir dans l’écriture. Daaaaaalí! et certains de vos films touchent au rêve. Puisez-vous directement dans les vôtres? Il y a une époque où j’allais chercher mes idées dans le demi-sommeil. Les rêves, c’est trop personnel, et il n’y a rien de plus rébarbatif pour les autres. Maintenant j’ai une méthode plus basique. Je sais dans quelle disposition je dois être pour écrire. C’est une zone de l’esprit facile à trouver, un état de concentration, un peu comme un sportif au moment d’une compétition. Dès qu’une image ou une idée surgit de nulle part, je plonge. Je fais confiance à l’intuition, à la libre imagination. Dès que c’est trop réfléchi, j’écarte, car cela commence à ressembler à des ressorts de comédie• «Je me méfie du savoir-faire. Dès que je n’ai plus la sensation vive d’expérimenter, je m’ennuie. Dès que c’est maîtrisé, c’est cuit.» 10 TOM BRENNER/THE NEW YORK TIMES/REDUX-REA | ODD ANDERSEN/AFP | A24 | FRANK LEBON Télérama 3864 31/01/24 SOMMAIRE COUVERTURE Jonathan Cohen et Édouard Baer en Dalí. Photo Jean-François Robert pour Télérama avec l’étroite collaboration de Quentin Dupieux. MAQUILLAGE POMME SEILER/PERRUQUIÈRE RÉJANE SELMAN Ce numéro comporte pour la totalité des kiosques: une couverture spécifique «Paris-IDF» pour les abonnés et les kiosques de Paris-IDF, et une couverture nationale. Posé sur la 4e de couverture: un encart 2 p. «Arts et vie» sur la totalité des abonnés France Métropolitaine (hors Export) et les GPub. Édition régionale, Télérama+Sortir, pages spéciales, foliotée de 1 à 56 jetée pour les kiosques des dép. 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95, posée sous la 4e de couverture pour les abonnés des dép. 75, 78, 92, 93, 94. Du 3 au 9 février ��24 28 45 16 21 Sur notre site Rendez-vous cinéphile incontournable, le festival de Clermont-Ferrand met chaque année en lumière le court métrage dans toute sa diversité. Parmi les quarantecinq films en compétition de cette 46e édition, nous en diffusons huit sur notre site pendant la durée du festival, du 2 au 10 février. Découvrez chaque jour un nouveau court métrage en lice, disponible pendant quarante-huit heures. D’un choc générationnel drolatique à la délicatesse d’une rupture, des vies bouleversées de migrants afghans au quotidien de jeunes Iraniennes… les œuvres montrent la vivacité et l’éclectisme du festival, qui se clôture, entre autres, par un prix de la presse décerné depuis quinze ans par les journalistes de Télérama. telerama.fr/festival-du-courtmetrage-de-clermont-ferrand/ MAGAZINE 4 L’invité Le réalisateur Quentin Dupieux 11 Premier plan Les César font le tri à l’entrée 1� Ici et ailleurs 15 Repéré Le metteur en scène Sébastien Kheroufi LE DOSSIER 16 Facebook a �� ans La force de l’âge? Mark Zuckerberg a étendu son empire sur le monde… mais de nouveaux défis se présentent maintenant à lui �1 En campagne pour les Oscars Le parcours du combattant des films français à Hollywood �4 Ondes positives France Culture retrouve la paix �6 C’étaient les Gilets jaunes Un documentaire reprend leurs doléances… et dit leur colère �8 Zone de doutes Jonathan Glazer divise avec un film singulier sur la Shoah AUTREMENT 31 Penser Les villes fluviales à l’heure du changement climatique 34 Voyager Dans l’éblouissante Sicile avec Nicolas de Staël 36 Vivre Une aquarelliste amie des castors, des chaussons douillets, du thé des Pyrénées… SPÉCIAL FORMATION 38 De l’art sur Parcoursup La plateforme d’orientation est ouverte aux inscriptions pour l’année 2024-2025. Notre guide pour s’y repérer quand on vise un métier créatif CRITIQUES 45 Le rendez-vous Wall of Eyes, de The Smile 48 Cinéma 57 Enfants 58 Livres 63 Musiques 66 Arts 68 Scènes TÉLÉVISION 71 Le meilleur de la semaine télé Ukraine, sur les traces des bourreaux, sur Arte 8� Programmes et commentaires RADIO & PODCASTS 138 Lemeilleurdelasemaine radio& podcasts La Chute de Lapinville, sur Arte Radio 143 Les programmes 149 Talents 151 Mots croisés ICI ET AILLEURS 11 GETTY IMAGES/IMAGE SOURCE Télérama 3864 31/01/24 Par Samuel Douhaire PREMIER PLAN CÉSAR SANS BRUTES L’académie des César interdit désormais l’accès à la cérémonie à tout auteur de violences. faire représenter. L’an passé, dans l’urgence, un premier dispositif avait été instauré après l’affaire Sofiane Bennacer — l’acteur des Amandiers, de Valeria Bruni-Tedeschi, officiellement mis en cause pour «viol» et «violence sur conjoint». D’une portée désormais plus large, et en attendant peutêtre des mesures encore étendues en 2025, la nouvelle disposition de protection peut d’ores et déjà s’appliquer à un certain Gérard Depardieu, mis en examen pour viols. Mais elle ne concerne pas celles et ceux qui seraient visés par une simpleinformationjudiciaire,ouledépôtd’uneplaintenon encore traitée par la justice. Rien n’empêchera donc le réalisateur et comédien Samuel Theis, qui joue dans Anatomie d’une chute et fait l’objet, à la suite d’une accusation de viol pendant un autre tournage, d’une enquête préliminaire, d’être présent le soir des César. Le film de Justine Triet y sera d’ailleurs le grand favori, avec onze nominations • En 2020, Adèle Haenel se levait en pleine cérémoniedesCésaretquittaitlasalleaprèsl’annoncedu prix de la meilleure réalisation décerné à Roman Polanski. Pour éviter que ce genre de clash retentissant ne se répète, l’Académie a réaffirmé la règle désormais en vigueur: les acteurs, cinéastes, producteurs ou techniciens mis en cause par la justice pour des faits de violence, notamment à caractère sexiste et sexuel, seront personæ non gratæ lors de la 48e cérémonie, le 23 février prochain, ainsi que pour tous les événements associés. En théorie, cela n’interdirait pas des auteurs de violences d’être nommés (ce qui, sauf révélations de dernière minute, n’est pas le cas cette année), voire récompensés; mais aucun lauréat ayant des démêlés avec la justice ne pourrait se ICI ET AILLEURS 12 Télérama 3864 31/01/24 L’abbé Pierre (à droite) dans un de ses refuges pour sans-abris, en janvier 1954. «Mes amis, au secours!» Il y a soixantedixans,le1erfévrier1954,HenriGrouès, ditl’abbéPierre(1912-2007),lançaitson appel contre le mal-logement. Un cri étrangement actuel, alors que les habitants de notre pays peinent de plus en plus à trouver un toit. Mais au fait, pourquoi mourait-on de froid dans les rues en 1954? La France subissait alors une crise aux causes multiples et anciennes: la politique du logement avait été négligée pendant toute la première moitié du xxe siècle. Les loyers avaient été bloqués entre la Grande Guerre et 1948, ce qui avait découragé l’investissement dans la pierre, et ruiné, faute d’entretien, une partie du parc immobilier. Les bombardements de la SeLE FESTIVAL CINÉMA DE TÉLÉRAMA A FAIT LE PLEIN ! LOGEMENT, UNE CRISE SANS FIN Les comptes sont bons et la joie, au rendez-vous. Le Festival cinéma Télérama 2024, organisé avec l’Association française des cinémas d’art et essai (Afcae), a réuni 308500 spectateurs poursa26e édition—soitunehaussede 40% par rapport à 2023. Quatre cent soixante salles participaient à la manifestation, au prix unique de 4 € la séance, en partenariat avec BNP Paribas et France Télévisions. Le Festival Télérama représente ainsi une part de marché de 11,77 % sur la semaine concernée, du 17 au 23 janvier. Au programme, nos quinze films préférés de 2023, sans compter le chouchou élu par les moins de 26 ans, Anatomie d’une chute, de Justine Triet. LaPalmed’oratriomphéavec51897entrées. Suivent Le Règne animal, de Thomas Cailley (30087 entrées), Chien de la casse, de Jean-Baptiste Durand (19179), Simple comme Sylvain, de MoniaChokri(17784)etLesFeuillesmortes, d’Aki Kaurismäki (17524). Franc succès également pour les cinq avant-premières au programme (May December, La Zone d’intérêt, Green Border, La Ferme des Bertrand et Daaaaaalí!), qui ont donné lieu à de passionnants débatsretransmisendirect—jusquedans 96sallespourlacomédiesurréalistede Quentin Dupieux. — Marie Sauvion conde Guerre mondiale avaient mis le pays par terre: à la Libération, 450000 habitations étaient à reconstruire. Mais la IVe République ne tenait pas la promesse faite en 1945 de bâtir une France nouvelle, quoi qu’il en coûte. En plein baby-boom, plutôt que de multiplier les HLM, l’État préférait se ruiner dans les conflits coloniaux. Ensuite, sous la Ve République, il a fallu financer la dissuasion nucléaire, les autoroutes… Considéré comme improductif, l’habitat était toujours sacrifié par les ministres des Finances. Le rythme de 500000 logements neufs livrés par an n’a été atteint qu’en 1970, dix-sept ans après l’Allemagne de l’Ouest! À l’orée des années 1980, les bidonvilles étaient éradiqués, et la crise semblait enfin s’éloigner. Mais, à nouveau, avec la hausse du chômage, de plus en plus de malheureux se sont retrouvés à la rue. Aujourd’hui, la concentration de l’emploi dans les métropoles fait exploser la demande et le prix des logements. La France compte plus de 320 000 personnes abritées de façon précaire, et de 10 000 à 40000 sans toit. Les bidonvilles ont réapparu, et le rythme de la construction s’effondre. Mais ce n’est toujours pas la priorité du gouvernement. «Logement, notre honte», titrait autrefois Le Monde. Soixante-dix ans après l’appel de l’abbé Pierre, on peut toujours en dire autant. — Xavierde Jarcy 13 KEYSTONE-FRANCE/GAMMA RAPHO | LEA CRESPI/PASCO&CO Télérama 3864 31/01/24 JEAN-MARIE VILLÉGIER, SA VIE POUR LE VERBE Amoureux fou du vers baroque comme du classique alexandrin, le brillant metteur en scène Jean-Marie Villégiers’estéteintle23janvier,àl’âge de 86 ans. Ce copain de lycée de Laurent Terzieff, qui aimait fort à jouer avec ce dernier Le Misanthrope, commença tard dans la carrière. Pression paternelle oblige, ce sera d’abord Normale sup Ulm, puis l’agrégation de philosophie. À l’université de Nancy, il est bizarrement nommé assistant en histoire du théâtre et du cinéma et se consacre avec passion au grand répertoire, en même temps qu’il inaugure à l’Opéra Garnier un nouveau centre de dramaturgie. Tous admirent la connaissance lumineuse et gourmande de cet érudit partageur, qui sait rendre au répertoire classique sa sensualité, son rayonnement physique, son rythme et sa musicalité. En 1985, il crée sa compagnie, L’Illustre Théâtre — du même nom que celle de Molière. Et continue avec elle de sortir de l’ombre des dramaturges baroques Le comédien et metteur en scène Jean-Marie Villégier, en 2013 à l’Opéra Comique. C’est à désespérer : le dernier « État des lieux du sexisme en France», établi par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dresse un constat encore plus alarmant que l’année dernière. Parmi les sujets d’inquiétude: les «plateformes numériques», qui «constituent une véritable caisse de résonance des stéréotypes de genre ». Sur les réseaux sociaux, en dehors des contenus masculinistes ou pornographiques, certains comptes TikTok et Instagram semblentparticiperàlaculturesexiste en proposant des conseils aux jeunes femmes pour être «élégantes» et «féminines»: quelle couleur de vernis à ongles porter, comment marcher avec des talons, quels sujets de conversation privilégier, comment se tenir à table… De courtes vidéos qui, additionnées, donnent l’impression d’un manuel de vie d’un autre temps. Pour Carmel Assak, étudiante de 23 ans en droit des affaires internationales, qui partage sa passion pour « l’élégance traditionnelle » avec ses 600000abonnéssurlesréseaux(«dont des hommes», précise-t-elle), ses contenus ne sont pas incompatibles avec le féminisme: «L’élégance est un instrument d’“empowerment”. Elle démontre que les femmes peuvent être fortes, indépendantes et élégantes simultanément.» Une opinion partagée par sa consœur créatrice de contenus Céline Debussy: « Considérer féminisme et féminité comme antinomiques pousse à décrédibiliser la cause. Il n’existe pas UNE définitiondecequ’estlaféminité,quetoutesles femmes suivraient à la lettre», défend celle qui envisage l’élégance comme «un facteur d’intégration sociale». «Bien sûr qu’il vaut mieux bien présenter et être courtois pour obtenir un travail, répond Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE. Mais l’élégance n’est en aucun cas la solution aux inégalitésdanslemondedel’entreprise! On ne fait qu’ajouter une charge mentale aux femmes qui doivent déjà concilier leur carrière, leur foyer, la maternité… Ce qu’il faut, ce sont des politiques publiques et l’engagement des entreprises au niveau de l’embauche, des salaires, des congés parentaux, de la répartition des tâches… » Et surtout, arrêter de déplacer la responsabilité d’une société sexiste sur les épaules… des femmes. — Marion Mayer SOIS BELLE ET SUIS-MOI souvent rayés de la carte pour leur inconvenance, leur violence politique et leur liberté morale. De quoi lui donner envie de se plonger, en 1987, avec le chef d’orchestre William Christie, dans Atys, opéra oublié qu’avait composé Lully pour Louis XIV. La reconstitution d’époque est parfaite, triomphale, et sera reprise en 1992 puis en 2011. Même après sa nomination en 1990 à la direction du ThéâtrenationaldeStrasbourg(oùilne fait pas merveille), la collaboration avec Christie continuera. Mais les années 2000 sonnent le glas d’un théâtre classique trop envahissant. On fait de moinsenmoinsappelaugénieVillégier, à ses mises en scène centrées sur le verbe. Il disparaît avec ses maîtres. Privédesubvention,ilrisqueunedernière mise en scène en 2012, Le Journal d’une femme de chambre, d’après Octave Mirbeau. Sans succès. Lui restaient ses livres, son cher xviie siècle, Flaubert, la musique et la danse baroques. — Fabienne Pascaud
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