PARIS MATCH n°3941 - Page 8 - 3941 L’ENTRETIEN Clara Luciani Ses airs de famille CULTURE Livres. La critique de Marie-Laure Delorme BD. Sylvain Vallée et Jacky Schwartzmann, sacré duo! Cinéma. Xavier Beauvois et Peter Doherty. Les rescapés Spectacle. «Les misérables» enfin prophètes en leur pays Michael O’Reilly, nouveau pilier de «Dirty Dancing» PERSONNALITÉS POUVOIRS DESSIN Joann Sfar 6 13 14 16 20 23 24 26 34 Crédits photo : P.4 : H.Pambrun. P.6 à9 : A. Armanet, DR. P.13 : C.Nieeszawer, DR. P.14 : Éditions Dargaud, DR. P.16et18 :H.Pambrun,D.Prost,DR.P.20et22 :J.Faure,L.Derimais,DR.P.23 :H.Pambrun,DR. LECINÉASTEETLEROCKEUR Amisetvoisinsdanslavie,XavierBeauvois etPeterDohertyontcollaborésur«Lavalléedes fous»,ledernierfilmduréalisateurfrançais. Rencontre.(Pages16et18) PARIS MATCH DU 13 AU 20 NOVEMBRE 2024 4 LASEMAINEDE L’ENTRETIEN PROFIL 1992 Naissance le 10 juillet, à Martigues. 2018 Premier album, «Sainte-Victoire». 2019 Consacrée Révélation scène de l’année aux Victoires de la musique, le premier de ses quatre trophées. 2020 Rencontre Alex Kapranos, leader du groupe écossais Franz Ferdinand. 2022 Remplit l’Accor Arena, à Paris, pour la première fois. CLARALUCIANI SESAIRSDEFAMILLE Lachanteuserevientavecundisque flamboyant,écritpendantqu’elleétaitenceinte. Sonalbumleplusintimeetleplusémouvant. InterviewLéaBitton/PhotosAlexisArmanet Regard de biche, silhouette élancée, frange rideau… Quand elle arrive à l’hôtel du Temps, on croirait voir Françoise Hardy. Clara Luciani est une habituée des lieux, dans une rue discrète du IXe arrondissement de Paris. C’est là que la chanteuse enchaîne les rendez-vous, à deux pas de chez elle, pour ne jamais trop s’éloigner de son petit garçon âgé de 1 an. Entre deux gorgées de Coca-Cola sans sucre, Clara se confie presque autant que dans son troisième album, le très attendu «Mon sang». Elle l’a écrit enceinte, l’a enregistré à mesure que son ventre grossissait. Alors elle a tout raconté: ses peines, ses joies, ses galères. Et on y entend même la voix de son pépé Jeannot, décédé. Depuis la sortie de «La grenade», en 2018, Clara Luciani s’efforce de prouver qu’elle n’est pas la chanteuse d’un seul tube. Son pari est amplement réussi. Paris Match. Vous avez décidé de vous lancer dans l’écriture de “Mon sang” en apprenant que vous étiez enceinte de votre premier enfant. Pourquoi? ClaraLuciani. Je suis hyperactive. Je craignais que mon corps ne me permette pas de travailler jusqu’au terme. Ma hantise était de me retrouver alitée! Je souhaitais profiter de ces neuf mois d’attente pour faire un disque. Je ne voulais pas raconter ma grossesse, mais j’ai tenu à m’adresser à mon futur enfant. Lui dire qui j’étais, d’où je venais, qui étaient ses grands-parents, ses arrièregrands-parents. Je voulais lui confier mon parcours de vie, mes erreurs, les déceptions amicales que j’avais pu avoir, mes chagrins d’amour, mes débuts dans la musique… Mon fils va rapidement être en tournée avec moi, et il entendra ces chansons. Il ne les comprendra pas tout de suite, mais, en grandissant, il trouvera des réponses à ses questions grâce à ce disque. J’ai hâte qu’il s’en empare. Mais, avant ça, j’espère que le public se l’appropriera. [Elle rit.] L’enregistrement n’était-il pas trop éreintant? Au fil des mois et à mesure que je m’alourdissais, le trajet que je faisais pour aller au studio devenait de plus en plus pénible. Je mettais quarante minutes au lieu de vingt. Il fallait que j’enregistre mes 7 DU 13 AU 20 NOVEMBRE 2024 PARIS MATCH [SUITEPAGE8] «Jesuisheureused’avoirgaléré silongtemps:c’estcequimefaitsavourer chaqueminutedemavie» chansons en étant allongée, parce que je n’arrivais plus à trouver mon souffle. Aussi étrange que ça puisse paraître, j’ai adoré ça. En les réécoutant, de douces sensations me reviennent. Cedisqueestbeaucoupplusrockquevosprécédents.Faut-ilyvoir l’influencedevotreépoux,AlexKapranos,leaderdeFranzFerdinand? Il doit y avoir un peu de ça, forcément. Comme je voulais raconter mon enfance et mon adolescence, ça m’a ramenée à mes premières amours musicales. Et, pour le coup, elles étaient beaucoup plus rock et beaucoup plus pop. J’ai fait plein de petits clins d’œil aux groupes que j’écoutais, les Beatles notamment. C’est la bande originale idéale pour me raconter et voyager dans mon passé. Votre chanson “Allez” narre d’ailleurs les débuts de votre carrière. Oui. J’ai enchaîné plein de petits boulots: baby-sitter, pizzaiolo, hôtesse d’accueil… Lorsque je suis arrivée à Paris, j’habitais une chambre de bonne de 9 mètres carrés, que je n’ai jamais réussi à chauffer. Je dormais en manteau, avec les plaques de cuisine allumées pour me réchauffer. C’est une chanson qui m’a semblé indispensable pour que mon fils ait la valeur des choses et de l’argent. Je veux être certaine qu’il garde les pieds sur terre et qu’il comprenne qu’il est important de travailler. Je suis heureuse d’avoir galéré si longtemps: c’est ce qui me fait savourer chaque minute de ma vie. Alex Kapranos a d’ailleurs confié que votre fils était déjà fan de musique. Mon enfant n’est pas snob du tout. [Elle sourit.] Il va du “Vilain petit canard” à Beethoven. Ce qui est génial, c’est qu’il s’ambiance sur tout. Il danse énormément. Je suis heureuse et rassurée qu’il apprécie la musique autant que nous. Moi, j’ai hérité ça de mon père. Ma grand-mère aussi passait son temps à chanter. J’aime me dire que c’est profondément ancré en moi. La musique a-t-elle toujours été une évidence? J’aurais adoré être écrivain. Au collège, il y avait une prof qui avait pris ma défense quand tout le monde se moquait de moi. Elle disait que, dans quelques années, mes romans se retrouveraient à la Fnac. Bon, malheureusement, ça ne s’est pas passé comme ça! [Elle rit.] Vous êtes quand même à la Fnac, mais dans un autre rayon. Exactement. Sur ce disque, la partie qui m’a semblé la plus intéressante, la plus naturelle, a été l’écriture. C’est vraiment ce que j’adore par-dessus tout. Appréhendez-vous de repartir en tournée, maintenant que vous êtes mère de famille? Je constate qu’on ne pose jamais cette question aux papas musiciens, parce qu’on part du principe qu’ils trouveront des solutions. Alex n’est jamais interrogé à ce sujet. Ça prouve quand même quelque chose… J’ai récemment fait un voyage au Bénin avec l’Unicef et, sur Instagram, quelqu’un a commenté: “Tu ferais mieux de t’occuper de ton propre enfant.” Je n’ai jamais vu de tels commentaires sur le compte de mon conjoint. On est en 2024, mais les mentalités n’ont pas tant évolué que ça. Cela dit, j’ai une vision hyper fantasmée de la tournée. Un peu comme les familles dans les cirques… Mais sans roulotte! Je pense à Paul et Linda McCartney, qui embarquaient leurs enfants avec eux quand ils jouaient dans Wings. On a énormément de chance de faire ce métier. On ne sauve pas des vies, mais on est là pour partager des moments intenses avec les gens. Tout ça doit rester une fête. Vousavezégalementacceptéd’êtremarrainedelanouvellesaison de la “Star Academy”. Pourquoi? Parce que je pense que ça me va bien! On m’avait déjà proposé de faire partie du jury de certaines émissions, mais je ne me sentais absolument pas légitime. Qui suis-je, du haut de mes 32 ans et avec mes trois albums, pour dire: “Toi, c’est bien, toi, ce n’est pas 8 PARIS MATCH DU 13 AU 20 NOVEMBRE 2024 «Vieillirnemefaitpaspeur.Cequejeredoute,avec letempsquipasse,c’estlapertedesgensquej’aime» ClaraLuciani bien”? En revanche, le truc de grande sœur, bienveillante et motivante, je sais le faire et j’adore ça. Les élèves ont une confiance en eux largement plus importante que la mienne. Je me suis dit qu’il fallait vraiment que je travaille sur ça, que j’arrive à être aussi spontanée qu’eux. L’industriemusicalepeutparfoisêtretrèsdure avec les femmes qui vieillissent… Avec Léa, ma sœur aînée, on a récemment fait le constat qu’il n’y avait pas beaucoup de chanteuses de plus de 50 ans, actives et toujours considérées comme “cool”. Il est beaucoup plus facile de citer des mecs qui ont la cinquantaine et sont encore écoutés et adulés. Je pense que ça va être un de mes paris: durer. Je me regarde dans le miroir, je m’arrache quelques cheveux blancs, mais je ne suis pas traumatisée par le changement de mon visage, de mon corps. Je me dis que c’est la nature, la loi de la vie. Ce que je redoute, avec le temps qui passe, c’est que je me rapproche forcément de la perte des gens que j’aime. Et ça, ça me terrorise. On entend la voix de vos grands-parents dans le titre “Interlude”, notamment celle de votre grand-père, récemment décédé. Était-ce important de les inclure dans ce disque? C’est ma façon de leur offrir un peu d’éternité. Un supplément de vie. C’est de l’ordre de la science-fiction, mais j’aime l’idée de les ramener un petit peu parmi nous. J’ai fait écouter le morceau à mon fils, en scrutant ses réactions. Il ne comprenait pas trop, mais c’était très beau à voir. En tombant enceinte, j’ai beaucoup réfléchi ETBIENTÔTAUCINÉMA…. Sonenfantn’aque4moisquandelleselancedansl’aventure.«J’étaisépuiséeetpastrèsbiendansmapeau.»Mais,malgré lesdépartsàl’aube,pouravoirletempsdefixersaperruqueblonde, letournageaétéla«meilleurechoseàfaire»pourqu’elleretrouve confiance en elle après sa grossesse. Dans «Joli joli», comédie musicale romantique réalisée par Diastème, Clara Luciani campe lerôled’unestardecinémaséduiteparunécrivainfauché(William Lebghil).«C’est un film “good vibes”,à l’image de l’ambiance sur le plateau.» Elle y a rencontré l’humoriste Laura Felpin, qui devient une «source d’inspiration incroyable», et a collaboréavecAlexBeaupain,compositeurdeschansons. «Jenepensepasavoiràrougirdemoninterprétation.Ma sœur l’a vu et elle m’a dit que ça allait.Alors si ma sœur dit que ça va, c’est que ça va», sourit-elle. à tout ça. L’arrivée d’un nouvel être humain remue beaucoup de choses. On en vient très vite à la conclusion hyper douloureuse qu’offrir la vie, c’est aussi donner la mort. Avant ma grossesse, je me réveillais en pleine nuit tellement la mort m’angoissait. Ça ne m’arrive plus du tout. Peut-être parce que je ne dors plus… C’est la raison la plus concrète! [Elle rit.] “Courage”parlededépressionpost-partum.Vousenavezsouffert? Dépression, je ne sais pas, mais un post-partum éprouvant émotivement, oui, bien sûr. Je crois que c’est un passage obligatoire. Ce qui est terrible, c’est qu’on se sent extrêmement fragile émotionnellement et, à la fois, on est la plus heureuse du monde. C’est un sentiment plein de contradictions. La santé mentale est un thème de plus en plus évoqué par les artistes. Comment prenez-vous soin de la vôtre? Je n’ai jamais eu peur d’aller voir un psy. Ou de faire savoir que j’en voyais un. Pour moi, ça revient à dire que j’ai rendez-vous chez le dentiste. C’est super que la parole se libère sur ces sujets, notamment pour les adolescents qui subissent de plein fouet la violence des réseaux sociaux. Il faudrait presque qu’un accompagnement psychologique soit obligatoire. Pour tout le monde. Un peu comme quand tu vas faire contrôler ta voiture pour être sûr que tout va bien. Il y a des contrôles pour tout, alors, pourquoi ne pas vérifier ça aussi? InterviewLéaBitton « Monsang » (RomanceMusique), sortiele15novembre. Entournée àpartirdu17décembre. « Jolijoli », sortiele25décembre. 9 DU 13 AU 20 NOVEMBRE 2024 PARIS MATCH LASEMAINEDE LA CRITI UE ABEL QUENTIN LES EFFONDREMENTS Quatre scientifiques alertent, dès 1973, sur le désastre environnemental. chargé d’enquêter, pour les 50 ans du rapport, sur ce qu’ils sont devenus. L’auteur du «Voyant d’Étampes» (2021) a écrit un roman politique sur le déni collectif. La réalité est là, sous nos yeux, impossible à ignorer. La Terre a une surface limitée, avec des ressources limitées. Mais nous continuons à faire comme si de rien n’était par confort, habitude, bêtise. L’explication: l’homme a la faculté d’imaginer l’aggravation ou l’amélioration d’une situation, mais pas la radicalité de l’effondrement. Dans «Cabane», Abel Quentin reste du côté de la littérature. Il raconte rancœurs et jalousies entre les différents universitaires; il crée un personnage de scientifique au bord de la folie qui peut être interprété de différentes façons; il possède un style ironique et cinglant. Il montre combien la tragédie unit puis sépare les êtres humains. Le multimillionnaire, le moine-soldat des mathématiques, le couple de militants. Chacun possède ses zones d’ombre. Le rapport ne va pas changer les habitudes humaines, mais il va bouleverser la vie des quatre scientifiques. Ils ont connu effroi et anxiété. Dire la vérité et ne pas être entendu. De 1970 à nos jours, Abel Quentin s’attache à suivre les uns, les autres. Le trop rigide Johannes Gudsonn; le trop souple Paul Quérillot. Le reportage du journaliste français va finalement se resserrer autour de la figure mystérieuse de l’ancien mathématicien norvégien. Un fou, un visionnaire, un pur. Qu’est-il devenu? On suit ses traces, partout dans le monde. D’une bergerie dans la Drôme à une cabane sur une île en Norvège. Dans cette fresque écologique et politique, l’écrivain s’interroge sur l’humain: à quel moment se perd-on? DeMarie-LaureDelorme Tout y est, mais rien n’y fait. En 1972, quatre jeunes chercheurs du Massachusetts Institute of Technology publient un rapport intitulé « Les limites à la croissance». Il a été commandé par des capitalistes sociaux-démocrates. Le constat est clair : le modèle occidental, fondé sur la croissance, nous mène droit dans le mur. On ne peut exploiter de manière infinie quelque chose de fini. Il faut ralentir la croissance démographique et industrielle pour éviter que le monde ne s’effondre au cours du XXIe siècle. Le rapport est transformé en livre. Il a un immense retentissement, avant de tomber dans l’indifférence. Il fait boum puis splash. Dans «Cabane», le romancier Abel Quentin change le lieu des recherches, le nom du rapport, l’identité des scientifiques pour raconter une histoire d’épuisement écologique et psychologique. Nous sommes à Berkeley, en 1973. On suit la destinée des quatre scientifiques. Ils ne s’en remettront pas. Comment vivre après avoir vu le crime et n’avoir pas été cru? Dans «Cabane», qui sont les quatre chercheurs? Un couple d’Américains (Mildred et Eugene Dundee), un Français (Paul Quérillot), un Norvégien (Johannes Gudsonn). Chacun va réagir à sa façon face au succès et à l’échec de leur rapport sur l’avenir du monde au XXIe siècle. Au début, ils étaient persuadés que leurs conclusions allaient transformer les modes de vie. Ils vont passer de l’illusion à la désillusion. Les époux américains Dundee deviennent des militants anticroissance et se reconvertissent dans l’élevage de porcs dans l’Utah; le Français Paul Quérillot se vend à l’industrie pétrolière, avant de créer sa propre société de conseil et de devenir multimillionnaire; le Norvégien Johannes Gudsonn disparaît pour choisir la voie de la radicalité écologique. Chacun a sa propre manière de fuir la dépression : continuation, trahison, explosion. Un jeune journaliste français est « Cabane »,d’AbelQuentin, éd.L’Observatoire,480pages,22euros. LASEMAINEDE CULTURE LASEMAINEDE SYLVAINVALLÉEET JACKYSCHWARTZMANN SACRÉDUO! Ilssignentundiptyquedécapant,avecuntueurdéguiséencuré : « HabemusBastard ».Passageàconfessedesauteurs… ParFrançoisLestavel Ces deux lascars étaient faits pour s’acoquiner. Le dessinateur Sylvain Vallée aime les trognes, les forts en gueule et les scènes qui défouraillent comme chez Audiard, ainsi qu’il l’a prouvé dans la série «Il était une fois en France», sur le collabo Joseph Joanovici, ou dans la trilogie saignante «Katanga», cosignées avec Fabien Nury. Trublion du polar, Jacky Schwartzmann assaisonne de ses formules hilarantes le monde du crime, que ce soit avec un sosie de Mathieu Kassovitz à la petite semaine («Kasso») ou un conseiller d’éducation qui se mue en dealer d’élite à Besançon (« Shit ! »). Aussi, lorsque Schwartzmann lui soumet son idée de malfrat qui revêt l’habit clérical à SaintClaude pour échapper à l’ire de son boss, Vallée jubile. «Je terminais “Katanga”, j’avais envie d’autre chose que de la noirceur à la Nury, après neuf tomes ensemble, explique-t-il. J’aime la comédie, les punchlines de Jacky, et je me suis vite rendu compte qu’il faudrait deux tomes pour boucler le récit. Ça tombe bien, j’apprécie ces rendez-vous avec le lecteur, qui existent de moins en moins en bande dessinée.» «Avant de nous lancer, on a passé trois jours dans le Jura, pour des repérages, complète Schwartzmann. On a fait beaucoup de photos… pour humer l’ambiance. Car, avec nous, c’est “Fargo” à Saint-Claude!» Dès le premier tome, les sermons iconoclastes de Lucien désarçonnent ses ouailles. Le grand pécheur devant l’Éternel ne peut s’empêcher d’organiser un trafic de schnouf, aidé par un gamin du coin à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Il commet même le péché de chair avec une affriolante paroissienne, sur fond d’AC/DC pour couvrir ses exploits amoureux. «Ce n’est pas du tout antireligieux, c’est juste un décor », précise Schwartzmann. «Mais l’idée des teeshirts metal que le héros porte, j’ai trouvé ça génial!» applaudit Jacky. Normal, car Vallée, plus qu’un dessinateur, se voit UNDESTINENROUGEETNOIR Qui était vraiment le Libanais Gabriel Chahine? Un simple indic de la police? Un galeriste qui s’était pris au jeu de l’infiltration d’Action directe? Ou un éternel enfant, encore ébloui par la visite du général de Gaulle à Beyrouth? Pour leur troisièmecollaboration,PhilippeCollinetSébastienGoethalsnouslivrentunalbum-enquêtefouillésurcepersonnagetrouble et insaisissable, qui désarçonnait les nombreux témoins qui l’ont croisé. Un drôle de zigue qui agaçait jusqu’aux flics qu’il renseignait par ses idées farfelues, et souvent géniales, pour piéger le groupe de son «ami» Jean-Marc Rouillan. Celui-là même à qui il avait proposé de voler «L’escamoteur», de Jérôme Bosch, pour financer la révolution! Impossible de lâcher les 320 pages de ce portrait d’un homme mystérieux… à la mesure d’une époque tout aussi trouble. F.L. comme un metteur en scène. Avant le crayonné et l’encrage – un travail long et fastidieux –, il y a d’abord une étape essentielle, le découpage et l’imbrication du récit dans les planches. «Ça prend un temps fou, et ça ne se voit pas. On imagine que dessiner est naturel, comme écrire ou parler. En fait, je réfléchis comme un réalisateur: je m’approprie le scénario. Je choisis l’angle, le casting, les décors, la lumière, le rythme de la mise en scène et le montage!» Pas étonnant que des producteurs aient déjà contacté le duo pour adapter leur histoire au succès tonitruant. Même si, par frilosité, ils risquent de reculer face à des auteurs qui ne s’interdisent rien. À commencer par donner un jour une suite aux aventures de ce don Camillo version Tarantino. «Il faudrait alors qu’il évolue un peu dans la hiérarchie de l’Église, ou au moins qu’il la rencontre», suggère Jacky. À Rome, il paraît que cette perspective ferait déjà trembler la curie… « HabemusBastard. Tome2 »,deSylvainValléeet JackySchwartzmann, éd.Dargaud,84pages, 21euros. CRITIQUE «Avecnous, c’est“Fargo”à Saint-Claude!» BD « L’escamoteur »,dePhilippeCollinetSébastienGoethals,éd.Futuropolis,320pages,26euros. W W W. B A C C A R AT. C O M CINÉMA GLADIATORII De Ridley Scott Avec Paul Mescal, Denzel Washington… Un an après un «Napoléon» très controversé, Ridley Scott revient avec un projet plus fédérateur, une suite à son film emblématique, sorti il y a vingt-quatre ans. Un retour aux sources qui voit Lucius, fils caché de Maximus, reprendre le flambeau de la révolte et combattre dans l’arène d’un Empire romain toujours plus sanguinaire. En optant pour un copiercoller du premier, Scott ne prend pas de risques. Il déroule sa patte visuelle toujours majestueuse, malgré des effets numériques pas toujours du meilleur goût. Il sait s’entourer d’acteurs solides, Paul Mescal, Denzel Washington, Pedro Pascal et Connie Nielsen, qui donnent chair et nuances à ce bon péplum sans audace.Certes,touslescheminsmènentàRome,maiscertainspourraientrester cette fois au bord de la route… Fa.L. Ensalleactuellement. CRITIQUE LASEMAINEDE XAVIERBEAUVOISETPETERDOHERTY LESRESCAPÉS Le premier a demandé au second de composer la bande originale de son nouveau film, le très touchant « La vallée des fous ». Pour nous, ils reviennent sur leur collaboration singulière. ParBenjaminLocoge/PhotosHélènePambrun Ils sont un peu les mêmes. Et quand deux grands brûlés de la vie vivent à quelques kilomètres l’un de l’autre, forcément, ils finissent par se rencontrer. «Xavier avait une certaine réputation à Étretat, raconte Peter Doherty, un jour il m’a doublé en voiture et m’a insulté. Ce fut ma première fois avec lui. Mais on a fini par se connaître, et je sais que c’est un ours mal léché qu’on a envie de câliner.» Si Peter Doherty s’est installé à Étretat, c’est avant tout pour sa propre survie. Katia, son épouse française née dans la cité seinomarine, lui a fait comprendre en 2019 que, pour en finir avec les drogues dures, il fallait s’éloigner définitivement des rives de Margate, en Angleterre. Xavier Beauvois, lui, a quitté Paris il y a dix-sept ans pour sa ferme de Bénouville, son immense jardin, ses pommiers et des dépendances qui lui permettent de travailler loin du tumulte. C’est là qu’il a écrit et en partie tourné «La vallée des fous», son neuvième film, qui raconte comment Jean-Paul, restaurateur breton, va concourir à la Virtual Regatta (jeu en ligne qui simule le Vendée Globe) depuis une vieille coque de bateau installée dans son jardin. Au travers du personnage joué par Jean-Paul Rouve, Beauvois parle en réalité beaucoup de lui: un homme souffrant d’une addiction à l’alcool, qui doit aller au bout de sa folle idée pour mieux se retrouver et se reconstruire. Jusqu’à récemment, Beauvois a été de ceux qui descendaient une bouteille de vodka par jour pour fuir les questions existentielles. «J’étais un peu pathétique… Maintenant, je suis au jus de pomme et au thé vert», admet le cinéaste, heureux d’avoir exorcisé ses démons en images. Et quand il s’est agi de composer la musique de son histoire de dingues, Xavier s’est logiquement tourné vers son voisin! «Avec Marie-Julie, mon épouse, nous avions déjà réalisé un clip pour Pete. Il nous avait laissé une liberté totale.» Doherty raconte avec délectation comment il s’est imposé sur le tournage. «Le cinéma a été un art majeur dans ma vie. J’ai toujours préféré les films à la réalité. Dès que Xavier a évoqué son projet, je lui ai demandé s’il n’avait pas une petite place pour moi quelque part, pas forcément pour la musique.» Beauvois, qui a déjà travaillé avec John Cale ou Michel Legrand, n’a qu’une exigence: «La musique fait le film, c’est elle qui apporte les émotions.» Peter sourit. «La musique peut tout faire! C’est comme une drogue ou comme une séance d’hypnose. C’est très facile d’agacer les gens avec elle ou de leur faire peur… Mais aussi de leur procurer de la joie.» Point de difficulté dans leur relation de travail, donc, juste une grande complicité… silencieuse. «J’ai simplement demandé à Pete d’aller vers des sonorités brésiliennes pour évoquer le passage de l’équateur. Le reste du temps, il était avec sa guitare devant l’écran, puis au piano. Et il a composé la chanson finale, qui est très émouvante.» «Je suis complètement d’accord, reprend l’Anglais. Elle sera même dans mon prochain disque. C’est ce qui est fascinant dans le processus de création: parfois tout s’imbrique de manière un peu magique… Je ne le dis pas souvent, mais ç’a été pour moi un honneur et une satisfaction de faire partie de cette aventure. Qui se tournait en plus à cinq minutes de chez moi.» «Lamusique faitlefilm,c’est ellequiapporte lesémotions» XavierBeauvois « Lavalléedesfous », deXavierBeauvois, ensalleactuellement. [SUITEPAGE18] Photographie : Sylvie Lancrenon PARIS DEPUIS 1827 Bague “Diam Diam” Platine et diamants 3995€ Paris. 15, rue de la Paix - 66, av. des Champs-Élysées - Information points de vente : 0805801827 (appel gratuit) - www.mauboussin.fr Claire Bové, vice-championne olympique d’aviron.
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