PARIS MATCH n°3948 - Page 5 - 3948 Crédits photo : P.4 :V.Capman.P.6à9 :D.Prost,DR.P.11 :DR,F.Mantovani/Gallimard. P.12 :DR,A.Overgaard.P.13 :DR,V.Capman. 6 11 12 13 14 16 20 L’ENTRETIEN Franck Dubosc Ours bien léché CULTURE Livres. La critique de Marie-Laure Delorme Série. Thomas Vinterberg Lumière noire Cinéma. Jia Zhang-ke et Zhao Tao, retour de flamme PERSONNALITÉS POUVOIRS DESSIN Joann Sfar HYMNEAUCINÉMA JiaZhang-kevientderéaliseruncoup demaîtreavec«Lesfeuxsauvages». LeréalisateurbrasselesmutationsdelaChine contemporaineavecsaproprefilmographie. EtsuitZhaoTao,samuseetépouse,àtravers deuxdécennies.Rencontre.(Page13) 4 LASEMAINEDE PARIS MATCH DU 2 AU 8 JANVIER 2025 COLLECTION “À LA UNE” I UN NOUVEAU HORS-SÉRIE COLUCHE COLUCHE COLUCHE 92 PAGES DE PHOTOS ET DE RÉCITS EXCLUSIFS Hors-série en vente actuellement - 8,50 € - C’EST L’HISTOIRE... D’UN CLOWN Un symbole du Français moyen, dont il traque les tics et les travers avec d’autant plus de justesse qu’il en est un. L’ÉNIGMATIQUE MICHEL COLUCCI Loin des frasques de la scène, un papa attentionné. Mais derrière le masque du trublion perce une certaine mélancolie. UN ACTEUR RÉVÉLÉ Au cinéma il opère une véritable métamorphose, révélant une dimension tragique insoupçonnée et tire du public des larmes qui ne sont plus de rire. LE SAUT DANS LE VIDE Rupture, drogue, déprime: arrivé au sommet de la gloire, Coluche trébuche. «Je suis capable du meilleur comme du pire, mais dans le pire, c’est moi le meilleur», reconnaît-il. GÉNÉRATION RESTOS Et puis il y a le cœur. Dès la première campagne, cette démarche de solidarité s’inscrit dans le patrimoine national. Le visage de l’humoriste en reste l’emblème. L’ENTRETIEN FRANCKDUBOSC OURSBIENLÉCHÉ Avec« UnoursdansleJura » ilplongedanslepolarféroceetpolitiquement incorrect.Lafacecachéed’unhumoriste quiveuttoujourssurprendre. InterviewFabriceLeclerc/PhotosDorianProst Attention : un Dubosc peut en cacher un autre. Volubile certes, mais réfléchi. Drôle, évidemment, mais appliqué. Comique populaire, mais aussi cinéphile pointu. C’est d’ailleurs dans les couloirs de la maison Gaumont, décorés d’affiches des films de Cocteau ou de Carné, que Franck Dubosc nous a donné rendez-vous. Après, notamment, le succès de « Tout le monde debout», c’est là qu’il a écrit son troisième film, «Un ours dans le Jura». Un polar transgressif avec Laure Calamy, Benoît Poelvoorde et Franck lui-même, où des morts suspectes, un magot et des migrants vont faire tourner les têtes dans un village paumé des montagnes jurassiennes. Cupidité, transgression, immoralité sont les maîtres mots de ce film vachard, sorte d’hommage à peine voilé au «Fargo» des frères Coen. ParisMatch.“UnoursdansleJura”esttrèséloignédevotreunivers d’humoriste. Cela vous irrite qu’on s’en étonne encore? FranckDubosc. Je pourrais me vexer. En fait ça me flatte que les gens soient surpris J’ai souvent vécu ça. Voir un playboy un peu idiot qui, tout à coup, est moins con qu’on le pensait. C’est souvent la différence qui fait la séduction. Je l’ai vécu comme comique et comme acteur et je le vis encore depuis que je réalise des films. J’adore lire les critiques, c’est très nourrissant. J’ai parfois été du même avis que la presse quand elle tirait sur un de mes films. J’ai juste eu envie de dire: “Laissez-moi vous étonner, accordez-moi le bénéfice du doute.” Vous donnez dans le politiquement incorrect… J’avais envie de pousser les curseurs, c’est la première fois que je n’essaie pas de cibler ceux à qui je vais plaire. Avec Sarah Kaminsky, ma coscénariste, les seules limites qu’on a eues, c’est la crédibilité de l’histoire. Après mes deux premiers films très citadins, j’avais envie d’un western rural. Quand j’étais jeune, à 13 ans, j’avais une caméra super-8 et je réalisais des court-métrages de gangsters, des cascades avec mes petites voitures. Puis, adulte, l’humour m’a rattrapé. Pour “Un ours dans le Jura”, j’ai secoué tout ça pour en faire un cocktail de ce qu’aimait le gosse que j’étais et l’adulte que je suis. Essayer de retrouver PROFIL 1963 Naissance le 7 novembre au Petit-Quevilly (Seine-Maritime). 1998 Premier one-man-show, «Du beau, du bon, Dubosc». 2002 «Les petites annonces d’Élie» en compagnie d’Élie Semoun. 2006 Sortie du premier des trois «Camping». 2018 Réalise son premier film «Tout le monde debout», avec Alexandra Lamy. [SUITEPAGE8] 7 DU 2 AU 8 JANVIER 2025 PARIS MATCH l’ambiance de “L’affaire Dominici” avec Gabin et aussi celle des films de Ventura ou de Bourvil. Pour moi, le cinéma, c’est ça: des gens ordinaires qui vivent des histoires extraordinaires. C’estsurtoutunfilmquiévoquelespetitsarrangementsquechacun fait avec la moralité… C’est votre vision de la France d’aujourd’hui? J’aime bien l’idée qu’on puisse se dire: “Qu’est-ce que je ferais si comme ça, dans le coffre d’une voiture, je trouvais 2 millions d’euros?” Moi, j’en prends un petit peu et je laisse le reste. On se garde sa petite moralité, mais on n’est pas tous blanc comme neige. Et tant mieux. Après, je n’ai aucune velléité de faire une chronique sociale. Beaucoup de gens me parlent de la question des migrants qui affleure dans le film, mais il n’y avait aucune volonté d’en faire une thématique. Quand on écrit, on devient un buvard du monde qui nous entoure. Comme M. Jourdain, je fais une chronique de la France d’aujourd’hui sans m’en rendre compte. De Laure Calamy à Benoît Poelvoorde, Joséphine de Meaux ou Emmanuelle Devos, vous vouliez rassembler des acteurs venus d’horizons différents? J’ai choisi des acteurs qui ne sont pas forcément de ma famille. Et je leur ai dit: “Vous allez jouer au premier degré et moi, je me charge d’amener la comédie dans la mise en scène.” Certains d’entre eux étaient presque étonnés de ma proposition, pensant qu’on n’était pas de la même famille de cinéma. Moi je savais qu’on l’était. Avez-vous souffert à un moment d’une image publique qui diffère de ce que vous êtes profondément? Il est toujours difficile d’effacer le logiciel du rigolo dans la tête des gens. Mieux vaut partir de tout en bas et progresser. Je n’en suis ni amer ni aigre, bien au contraire, j’ai la chance de ne pas avoir encore tout dit ni tout montré de moi. J’ai été presque à poil dans “Camping”, mais il faut une certaine maturité pour se mettre à nu tel qu’on est vraiment. J’ai fait toute une carrière en voulant me faire aimer, c’était mon but. L’âge aidant, il est temps de s’aimer soi-même. Privilégier la qualité plutôt que la quantité, arrêter d’essayer de plaire à tout le monde, car on finit par déplaire aussi à un grand nombre. De toute façon, je n’ai jamais eu la carte dans le milieu du cinéma, donc je ne recherche rien. Et je n’en ai jamais souffert. QuitteàsevoirenfermédansunpersonnagecommePatrickChirac dans “Camping”… Voilà. Même si, au fil des films, je l’ai fait évoluer vers plus de poésie. Aujourd’hui, “Camping”, c’est fini, j’en ai fait le tour. Sans Patrick Chirac, il n’y aurait pas eu “Tout le monde debout” ou “Un ours dans le Jura”. Il m’a aidé à asseoir ma notoriété et m’a permis d’exister au cinéma. Un ami me disait récemment que pour faire un contre-emploi il faut déjà avoir un emploi. Patrick Chirac est tout sauf un défaut pour moi. Mais désormais j’ai davantage envie d’aller explorer mes failles. À quoi rêvait le jeune Franck vivant au Petit-Quevilly? Et est-il heureux aujourd’hui du chemin parcouru? Je rêvais d’aller au ski l’hiver et de faire du cheval en Amérique. Sortir de mon HLM et vivre comme les gens que je voyais à la télé. Être un aventurier. Même au conservatoire, je ne pensais pas à la carrière que j’ai maintenant. J’ai dépassé mes rêves en fait. Acteur, et encore plus réalisateur, je ne savais même pas que ça pouvait exister. Mon ambition était d’avoir une jolie voiture et de signer trois autographes dans la semaine. Je m’étais même fabriqué une signature au cas où… Il y a pourtant cet épisode incroyable au début de votre carrière, que peu de gens connaissent, lorsque vous décrochez un rôle dans “Coronation Street”, l’équivalent anglais de “Plus belle la vie”, une véritable institution outre-Manche… «Ilesttoujoursdifficile d’effacerlelogicieldurigolo danslatêtedesgens. Jen’ensuisniamerniaigre, bienaucontraire,j’aila chancedenepas avoirencoretoutditnitout montrédemoi» 8 LASEMAINEDE PARIS MATCH DU 2 AU 8 JANVIER 2025 J’étais le jeune premier un peu bidon des films pour ados, comme dans “À nous les garçons” de Michel Lang, en 1985, et bizarrement on m’a proposé un rôle de voyou. J’ai passé des castings, laissé des photos comme tant d’autres à l’époque. Et donc je suis arrivé là-bas, dans cette série aux 27 millions de spectateurs. Je suis allé voir mon Amérique à moi et c’était l’Angleterre. Est-cequ’àunmomentvousn’avezpaseulasensationd’accepter un peu tout, le bon comme le mauvais,en étant le rigolo de service? Oui, peut-être. Je n’ai jamais fait de film uniquement pour de l’argent, mais j’en ai fait pour de mauvaises raisons. À mes débuts, même après plusieurs rôles principaux, je pouvais accepter une figuration dans une émission de variétés pour jouer un gendarme qui enfermait C. Jérôme dans un fourgon de police. Et dans le même temps donner des cours d’expression orale à des avocats. Parfois, je n’ai pas eu le courage de dire non. Quand je coécris “All Inclusive”, je sais que le projet n’est pas bon. Mais on y va par amitié. Quand je fais “Cinéman” de Yann Moix, film imparfait mais que je continue à trouver intéressant, je sais dès le début que l’ADN n’est pas bon. Poelvoorde avait refusé le rôle. On y va en se disant: “Soit ça va devenir culte, soit ça va se planter.” Comment voyez-vous évoluer la comédie en France? Elle change et c’est normal. Un acteur de comédie a toujours une période de succès limitée dans le temps. Cela a été vrai pour tous, même de Funès ou Pierre Richard, qui avaient fait d’autres films avant ou après la célébrité. Aujourd’hui, je ne vois que Christian Clavier en termes de longévité. Même si les comédies font moins d’entrées qu’avant. Il y a toujours un moment où on lasse. Dans la jeune génération, j’admire Philippe Lacheau qui sait écrire des comédies en plus d’être un type adorable et pétri de doutes. Hier au téléphone, il me disait: “Si mon prochain film ne fait pas 3 millions d’entrées, on va dire que c’est un bide.” C’est un bon résumé. Vous êtes client de comédies comme spectateur? Oui, même si j’ai envie qu’on me fasse rire, et non qu’on me force à rire. C’est toute la nuance. Le cinéma ne doit rien imposer. Quand je vais au cinéma, j’ai envie d’aller vers des films comme “L’innocent” de Louis Garrel, “Ouistreham” d’Emmanuel Carrère. Et j’adore le cinéma de Stéphane Brizé. Aimeriez-vous vous tourner vers des films plus sombres, comme le rôle que vous tenez récemment dans “Prodigieuses”,deFrédéric et Valentin Potier, par exemple? Oui, mais, en même temps, il vaut mieux que je m’y essaie dans des seconds rôles, parce que le public m’a donné le droit d’exister avec la comédie. Maintenant, je ne veux pas lui imposer la prétention de lui plaire dans le drame. Avant que ne sorte “Tout le monde debout”, certains se demandaient si le public allait suivre. Finalement oui. Pour “Rumba la vie”, cela a été moins le cas. C’était peut-être trop sombre, la proposition était moins nette. Il ne faut pas juste vouloir se faire plaisir. Il faut toujours penser au public. Faire rire ou faire pleurer, c’est avant tout divertir les gens. InterviewFabriceLeclerc «Êtreacteur,etencoreplusréalisateur, jenesavaismêmepasqueçapouvait exister.Monambitionétaitd’avoirunejolie voitureetdesignertroisautographes danslasemaine.Jem’étaismêmefabriqué unesignatureaucasoù…» UNOURSDANSLEJURA DeetavecFranckDubosc,LaureCalamy... C’est avec jubilation,un plaisir coupable,que se déguste le troisième filmréaliséparFranckDubosc,atypiqueaupossibledanssonparcoursmais témoind’uneenviedecinémaévidente.Etpourlecoup,totalementréussi.Car c’est autant une comédie,sorte de «Affreux,sales et méchants» à la sauce jurassienne, qu’une chronique corrosive de nos petites médiocrités, le tout assaisonnédansunpolardetrèsbellefacture.Iln’yaqu’àvoirsoncastingaux petitsoignonss’écharpersurunmagotquifaittournerlestêtes,entremorts bizarres, ours mystérieux et migrants perdus. Lointain cousin des films des frèresFarrelly,«UnoursdansleJura»oselesvacheries,lesrebondissements périlleuxsansjamaisdonnerdeleçons.Decettetambouillepeucommuneet sansaucunformatage,ressortunfilmgourmand,poilantetattachant,quine renonce jamais à son sujet casse-gueule. Une très bonne surprise. Fa.L. « UnoursdansleJura », ensalleactuellement. Laure Calamy et Franck Dubosc. Benoît Poelvoorde. 9 DU 2 AU 8 JANVIER 2025 PARIS MATCH Singapour Hô Chi Minh-Ville Ko Samui Nha Trang Hanoi Hong-Kong Bangkok VIETNAM THAILANDE CHINE Hue 1/3 6/7 15/16 12/13 4 5 9 10 11 8 14 VOL ALLER VOL RETOUR Embarquez pour une croisière hors du temps à bord du Celebrity Solstice, en Asie du Sud-Est : une nature aux mille contrastes et couleurs arc-en-ciel, en compagnie de votre conférencier Marc Brincourt de Paris Match. 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Le philosophe François Noudelmann, son compagnon de l’époque, s’est retrouvé dans la première sélection du prix et elle a consacré une chronique négative à «La carte postale», d’Anne Berest, en compétition avec lui. Camille Laurens a transposé certains des éléments de l’affaire dans «Ta promesse». Les coulisses de la création sont toujours passionnantes, pour ceux qui s’intéressent aux ressorts des choses. Mais dans «Ta promesse», la réalité est rejouée, recréée. L’auteure a composé un roman virtuose, avec jeux de piste et chausse-trapes, sur les impasses de l’amour faux. 2014. L’autobiographe et le marionnettiste. Claire Lancel (écrivaine reconnue) et Gilles Fabian (metteur en scène de théâtre) tombent amoureux l’un de l’autre. Ils se mettent en couple. Ils sont déjà parents et espèrent vieillir ensemble. Elle croit au sexe et à l’amour; il veut réussir et briller. Ses phrases fétiches à lui: «Je ne veux pas souffrir» et «ce n’est pas de ma faute». Ils achètent, en 2015, une maison à Hyères. Elle sera le lieu d’un drame, ouvrant sur un procès en 2019. Quand les choses se sont-elles mises à dérailler entre eux? Quand il lui a suggéré d’écrire une critique négative sur une personnalité, précipitant un lynchage médiatique; quand il a entamé une analyse avec une psychologue parlant d’elle comme d’une «mère toxique»; quand il est parti travailler à l’étranger; quand il a entrepris d’écrire un récit, se plaçant en rivalité avec elle; quand il a commencé à la tromper. Camille Laurens multiplie les voix, les scènes, les lieux. On avance avec la narratrice, dans des allers et retours constants. La relation entre Gilles Fabian et Claire Lancel: on y croit, on doute, on n’y croit plus, on comprend. Les mots marchent vers un éclaircissement. Le déni menait la danse. À un moment, il faudra choisir entre vérité et amour. «Ta promesse» est aussi une réflexion sur le corps et le mal. La fragilité de l’âge, la friabilité de l’âme. Il est un narcisse qui ne veut rien donner de peur qu’on ne le lui rende pas; elle est une obsessionnelle qui veut tout donner dans l’espoir qu’on le lui rende. Il refuse de souffrir; elle craint de dépérir. On a rarement aussi bien décortiqué les mécanismes d’un amour masculin pervers. «Séduire, réduire, détruire.» Claire Lancel sortira coupable d’une histoire dont l’inconscient est le moteur. Le mimosa en fleur, symbole des droits des femmes, joue un rôle dans l’intrigue. L’auteure manie ironie et lucidité. Car ce roman sur lui devient un roman sur elle. Pourquoi la narratrice s’abîmet-elle dans la répétition? Elle choisit les mêmes hommes malheureux, l’accusant de ne pas savoir les rendre heureux. À la fin, une question: «Ce que nous avions vécu, était-ce de l’amour?» Dans «Ta promesse», tout fait écho. Il faut finir par le début. Un dîner au bord de la mer. Ils sont bien ensemble. Mon amour, mon amour, mon amour. Gilles Fabian dit à Claire Lancel: «Je voudrais que tu me promettes de ne jamais écrire sur moi.» L’amoureuse jure, en toute sincérité. Le bonheur n’a pas d’histoire. «Ta promesse» est un roman cruel et beau. La femme continuera d’aimer, d’errer. L’amour a des histoires. La littérature est ici une promesse honorée. « Tapromesse »,deCamilleLaurens, éd.Gallimard,360pages,22,50euros. LASEMAINEDE LASEMAINEDE CAMILLE LAURENS L’AMOUR FAUX Dans un roman virtuose, l’auteure raconte le début et la fin d’un couple. CULTURE ParClaireStevens On lui doit «Festen», «La chasse», «Drunk» – longs-métrages aussi marquants que subtils qui ont chacun marqué leur époque. «Families Like Ours» ne déroge pas à la règle. Point de départ de cette fresque qui fait cohabiter géopolitique, drame écologique et chronique familiale: la montée des eaux au Danemark, laquelle contraint ses habitants à l’exode. À commencer par Jacob, architecte prospère, et sa famille recomposée. Réaliser une série télé, Thomas Vinterberg en rêvait depuis longtemps. Sa première incursion dans ce genre s’ancre dans un avenir à peine dystopique, au vu des catastrophes naturelles qui secouent désormais la planète. «L’idée m’est venue il y a sept ans. À l’époque, on jugeait mon point de vue invraisemblable. Aujourd’hui, on le trouve saisissant. Je me contente pourtant de plaquer un sujet tristement d’actualité sur cette bourgeoisie scandinave que je côtoie tous les jours, pour en faire des individus apatrides et privés de tout.» Que reste-t-il quand on n’a plus rien? La question paradoxale sert de socle au scénario. Elle permet aussi à son auteur une parabole aux accents bibliques. «Dans un monde où l’inconcevable est possible – la pandémie l’a prouvé –, où nos décisions sont souvent dictées par des instincts primaires et où l’Europe vacille, j’avais envie d’étudier nos choix face au pire, à la perte de privilèges qu’on prend trop souvent pour acquis: un travail, un avenir, l’appartenance à un pays… Mon propos n’est pas nationaliste, bien au contraire: la solidarité et l’absence de solidarité, par opposition, sont les thèmes centraux de cette fiction.» Construit comme un diptyque où la fuite fait suite à la sidération, « Families Like Ours» explore les notions de dévastation, de perte et de transcendance… Impossible de ne pas y voir un écho à la vie personnelle du cinéaste, frappé de plein fouet par la mort accidentelle de sa fille Ida, en 2019. «Mon écriture est évidemment imprégnée par le deuil que j’ai traversé. Je m’évertue depuis à revoir ma copie plus positivement, comme me l’a conseillé mon épouse [Helene Reingaard Neumann, pasteure luthérienne à la ville, qui joue le rôle de l’épouse de Jacob dans la série, NDLR].» Fidèle à ce qu’il est, le Danois ne porte pas de jugement péremptoire avec cette nouvelle livraison. «Mes personnages font des choix discutables, y compris d’un point de vue moral. Je leur laisse leur libre arbitre, quelles que soient leurs motivations.» Dans «Festen», il tentait d’humaniser un patriarche incestueux à l’origine du chaos familial («ça reste un monstre, mais les monstres revêtent bien des formes», explique-t-il). Chaos qu’il exploitait également dans «Drunk», César et Oscar du meilleur film étranger 2021 et ode inversée aux effets désinhibiteurs de l’alcool. «J’aime secouer l’ordre établi, parler des choses qui fâchent, questionner les rapports entre l’individu et le groupe auquel il appartient… Quand ces rapports sont houleux, c’est du pain béni!» Vingt-huit ans après ses débuts derrière la caméra, le quinquagénaire se défend de vouloir changer les mentalités. «Une société qui, à l’échelle mondiale, ne s’est pas remise en cause après une pandémie le fera d’autant moins face à une série! Créer des histoires, des personnages qui interpellent le public, c’est d’abord ce à quoi j’aspire… Et, en toute humilité, c’est ce que je sais le mieux faire.» Certains verront dans ces sept épisodes un constat amer et catastrophiste. Pour son auteur, il n’en est rien – témoins les dernières images, d’une beauté sidérante et propices à toutes les spéculations. «Que reste-t-il quand on a tout perdu? L’amour, la foi et l’espoir de jours meilleurs…» «Families Like Ours», l’hymne à la vie de Thomas Vinterberg: «Malgré les apparences, je crois en l’être humain et à sa capacité intrinsèque à se réinventer.» SÉRIE CINÉMA «J’avaisenvie d’étudiernoschoix faceaupire, faceàlapertede nosprivilèges» Canal+,àpartirdu6janvier. THOMAS VINTERBERG LUMIÈRENOIRE EnimaginantunDanemark envahiparleseaux,leréalisateur signeuneœuvre d’unprofondhumanisme. Sortiele8janvier. LACHAMBRED’ÀCÔTÉ De Pedro Almodovar Avec Julianne Moore, Tilda Swinton… Mêmelesgrandsmaîtresontleursmomentsdedoute.Enadaptant le best-seller de Sigrid Nunez sur la fin de vie, Almodovar est en terrain connu:desportraitsdefemmesfortesmaismeurtries,quidéfientl’ordre établi,l’unesoutenantl’autredanssondésirdemettrefinàses jours. L’écriture est belle et la mise en scène, élégante,mais le style pop du cinéaste est dilué dans une imagerie de mélo hollywoodienformaté,avecquelquessailliesanti-wokeouanti-#MeToopourtoute formederébellion.JulianneMooreetTildaSwintonportentpourtanthaut cerécitqu’onauraitaimémoinsbalisé.Etsurtoutplusémouvant… Fa.L. LASEMAINEDE JIAZHANG-KE ETZHAOTAO RETOURDEFLAMME Dans« Lesfeuxsauvages »,leréalisateur chinoisrevisitevingt-cinqansdel’histoire desonpays,ensuivantlespasdedansedeson actriceetépouse. ParYannickVely/PhotoVincentCapman Quand nous le rencontrons à Cannes, sur une terrasse impersonnelle du Palais des Festivals, le couple frappe par sa simplicité et sa modestie. Récompensé en 2006 à Venise d’un Lion d’or pour «Still Life» et d’un prix du scénario à Cannes en 2013 pour «A Touch of Sin», Jia Zhang-ke est le cinéaste chinois le plus important de la «sixième génération», dont le regard lucide sur la Chine contemporaine lui a valu quelques remontrances du régime. Pour ceux qui ont raté le début de sa filmographie, «Les feux sauvages» offrent un précipité de son cinéma, une traversée dans son œuvre passée, présente et future avec, comme fil rouge, une histoire d’amour impossible. «Les premières images que l’on voit dans le film remontent à 2001, raconte le réalisateur. Nous avions des caméras mini-DV et, avec mon chef-opérateur, nous adorions filmer des fragments de vie sans but particulier. Juste pour le plaisir de tourner, d’utiliser ce nouvel outil extrêmement pratique. À l’époque, on se disait que si ça donnait un jour lieu à un film, nous l’appellerions “L’homme à la caméra numérique” en hommage à Dziga Vertov [cinéaste soviétique, réalisateur de “L’homme à la caméra” (1929), NDLR], rit-il. Ce désir de capturer la vie qui se déroulait sous nos yeux ne m’a jamais abandonné. J’ai toujours filmé, en 16 mm, en 35 mm, avec des caméras numériques, des smartphones, et j’ai amassé un matériel conséquent, sans véritable projet en tête.» Et puis, en 2020, la pandémie du Covid-19 est arrivée, la Chine appliquant un confinement strict de sa population. «Je me suis retrouvé chez moi sans savoir quoi faire. C’était le moment de replonger dans mes archives.» En vingt-cinq ans, tout a changé: les moyens de réaliser, de manger, de communiquer. Tout, sauf la difficulté de s’aimer dans une Chine en pleine mutation, où l’on construit et déconstruit à une vitesse effrénée sans jamais se soucier des populations qui y vivent. Alors on danse, semble nous dire Jia Zhang-ke. «Si vous allez chez nous, vous verrez à quel point nous aimons danser et chanter. Il suffit de se rendre dans un parc et d’observer. Je pense que c’est un bon moyen, pour nous Chinois, de nous libérer et de nous exprimer.» Cela permet aussi au cinéaste de filmer sous toutes les coutures son actrice Zhao Tao qui déambule au milieu de la foule, dans les rues de Shanghai, Fengjie ou Chongqing. Jia et Zhao se sont rencontrés sur le tournage de «Platform», en 1999, quand le jeune homme de 29 ans alors cherchait une danseuse pour son nouveau film. Il trouvera une muse, une épouse et une incroyable actrice qui, par sa manière de bouger et d’occuper l’espace, aimante les regards et l’objectif de la caméra. Dans « Les feux sauvages », Zhao Tao observe en silence les changements du monde et la lâcheté des hommes. «Je devais réagir avec mon visage, par des expressions exagérées, un peu à la manière des émoticônes. Cela renvoie aussi au cinéma muet. En tant qu’actrice, c’était une expérience très stimulante», explique celle qui campe une héroïne mutique mais bouleversante. Indissociable des films de son mari, elle en est à la fois le cœur battant et la rage rentrée. Ce couple n’a pas fini d’allumer nos feux intimes. « Lesfeuxsauvages », ensallele8janvier. CINÉMA LIVRE SARDOUDÉCRYPTÉ Récemment arrivé au sein de la rédaction de Paris Match, Florent Barraco a une passion plus vraiment secrète: Michel Sardou.Dans son nouvel ouvrage, riche et savamment illustré, consacré au boss de la chanson française, Florent s’amuse – avec sérieux – à passer en revue l’œuvre du chanteur. Pas toujours tendre envers son héros, Barraco remet néanmoins l’église au milieu du village, en rappelant que Michel Sardou fut pionnier danspasmaldedomaines:lepremieràchanteràBercyenscènecentrale,lepremieràdiretouthautcequeles autresn’osaientexprimer,lepremierànepascaresserdanslesensdupoilsesfansetlesmédias.Etmontrefinalementunhommesoucieuxdesaliberté,passionnéplusqu’ilneleditparsonmétier,capabledese remettreenquestionquandilseplante.Bref,unartistedanstoutesasplendeur. BenjaminLocoge « LepetitSardou illustré »,deFlorent Barraco,éd.Hors Collection,160pages, 24,90euros. À Cannes, en mai dernier. 13 DU 2 AU 8 JANVIER 2025 PARIS MATCH
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