L'ART DE L'AQUARELLE n°65 - Page 1 - 65 geant-beaux-arts.fr MAGASINS 100% BEAUX-ARTS +de 65OOO produits ! 1400PAGES Votre hyper-spécialiste pour le + grand choix 100% Beaux-Arts en France PROMOTIONS JUSQU’À -65%, EXCLUSIVITÉS & CADEAUX Pour la 3e année consécutive Toutes les grandes marques mais aussi une offre UNIQUE de petits FABRICANTS ARTISANAUX OUVERTURE DU 20ÈME MAGASIN À AIX-EN-PROVENCE 24 cours Sextius-13100 AIX-EN-PROVENCE ADA65.indb 2 26/05/2025 11:15 3 édit édito édito édit Il y a des numéros qui, plus que d’autres, témoignent de la puissance expressive de l’aquarelle. Ce mois-ci, L’Art de l’Aquarelle vous propose un magazine d’une richesse incomparable, à l’image de la diversité et de l’exigence artistique qui caractérisent notre communauté internationale. Chaque article, chaque portfolio, chaque interview révèle une facette singulière de ce médium à la fois délicat et audacieux. Prenez Mary Jansen, par exemple, dont les oiseaux ne sont pas de simples sujets naturalistes, mais des messagers spirituels incarnant silence, lumière et émotion suspendue. À travers des heures de contemplation et des centaines de glacis, elle nous livre des tableaux habités, vibrants, presque méditatifs. À ses côtés, Michelle Lin fait éclore des bouquets puissants et lumineux où la rigueur de la composition se marie à l’expression émotionnelle la plus sincère. Son parcours autodidacte, sa maîtrise des couleurs et des effets atmosphériques donnent naissance à des œuvres florales d’une poésie contemporaine bouleversante. Quant à Nicholas Poullis, il nous rappelle l’importance de la simplicité. Sa méthode de simplification, pensée comme un art à part entière, résonne avec l’idée que « dire plus avec moins » est peut-être la forme la plus aboutie d’expression artistique. Ce numéro fait aussi la part belle aux œuvres récompensées par l’American Watercolor Society. Derrière chaque médaille, une histoire. Celle de Dean Mitchell et de son Tampa Bay Drawbridge, portrait poétique d’un pont industriel devenu sculpture vivante sous le pinceau. Celle de Yan Liang, qui immortalise la mémoire du peuple yi à travers une scène intime et poignante. Ou encore celle d’Andy Evansen, dont la sobriété bouleverse dans Getting Home, aquarelle hivernale empreinte de chaleur humaine. Et ce n’est pas tout. Vous découvrirez également des artistes comme Michael Holter, maître des textures et des ambiances patinées, Laurie Goldstein-Warren et son art du détail éclatant, Alexis Le Borgne et son regard contemporain sur des scènes pleines de douceur et de mystère, ou encore Cathy Veale et sa palette marine à la fois libre et maîtrisée. À travers plus d’une dizaine de portraits d’artistes d’horizons différents, ce numéro démontre que l’aquarelle est un langage universel, capable de raconter le monde dans ce qu’il a de plus fragile, de plus intense, de plus vrai. Un art qui demande du temps, de l’attention, de la patience – et qui, en retour, nous offre un regard renouvelé sur notre réalité. Plus qu’un simple magazine, ce numéro est une célébration. Celle d’un art sans frontières et des artistes qui, chacun à leur manière, repoussent ses limites. Bonne lecture à toutes et à tous. La rédaction de L’Art de l’Aquarelle Notre couverture : Alexis Le Borgne. Douceur matinale. 2024. Aquarelle, 50 x 50 cm. À découvrir dans notre portfolio p. 48 Un numéro d’une richesse rare AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 3 27/05/2025 15:21 36 CHRIS KRUPINSKI Jeux de lumière, valeurs fortes et jeu de superpositions caractérisent ces natures mortes éclatantes et raffinées aux motifs de fruits et de tissus, travaillées en glacis. 42 MICHAEL HOLTER Il excelle à rendre les textures avec réalisme et expressivité, redonnant vie aux sites désaffectés et aux machines usées. 46 TABLEAU À LA LOUPE : LORRAINE WATRY Instant ludique à Prague, mêlant jeux de lumière et effet de transparence dans une scène minutieusement composée. 48 PORTFOLIO ALEXIS LE BORGNE Retrouvez l’univers poétique du célèbre aquarelliste dans une série inspirée de l’esthétique japonaise, à l’approche spirituelle et méditative. Sommaire 6 ANALYSE D’ŒUVRES Tour d’horizon des œuvres récompensées par l’American Watercolor Society. Les aquarelles de Dean Mitchell, Yan Liang, Andy Evansen, Jianzhong Zhou et Chien Chung-Wei. 14 ACTUALITÉS Une sélection des salons à venir. 18 L’ACTU DES ARTISTES Toutes les infos concernant vos artistes préférés. 22 MICHELLE LIN Laissez-vous charmer par l’atmosphère délicate et vaporeuse des peintures florales de cette figure incontournable de l’aquarelle. 30 ANNETTE SMITH Des portraits vibrants et expressifs, dans un style impressionniste libre, où se révèle l’âme des modèles. RÉDACTION Directeur de la rédaction : Jean-Philippe Moine Directrice artistique : Janine Gallizia Secrétaire générale de la rédaction : Élodie Blain Assistante de rédaction : Laure Valentin Conception graphique : Daniel Tallet Première rédactrice graphiste : Audrey Salé Rédacteurs : Alex d’Abo, Elsa Parra, Sara Winckler DIRECTEUR DIFFUSION : Patrick Lefebvre – p.lefebvre@diverti.fr RÉGLAGES ET CONTACTS DÉPOSITAIRES : Éric Jonard, tél. : 05 49 90 37 52 PRODUCTION ET LOGISTIQUE : Gildas Martin – g.martin@diverti.fr RESPONSABLE E-COMMERCE : Sonia Seince ABONNEMENTS : Nathalie Réveillon, 05 49 90 09 16 (du lundi au jeudi de 14 h à 17 h, le vendredi de 14 h à 16 h). PUBLICITÉ PRINT-INTERNET ET BRANDING : Frédérik Favier, 06 08 74 02 59 PRÉSIDENT CAPELITIS GROUPE : Jean-Paul Cyr ADMINISTRATION : Fabien Richard Imprimerie : Aubin, chemin des Deux Croix 86240 Ligugé. L’envoi des textes ou photos implique l’accord des auteurs pour une reproduction libre de tous droits et suppose que l’auteur se soit muni de toutes les autorisations éventuelles nécessaires à la parution. Présidente Diverti Éditions : Édith Cyr-Chagnon Édité par DIVERTI Éditions – S.A.S. au capital de 250000 € – 490317369 RCS Poitiers – 17, avenue du Cerisier Noir 86530 Naintré, France Tél. : 05 49 90 37 64. E-mail : redaction@lartdelaquarelle. com – Imprimé en France/Printed in France. Directrice de publication : Édith Cyr-Chagnon l’Aquarelle L’ART DE www.lartdelaquarelle.com 30 42 22 36 46 4 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 4 28/05/2025 14:45 Actionnariat : Capelitis Groupe (50 %), E. Cyr-Chagnon (5 %), J.-P. Cyr (5 %), F. Richard (20 %), J.-P. Moine (20 %). Tous droits réservés pour les documents et textes publiés dans L’Art de l’Aquarelle. 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Important! Nous prions nos abonnés belges d’indiquer lisiblement sur le talon de versement leurs noms et adresses et de spécifier que l’abonnement est destiné à L’Art de l’Aquarelle. Ce numéro comporte 1 encart broché entre les pages 18 et 19 (vente France uniquement). L’Art de l’Aquarelle ISSN : 2103-2653 is published quarterly, 4 times a year (March, June, September, December) by Diverti Éditions c/o Distribution Grid. at 900 Castle Rd Secaucus, NJ 07094, USA. Periodicals Postage paid at Secaucus, NJ. POSTMASTER : send address changes to L’Art de l’Aquarelle c/o Express Mag, P.O box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239. N° 65 58 CHRISTINE BERLINSON-ESSER Des aquarelles florales dynamiques aux couleurs vibrantes, entre figuration et abstraction. 64 LAURIE GOLDSTEIN-WARREN Sublimer le verre, en alliant lumière et transparence, technique et émotion, réalisme et liberté expressive. C’est le pari réussi de cette artiste établie en Virginie-Occidentale. 68 NICHOLAS POULLIS Choisir, hiérarchiser, équilibrer les détails, jouer avec l’échelle, ne pas surcharger… Apprenez comment simplifier un sujet. 74 MARY JANSEN Cette aquarelliste émerveillée par la nature révèle l’essence spirituelle des oiseaux à travers des œuvres intimes invitant à la contemplation. www.lartdelaquarelle.com Origine du papier : Autriche Taux de fibres recyclées : 40 % Certification : PEFC Eutrophisation : Ptot 0,018 kg/tonne 80 CATHY VEALE Amoureuse des rivages du Dorset, l’artiste peint des scènes marines lumineuses aux reflets changeants, comme suspendues dans le temps, d’où se dégage une impression de sérénité. 86 FICHES OUTILS – CONSEILS D’ARTISTES S’appuyer sur la ligne, les valeurs et la couleur. La méthode de Lancelot Richardson pour composer des paysages. 96 PETITES ANNONCES 98 LIBRAIRIE 72 74 64 58 68 80 5 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 5 28/05/2025 14:45 ANALYSE D’ŒUVRES DEAN MITCHELL Dans l’œil du jury Àladécouvertedesaquarellesprimées de l’AWS Tampa Bay Drawbridge Médaille d’or 2025 – American Watercolor Society Ma source d’inspiration Lorsque j’ai emménagé dans la baie de Tampa, il y a dix-sept ans, la ville entamait une phase de rénovation urbaine. Ce que l’on appelle aujourd’hui le Riverwalk, animé et vivant, n’était alors qu’un projet embryonnaire – une idée plus qu’un lieu. Mon atelier et ma maison se trouvent dans le quartier de Channelside et je me souviens des promenades fréquentes avec ma famille jusqu’au Tampa Museum of Art. Non loin de là, un pont a, un jour, attiré mon attention – et ne m’a jamais vraiment quitté. La première fois que je l’ai vu s’ouvrir, j’ai été fasciné. Son mouvement mécanique le transformait en quelque chose de plus qu’un simple ouvrage d’infrastructure : il devenait sculptural, presque poétique. Avec ses formes géométriques, ses lignes affirmées et ses textures contrastées, ce pont me semblait plus proche d’une œuvre d’art cinétique abstraite que d’un équipement urbain. Ce moment a déclenché quelque chose en moi. Repères Néen1957àPittsburghetélevéà Quincy,enFloride,DeanMitchellest diplôméduColumbusCollegeofArt &Design(Ohio).Artistereconnupour sesportraitssensibles,sespaysages etsesnaturesmortes,ilmaîtrise l’aquarelle,maisaussil’huile,lepastel etlatempera.Sonœuvre,empreinte d’émotionetdeprofondeurhumaine, estprésentedansdenombreuses collectionsmuséalesauxÉtats-Unis, dontleSaintLouisArtMuseum,le RockwellMuseumouencoreleLibrary ofCongress.L’artisteaétécouronné pardesprixprestigieux,commela GoldMedaldel’AmericanWatercolor Societyoul’AutryNationalCenter Award.Ilestmembredel’American etdelaNationalWatercolor Society.Sapeinture,marquéepar sonhistoirepersonnelleetl’identité afro-américaine,sedistingueparune grandeforcenarrativeetuneélégante sobriétéplastique. Mon processus de travail Ce travail fut à la fois intimidant et exaltant. J’ai su dès le départ que je devrais renoncer aux détails complexes pour me concentrer sur les formes puissantes et structurantes du sujet. J’ai utilisé des lavis directs et la technique humide sur humide pour exprimer à la fois la spontanéité et le contrôle, laissant le blanc du papier travailler autant que le pigment – en particulier, pour rendre le poids et la lumière de la pierre massive. Il y a eu des moments où j’ai craint de tout gâcher. La complexité des formes et des textures demandait une concentration totale. Mais ce défi m’a aussi plongé dans une sorte de transe créative. J’ai commencé debout devant mon chevalet, puis j’ai posé la feuille au sol, me tenant au-dessus d’elle, pinceau en main, chargé d’eau et de couleur. La peinture s’écoulait et se déposait selon un équilibre entre l’intention et le hasard – chaque goutte participant à un rythme. Finalement, j’ai trouvé ce que j’appelle la zone magique – cet espace où la peur disparaît, où l’instinct prend le relais et où la créativité circule librement, avec la liberté de l’imagination d’un enfant. 6 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 6 27/05/2025 10:17 CHAQUE ANNÉE, L’EXPOSITION INTERNATIONALE DE L’AMERICAN WATERCOLOR SOCIETY CÉLÈBRE L’EXCELLENCE ARTISTIQUE DANS LE MONDE DE L’AQUARELLE. QU’EST-CE QUI ATTIRE L’ŒIL D’UN JURÉ PARMI DES CENTAINES DE PROPOSITIONS VENUES DU MONDE ENTIER ? QUELLES QUALITÉS, QUELLE ÉMOTION, QUELLE AUDACE FONT QU’UN TABLEAU SE DISTINGUE ? EN DÉCOUVRANT LES ŒUVRES PRIMÉES ET LES TÉMOIGNAGES DES ARTISTES EUX-MÊMES, VOUS APPRENDREZ À MIEUX COMPRENDRE CE QUI TOUCHE, CE QUI MARQUE, CE QUI CONVAINC. UN FORMIDABLE EXERCICE D’ANALYSE POUR TOUS CEUX QUI RÊVENT DE PROGRESSER ET, PEUT-ÊTRE UN JOUR, D’ÊTRE À LEUR TOUR RETENUS PAR UN GRAND JURY INTERNATIONAL. Ce qui, selon moi, a touché le jury Au final, je pense que les membres du jury ont réagi non seulement au sujet, mais aussi à l’abstraction, à l’émotion et à la prise de risque. Peut-être ont-ils perçu ce que j’ai ressenti : que cette œuvre n’était pas une simple étude technique d’un pont, mais une vision unique et profondément personnelle de la forme, de la fonction et de la beauté. Pour en savoir plus : deanmitchellstudio.com Instagram : dean.mitchell.artist Ma démarche artistique J’ai toujours été attiré par les objets qui façonnent notre environnement en silence – ces formes fonctionnelles qui possèdent une présence profonde. En peignant ce pont, je ne voulais pas seulement le représenter : je voulais lui rendre hommage, en révéler la personnalité. D’une certaine manière, cette œuvre est devenue un portrait — une interprétation intime, en gros plan, qui invite le spectateur à voir le familier sous un jour totalement nouveau. 7 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 7 27/05/2025 10:17 ANALYSE D’ŒUVRES Repères Né enjuin1958,àMeishan,danslaprovince duSichuan, YanLiangaexercésuccessivement lesrôles d’étudiant,desoldatetd’employé.C’esten 1972qu’il commenceàétudierlapeintureauprès de sonmentor,s’essayantalorsàdiversgenres artistiques. Il s’engagedansl’arméeen1977,oùil travaille dansledomaineculturelentantqu’artiste militaire. Démobiliséen1981,il rejointlePalais de laculture destravailleursdeLeshan,oùilse consacre auxartsplastiquesetàlaphotographie, jusqu’àsaretraiteen2018.UnvoyageenAustralie en2006bouleversesa visiondel’art,lepoussantà repenser sadémarcheartistique.En2015,ilreprend pleinement lechemindelacréationparl’aquarelle, vivant sonquotidiend’artisteaurythmedusoleil: «peignant dès le lever du jour, me reposant au coucher… » Ilestégalementdesignerd’intérieur enChine. Sonengagementdanslemondede l’aquarelle semanifesteparunereconnaissance internationale:ilestmembredelaFédération américaine desartistesprofessionnels(AAA), membre associédel’AmericanWatercolorSociety (AWS), membredelaNationalWatercolorSociety (NWS) auxÉtats-Unis,ainsiquedelaLouisiana Watercolor Society(LWS)etdelaPennsylvania Watercolor Society(PWS).EnChine,ilfaitpartie duComité desartsdel’aquarelledel’Association desartistes duSichuan. YAN LIANG Rosayena. Down the Mountain Médaille d’argent 2025 – American Watercolor Society Ma source d’inspiration Je vis à Leshan, dans le Sichuan, non loin des montagnes où vit le peuple Yi. Depuis longtemps, je souhaitais les représenter en aquarelle, mais la diversité de leurs cultures et dialectes rendait difficile l’unité de mon projet. En 2001, dans un vieux train traversant les montagnes, un enfant m’a parlé d’un lieu nommé Rosayana. Sa mère m’a expliqué que ce mot, en langue yi, signifie à la fois « chez soi » et « village natal ». Ce mot m’a profondément marqué. Il est devenu le fil conducteur de mon travail : à travers Rosayana, j’ai trouvé une manière de relier les visages, les histoires et les territoires dispersés des Yi dans une même peinture habitée par la mémoire et la nostalgie. En octobre 2023, à Xichang, j’ai rencontré une femme yi née dans les montagnes, qui s’était installée avec ses enfants en ville, quittant les hauteurs de Mianning. Ce changement de vie fut radical: la richesse de la vie urbaine lui a apporté de la confiance, mais a aussi ravivé la nostalgie de sa terre d’origine. Elle a accepté de poser en costume traditionnel : pour elle, c’était une façon d’exprimer son attachement aux montagnes. Un matin, la lumière du soleil caressait son visage, révélant la structure puissante de ses traits. La lumière baignait son regard d’aigle. Cette scène fugace, ce jeu d’ombre et de lumière, m’a bouleversé. La genèse de Rosayana. Descente de la montagne En juillet 2024, par une journée caniculaire, je suis retourné dans la région d’origine de cette femme pour réaliser des croquis. J’ai visité tous les magasins, les restaurants, exploré les routes menant aux différents villages. La vie des habitants a beaucoup changé, mais reste éloignée des standards souhaités. De nombreux jeunes sont partis pour réaliser leurs rêves ailleurs. D’autres sont revenus pour diverses raisons. Ce paradoxe — partir ou revenir — m’a profondément marqué. Tout le sens du tableau est là : chacun devrait avoir un chez-soi, mais ce « chez-soi » devient de plus en plus flou à mesure que l’on poursuit une vie meilleure ailleurs. Descendre de la montagne, c’est aussi quitter à contrecœur son foyer. Revenir, c’est parfois affronter des blessures ou des changements. Ce dilemme est universel. 8 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 8 27/05/2025 10:17 Repères Andy Evansen a commencé l’aquarelle dans les années 1990, après avoir exercé comme illustrateur médical. Inspiré par les maîtres britanniques que sont Trevor Chamberlain et Edward Wesson, il cherche à capturer des scènes du quotidien à travers des lavis lumineux et un pinceau expressif. Sa notoriété a véritablement décollé après qu’il a remporté un grand concours en 2005. Aujourd’hui artiste primé et enseignant à l’international, il est membre signaturaire et ancien président des Plein Air Painters of America. Mon intention À travers cette œuvre, je souhaite exprimer à la fois la réalité contemporaine du peuple yi et son lien profond avec la terre natale. Dans le contexte de la mondialisation, beaucoup de cultures et de traditions disparaissent. J’espère que mon travail éveillera l’attention et l’envie de préserver ces patrimoines précieux. Mon souhait est aussi de transmettre la force de la nostalgie : peu importe où l’on va, le village natal demeure le refuge de l’âme. Mon inspiration pour cette œuvre en particulier La période des fêtes évoque pour moi des souvenirs très particuliers. Vivre dans un État du nord signifie que les déplacements pour retrouver ses proches se font souvent dans des conditions loin d’être idéales. L’excitation de retrouver amis et famille s’accompagne toujours d’un certain stress, celui d’espérer que chacun arrive sain et sauf malgré la tempête de neige. Mais nous sommes habitués à ces hivers rigoureux — il en faut beaucoup pour nous arrêter. Mon aquarelle Getting Home a été inspirée par l’image de cette voiture solitaire avançant sur une route encore non déneigée, à la tombée du jour. Elle m’a rappelé ce doux moment où l’on arrive enfin et où l’on aperçoit les lumières chaleureuses d’une maison familiale au bout de l’allée. Même si je voulais que l’attention se porte sur la voiture et les faisceaux de ses phares traversant la neige, la lumière émanant des maisons joue un rôle essentiel dans la composition : elle apporte chaleur et profondeur émotionnelle à la scène. ANDYEVANSEN Getting Home Médaille de bronze d’honneur – American Watercolor Society Une construction pensée dans les moindres détails Pour servir le propos du tableau, j’ai choisi une composition spécifique : le bras gauche du modèle soutient légèrement le charwa (manteau en laine tissé porté par les Yi), pour équilibrer la structure centrale. Le chapeau en forme de crête de coq, symbole de noblesse, n’est pas entièrement visible, afin que l’attention du spectateur se porte sur le visage, les bijoux, les ornements du col. J’ai utilisé de l’encre de Chine et de l’argile rouge de ma région, préparées selon une méthode ancienne pour créer un pigment sombre translucide. En modulant l’eau, je pouvais peindre des nuances subtiles à partir d’une même couleur. J’ai ensuite ajouté de l’outremer, du rouge de cadmium clair, du violet permanent, pour rendre les tissus des Yi avec une précision chromatique et texturale. La plaque de col en argent est un élément clé du costume féminin yi : je l’ai soigneusement représentée pour souligner l’esthétique du personnage. Les fils rouges suspendus aux cheveux et au col enrichissent encore la palette. L’usage de teintes terreuses fait écho à ma propre nostalgie. 9 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 9 27/05/2025 10:17 ANALYSE D’ŒUVRES Pourquoi cette œuvre a-t-elle retenu l’attention du jury? C’est assez amusant : j’ai presque renoncé à présenter cette peinture, justement à cause de son atmosphère subtile. Pour des expositions d’envergure comme l’Exposition internationale de l’American Watercolor Society, où le nombre de candidatures est très élevé, il est généralement crucial de « capter l’attention » des jurés dès le premier regard. Mais peut-être que, justement, c’est la sobriété de cette scène qui a su faire la différence au final. Mes projets et événements à venir Parmi les événements à venir, je me rendrai prochainement à New York pour recevoir non seulement la médaille de bronze décernée à Getting Home, mais aussi l’insigne Dolphin Fellowship, un statut honorifique attribué aux artistes ayant cumulé un nombre suffisant de distinctions pour atteindre ce niveau de reconnaissance au sein de l’American Watercolor Society. En septembre 2025, je participerai à un festival international d’aquarelle en Arménie. Puis, en mars 2026, je me rendrai en Inde avec un groupe de dix amis artistes pour peindre et partager des moments ensemble. Enfin, en août 2026, je serai à Calgary (Canada) dans le cadre d’un événement international d’aquarelle, où je donnerai également un stage. Mon processus de travail Je préfère ne pas utiliser de liquide de masquage, c’est pourquoi les lumières dans cette scène ont été préservées en peignant « autour » d’elles lors de l’application du lavis bleu profond du ciel et de la neige. Je souhaitais tout de même une certaine douceur pour suggérer qu’il neigeait encore, alors j’ai commencé à poser les arbres lointains et quelques détails, tant que le lavis était encore humide. Lorsque l’on peint des scènes de neige, de brouillard ou de pluie, il est essentiel de faire rapidement décroître les valeurs à mesure que les éléments s’éloignent. Ainsi, même si la maison située derrière la voiture se trouve simplement de l’autre côté de la rue, je l’ai traitée presque entièrement dans des valeurs moyennes. Même le grand sapin à droite est moins contrasté que les petits arbres à gauche, bien qu’ils soient dans la même cour. Pour en savoir plus : www.evansenartstudio.com JIANZHONG ZHOU Red Wall Médaille commémorative Alden Bryan Mon processus de travail Grâce à des lavis superposés, j’ai cherché à transmettre une impression de temps et d’accumulation inscrite dans la surface du mur. J’ai également prêté une attention particulière aux détails issus du quotidien : les taches de peinture sur le pantalon, les plis des vêtements, la toile de protection et les outils au sol — autant d’éléments qui confèrent à la scène chaleur et réalisme. Pendant le travail, j’ai peint sur un papier humidifié, laissant les couleurs se diffuser et fusionner naturellement. Cela a permis de créer des tonalités en couches et de subtiles auréoles, apportant profondeur et texture au mur rouge. En jouant sur l’inclinaison de la planche, j’ai dirigé le mouvement des pigments, laissant une part de spontanéité s’intégrer à la composition. En contraste, le personnage a été peint à sec, en couches successives, afin de construire progressivement les formes et les détails. Il émerge ainsi du fond, apportant rythme et relief à la composition. Ma démarche artistique Pour cette composition, j’ai choisi un point de vue en contre-plongée, plaçant le spectateur aux côtés de l’ouvrier, le regard tourné vers son geste. Cette perspective renforce non seulement l’immersion, mais évoque aussi une forme de respect silencieux pour l’acte de travail. Dans cette peinture, le mur rouge n’est pas un simple décor : il devient une présence à part entière. Repères Jianzhong Zhou, né à Hangzhou en Chine, est un aquarelliste de renom, salué pour sa sensibilité poétique et sa maîtrise technique. Diplômé en 1987 de la China Academy of Art, il a consacré sa carrière aux arts visuels, avec un intérêt particulier pour le design graphique et l’aquarelle. Réputé pour son sens aigu de l’observation du quotidien, Jianzhong Zhou saisit avec finesse l’interaction entre lumière, ombre et émotion, offrant une lecture claire et profonde de la réalité à travers le langage expressif de l’aquarelle. Ses œuvres ont été exposées dans de nombreuses expositions internationales majeures aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Grèce et ailleurs, où elles ont reçu une reconnaissance unanime. En 2022, sa peinture Staring a été sélectionnée pour la 210e Exposition internationale de la Royal Institute of Painters in Water Colours (RI). En 2024, deux autres œuvres, The Green Bakery et After School, ont été retenues pour la 213e Exposition internationale du RI et présentées à la prestigieuse Mall Galleries de Londres, suscitant un vif enthousiasme. Son œuvre célébrée Red Wall a reçu la médaille commémorative Alden Bryan lors de la 158e Exposition internationale de l’American Watercolor Society (AWS). Elle a également remporté le 1er prix à l’International Watercolour Masters (IWM) 2022 et la 3e place lors de l’exposition en ligne 2024 des membres associés de l’AWS. Sa peinture Morning Sunlight a, quant à elle, obtenu la 2e place lors de l’exposition internationale Light & Shadow 2024. Par son regard sensible et sa capacité à réinventer artistiquement les instants du quotidien, Jianzhong Zhou invite le spectateur à entrer en résonance avec les courants émotionnels profonds de l’existence. Grâce à la transparence fluide de l’aquarelle, ses œuvres révèlent l’extraordinaire dans l’ordinaire, laissant le temps, l’atmosphère et la mémoire couler silencieusement sur le papier. 10 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 10 27/05/2025 10:17 Pour en savoir plus : Instagram : jianzhong_noah Facebook : jianzhong.noah.zhou Ma source d’inspiration L’inspiration de Red Wall provient de l’attention constante que je porte aux instants subtils mais puissants de la vie quotidienne. Je suis souvent attiré par des scènes qui, au premier abord, semblent ordinaires, mais qui sont en réalité chargées d’une tension émotionnelle — ces moments sont une source essentielle dans ma pratique artistique. L’idée de cette œuvre m’est venue lors d’une visite dans un musée : j’y ai vu un ouvrier, debout, silencieux devant un mur rouge profond, en train d’appliquer de la peinture avec soin. La couleur riche et dense du mur, conjuguée à la posture concentrée de l’homme, créait une tension visuelle saisissante. La composition était simple, mais elle dégageait une forte intensité émotionnelle, qui m’a donné l’envie irrépressible de saisir cet instant à l’aquarelle. Pourquoi cette œuvre a-t-elle retenu l’attention du jury? Je pense que ce qui a pu toucher le jury, c’est l’hommage silencieux rendu au quotidien. Il n’y a ici aucune scène spectaculaire — seulement un homme au travail, concentré sur sa tâche. Et pourtant, dans cette quiétude se dégage une force émotionnelle universelle : la dignité du labeur, le passage du temps et la beauté d’une attention portée tout entière à l’instant présent. À travers la transparence et la fluidité propres à l’aquarelle, j’ai voulu saisir et transmettre un moment éphémère, mais chargé de sens — un instant qui, figé sur le papier, continue de résonner dans l’esprit du spectateur. CHIEN CHUNG-WEI Bibliothèque du Salmagundi Club 2024 Prix commémoratif Marilyn Hughey Phillis L’histoire derrière cette peinture Salmagundi Library est ma toute dernière aquarelle, et je suis honoré qu’elle ait reçu le prix commémoratif Marilyn Hughey Phillis lors de la 158e Exposition internationale Annuelle de l’American Watercolor Society (AWS). Depuis ma première participation en 2014, c’est la douzième année consécutive que mes œuvres sont sélectionnées et la huitième fois qu’elles sont récompensées par un prix. L’inspiration de cette œuvre m’est venue de la bibliothèque du club historique Salmagundi, à New York, qui abrite également le siège de l’AWS. En juillet 2023, je me suis rendu à New York pour l’ouverture de l’exposition 21st Century Realism, organisée par le 16e Salon ARC au Sotheby’s Center. Mon hôtel se trouvant à proximité du Salmagundi Club, j’ai contacté M. Masi, président de l’AWS, ainsi que M. John Patt, directeur administratif, afin de récupérer une peinture que mon épouse Jasmine avait laissée au bureau de l’AWS l’année précédente. Tous deux m’ont répondu avec chaleur et générosité. Ce que j’ignorais alors, c’est que John n’était pas censé être au bureau ce jour-là — et pourtant, il a fait l’effort de venir exprès, parcourant plus d’une demi-heure en métro pour me rencontrer. Je l’ai suivi dans l’ancien escalier en colimaçon jusqu’au bureau du troisième étage — c’était ma toute première rencontre avec cette merveille architecturale. J’ai volontairement ralenti ma marche pour admirer les tableaux à l’huile accrochés aux murs. John, patient et bienveillant, a pris le temps de me raconter l’histoire riche du bâtiment. Quand nous sommes arrivés au deuxième étage, il a ouvert une porte donnant sur le couloir et m’a dit : « Voici une très belle bibliothèque — je pense qu’elle va vous plaire. » Souriant, il m’a invité à entrer. Dès que j’ai franchi le seuil, j’ai eu l’impression de remonter le temps jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le parquet craquait sous mes pas, une haute paroi de rayonnages en noyer sombre était chargée de vieux livres reliés — comme sortie tout droit des couloirs de Poudlard. Je me suis imaginé les grands maîtres de l’aquarelle réunis dans cette petite pièce, au milieu des volutes de cigares, débattant passionnément de leur art. Et, pour mon plus grand bonheur, il y avait des sculptures partout — des sujets parfaits à dessiner, ce que j’adore. Avec l’autorisation de John, j’ai pris plusieurs photos de référence. Je le savais déjà : cela deviendrait une peinture. 11 AQUARELLE N°65 / JUIN-AOÛT 2025 ADA65.indb 11 27/05/2025 10:17
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