PARIS MATCH n°3945 - Page 9 - 3945 Créditsphoto :P.6 :H.Pambrun.P.8à11 :H.Pambrun,DR.P.14 :P.Wack,DR.P.15 :A.Isard, DR. P.17 : N.Hermann, DR. P.18 : DR. P.21 : D.Prost, J.-C.Deutsch, DR. P.23 : D.Prost, DR. P.25 :D.Prost,Disney,DR.P.26et28 :H.Pambrun,D.Gaillard/BridgemanImages,DR.P.30 : H.Pambrun,DR.P.32 :É.Garault,DR.P.34et35 :H.Pambrun,Canal+,DR. L’ENTRETIEN Christian Clavier La thérapie par le rire CULTURE Livres. La critique de Marie-Laure Delorme Anne Goscinny L’amour et ses blessures Jean-Marc Rochette a encore du pain sur la planche Documentaire. Dans les coulisses de Paris Match Photo. Jean-Claude Deutsch L’œil dans les étoiles Cinéma. Nabil Ayouch Parfum de femmes Barry Jenkins La part du lion Musique. Renaud regarde dans le rétro Joseph Kamel Immense débutant Spectacle. Elena Nagapetyan Slave en fusion Télévision. Jérôme Commandeur présente son «Monde magique» PERSONNALITÉS POUVOIRS DESSIN Joann Sfar LANOSTALGIESELONRENAUD Lechanteurcabosséfêteles30ans desonalbumpréféré,«Àlabelledemai»,avecun magnifiquecoffretetrevientsurl’histoirede seschansonslesplusmarquantes.(Pages26et28) 8 13 14 16 18 20 22 24 26 30 32 34 36 38 48 6 LASEMAINEDE PARIS MATCH DU 12 AU 18 DÉCEMBRE 2024 L’ENTRETIEN CHRISTIANCLAVIER LATHÉRAPIE PARLERIRE L’acteurestàl’affichede« Jamaissansmonpsy ». L’occasionrêvéedel’allongersurnotredivan ! InterviewFlorentBarraco/PhotosHélènePambrun Il avait commencé l’année en grand propriétaire viticole accablé par la découverte de ses origines dans «Cocorico»; il la termine en psychanalyste barbu qui doit se débarrasser de son gendre névrosé dans «Jamais sans mon psy», le nouveau film d’Arnaud Lemort. Deux comédies familiales qui n’ont qu’un seul but: faire rire. Christian Clavier, 72 ans, dont les films ont réuni près de 150 millions de spectateurs en salle, garde toujours la même énergie comique. Médecin dans la saga des «Bronzés», prothésiste dentaire dans «Clara et les chics types», dentiste dans «Mes meilleurs copains» et «Une heure de tranquillité», l’acteur n’avait jamais incarné un thérapeute. Voilà chose faite. On le découvre manipulateur face à Baptiste Lecaplain, qui interprète un ancien patient, potentiel gendre, torturé par son futur beau-père. Encore une fois, Clavier se frotte à la nouvelle génération de comiques. Cinquante ans après les débuts du Splendid, la soif de transmettre et de jouer est toujours présente. Paris Match. Vous avez eu beaucoup de rôles de médecin, mais c’est la première fois que vous interprétez un psy. Quel effet procure le divan? Christian Clavier. C’est un personnage qui doit être en principe à distance de ses émotions, et il n’y arrive pas du tout, parce qu’il a un problème familial d’importance: sa fille sort avec un de ses anciens patients, très problématique, extrêmement névrosé et suicidaire, qu’elle ramène chez son père pour un week-end d’anniversaire. Secret médical oblige, le psy ne peut pas dire que le jeune homme a été son patient. Je me suis beaucoup amusé à le jouer, parce qu’il est assez manipulateur et qu’il doit tout faire avec le sourire. C’est différent des pères que j’ai incarnés, qui étaient sans filtre. Vous dites que “l’amour, c’est la rencontre entre deux névroses”… C’est une phrase de Jung que je dis à mon potentiel gendre au moment où je veux arrêter les séances avec lui. Alors que je ne sais pas que sa “névrose” est ma fille. Le personnage que je joue est dans une situation inextricable, un peu comme dans un vaudeville. C’est ce qui m’a emballé dès les premières pages du scénario. Une comédie, c’est une tragédie à l’envers. Si on enlève PROFIL 1952 Naissance à Paris, le 6 mai. 1978 «Les bronzés», de Patrice Leconte, adapté de la pièce du Splendid «Amours, coquillages et crustacés». 1982 Incarne Katia dans «Le Père Noël est une ordure». 1993 Interprète Jacquart et Jacquouille dans «Les visiteurs», de Jean-Marie Poiré. 2014 La comédie «Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?» rassemble plus de 12 millions de spectateurs. 2024 «Cocorico», avec Marianne Denicourt, Didier Bourdon et Sylvie Testud. [SUITEPAGE10] 9 DU 12 AU 18 DÉCEMBRE 2024 PARIS MATCH les gags et qu’on donne à Baptiste Lecaplain un couteau, il devient un serial killer. Ce sont des personnages qui jouent leur peau. Detousvospersonnages,lequelmériteraitunebonnepsychanalyse? Jacquart, évidemment. Et le psy que j’incarne cette fois n’est pas mal non plus… N’êtes-vouspasdevenulepatriarchecomiqueducinémafrançais? Je ne sais pas. Comme j’ai eu la chance de tourner des films qui ont beaucoup plu, qui plaisent, qui continuent de plaire, on me propose d’en faire d’autres, tout simplement. Cela permet de rencontrer une nouvelle génération, des trentenaires qui sont très talentueux, qui ont envie de toucher le public et qui sont ravis de jouer dans des comédies. Regardez ce que fait notamment Claire Chust [qui incarne Alice, sa fille, NDLR] dans le film: elle a une puissance comique incroyable. On est dans un métier de transmission. Je l’ai vécu quand j’étais jeune dans “Papy fait de la résistance” ou “Twist again à Moscou” : j’ai travaillé avec Jacqueline Maillan, Jacques François, Michel Galabru, Philippe Noiret ou Bernard Blier. C’est à la fois très amusant et ça donne un bon résultat. Et puis, le cinéma, c’est fait pour rassembler plusieurs générations. On ne va pas truster tous les rôles en faisant du one-man-show. [Il rit.] Dans “Jamais sans mon psy”, Rayane Bensetti, qui interprète Stéphane, se met à votre tempo… C’est un très bon acteur, qui joue naturellement juste. Il est vif, il a un rythme de comédie. J’ai tourné un autre film avec lui qui sortira l’année prochaine. C’est une comédie policière. Finalement, une comédie, c’est une question de rythme? Pas toujours. [Il sourit.] C’est avant tout une question de situations, avec des pleins et des déliés. Il y a des rythmes soutenus et des arrêts sur image. Et ce sont les arrêts sur image qui provoquent le rire. Ce sont les étonnements de De Funès qui font hurler de rire, pas forcément quand il parle au public. Cette année, en 2024, le cinéma français fait un carton avec “Un p’tit truc en plus”, “Le comte de Monte-Cristo”, “L’amour ouf”, “Cocorico”,“Chassegardée”.Quepensez-vousdecetteremontada? C’est une très bonne nouvelle que le public retourne dans les salles. “Un p’tit truc en plus” m’a particulièrement marqué. Artus sait de quoi il parle: il a gardé la bonne distance entre le rire et l’émotion, sans tomber dans le pathos. J’ai trouvé “Monte-Cristo” très réussi. Cette vengeance dramatique écrite par Dumas est toujours aussi passionnante à redécouvrir, avec une très belle performance de Pierre Niney. On remarque beaucoup de comédies cette année. Qu’est-ce que cela dit de notre époque et des envies des Français? Cela dit que les Français ont franchement envie de se distraire en ce moment… et on les comprend! En 2024, près d’une quarantaine de vos films ont été diffusés à la télévision. Presque autant que ceux de Louis de Funès. Comment expliquez-vous qu’ils restent dans l’inconscient populaire? Ces chiffres me laissent sans voix. Je suis très content. Tous ces films sont drôles, car les situations le sont. Ils ne sont pas démodés, car quand les comédies sont réussies, elles durent dans le temps, particulièrement lorsqu’elles sont jouées par des acteurs comme Louis de Funès. Gérard Oury m’avait raconté, quand j’avais tourné “La soif de l’or”, une anecdote sur “La grande vadrouille”. Alors qu’ils sont à vélo, Bourvil sauve la vie de De Funès: le réalisateur explique à ce dernier qu’il doit remercier Bourvil. Louis, qui a compris que son personnage de chef d’orchestre, issu de la haute société, ne peut pas remercier un peintre en bâtiment, refuse. Oury insiste. De Funès lâche un tout petit “merci”. C’est magistral. Pourquoi un enfant de 9 ou 10 ans rit-il en voyant “Le Père Noël est une ordure”? Sans vanité, je pense que le film est très bien joué. Il est très violent, et le fait qu’il soit devenu culte permet aux parents de laisser leurs enfants le voir. Cela explique «Lefantasme selonlequel l’intelligence artificiellevanous remplacerest idiot.C’estsefaire ducinéma!» 10 LASEMAINEDE PARIS MATCH DU 12 AU 18 DÉCEMBRE 2024 LESPLENDIDVUDEL’INTÉRIEUR Ce livre aurait dû être une fête, il est finalement un testament, Michel Blanc ayant relu les épreuves de l’ouvrage la veille de son décès tragique. Une immense joie traverse les 256 pages du «Splendid par le Splendid»,quiretracentuneaventurehumainesingulière,deleurspremierspassurlesbancsdulycéePasteur de Neuilly à l’ultime séance photo pour les 75 ans de Paris Match, en avril 2024. Josiane Balasko, Michel Blanc,Marie-Anne Chazel,Christian Clavier,Gérard Jugnot,Thierry Lhermitte et Bruno Moynot commentent les images, pour la plupart inédites, avec sincérité et humour. Le journaliste Jean-Pierre Lavoignat, metteur en mots de l’ensemble, s’efface au profit du verbatim des sept protagonistes. Les bénéfices des ventes du «Splendid par le Splendid» sont destinés à la Fondation pour la recherche médicale, dont Thierry Lhermitte est l’un des parrains. B.L. « LeSplendidparleSplendid.Nousnoussommestantmarrés ! »,éd.LeCherche-Midi,256pages,26,50euros. ce succès, mais le fait qu’une œuvre plaise à autant de gens plus de quarante ans après sa sortie reste un mystère. Si on prend l’exemple des “Visiteurs”, le personnage de Jacquouille est comme un enfant. Un gosse dangereux, infernal, qui peut tout faire: mettre les doigts dans la prise, appuyer sur la pédale de frein d’une voiture… tout ce qui est interdit à un gamin. Quand j’ai tourné “Les visiteurs 2”, il y avait des petits qui assistaient au tournage: ils étaient fascinés par le personnage, comme s’ils étaient à Disneyland! Vous avez beaucoup apprécié la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, orchestrée par Thomas Jolly… Je trouve que ce metteur en scène a un talent fou, et qu’il a fait une extraordinaire cérémonie d’ouverture. Il a 42 ans. Il représente la créativité et le nouveau talent français qui, en plus, s’exporte. Je suis terriblement surpris de voir toujours des Cassandre qui passent leur temps à démolir pour démolir. On critique le tableau de Marie-Antoinette guillotinée à la Conciergerie: mais outre que c’était très beau, où était-elle emprisonnée avant d’être guillotinée? Donc, quand on passe devant ce monument, on pense à quoi? On pense au supplice de Marie-Antoinette. Cette cérémonie a mis en majesté les monuments de Paris. Nous avons été la fierté du monde! On a besoin de ces artistes qui réinventent un peu le spectacle. Je suis allé voir il y a quelques jours “Starmania”, à Bruxelles, que Thomas Jolly a mis en scène, c’était formidable. AuxÉtats-Unis,ilyaunmouvementd’inquiétudeautourdel’intelligence artificielle. On craint qu’elle vole le métier des scénaristes, des dialoguistes, etc. Est-ce une chance pour le cinéma? C’est une chance, même s’il faut réguler. Toute innovation technique amène des choses absolument extraordinaires, comme la couleur, les effets spéciaux, la 3D, ou encore les Led dans les studios… Le fantasme selon lequel l’IA va totalement nous remplacer est idiot. C’est se faire du cinéma! Il y a une dimension “magie”, dans le 7e art. Cette IA va nous permettre d’être très compétitifs face aux films américains. Pour fêter les 75 ans de Match, en avril dernier, la troupe du Splendids’étaitréunie.LedécèsdeMichelBlancrendcetteséance encore plus émouvante… Nous sommes inconsolables de la perte de Michel. On s’est rendu compte à quel point nous étions présents dans l’inconscient collectif des Français. C’était déchirant, car nous sommes plutôt discrets. On ne parle pas de nous à la troisième personne. On est toujours gênés de signer trop d’autographes ou d’être pris en photo. On a une pudeur. Les Français se sont dit, avec le décès de Michel: “Ils ne sont pas éternels… Et nous non plus.” Paul McCartney disait: “Les Beatles ne se reformeront pas tant que John sera mort.” Pensez-vous la même chose ou pourriez-vous vous retrouver? Nous ne sommes pas dans cet état d’esprit. Nous sommes une troupe de théâtre et le spectacle doit continuer. InterviewFlorentBarraco «Unecomédie,c’estunetragédie àl’envers.Sionenlèvelesgags etqu’ondonneàBaptisteLecaplainuncouteau, ildevientunserialkiller» « Jamaissansmonpsy », ensalleactuellement. Christian Clavier avec Baptiste Lecaplain (ci-contre), Cristiana Reali et Claire Chust (ci-dessous). DU 12 AU 18 DÉCEMBRE 2024 PARIS MATCH 11 LA CRITI UE DeMarie-LaureDelorme Enfin, il est là. Blond, yeux clairs, svelte, peau blanche. Un peu trop grand, peut-être. Le réalisateur italien Luchino Visconti, 63 ans, a voyagé dans toute l’Europe à la recherche du garçon idéal. Il le trouve enfin, en 1970, à Stockholm, lors d’auditions. L’adolescent de 15 ans, qui va interpréter Tadzio dans le film «Mort à Venise» (sorti en 1971), d’après la nouvelle de 1912 de Thomas Mann, se nomme Björn Andrésen. Sa mère s’est suicidée. Il a été élevé par sa grand-mère. Son visage angélique va entrer dans la légende cinématographique. L’écrivain Guillaume Perilhou raconte, à travers différentes voix célèbres et diverses lettres inventées, la rencontre entre l’aristocrate éperdu et l’orphelin perdu. «La couronne du serpent» est un roman vrai. L’écrivain s’y intéresse à la fiction et à la réalité. Quand on les frotte l’une contre l’autre, elles font un bruit de silex. Il n’y a eu aucune agression d’aucune sorte durant le tournage. Mais comment vit-on, à 15 ans, d’être l’objet d’un fantasme masculin? Dans «Mort à Venise», le vieux Gustav von Aschenbach, interprété par Dirk Bogarde, est fasciné par la beauté irréelle de l’enfant Tadzio. Une histoire de pureté et de puanteur, située dans la Cité des doges. Luchino Visconti aimait façonner hommes et femmes, comme de la glaise artistique. Le réalisateur de génie était un despote supérieurement intelligent. Seul l’art comptait. L’adolescent a été surveillé, entouré, protégé durant le tournage. Mais après la projection de « Mort à Venise », au Festival de Cannes, tout a commencé à se détériorer. Luchino Visconti entraîne le jeune Björn Andrésen dans une boîte de nuit pour homosexuels. On le fait boire. Que s’est-il réellement passé ? On ne sait pas. L’adolescent n’en garde aucun souvenir. Trou noir. La construction romanesque multiplie les points de vue. Dans «La couronne du serpent», on croise Helmut Berger, Balthus, Maria Callas, la fille de Björn Andrésen. L’auteur raconte une longue dépossession de soi. Dès la conférence de presse du Festival de Cannes, en 1971, Björn Andrésen est exclu des échanges. On parle de lui, on parle pour lui. Tout le monde attend une seule et même chose de l’éphèbe blond: qu’il ne grandisse pas. Il ne faut pas qu’il change; il ne faut pas qu’il fasse l’amour avant le tournage car le sexe se lirait sur son visage; il ne faut pas qu’il parle. Sa grand-mère maternelle veut qu’ils vieillissent ensemble sous le même toit. Quelque chose se brise lorsqu’il le comprend. Il leur appartient et il en devient fou. L’auteur d’«Ils vont tuer vos fils» (éd. de l’Observatoire, 2022) dépeint les paysages, l’art, les classes sociales. L’enfant se perd dans les labyrinthes de la beauté trouble. «La couronne du serpent» met en scène les destins croisés de l’aristocrate et de l’orphelin et devient ainsi, dans ses plis et replis, un roman sur l’enfance foudroyée. La figure de la mère est centrale chez les deux hommes. Luchino Visconti est mort en 1976, à Rome, à l’âge de 69 ans. Björn Andrésen est toujours en vie. Il va sur ses 70 ans et il habite Stockholm. Il a raté sa destinée. Sa passion était non le cinéma, mais la musique. Sa vie d’après: gloire, drogue, alcool, visage maigre, regard fou, cheveux blancs, neurasthénie, pauvreté, disparition. L’adolescent fragile ne s’est jamais remis d’avoir été un objet de fantasme pour les adultes. L’ange blond est devenu l’ange noir. Sur les armoiries de la famille Visconti, un serpent couronné dévore un enfant. Aurait-il pu être sauvé? LASEMAINEDE GUILLAUME PERILHOU LA BEAUTÉ DU DIABLE Un roman autour de Björn Andrésen, interprète de Tadzio dans «Mort à Venise». « Lacouronneduserpent », deGuillaumePerilhou,éd.del’Observatoire, 224pages,20euros. CULTURE ParCarolineMangez/PhotoAlexandreIsard C’est une lettre à l’absent, magnifique et bouleversante, qu’aucun chapitre n’interrompt, un monologue mûri pendant des décennies, semblant avoir été écrit d’une traite, dans un seul souffle. Plume incisive, mais trempée dans la douceur des sentiments. Comme dans «Romance», paru chez le même éditeur (Grasset) en 2022, celle qui la tient se fait appeler Jeanne, «ce prénom dans lequel il y a “Je” et “Anne”, doublement moi», admettait à l’époque Anne Goscinny, née, comme son héroïne, à la fin des années 1960. Le deuil des êtres chers, la quête du bonheur, de la foi, le judaïsme et la psychanalyse dont elle n’est jamais sortie, le refus de la réalité et son acceptation, toutes les obsessions de l’autrice, orpheline à 25 ans, sont encore convoquées. L’ombre du père adoré – René Goscinny, dont elle fut l’enfant unique… avec Astérix –, disparu brutalement quand elle avait 9 ans. Et le combat de sa mère contre un cancer qui l’emporta trop tôt, après une lutte infernale et vaine. À ces deux fantômes qui hantent de manière chronique l’œuvre d’Anne Goscinny s’ajoute ANNEGOSCINNY L’AMOURETSESBLESSURES Danssonnouveaulivre,laromancièremetenscène desâmessœursquelamaladievaséparer.Unefaçonpersonnelle etsensiblederessusciterseschersdisparus. un nouveau dont elle n’avait jamais parlé. Sans doute, reconnaît-elle, parce qu’il est «le plus douloureux à exhumer». «Raphaël», dont elle taira le véritable nom «par égard pour les siens», est cet oncle que ses deux enfants ne connaîtront pas, ce frère choisi, cette âme sœur, l’ami d’enfance avec lequel elle partagea ses goûters, ses clés, ses secrets et ses chagrins. Alors qu’elle vient de perdre sa mère, il sombre dans le coma, à 25 ans. Au temps du Minitel rose, de «Tchao pantin» au cinéma, où l’on parlait encore en francs et où la trithérapie n’existait pas, Raphaël a attrapé le sida. Dans les méandres de la mémoire et dans les pas d’Anne Goscinny, on gravite vers le cimetière du Montparnasse pour lui rendre un dernier adieu. On se hâte avec elle en écoutant Anne Sylvestre, on s’attarde, comme elle, pour contempler dans une vitrine un dessin de Sempé, ce génie avec lequel son père avait créé «Le petit Nicolas». Dans les recoins de Paris, cette ville devenue son seul repère vivant, dans les mots qu’elle n’a pas su dire à ses parents, à Raphaël et à ellemême, Anne Goscinny cherche une réponse à la question qui la taraude: que devient l’amour quand la mort sépare ceux qui s’aiment? Partout, elle le cherche, dans cette ombre qui lui évoque le visage qu’elle ne reverra plus, dans la vision d’un couple qui se délite à la terrasse d’un café. On remonte les rues et le fil de son enfance abrégée par les deuils, les drames. Contrairement au précédent, dans ce nouveau roman, l’adulte qu’est devenue Anne Goscinny ne s’adresse pas à la petite fille qu’elle était. C’est l’inverse. Elle a fini de se mentir et l’écrit: «J’avais fait semblant d’être dupe de mon procédé, non pas littéraire mais de négation. Les fantômes sont de ce monde, dans l’autre survit la mémoire.» À force de livres et de thérapies, elle s’est faite à l’idée que ceux qu’elle aimait continueront de l’accompagner, sinon dans sa vie, du moins dans ses romans. Cequedevient l’amourquandla mortsépareles êtresquis’aiment taraudel’écrivaine MATHIEUBELEZI,LARAGEAPRÈSLEMIRAGE En 2022, on découvrait Mathieu Belezi avec son sensationnel «Attaquer la terre et le soleil», qui revisitait la sanglante conquête de l’Algérie. Mais l’auteur avait déjà frappé sur ce thème, à travers deux romans tout aussi éblouissants, injustement restés dans l’ombre. Après avoir réédité cette année «Moi, le glorieux», soit la logorrhée célinienne d’unrichecolon,leséditionsduTripodenousinvitentàentendrelemonologuedelapauvreEmmaPicard. UneAlsaciennequiacrutoucherlejackpotquandlaFranceluiaoffert«gratuitement»vingthectaresde terresalgériennes…infertiles.Résultat:lessauterelles,lescréanciersetlafamineontravagésaferme,détruitsesespoirs et sa famille. Dans une litanie où se déploie toute la verve âpre et poétique de Belezi, Emma déverse son désespoir face au désastre d’une vie réduite en cendres.Ne ratez pas cette œuvre incandescente et magistrale. F.L. « EmmaPicard »,deMathieuBelezi,éd.LeTripode,272pages,19euros. CRITIQUE « Millefaçonsd’aimer », d’AnneGoscinny,éd.Grasset, 160pages,17euros. LIVRES 14 LASEMAINEDE PARIS MATCH DU 12 AU 18 DÉCEMBRE 2024 * Conformément à la norme ISO 16128, calcul incluant l’eau. PLUS DE 90% D’ORIGINE NATURELLE* LE NOUVEAU BOUQUET FLORAL INTENSE LASEMAINEDE JEAN-MARC ROCHETTE AENCORE DUPAINSUR LAPLANCHE Retiré de la bande dessinée, il vient d’ouvrir une galerie d’art à Grenoble pour y présenter ses toiles. Et se lance aussi dans le roman. Rencontre. ParBenjaminLocoge Le succès lui est tombé dessus. Massivement. Mais tardivement. «Et c’est ma chance, sourit l’auteur de bande dessinée JeanMarc Rochette.» Il a plus de 60 ans quand il publie «Le loup», roman graphique ambitieux qui s’écoule à plus de 100000 exemplaires. Rebelote deux ans plus tard avec «La dernière reine», où il dessine la complexité de sa région – il vit aux Étages, dans les Alpes – et convoque les problématiques écologiques. Nouveau carton, qui permet à Jean-Marc Rochette de s’offrir son rêve: une galerie d’art en plein centre de Grenoble, dans laquelle il expose ses toiles. «Je suis un vrai connaisseur en peinture, rappelle celui qui a fait histoire de l’art à la fac. Mais, quand je l’étudiais, on m’expliquait que c’était fini. On était en plein milieu des années 1970, et tout le monde allait vers l’abstraction.» Rochette, lui, choisit la BD, après un accident en montagne qui l’empêche de se tourner vers la grimpe. Ses modèles? Robert Crumb, Milton Caniff, et toute la scène underground américaine, celle qui provoque, agace et parle de sexe sans modération. «Gotlib ou Giraud étaient à la mode en France. J’ai commencé par entrer à “L’Écho des savanes”, où j’ai fait mes classes.» Son premier fait d’armes s’appelle «Edmond le cochon» – «Ce serait impubliable aujourd’hui. Et je m’oppose à toute réédition, j’avais quand même poussé le bouchon loin…» Mais avec «Le transperceneige», en 1984, il se fait enfin un nom dans le monde de la BD. L’histoire est rachetée vingt ans plus tard, par le cinéaste Bong Joon-ho, et le film est un carton en salle, pour le plus grand bonheur de Rochette, alors en pleine galère. «J’avais la quarantaine, j’avais déménagé à Berlin pour me refaire, mais ça ne marchait plus vraiment. Ce sont les Coréens qui voulaient faire le film. Casterman, l’éditeur, ne les prenait pas au sérieux.» DESSIN Rochette, qui s’était lancé entre-temps dans le dessin jeunesse par pure nécessité, voit sa carrière redécoller. Et il reprend confiance en ses capacités. «À Berlin, je pouvais peindre, j’avais un grand appart, j’étais tranquille. Mais le succès du film a fait qu’on m’a demandé une suite à la BD. Je m’y suis donc remis.» À l’époque, il rencontre aussi Christine Cam, sa future compagne, qui va le convaincre de raconter ses propres histoires. «Je suis dyslexique, donc on m’avait toujours expliqué que je ne pourrais pas écrire, que ce n’était pas pour moi. Elle a fait sauter un verrou.» C’est finalement en retrouvant Grenoble, sa région natale, que JeanMarc Rochette va réussir à se raconter intimement, pour un public de plus en plus nombreux. «J’ai mis tellement d’intensité dans “La dernière reine” que j’ai eu envie d’arrêter la BD de manière définitive. Enfin, j’ai dit ça un peu pour faire chier. Parce que si aujourd’hui je trouvais la bonne idée, le bon scénario, j’y retournerais avec plaisir.» Pour l’heure, Rochette savoure, profite de la vie, de sa peinture et de sa maison d’édition, dirigée par Christine. «Je suis quelqu’un qui a beaucoup envie de vivre, qui ne s’écroule pas. Ça vient de la montagne, parce que tu sais qu’il faut monter, monter sans cesse. Et qu’après il y a la redescente.» Encore frustré de ne pas avoir eu le prix de la BD de l’année à Angoulême pour «La dernière reine» – «j’ai clairement payé mon soutien à Bastien Vivès» –, Rochette estime qu’il est temps que la BD puisse avoir «le prix du meilleur livre de l’année comme n’importe quel bouquin. C’est arrivé une fois à mon pote Enki Bilal, il y a trente ans. Et depuis, plus rien». À lui peut-être d’écrire et de dessiner ce grand livre qui mettra tout le monde d’accord? «J’ai mis quarante ans pour arriver à faire “La dernière reine”. Mais bon, ça se tente…» «Sijetrouvais labonneidée, lebonscénario, jeretourneraisàla BDavecplaisir» «Au cœur de l’hiver», de Jean-Marc Rochette, illustré par l’auteur, éd. Les Étages, 192 pages, 20 euros. PARIS MATCH DU 12 AU 18 DÉCEMBRE 2024 16 DANSLESCOULISSESDU PHOTOJOURNALISME ParisPremièrerevientsur75ansd’unmétierquifaitrêver. L’occasionidéaledemieuxconnaîtrenotrehistoire. ParÉmilieCabot Ce magazine que vous tenez précieusement entre vos mains n’aura bientôt (presque) plus de secrets pour vous. Voilà trois quarts de siècle que Paris Match, d’abord supplément sportif du quotidien «L’Intransigeant» avant de devenir hebdomadaire d’actualité inspiré de son grand frère américain «Life», raconte l’actualité et ceux qui la font. Dans sa gravité comme dans sa légèreté. Nos reporters écrivent l’histoire du monde avec une constante en tête: la prépondérance de la photo. C’est simple, s’il n’y a pas de photo, il n’y a pas de sujet! Le documentaire « Le choc des photos. 75 ans de photojournalisme» retrace l’évolution de la photographie de presse, à travers l’histoire de notre journal, ses secrets de fabrication et les témoignages riches de ceux qui ont fait et de ceux qui font encore ce magazine baptisé «L’album des Français». De tout temps, chaque photoreporter est motivé par une recherche permanente: être l’artisan de l’image qui reste, marquer les esprits et procurer une émotion. Ici, le scoop est une religion. Risquer sa vie sur les zones de conflit, monnaie courante. Il faut jongler avec les contraintes de son époque. Et il y en a une qu’on oublierait presque, l’expédition des clichés. «Une bonne photo qui n’arrive pas à temps au bouclage n’est plus une bonne photo, elle va pratiquement au panier, se rappelle le photographe Claude Azoulay, dans nos colonnes pendant plus de quarante ans. On devait connaître par cœur les horaires d’avion pour expédier les films.» Autre époque, Éric Hadj a dû se transformer en RoboCop au fil des manifestations des gilets jaunes tant la violence allait crescendo. Il fallait trouver l’image, se démarquer au milieu d’une foule où chaque quidam avec un smartphone se sent journaliste et partage en direct sur ses réseaux sociaux. Le métier fait face à de continuelles mutations. Déjà dans les années 1960, la télévision créait les premières inquiétudes, attirant à elle les annonceurs et l’attention. Proposer un regard singulier et des reportages exclusifs est peut-être un des secrets de longévité. Paris Match, c’est aussi un écrin pour raconter l’intimité des icônes, célébrités et autres personnalités politiques, découvrir des territoires inconnus, marcher dans les pas d’aventuriers, vibrer pour des exploits sportifs… C’est la première visite d’Elizabeth II en France en 1957 qui détient le record absolu de ventes (2,2 millions d’exemplaires). Le magazine a toujours fait rêver Stéphane Bern, témoin du documentaire. En 2022, il pose avec son compagnon Yori en couverture, une première pour un couple d’hommes. Du choix des sujets en conférence de rédaction à leur construction à la maquette, des témoignages de terrain jusqu’aux rotatives de l’imprimerie, découvrez comment, depuis 3945 numéros, Paris Match informe, éveille, grave des émotions en lettres d’or dans la mémoire collective et s’adapte sans cesse pour préserver son âme. « Lechocdesphotos.75ans dephotojournalisme », le16décembresur ParisPremière,à23 h 20. Êtrel’artisan del’imagequi reste,marquer lesesprits Les secrets de fabrication du journal: des décennies séparent ces deux photos. En bas à droite, le n° 1058 de Paris Match, un numéro pour l’Histoire. sorti le 16 août 1969. LASEMAINEDE UNPHOTOGRAPHEVRAIMENTDANSLESCOOP Hollande livrant ses croissants à Julie Gayet rue du Cirque, c’était lui. La première photo de Mazarine sortant du restaurant Le Divellecavecsonpère,FrançoisMitterrand,quifitlaunedeMatch,luiencore.D’aussiloinqu’ils’ensouvienneSébastienValiela a toujours rêvéd’êtrepaparazzi,maispasn’importelequel,le meilleur.«Jesuis peuenclin àfaire poserlesgens,mêmelorsque j’en ai l’autorisation»,confesse-t-il en préambule de ce livre dans lequel il met en scène et commente ses scoops.Chasser les stars, se rendre invisible, il en a fait un jeu. Pas toujours signées de son nom pour éviter les procès, ses photos, volées ou non, ontfaitplusieursfoisletourdumondeetplusde600couverturesdemagazines.Aufildespages,oncroiseLilianeBettencourt flottantaccrochéeàunefritedansunepiscinedeSaint-Cloud,VanessaParadisouAndieMacDowell,saisiesauvol,surlapointe de stilettos qui ne touchent même pas terre. À la toute fin de l’ouvrage, une séquence entière de photos officielles du couple Macron à l’Élysée. Sans doute valait-il mieux laisser Valiela les immortaliser de face que de l’avoir accroché à leurs basques. CarolineMangez DOCUMENTAIRE BEAULIVRE « ThePaparazzi », deSébastienValiela, éd.Florentin,308pages, 100euros.
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