LES INROCKUPTIBLES n°21 - Page 6 - 21 LesInrockuptibles№216 ÉDITO Ils, elle et iel s’appellent Blackhaine, IceboyViolet, Space Afrika, Rainy Miller, Aya. Et agitent en ce moment la scène de Manchester, dont nous vous parlions dans notre numéro best of de décembre. Depuis, l’idée a fait son chemin : que se passe-t-il au Royaume-Uni actuellement? Le Brexit, le couronnement de Charles III, d’accord, et quoi d’autre? Le UK est-il toujours cool? Wet Leg, DreamWife, Squid, Porridge Radio, Shame, Idles, Fontaines D.C., Lambrini Girls, Heartworms, Nabihah Iqbal, Big Joanie, le label SpeedyWunderground... sans oublier Bar Italia – première partie de Martin Rev aux Inrocks Festival 2022 à la Bourse de Commerce -Pinault Collection : pas de doute, il se passe beaucoup, beaucoup de choses exaltantes outre-Manche. Mais morcelées. Il n’y a pas une scène, mais des scènes multiples, entrecroisées, plus ou moins rock ou pop ou expérimentales ou grime ou jungle. Ça foisonne tout en prenant ses distances vis-à-vis des légendes de la Cool Britannia et autres British Invasion. Alors, voilà un billet d’Eurostar pour Londres, un autre pour Bristol. Histoire de creuser le sillon britannique qui a toujours excité notre magazine depuis sa création, en 1986. JD Beauvallet ramenait l’Haçienda de Manchester en France, fin des années 1980-début des années 1990, par le biais des Inrocks. À nous aujourd’hui de perpétuer cette tradition sans tomber dans le passéisme mythologique, dans une quête du Graal hypnotique et stupide. Mais plutôt en suivant Squid et Dana de Porridge Radio à Londres, en rencontrant la team derrière la fabuleuse radio NTS, en passant une nuit au mystérieux Cafe OTO, en partant sur les traces de Massive Attack et Tricky dans les sound systems de Bristol... Comme la vie est parfois très bien faite, alors que ce dossier prenait forme, voici que nous apprenions le retour de deux idoles : Blur et PJ Harvey. Un groupe et une artiste qui sont parvenu·es à imprimer leur marque musicale et visuelle sur les années 1990 avec une force sidérante, tout en passant le cap de l’an 2000. Ne pas se lasser d’un groupe, voilà un beau tour de force! Nous avons donc appelé JD Beauvallet, maître ès UK, pour nous raconter son histoire de et avec Blur, celle qu’il ne nous avait jamais confiée. Nous nous sommes aussi entretenu·es avec PJ Harvey, l’indémodable du Dorset, celle dont la musique et la présence continuent de nous mettre à genoux. Tant de beauté, tant de poésie, tant de pertinence. Ce numéro, c’est le UK. Mais c’est aussi de grands entretiens inédits avec l’actrice et scénariste PhoebeWaller-Bridge; la légende de la mode Rick Owens; l’un des artistes les plus captivants de notre époque, Christine and the Queens; le stand-upper qui fera Roland-Garros, Fary; la figure montante de la peinture en France, PolTaburet, et bien d’autres. Des girls, des boys, et des “girls who want boys who like boys to be girls who do boys like they’re girls who do girls like they’re boys.Always should be someone you really love”! Installez-vous confortablement, c’est parti. ♦ British Invasion par Carole Boinet Illustration :AgnèsDecourchellepourLesInrockuptibles 88 SOMMAIRELesInrockuptibles№21 ↓ La couverture Blur Photo DR Pour vous abonner, rendez-vous p.104. Magazine p.32 p.32 p.40 p.46 p.50 p.54 p.56 p.60 p.62 p.64 p.70 p.76 p.80 p.86 p.94 p.100 Spécial rock UK En une : Blur PJ Harvey, indémodable Radio NTS, l’amour de la musique Squid, quintette de Brighton Grian Chatten, échappé de Fontaines D.C. Dana Margolin, rencontre dans son atelier londonien Le Cafe OTO, repaire très free Cinq jeunes groupes à suivre La scène de Bristol, une longue histoire Rencontre avec Phoebe Waller-Bridge Reportage dans les studios Pixar Le retour de Christine and the Queens Entretien avec le styliste Rick Owens Les lois de l’humour avec Fary Le Tigre, histoire d’un trio culte Les critiques p.106 p.122 p.131 p.134 p.138 p.140 p.148 p.150 p.154 p.158 p.160 p.162 Musiques Cinémas CD №21 Séries Jeux vidéo Livres BD Scènes Arts Podcasts Agenda Les playlists p.6 p.10 p.12 p.16 p.18 p.20 p.24 p.26 p.28 p.30 Édito par Carole Boinet Les contributions Pol Taburet, nouvelle star de l’art Nouvelles têtes Le questionnaire : Camille Chamoux Sylvain Tesson et l’extrême droite Où est le cool ? La courbe L’image : Miriam Cahn La ritournelle : Simon Johannin OuvertureSOMMAIRE8 ArnoLam/CharletteStudio·JasaMuller “Je le sens quand les artistes ont de l’ego : ils ne pensent qu’à avoir l’air cool.”→ p.80 “À 10 ans, j’étais obsédée par Bernard et Bianca au pays des kangourous. C’est un vrai film d’aventure.”→ p.70 “Je suis tellement en forme que je pourrais gouverner la France.”→ p.18 1010 LESCONTRIBUTIONSLesInrockuptibles№21 ÉditéparlasociétéLesÉditionsindépendantes(membredugroupe ), sociétéanonymeaucapitalde326757,51€ 10-12,rueMaurice-Grimaud,75018Paris Tél.0142441616,lesinrockuptibles.fr MAILsupport@lesinrockuptibles.frcppap0225D85912,dépôtlégal2e trimestre2023 Siret42878718800039ISSN:0298-37880225D85912 DIRECTIONPrésidentMatthieuPigasseDirecteurgénéraletdirecteurdelapublication EmmanuelHoogDirecteuradministratifetfinancierMathieuLevieille RÉDACTIONDirectricedelarédactionCaroleBoinetRédacteursenchefJean-Marc Lalanne(cinémas/culture),FranckVergeade(musiques)SociétéFaustineKopiejwski, JuliaTissierMusiquesFrançoisMoreauCinémasBrunoDeruisseau,Jean-Baptiste MorainSériesOlivierJoyard,AlexandreBüyükodabasJeuxvidéoErwanHiguinen ScènesFabienneArversArtsIngridLuquet-GadLivresNellyKaprièlianBDVincentBrunner SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Secrétaire général de la rédaction Christophe Mollo ♥ PremièreSRYaëlGirardotSRCaroleCerdan,LaurentMalet,BénédictePoupon, JulietteSavard,FlorianneSegalowitch ARTISTIQUEDirecteurdecréationYorgoTloupasDirectriceartistiqueHortenseProust MaquettistesJoannaBehar,ThéoMillerGraphisteOlivierDupéronTypographesMartin Pasquier,PaulineFourestTypographieexclusiveetlogoparYorgo&Co44bis,rue Lucien-Sampaix75010Paris PHOTODirectricephotoAurélieDerheeIconographesJulietteAlhéritière, StéphaneDamantPhotographeRenaudMonfourny ILLUSTRATRICEAgnèsDecourchelle COMPILATIONFrançoisMoreau ONTCOLLABORÉÀCENUMÉROPhilippeAzoury,JDBeauvallet,LudovicBéot,Boby, RémiBoiteux,VincentBrunner,MaximeDelcourt,ArnaudDucome,Marilou Duponchel,Jean-MarieDurand,ValentinGény,JackyGoldberg,ArnaudHallet, NoémieLecoq,GérardLefort,PaulineLeGall,LouiseMarchand,BriceMiclet,Philippe Noisette,JuliettePoulain,JérômeProvençal,ManonRenault,ThéoRibeton,Sophie Rosemont,PatrickSourd,SylvieTanette,PatrickThévenin LESINROCKS.COMCheffed’éditionElsaPereiraÉditricesCécileDesclaux,ClaireFerragu, AnnaPéanAlternantValentinBoero DÉVELOPPEMENTResponsablemarketing/abonnementsLucilleLangaudChefdeprojet marketingHippolyteCaston,tél.0156821206StagiairesJulesMouchel,LouiseSaint PolRelationspresseetSocialMediaAgenceLaBandeDirecteurtechniqueChristophe VantyghemContactAgenceDestinationMédiaDidierDevillers,CédricVernier, tél.0156821206,reseau@destinationmedia.fr PARTENARIATETPUBLICITÉDirectricedéléguéeLaurenceDelaval,tél.0608154307 DirectricecultureCécileRevenu,tél.0142441532,MatthieudeJerphanion(musiques), tél.0153333352,BenjaminChoukroun(cinéma,vidéo,médias,édition),tél.0142441617, CharlotteElles(arts,scènes),tél.0142441812,assisté·esdeQuentinMasetOPSet brandcontentMyriamGoncalves,tél.0616670611,RafaelMeireles,tél.0619540575 Chef·fesdeprojetSamy-AlexandreSelmi,NisrineJougletassisté·esdeChristine AhouandjinouTrafficmanagerStéphaneBattu,tél.0142440013Chargéedeplanning publicitaireAxelleCohen,tél.0142441662Régieexternepublicitécommerciale MEDIAOBSSandrineKirchthaler,tél.0144888922 ADMINISTRATIONETFINANCEDirecteurfinancierOlivierJouannicContrôleur degestionAdrienLemoineResponsablepaieetrelationssocialesAgnèsBaverey ComptablesCathyCavallietCarolineVergiatFABRICATIONPrépresseArmstrong Impression,gravureImayeGraphicImayeGraphicestimpliquédanslapréservation del’environnementparsescertificationsISO14001,FSC,PEFCetImprim’Vert.Origine papier:Allemagne,tauxdefibresrecyclées:100%,eutrophisationPtot:0.008kg/t, certification:PEFC100%FabricationCréatoprint-IsabelleDubuc,CarineLavault, tél.0671724316DistributionMLPABONNEMENTLesInrockuptiblesAbonn’escient, 20,rueRouget-de-Lisle92130Issy-les-Moulineaux,support@lesinrockuptibles.frou tél.0186906203.TarifFrance1an:115€ FONDATEURSChristianFevret,ArnaudDeverre,SergeKaganski ©LesInrockuptibles2023.Tousdroitsdereproductionréservés. CenumérocomporteunCDjetésurtouteladiffusion(kiosques+abonnements),undépliant abonnementmulti-éditeursdéposésurC4(abonnements),unencartabonnementjeté(kiosques), deuxcahierscomplémentairesLeGuidedesfestivals del’étéde68pages(kiosques+abonnements), Basquiatde24pages(kiosques+abonnements). Il s’appelait Christophe Mollo. Sa disparition, le 22 avril dernier, nous a projeté·es dans une profonde tristesse. Celle d’être privé·es à jamais d’un collègue, ami, manager précieux, dont le travail sur deux décennies a été, bien que peu exposé (puisqu’il ne signait pas de texte), tout à fait décisif dans l’identité éditoriale des Inrocks. Lecteur assidu avant de devenir salarié du journal, Christophe, par ses goûts musicaux, littéraires, artistiques, sa ligne politique et morale, son attachement profond à la culture du journal, incarnait fortement l’esprit des Inrocks. Christophe était entré au journal à l’automne 2002 comme secrétaire de rédaction. Sa tâche consistait alors à relire et éditer les pagesTélévision récemment créées. Par la suite, il a évolué à différents postes dans l’équipe SR, avant d’être nommé fin 2018 secrétaire général de la rédaction, en charge d’organiser les bouclages et de penser l’ensemble des questions d’édition. De cette tâche managériale il s’est acquitté avec la douceur, la délicatesse et la qualité d’écoute qui le caractérisaient. Ce jusqu’à ce que la maladie l’éloigne de nous en septembre 2020 et l’emporte au terme de deux ans et demi de combat, à l’âge de 58 ans. Christophe aimait John Coltrane, Bob Dylan, les Stones, les Clash, toute la scène punk et sa descendance. Mais il écoutait aussi avec une grande attention les vagues nouvelles qui ont forgé la ligne musicale du journal. Récemment, il s’enthousiasmait pour Fontaines D.C. Il aimait aussi passionnément Jean-Luc Godard, dont les aphorismes l’amusaient et dont il se plaisait parfois à imiter l’intonation traînante et les marmonnements ésotériques. Le combat politique était aussi l’un des vecteurs de sa vie. Il avait été délégué syndical, délégué du personnel, et manifestait dans son quotidien le souci permanent de protéger les personnes qu’il encadrait de toute forme d’inégalité ou d’injustice. Enfin, l’écriture occupait l’autre champ de sa vie. Lorsque Les Inrocks lui en laissaient le temps, il travaillait sur des projets littéraires personnels. Christophe nous manque. Son humour un peu fantasque. Ses sourires lumineux. Nos pensées vont à ses proches, sa compagne Guénolaine, sa fille Garance et ses trois beaux-enfants, Margot, Achille et Quentin. ♦ Jean-Marc Lalanne & toute l’équipe des Inrockuptibles 10 LESCONTRIBUTIONS Archivepersonnelle LesInrockuptibles№2112 OUVERTURE D ans l’atelier qu’il occupe à Aubervilliers, au sein de la structure de création et d’exposition POUSH, Pol Taburet s’affaire entre les toiles. Les grands formats à taille humaine, alignés aux murs ou posés au sol, sont travaillés en série : à certains, il faut reprendre un fond magenta qui a craquelé lors du séchage; à d’autres, il faut préciser les éléments qui feront tenir ensemble la scène. Déjà, des spectres surgissent des larges aplats de couleurs primaires, rouge vif, vert franc ou jaune nerveux, brossés à l’aide du médium (additif ou auxiliaire qui sert à modifier certaines propriétés de la peinture) à l’alcool mélangé de résine qui emplit les bocaux non loin. Ce sont des têtes postou pré-humaines, de la forme en ogive caractéristique de la grammaire de l’artiste. Ou des mains qui s’élancent dans le vide, suggestions compactes d’énergie brute. Des présences qui se tiennent entre deux mondes, à peine transies entre les règnes. Ici, rien d’assignable : ni genre ni couleur de peau. Mais quelque chose comme des situations, où l’intime s’épaissit de spiritualité personnelle et les fêtes en appartement embrument la flèche du temps. LA FABRICATION D’UN REGARD “Le sommeil de la raison produit des monstres”, indiquait en 1799 le cycle de gravures de Francisco de Goya, où les chauves-souris et les chouettes s’envolaient du cerveau d’un dormeur. Certain·es le comparent déjà à Basquiat. À 26 ans, le Parisien Pol Taburet est la figure montante de la peinture. Rencontre dans son atelier, en pleins préparatifs pour deux expositions. Texte Ingrid Luquet-Gad PolTaburet, né en 1997, arpente l’histoire de l’art comme d’autres créent des playlists. Au sein de sa figuration syncrétique, les leçons des maîtres ont été ingérées, samplées puis remixées. Enfant, il est tombé en arrêt devant Giuseppe Arcimboldo, il a dévoré les livres contenant des planches de reproduction de scènes de la mythologie, s’est laissé conter le quimbois créole et lire les contes de Grimm. Il y a du Goya, du Francis Bacon, du Jonathan Meese ou du Peter Saul. Peut-être aussi de lointains échos carnavalesques d’un James Ensor. Lorsque le jeune artiste parisien d’origine guadeloupéenne prenait de court sa ville natale lors d’une première exposition remarquée, il était encore étudiant aux Beaux-Arts de Cergy. À l’automne 2020, il présentait OPERA I dans le project space de la galerie Balice Hertling à Paris. Là, la peinture était sonore : un cri surgissait de la bouche pleine de grills de créatures électrisées, possédées et zébrées d’éclairs de lumière. Et puis, tout est allé très vite. Les galeries, les foires, les prix. Le monde de l’art, son écosystème frénétique, fascinant et prédateur à la fois. Paris, Bâle, Los Angeles, Miami. “C’était très flatteur d’avoir une vraie reconnaissance. Je n’ai jamais créé autant, j’ai pu vraiment pousser un sujet, des personnages et des espaces. Et, en même temps, cela ne m’a pas vraiment laissé le temps d’expérimenter. Faire des peintures ratées, des peintures moches : ce que tu fais normalement à l’école a très vite été interrompu dans mon cas.” DjibyKebe UNE AUTRE DIMENSION … LesInrockuptibles№2114 OUVERTURE PLACE À L’ABSTRACTION Lorsque nous le rencontrons début mai, les peintures que finalise l’artiste iront alimenter deux expositions conjointes. Parmi elles, sa première exposition solo en institution, qui ouvrira fin juin à Lafayette Anticipations à Paris. OPERA III : ZOO “The Day of Heaven and Hell” (“le jour du paradis et de l’enfer”), nouvel acte du cycle, traite l’espace comme un parcours total. De scène en scène, les personnages-esprits sortent des cadres, la peinture devient tridimensionnelle. Elle s’élargit à l’installation, à la sculpture également, avec des bronzes que l’artiste montrera pour la première fois. “Je suis vraiment dans un moment de transition. Il y a quelque chose qui s’est calmé. Je me suis un peu lassé de la figuration, je cherche un entre-deux. Je veux faire des peintures ouvertes, qui disent sans dire et véhiculent un discours muet. En ce moment, je fais de plus en plus de place à l’abstraction. Les personnages viennent davantage comme des motifs sur la toile, le visage commence à s’effacer pour faire place à des rencontres entre les couleurs. C’est un réel exercice car il est plus difficile de séduire par cette simplicité, mais j’essaie toujours de me mettre un peu à l’inverse de ce que l’on attend de moi.” Au besoin de s’échapper d’un certain “cantonnement, qui marche très bien sur Instagram”, il évoque le séquençage de sa production en cours comme “des petits poèmes, des épisodes interchangeables”. Les peintres qu’il regarde ont elles et eux aussi changé. Sur son téléphone, il montre des photos de peintures de l’Anglo-Guyanais Frank Bowling. “Je l’ai découvert récemment et je suis tombé amoureux de son travail. Il a eu une période figurative, où l’on sent l’influence de Bacon, mais c’est beaucoup moins dur et il va traiter du sujet noir,tout en le faisant d’une manière indirecte.Et puis,il a aussi eu une période abstraite, avec des formats gigantesques et un travail de la couleur au pastel gras et sec que je trouve magnifique. C’est plein de passion et très jazzy.” → → Pol Taburet, Untitled, 2021. LE GOÛT DU SON Durant la conversation, la porte de l’atelier s’ouvre : avec la jeune artiste américaine Ser Serpas – qui mène une pratique d’installation et de peinture – à la carrière stellaire comme la sienne, PolTaburet partage une galerie, Balice Hertling, la même qui s’apprête à inaugurer une exposition de ses œuvres récentes début juin. “En réalité, je n’ai pas trop de potes artistes ou peintres.Avec Ser Serpas, on échange pas mal ensemble depuis que l’on partage un atelier. Erwan Sene [représenté par la même galerie], qui est un ami et un voisin, a un pied dans l’art et un dans la musique. Je pense aussi à Terence Mongo, Loïck Mfoundou, Florian Krewer, Igi Ayedun,AttandiTrawalley, Deniz Bedir, Inès Di Folco ou Funmi Klein. Après, je fréquente surtout beaucoup de musiciens, comme Emma DJ, avec qui je collabore souvent. Je pense que j’aurais bien aimé être vraiment dans le son.” Et la suite? Peindre, encore et toujours, d’abord pour lui-même. “Si j’arrive à poser cette euphorie, alors ça sera super car de tout cela, j’en ai vraiment rêvé!” ♦ PolTaburet à la galerie Balice Hertling, Paris, du 8 juin au 13 juillet et OPERA III : ZOO “The Day of Heaven and Hell” de PolTaburet à Lafayette Anticipations, Paris, du 21 juin au 3 septembre. “Le visage commence à s’effacer pour faire place à des rencontres entre les couleurs. C’est un réel exercice.” Pol Taburet KristienDaem,Courtesydel’artiste&MendesWoodDM LesInrockuptibles№2116 OUVERTURE NOUVELLES TÊTES AntoineMounier·RenaudMonfourny Signé sur le label de Johnny Jewel et récemment à l’affiche des Inrocks SuperClub, The Operator affirme sa synthpop en français tout en reprenant un tube de F.R. David. À suivre de près… arrangeur Antoine Mounier (Teaspoon, Antoine Antoine Antoine, souvent aperçu dans l’entourage de Philippe Katerine). Ou comment un ancien couple a décidé de s’offrir des lendemains qui chantent. En deux singles seulement – Danser, paru sur la compilation After Dark 4 (2022), et Platonic Love en avril dernier –, The Operator a fait coup double : mélodies imparables, refrains entêtants (“J’aime le luxe, la beauté, la sensualité”), arrangements discoïdes. Entre-temps, le tandem a offert une reprise synthétique du hit de 1982 Words, signé de leur compatriote F.R. David. Après avoir donné leur tout premier concert le 8 novembre 2022 sur la scène de La Gaîté Lyrique, à Paris, pour une soirée Italians Do It Better, The Operator s’est récemment produit en première partie de leur collègue Glüme et aux Inrocks SuperClub. Au programme : scénographie épurée, téléphone vintage et irrépressible envie de... danser. En attendant la sortie d’un premier album, dont quelques titres (Paris Frigidaire, SMS moi) donnent l’eau à la bouche. ♦ Franck Vergeade Platonic Love (Italians Do It Better). Single sorti depuis le 14 avril. Deuxième signature hexagonale du merveilleux label californien Italians Do It Better (Chromatics, Desire, Glass Candy, Glüme),The Operator est un duo synthpop formé par la chanteuse et compositrice SophieThibaud (ici en photo), qui fut standardiste dans une autre vie, et le compositeur-claviériste- LesInrockuptibles№2117 OUVERTURE C’est un père de famille des années 1970, c’est un militaire, il vit sur un ancien territoire colonial (le Madagascar du début des années 1970). Autant de données qui engagent un certain type de rapport à l’autorité. Quim Gutiérrez colore pourtant la prestance virile de son personnage masculin dans L’Île rouge (le nouveau film de Robin Campillo) de nuances très délicates, où pointe parfois une candeur enfantine. Les spectateur·rices de cinéma d’art et d’essai français reconnaissent dans ce militaire seventies les traits d’un des deux maris de Madeleine Collins, le thriller d’Antoine Barraud, avecVirginie Efira aux prises avec un trouble de la personnalité. Avant, ce Catalan avait consolidé sa place de jeune vedette du cinéma espagnol. À 25 ans, un film, Azul (2006) de Daniel Sánchez Arévalo, lui vaut le Goya du meilleur espoir masculin. “Par la suite, j’ai beaucoup tourné des comédies, des films populaires… Le cinéma espagnol fait très peu appel à moi pour le drame.Alors que c’est plutôt le registre que j’aime le plus jouer. Le cinéma français m’a donné accès à un registre d’émotions plus sombre et plus complexe qui me manquait.” Le goût de la composition définit son travail. “Je bosse beaucoup en amont des tournages. Je remplis des cahiers entiers de notes sur mes personnages. Je m’inspire de choses lues dans des interviews d’acteurs et actrices que j’admire, comme Meryl Streep ou Javier Bardem.” Pour L’Île rouge, le personnage avait un modèle : le père de Robin Campillo. À 12 ans, Quim a passé un casting et a été embauché pour interpréter un des rôles principaux d’une série très populaire en Catalogne. À 14 ans, il a voulu arrêter en déclarant à ses parents qu’il voulait être “un enfant normal”. On lui demande si aujourd’hui il se sent un adulte normal. Il éclate de rire : “Pas du tout! Mais je gère mieux mon extrême sensibilité. Cette profession nous soumet à un niveau d’exposition fatigant. Je suis en paix avec ça maintenant. Je ne suis toujours pas un adulte normal mais tout de même à peu près sain au niveau mental.” ♦ Jean-Marc Lalanne L’Île rouge de Robin Campillo. En salle le 31 mai. Retrouvez la critique du film p.122. Devant les caméras en Espagne depuis l’âge de 12 ans, Quim Gutiérrez est à l’affiche de L’Île rouge de Robin Campillo. Il y incarne un militaire avec beaucoup de nuances. Une programmation entièrement gratuite À découvrir sur ssd.fr/multitude BIENNALE INTERCULTURELLE DE LA SEINE-SAINT-DENIS 1ère ÉDITION du 30 JUIN au 2 JUILLET 2023 CONCERTS PARADES DANSE GASTRONOMIE RANDONNÉE FOOT DE RUE PHOTOGRAPHIE MODE CINÉMA LesInrockuptibles№2118 OUVERTURE Avec quoi, aujourd’hui, es-tu en paix? Alors là, tu tombes bien, j’ai fait la paix avec beaucoup de choses et avec presque tous mes ennemis! J’en avais, mais c’est trop d’énergie. Moi, je voulais toujours avoir raison. Mais j’ai découvert récemment la possibilité d’obtenir ce qu’on veut sans être dans le fight, en déployant des ressources assez malignes de compréhension des fonctionnements adverses… Penses-tu qu’il y a des guerres nécessaires? Évidemment! Même dans ma nouvelle dalaï-lama attitude je reste persuadée qu’il y a des combats utiles, des colères saines, comme disait Ségolène (Royal)! En revanche, quand on part en guerre, je crois aujourd’hui davantage à la stratégie qu’au bras de fer. Soyons des bons stratèges, donc, c’est la clef de la victoire. La famille, c’est le plus souvent la guerre ou la paix? En fait (pour moi), ça n’est jamais la paix! Ça peut être la joie et la fête, c’est souvent l’hystérie, quelquefois la Guerre froide et, hélas, inévitablement par moments, c’est Pearl Harbor. J’ai l’impression qu’il faut un DEA en psycho appliquée pour rester en couple et être un bon parent. On est heureusement dans une époque où l’obligation de la famille se dissout un peu. Depuis que Geoffroy de Lagasnerie a suggéré que la famille était souvent le lieu de la désolation, un schéma obligatoire de reproduction des frustrations et des conflits, et que d’autres cellules sociales étaient envisageables, beaucoup de gens s’interrogent. D’ailleurs, les familles qui marchent sont les cellules poreuses, ouvertes sur l’extérieur, les familles qui incluent des membres amicaux, de l’hétérogénéité. La famille du sang uniquement, bof… Quelle est ton obsession du moment? La sincérité en politique. Est-elle encore possible?Va-t-elle ressurgir? Du coup, en attendant, je teste tous les compléments alimentaires. Rien à voir, mais c’est ma passion, je prends dix-huit trucs chaque matin, du cassis au collagène en passant par la vitamine D et le magnésium. Psychologiquement ça marche hyper-bien, je suis tellement en forme que je pourrais gouverner la France, easy-peasy. Par qui rêverais-tu d’être suivie sur Insta? Kassovitz. Inextinguible passion depuis mes 15 ans. En même temps, ça me mettrait une pression de ouf à chaque post. Qualifie Damien Bonnard en trois adjectifs… Touchant, insatiable, et tellement BONNARD, bien sûr. Ce patronyme est fait pour lui. À quoi es-tu addict? Au travail. Quelle tristesse. Disons plutôt à la création, c’est moins déprimant… Une chanson que tu écouteras toujours? Sans la nommer, de Moustaki. Un bon vieux refrain révolutionnaire entêtant. Oui, il y a un boomer qui sommeille en moi. Quel souvenir lointain te fait toujours rougir de honte? Un jour, ou plutôt une nuit, dans un club, j’ai redragué un mec avec qui j’avais déjà passé une nuit. Aucun souvenir. Lui m’a regardée en hallucinant : “Camille, TU SAIS QU’ON SE CONNAÎT? Tu me redragues, sérieusement?” À quoi penses-tu pour t’endormir? À des trucs qui me font sourire. Sinon j’ai peur de contracter la mâchoire. ♦ Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne Le Processus de paix d’Ilan Klipper. En salle le 14 juin. Retrouvez la critique du film p.126. Un·e invité·e se dévoile en répondant à nos questions indiscrètes. Ce mois-ci, Camille Chamoux, qui porte, aux côtés de Damien Bonnard, la touchante comédie Le Processus de paix. LE QUESTIONNAIRE ArnoLam/CharletteStudio L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION. LesInrockuptibles№2120 OUVERTURE D es forêts de Sibérie à la panthère des neiges, de chemins noirs à une dilution dans le blanc hivernal des Alpes, SylvainTesson a fait de son énergie vagabonde en montagne et de ses bivouacs au fond de grottes perdues le motif de livres à succès. Les Français·es se les arrachent, comme s’il·elles avaient déniché en lui un nouveau Nicolas Bouvier, un Lawrence d’Arabie hexagonal. Icône littéraire de la presse de droite dont il fait régulièrement les unes – du Point (“La marche, ses étonnants pouvoirs”) au Figaro Magazine (“L’Insoumis”), de La Revue des deux mondes (“Sauver notre civilisation”) à la très droitière revue Éléments (“Comme Ulysse, je ne renonce jamais à aller voir”) –, il est tout autant câliné par des médias de gauche qui saluent son style et son art de voir “ce qu’on ne voit jamais” (L’Humanité), ses phrases écrites comme des “petits colliers de jolis mots reliés entre eux” (Quotidien). À l’instar de l’émission deTMC, les radios et télés lui déroulent le tapis rouge à chacune de ses parutions, comme la matinale de France Inter ou La Grande Librairie sur France 5, qui l’invite souvent et ira jusqu’à lui consacrer une émission spéciale en mai 2022. Il plaît à tout le monde en tant qu’incarnation du baroudeur spirituel réconciliant le muscle et la plume, le corps en souffrance et la littérature Alors qu’on parle beaucoup de la radicalisation de Michel Houellebecq, l’écrivain voyageur semble bizarrement passer à travers les mailles du filet, adulé et invité partout. Pourtant, un livre récent de François Krug révélait ses affinités avec des figures et courants de l’extrême droite. Texte Jean-Marie Durand qui sauve.Tant de courage, de dépassement de soi et d’abnégation, mais aussi tant de mots amers et ciselés sur la technique mortifère et la fin de la civilisation occidentale, tant d’éloges des grands espaces et des cimes glacées qui seuls pourront nous libérer des abîmes de l’hypermodernité :Tesson suscite admiration et grosses ventes, comme peu d’écrivain·es français·es. L’écrivain voyageur a de la répartie, de l’esprit, un sens de la formule encapsulé dans un courage insensé. La solitude aventurière et le goût des mots un peu surannés qui l’animent en font un écrivain aussi inoffensif politiquement qu’incisif sur un plan éthique, percutant un imaginaire naturaliste et animaliste désormais dominant. Sauf que l’apparente éloquence dépolitisée de l’écrivain se fissure à l’examen poussé de ses références littéraires, de ses liens affectifs, et de son écriture même.Tesson est un pur “écrivain de droite”, remarquait Arnaud Viviant lors d’un récent Masque et la Plume, au grand dam de ses confrères Jérôme Garcin et Frédéric Beigbeder, sensibles, eux, comme des millions de lecteurs et lectrices, à sa prose altière. “On prendTesson à tort pour un réac alors que c’est un écoconservateur, le défendait Beigbeder. Il est vert et il aime la nature, dont il veut protéger la pureté.” ADMIRATIF D’UN AUTEUR AIMÉ DES NÉOFASCISTES À lire la récente enquête de François Krug, Réactions françaises (Seuil), la vertu de l’aventurier sensible à la fragilisation du monde vivant et à la beauté des chemins de grande randonnée se perd dans les vices d’une prose plus retorse qu’elle n’en a l’air. Même au grand large, les idées peuvent être étroites. “S’il séduit des lecteurs de droite comme de gauche, c’est justement parce qu’ils ne voient chez lui rien de politique, nous confie François Krug. L’aventure, la forêt, la montagne, le dépassement de soi, le rejet d’une société régie par l’argent et la technologie, ça peut parler à tout le monde, à droite comme à gauche.” L’étiquette “anti-moderne” qu’on lui colle souvent semble trop imprécise aux yeux de l’enquêteur pour définir l’écrivain : “Elle permet de se distinguer de la masse sans trop se mouiller, comme quand on se revendique ‘réac’ ou ‘anar de droite’, c’est chic mais c’est flou.” Car la politique n’est pas absente de ses livres, loin de là. “On trouve des remarques ambiguës glissées ici ou là, par exemple celles sur les migrants qui traversent les Alpes, dans Blanc, son dernier livre, rappelle Krug. Il y a aussi un livre comme Une très légère oscillation, un recueil d’extraits de son journal intime. Dans celui-là, on trouve des passages sans LES LIAISONS DANGEREUSES DE SYLVAIN TESSON BertrandNoël/GettyImages
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