PARIS MATCH n°3956 - Page 3 - 3956 Du 9 au 29 novembre 2025... Vivez, au départ de Paris, le Summum du Voyage : RIO DE JANEIRO IGUAÇU L’ÎLE DE PÂQUES TAHITI SYDNEY ANGKOR LA BAIE D’HALONG HANOÏ SAMARCANDE LE MONDE EN PREMIÈRE CLASSE PAR250227 PAR250227 © TMR, depuis 1987 - 349 avenue du Prado - 13417 Marseille cedex 08. Immatriculation et garantie Atout France IM013100087. Document non contractuel. Photos : DR., O.T., I.A., Freepik, InterContinental, Shutterstock. scannez-moi scannez-moi www.tmrfrance.com contact@tmrfrance.com Album gratuit et informations, uniquement auprès de TMR... Découvrez les plus belles images du 48ème Tour du Monde, sur nos chaînes... TMR International Croisières& Voyages TMR OFFREZ-VOUS LE VOYAGE DE VOTRE VIE EN PREMIÈRE CLASSE TMR, Créateur de Voyages depuis 38 ans, renoue avec l’âge d’or de l’aérien et vous invite à vivre l’Aventure de votre Vie, du 9 au 29 novembre 2025. 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P.26 : A.Kleuker / Museum im Kulturspeicher Wurzprung / Estate Of Emy Roeder, Museo Nacional Thyssen – Bornemisza Madrid/EstateofGeorgesGrosz(ADAGPParis2024) 8 15 16 18 20 22 24 26 28 29 30 36 L’ENTRETIEN Karine Tuil L’envers du décor CULTURE Livres. La critique de Marie-Laure Delorme Paysages du crime Cinéma. Mathias Mlekuz et Philippe Rebbot Remise en selle Musique. Ben Mazué Les liens du sang Peter Hook Héros new wave Humour. Mathieu Madénian Gosse fatigue! Expo. L’art maudit par les nazis PERSONNALITÉS ROYAL POUVOIRS DESSIN Joann Sfar MATHIEUMADÉNIAN ÀQUANDLEDEUXIÈME? Danssonnouveauspectacle«Àpleurerderire», l’humoristeàl’accentensoleillédélaisse l’actualitépourpartager,avecbeaucoupdedérision, sonquotidiendejeunepapa.(Page24) 6 LASEMAINEDE PARIS MATCH DU 27 FÉVRIER AU 5 MARS 2025 (1) Test in vitro. (2) ALFA [3R] TECHNOLOGY = Extrait d’Alfalfa + Acide Hyaluronique + Extrait d’Hemerocallis Fulva / Technology = Technologie. (3) Formule clean selon Nuxe : plus d’informations sur www.nuxe.com. (4) Test d’usage - 30 volontaires. % de satisfaction après 28 jours. (5) GERSDATA - SOGEARLY - Marché Dermocosmétique reconstitué - Sélection Cluster Nature - Valeur (CATTC) - Pharmacie et Parapharmacie - France - CMA Juin 2024. Laboratoire NUXE SAS - 127 rue d’Aguesseau 92100 Boulogne-Paris-France - R.C.S. 642 060 123. (5) nuxe laboratoire N°1 des soins d’origine naturelle en pharmacie et parapharmacie (3) +niacinamide l’innovation anti-âge anti-âge plus efficace plus efficace que le rétinol que le rétinol(1) technology technology alfa 3R R (2) Offrez à votre peau une correction anti-âge continue jour et nuit, avec cet unique soin d’exception. Sa précieuse formule concentre le pouvoir de la Niacinamide associé à la Technologie Alfa [3R] exclusive plus efficace que le rétinol(1) . La peau est revitalisée, comme défroissée. Après 1 mois, elle est visiblement plus belle et parait plus jeune : plus ferme pour 90%(4) des femmes, plus lisse pour 93%(4) . L’ENTRETIEN KARINETUIL L’ENVERSDUDÉCOR Dansunromansurlesarcanesdupouvoir, laromancièredécritlesecretdesvies. Interview Marie-Laure Delorme / Photos Bettina Pittaluga Il ne faut pas s’y fier. Elle parle d’une voix posée, semble toujours concentrée, déteste se faire remarquer. Silhouette fine, vêtements simples. On ne lui fera pourtant pas faire ce qu’elle ne veut pas faire. Karine Tuil a un caractère d’airain. Dans « La guerre par d’autres moyens », on retrouve ses thèmes : le judaïsme, l’hypocrisie sociale, la chute. L’auteure des «Choses humaines» (2019), prix Interallié et prix Goncourt des lycéens, adaptées au cinéma par Yvan Attal, met en scène un ancien président de la République. Que se passe-t-il après le pouvoir? Dans une société fracturée de toutes parts, la romancière écrit sur notre humanité chancelante. Paris Match. “La guerre par d’autres moyens” est-il un roman sur les exercices du pouvoir? Karine Tuil. Oui, sur toutes les formes de pouvoir et sur la solitude. Plus on exerce le pouvoir, plus on est seul. Mais ce qui m’intéressait le plus, c’était de savoir ce qui se passait quand on n’avait plus ce pouvoir. J’aime saisir les êtres au moment où ils sont vulnérables, au moment où ils chutent. Cette histoire, c’est aussi celle d’un couple de pouvoir. Les personnalités publiques exposent de plus en plus leur couple dans les médias, sur les réseaux: cette mise en scène a un coût, bien sûr. Le livre décrit l’envers du décor. Les trois milieux racontés (la politique, l’édition, le cinéma) ne sont-ils pas fascinés les uns par les autres? Totalement! Il y a de très nombreux films sur le monde politique. Les politiques aussi ont toujours été attirés par la littérature et par les acteurs. Ce sont des sphères de pouvoir, d’image… Mais le cinéma est un peu à part, car les enjeux économiques sont considérables, si bien qu’un écrivain, même s’il voit son livre adapté, ne restera qu’un pion de ce système. Les cinéastes ont souvent un rapport utilitariste avec les auteurs. De nombreux écrivains se sont lancés dans l’aventure cinématographique et la plupart en sont revenus abîmés. Le cinéma reste un univers qui fascine, et j’avais envie d’en montrer un peu les coulisses, du point de vue d’une écrivaine, l’ex-femme du président qui voit son livre adapté sur grand écran avec, dans le premier rôle, la nouvelle compagne de son mari. PROFIL 1972 Naissance à Paris. 2013 «L’invention de nos vies», chez Grasset. 2019 Prix Interallié et prix Goncourt des lycéens pour «Les choses humaines», chez Gallimard. 2021 «Les choses humaines» sont adaptées au cinéma par Yvan Attal. 2022 Chevalière de la Légion d’honneur. DU 27 FÉVRIER AU 5 MARS 2025 PARIS MATCH 9 [SUITEPAGE10] «J’aibeaucoupd’indulgence pourlespolitiques.Ilsfontunmétier quilesexposeenpermanenceàla critique,àl’attaque,auxcoupsbas» Au-delàdesressemblances(deuxanciensprésidentsmariésàune célébrité) et des dissemblances (l’alcoolisme et la gauche), Dan Lehman fait penser à Nicolas Sarkozy. Comment travaillez-vous vos personnages? J’essaye de les faire exister pour le lecteur. Ce livre est le fruit de plus de vingt années d’observation. Au cours de ma carrière, j’ai rencontré des conseillers politiques, des ministres et d’anciens présidents et, parmi eux, Nicolas Sarkozy et François Hollande. J’ai lu aussi beaucoup de Mémoires d’hommes politiques, visionné des interviews. Évidemment, dans un espace moins public, on capte des nuances plus authentiques. Le roman mêle la fiction et le réel. J’aime que tout sonne vrai, alors je tente d’être au plus près des univers que je décris. Je crois que l’écrivain a une forme de réceptivité émotionnelle: c’est une éponge; il perçoit des détails insignifiants. Dan Lehman est le produit de plusieurs personnalités politiques. Partagez-vous le point de vue de Hilda Müller, l’épouse de l’ancien président:“Lafonctionpolitiquedétruitlasensibilitéetl’empathie”? Pour faire de la politique, il faut se blinder. L’ancien ministre Jean Glavany disait d’ailleurs qu’en politique la règle est la trahison. Vous prenez des coups tout le temps, de tous côtés… J’ai beaucoup d’indulgence pour les politiques, parce qu’ils font un métier qui les expose en permanence à la critique, à l’attaque, aux coups bas, y compris sur les réseaux sociaux, et ça n’a fait que s’amplifier… Puis on chasse en meute, et moi, c’est quelque chose que j’ai toujours détesté, on n’achève pas un homme à terre. Évidemment, ça fausse complètement les relations. Le pouvoir est un fluide: à son contact, les gens deviennent obséquieux, mielleux, voire serviles, ça transforme forcément. Ce qui m’intéressait, ce n’est pas la présidence en tant que telle, c’est l’après-pouvoir. Est-ce qu’il y a une transformation? Est-ce qu’il y a une vulnérabilité particulière quand on quitte le pouvoir? Et les autres, ceux qui vous étaient dévoués, sont-ils toujours là au moment de la défaite, quand vous quittez l’Élysée? L’ancien président Dan Lehman est un alcoolique. Pourquoi vous êtes-vous intéressée à l’addiction? Chez les autres, j’aime les failles, ce qui dysfonctionne. Je me suis intéressée à l’addiction parce que j’ai eu le sentiment d’être entourée de personnes, toutes générations confondues, qui ne pouvaient plus vivre sans béquilles: antidépresseurs, anxiolytiques, alcool, drogues. Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’aujourd’hui autant de personnes, y compris des jeunes, aient besoin de l’alcool pour supporter la vie? Ce livre décrit des gens qui, en apparence, ont tout, mais qui vont mal. Notre société élude la souffrance. On veut aimer sans souffrir, créer sans souffrir: ça n’existe pas. J’aime bien montrer dans mes livres ce qu’on ne veut pas voir, ce qu’on nous demande de taire: la part sombre et destructrice en nous, sous le vernis social. Il y a cette idée que l’alcool va vous permettre de supporter les épreuves de la vie, c’est aussi un espace convivial, et en même temps ça peut vous rendre dépendants, et l’idée d’un président, l’homme de la maîtrise et du contrôle, qui a cette dépendance, c’est une faille fascinante. De nombreux chefs d’État étaient alcooliques, mais ça reste un sujet tabou. Vospersonnagesnesontjamaismonolithiques.Àquoicelaobéit-il? Je crois à la complexité des êtres. Une vie, ce n’est jamais blanc ou noir. J’aime l’ambiguïté et la nuance. Tous mes personnages recherchent une forme de validation sociale, mais ils sont aussi très fragiles. Je vais chercher dans les endroits les plus obscurs de chaque être: leurs doutes, leur vanité, leur duplicité… Je raconte, notamment, que le personnage de Lehman s’enregistre à l’aide d’un Dictaphone et quand il s’exprime, on est dans son intériorité. J’ai pris ça chez Nixon, un président qui suscitait une forme de terreur et s’humanisait quand il était seul avec son Dictaphone. Dans mon livre, il y a aussi de nombreux portraits de femmes de générations différentes: une écrivaine de 58 ans, sa fille de 24 ans et une actrice de 43 ans. Je voulais qu’elles soient incarnées. J’ai rencontré beaucoup d’hommes et de femmes pour écrire ce livre, PARIS MATCH DU 27 FÉVRIER AU 5 MARS 2025 10 LASEMAINEDE POLITIQUESFRICTIONS Que faire après le pouvoir? S’ennuyer et s’enivrer. Dan LehmanestunancienprésidentdelaRépublique.Ilaeuunepetite fille,à 61 ans,avec sa seconde épouse,l’actrice Hilda Müller.Les nuagess’accumulentau-dessusdesatête:ilestmisenexamenet safemmes’éloigne.HildaMüllervajouerdansunfilmengagé,tiré duromandelapremièreépousedeDanLehman.Le pouvoirchangedemain.Ilpassedumariàlafemme. Dans «La guerre par d’autres moyens»,Karine Tuil raconte,avecdescrissementsdeplume,leFestival deCannes,larécupérationde#MeToo,lecorpsdes femmes. Dan Lehman, juif de gauche, porte en lui maintes contradictions.D’une écriture nerveuse,la romancière nous plonge dans un passionnant jeu de massacre. Que reste-t-il de nos ambitions? je leur demandais de me dire ce qu’ils ressentaient, honnêtement, sans filtre, sur des sujets aussi sensibles que le couple, #MeToo, le vieillissement… Les réseaux sociaux jouent un rôle dans “La guerre par d’autres moyens”. Vous vous en êtes retirée en 2018. Le regrettez-vous? J’ai pu le regretter sur certains aspects, car ça reste une fenêtre sur le monde et une source d’information, donc ma position a un peu évolué. Je viens de me réinscrire sur Instagram. Dans mon roman, je montre comment l’actrice utilise les réseaux pour promouvoir son image mais aussi la violence qui y règne: pour un politique, ça peut être fatal. Dans votre roman, un personnage affirme: “Cannes est une humiliation perpétuelle.” Avant votre reconnaissance par le public et la critique, est-ce un sentiment que vous avez connu? Être artiste, c’est être souvent humilié, et je crois que le public n’en a pas du tout conscience, il ne voit que la façade. Les cinéastes, les écrivains reçoivent parfois des critiques d’une très grande violence pour des œuvres qu’ils ont mis des années à créer. Mais on est aussi humilié par le système de la compétition et de l’évaluation, et ça concerne toutes les sphères de la société. De nos jours, on est tous notés, tous évalués: du livreur au médecin en passant par l’écrivain. Est-ce qu’on a envie de ça? Mon roman est aussi une critique du capitalisme qui tend à transformer les êtres en produits de marchandisation classique. Donc, oui, c’est un sentiment évidemment que j’ai connu… On se relève de ces petites humiliations, mais ça fait mal. On travaille dur, on s’expose et parfois les attaques sont disproportionnées. Cannes, pour les cinéastes, les acteurs, c’est encore autre chose: votre valeur sociale détermine votre place, les endroits où vous avez le droit d’aller. C’est une sorte de grande boîte de nuit, avec un videur à l’entrée, qui vous dit: toi, oui; toi, non. Pourquoi avoir dédié votre roman à Robert Badinter? C’était un ami, un homme dont l’image privée coïncidait avec l’image publique, un homme très engagé, très humble. J’aimais beaucoup parler de politique, de nos livres en cours et de l’état de la société avec lui. Il avait un regard lucide et intègre sur tout ce qui l’entourait. Il est décédé quand j’ai terminé le livre, je tenais à lui rendre hommage. Dans “Rosebud” (2006), Pierre Assouline s’intéresse à “ce petit rien qui nous trahit en nous dévoilant aux autres”. Quel est votre “rosebud”? Une posture: j’ai du mal à me tenir droite. Enfant, c’était ma manière de ne pas être remarquée. Je pense que les artistes doivent constamment osciller entre ce besoin d’être vu, d’attirer l’attention et ce désir de transparence. L’écrivaine Marianne Bassani avoue: “On écrit sur ce qui nous fait souffrir.” Sur quoi écrivez-vous? D’abord, sur le mépris social. Dans mes romans, j’aime décrire les oubliés du système, ceux que l’on ne remarque pas, comme cette actrice qui n’obtient que des petits rôles ou les travailleurs précaires. J’avais aussi très envie d’écrire sur le vieillissement, sur la pression qui est exercée sur les femmes, en particulier les actrices. Cette invisibilisation des femmes à la cinquantaine, les injonctions à la jeunesse, les disparités entre les hommes et les femmes, j’avais besoin d’en parler, même si je savais que ce serait douloureux. Un livre peut être un espace de réflexion, de transformation personnelle et même de débat social. Je l’ai vécu avec “Les choses humaines” et “La décision”. Je souhaite que le lecteur se dise: “Je ressens ça aussi.” Et puis il y a l’amour et, d’une manière générale, toutes les relations humaines: comprendre l’autre, se mettre à sa place, accepter la possibilité de le perdre, c’est une souffrance. Mais écrire sur ce qui nous fait souffrir, c’est la seule façon d’écrire un bon livre. InterviewMarie-LaureDelorme «J’aimemontrerdansmeslivres cequ’onnousdemandedetaire: lapartsombreetdestructriceen nous,souslevernissocial» « Laguerrepard’autresmoyens », deKarineTuil,éd.Gallimard,384pages, 22euros.Sortiele6mars. CRITIQUE DU 27 FÉVRIER AU 5 MARS 2025 PARIS MATCH 11 LA CRITI UE DeMarie-LaureDelorme Combien de rencontres importantes fait-on dans une vie? En 1983, une amitié se noue entre Emmanuel Bourdieu et Denis Podalydès. Ils font connaissance au lycée Henri-IV, en khâgne. Les deux garçons deviennent inséparables. L’enfant de Versailles, fils d’un pharmacien et d’une professeure d’anglais, se retrouve aux premières loges pour observer la figure du sociologue Pierre Bourdieu. L’auteur des «Héritiers» (1964) est père de trois fils: Jérôme, Emmanuel et Laurent Bourdieu. Dans «L’ami de la famille», l’acteur et écrivain fait un portrait sensible du maître d’œuvre de «La misère du monde» (1993), raconte la naissance d’une vocation, évoque toute une époque. Un récit subtil et ironique, écrit avec une élégante précision et précaution. D’emblée, Denis Podalydès souligne l’écueil: l’enchantement du clan Bourdieu et la désolation de la famille Podalydès. En ouverture de «L’ami de la famille», une photo de Denis Podalydès, à 20 ans, dans le jardin de la maison béarnaise des Bourdieu. Le récit est traversé par la puissance des lieux, dont l’appartement parisien et la maison près de Pau. Denis Podalydès y côtoie Pierre Bourdieu. Un homme ascétique, probe, sarcastique. Dans la famille, on aime le travail, la culture, le vélo. Tout le monde y est pudique à l’excès. Une scène marque. Alors que Denis Podalydès se dirige vers la piscine, Pierre Bourdieu lui lance sans explication: «Tu exerces sur Manu une influence délétère.» Quel sens donner à ces mots? Le brillant Emmanuel Bourdieu, devenu réalisateur, sera le seul de la fratrie à ne pas s’engager dans la recherche. Le père craint l’empreinte de l’artiste sur l’intellectuel. «L’ami de la famille» est aussi l’histoire d’une vocation et d’une émancipation. Denis Podalydès entre au Conservatoire d’art dramatique en 1985. Il hésite entre deux chemins : carrière d’acteur ou d’enseignant. Alors qu’il flotte entre deux univers, Pierre Bourdieu le charge, en 1989, d’une enquête, dans le cadre de l’ouvrage sociologique collectif «La misère du monde». Denis Podalydès revient sur sa collaboration, dans un mélange d’humanité et d’humilité. Pierre Bourdieu a formé en partie Denis Podalydès: idées, détestation de la boursouflure, jeu d’acteur. Comment parler d’une figure qui rejetait l’autobiographie et la confession? Pierre Bourdieu est mort en 2002. Il apparaît ici par brefs éclats de vie. Scènes matinales dans la cuisine, au début des années 2000. Beaux passages sur «L’éducation sentimentale», de Flaubert, où les états d’âme du cinéaste Emmanuel Bourdieu et du comédien Denis Podalydès semblent se refléter. L’auteur de «Scènes de la vie d’acteur» (2006) se retrouve déchiré entre trois identités contradictoires: l’enfant de la bourgeoisie versaillaise, le fils d’un piednoir, l’étudiant parisien de gauche. Denis Podalydès est trop intelligent pour ne pas être lucide. De ses convictions socialistes, il note: «Je voulais le beurre et l’argent du beurre, la paix domestique et les tourments du cœur, la vie d’artiste et la fonction publique.» À partir de 1993, il se rend trois fois par semaine chez le psychanalyste. Toute sa vie semble marcher dans un équilibre précaire. De «L’ami de la famille», tableau d’un clan choisi, on retiendra aussi le portrait du véritable père de Denis Podalydès. Un homme né en Algérie. Colérique, humilié, inquiet, enfantin. Dans l’appartement, il allait d’une pièce à l’autre, en proclamant: «J’ai le cafard, j’ai un de ces cafards.» «L’ami de la famille » s’attache à la réconciliation de deux mondes. DENIS PODALYDÈS LES ÉMANCIPATIONS Comment le futur comédien se lie avec la famille du sociologue Pierre Bourdieu. « L’amidelafamille.Souvenirs dePierreBourdieu »,deDenisPodalydès, éd.Julliard,256pages,21euros. PARIS MATCH DU 27 FÉVRIER AU 5 MARS 2025 LASEMAINEDE CULTURE 16 LASEMAINEDE PARIS MATCH DU 27 FÉVRIER AU 5 MARS 2025 PAYSAGESDUCRIME Delacampagnebretonneaudésertaméricainjusqu’à laPolynésie,lenoirbrilledemillefeux. ParFrançoisLestavel CATRIONAWARDD’OSETDEROUILLE Alors même que son mariage avec Irving bat de l’aile, Rob CussenserongelessangspourleurfilleCallie.Nonseulementcelle-ci s’en prend discrètement à sa petite sœur, Annie, mais sa santé psychique laisse aussi à désirer.En plus de s’adresser à des amis imaginairesdiablementtordus,Calliecollectionneencachettelesossements d’animaux,probablementvictimesdesonaddictionmorbide.Pourcoupercourtàsespassions malsaines,Rob décide,contre l’avis de son mari,d’emmener sa fille à Sundial,dans le désert Mojave, ce lieu nocif où elle a grandi… Avec ce roman à l’ambiance poisseuse, l’Américaine Catriona Ward nous invite à une plongée vertigineuse dans les méandres de rapports mèrefilleviciésparl’incompréhensionetladéfiance.Commeceuxqu’entretenaitRobavecsasœur disparue. Les fantômes d’un passé trouble rejaillissent et débordent, avec pour toile de fond une propriété isolée où des molosses agressifs devaient devenir doux comme des agneaux grâceàdesmanipulationsscientifiquesfaustiennes.Unrécitfascinantoùlasororitéenprend un coup face à la cruauté la plus brute. On en ressort profondément mordu. MATHILDEBEAUSSAULT AUTOPSIED’UNMEURTRE Fille de gens de peu, la petite Marguerite est bien gentille, mais taiseuse et pas très maligne. Au pointd’êtrelasouffre-douleurdesonécole.Personne pourladéfendredesesharceleurssaufMarie,lafille dupharmacien,dontlaréputationdeMarie-couchetoi-là fait jaser. Lorsqu’on retrouve son corps sans vie au bord de la rivière où Marguerite aime trouver refuge,lebourgentreenébullition…Aveccepremier romanautourd’unféminicidecommeilyenatanten France,MathildeBeaussaultsortdessentiersbattus grâce à une approche psychologique étonnante de justesse. Les témoins convoqués à la gendarmerie s’exprimentmaladroitement,cachent tant bien que mal leurs rancœurs et leurs frustrations. Sous sa plume, la mesquinerie, la jalousie et le désir de vengeance n’ont pas besoin d’être spectaculaires pour distiller leur poison délétère. N’hésitez donc pas à cueillir ces délicates fleurs du mal. MARINLEDUN DESRACINESETDESHAINES À Henua Énana, tout ne va pas très bien pourlesdamesdesMarquises.Lapreuve,lecorps dePaiotokaO’Connor,lajolieTahitiennequiaffolait les têtes et les cœurs, vient d’être retrouvé. UnmeurtrequelegendarmemétisTepanoMorel, dépêché sur place, entend bien résoudre, tout en renouantaveclaterredesesancêtresmaternels. Malgré l’aide de Poerava Wong, une flic locale aussi futée que déterminée, il va devoir affronter une jungle de non-dits… Après une virée réussie en Afrique, Marin Ledun nous emmène dans cette Polynésie française souvent résumée à ses paysagesdecartepostale.Commel’auteurn’est pas le genre à jouer les touristes, son enquête nousentraînedanslesarcanesdelaculturemarquisienneetd’unesociétéparfoisrongéepardes maux bien contemporains: violences faites aux femmes,acculturationdouloureuse,traficsd’animaux protégés destinés à de riches clients. Une immersion en terre inconnue originale et captivante. « Lessaules »,deMathilde Beaussault,éd.Seuil,272pages, 19,90euros. « Henua », deMarinLedun,éd.Gallimard, 416pages,19euros. « Uncri dansledésert », deCatrionaWard, éd.Sonatine, 408pages, 23euros. LIVRES
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