PAROLES DE CORSE n°125 - Page 5 - 125 PAROLESDECORSE.FR • 3 Par Jean Poletti Les couteaux DE L’OBSCURANTISME L’ÉDITO DE PAROLES DE CORSE Trois ans après, le souvenir de Samuel Paty est ensanglanté par un nouveau drame. Un professeur mortellement poignardé à Arras. Des blessés. Un lycée traumatisé et au-delà une nation tétanisée. Terrible résonance, indicible sentiment de funeste répétition par les fous d’Allah. L’islamisme, sauvage déviance d’une religion, arme ici et là les bras de tueurs qui veulent que la charia supplante nos lois. Et annihilent la République. Les circonvolutions sémantiques de certains, des fumeuses explications deviennent indécentes aux yeux de la réalité couleur rouge sang. L’ambigüité savamment entretenue et distillée par telle formation dite de gauche pollue de manière récurrente la clarté de saines réactions politiques ou populaires. Dans une inversion de la sémantique, elle place bourreau et innocente victime dans une responsabilité sinon identique à maints égards similaire. Usant d’une métamorphose de doctrine, les masses laborieuses ouvrières furent progressivement abandonnées au profit du sous-prolétariat immigré dont elle tire nombre de suffrages. Au risque de perdre son âme quand dans ce marché électoraliste se dissimulent des émules du djihad se muant en porteurs de voix. Les adversaires de la démocratie le disent sans se voiler derrière les euphémismes. La France qualifiée de petit Satan implique une croisade verte, celle qui puise dans un imaginaire que fertilisent certains imams extrémistes, au mépris des règles coraniques. S’en prendre à ceux qui dispensent la connaissance en les décapitant ou en les lardant à l’arme blanche ajoute le symbole à la sauvagerie. Tuer ceux qui dans les salles de classe transmettent le savoir s’inscrit dans l’opposition frontale aux leçons puisées dans le siècle des Lumières. Celui de la rationalité, qui insuffle l’esprit critique. Et a pour noble mission de former des citoyens pétris d’humanisme. Aux antipodes avec les croyances maléfiques, que certains mettent sur un piédestal faussement cimenté de religiosité. Tel est le cœur de la cruciale équation qu’une société doit résoudre. Elle ne se satisfera pas d’incantations ou de discours convenus de ceux qui nous gouvernent. L’esquisse de la solution implique assurément de redorer le blason de la laïcité. Ne plus tergiverser sur ce concept qui fonda le vivre-ensemble. Il tient en peu de mots. Liberté des cultes dans la sphère privée, neutralité dans l’espace public. Ainsi croyants, agnostiques, libre penseurs, athées pourront coexister paisiblement et s’ouvrir au progrès collectif. La régression est patente. Qui oserait affirmer que la crainte n’assaille pas le monde enseignant? La vérité commande à dire que dans la corporation nombreux sont déjà ceux qui s’autocensurent et évitent d’aborder l’histoire, les religions, les sciences, la biologie ou la diaspora du peuple juif. Qui pourrait leur en faire reproche? À l’évidence, ils n’ont pas vocation à périr sur l’autel de terroristes, isolés ou agissant en groupe. Loin de nous la volonté d’accabler les autorités concernées, pourtant il convient de souligner qu’elles ne furent pas toujours à la hauteur des situations. Preuve s’il en était Samuel Paty avait alerté sa hiérarchie sur les menaces dont il faisait l’objet. On lui conseilla de changer d’itinéraire lorsqu’il rentrait chez lui, et se couvrir la tête avec une capuche pour ne pas être reconnu. Ubu roi! Pas de vague. Faut-il aussi dire que la fratrie radicalisée de l’assassin d’Arras devait être expulsée voilà une dizaine d’années vers la Russie dont elle est originaire. La mobilisation de plusieurs associations stoppa in extremis la procédure. Et que dire du coupable, fiché S, surveillé dit-on par les services de la défense du territoire, mais qui vaquait à ses occupations car un possible «passage à l’acte» n’était pas formalisé? Évoquer ces assauts mortifères n’équivaut pas à faire d’amalgame qui impliquerait injustement l’écrasante majorité de musulmans dont la foi se double de quiétude et de respect des normes de notre société. Dire aussi qu’en onde de choc ils sont victimes des homicides sauvages et aveugles perpétrés par d’ignobles individus issus de leurs rangs. Il n’empêche, chez nous aussi, une crainte diffuse est palpable, notamment dans le microcosme éducatif. «Cela peut arriver», dit sobrement un prof d’Ajaccio. Un avis vraisemblablement partagé par nombre de ses collègues. Les forces de polices stationnées devant les grilles d’établissements scolaires insulaires témoignent d’ailleurs de précautions que nul n’imaginait nécessaires voilà peu encore. Le ministre de l’Intérieur a mis le pays en alerte rouge. Il fait d’ailleurs un parallèle entre le drame d’Arras et l’embrasement du conflit israélo-palestinien, consécutif au pogrom du Hamas terroriste qui sema le deuil et la colère. À l’évidence il n’est pas usurpé de dire que le monde est sur un point de bascule. S’agissant de la France, il convient de ne plus se satisfaire de rituelles marches blanches, de poignantes allocutions et de dépôts de gerbes en mémoire d’innocents assassinés par ceux qui prennent des vies en hurlant Allah Akbar. 4 • PAROLESDECORSE.FR Paroles de Corse est édité par la SARL C Communication 11, rue Colomba 20000 Ajaccio Tél./fax: 0953255521 E-mail : parolesdecorse@gmail.com Directeur de la Publication: Jérôme Paoli RÉDACTION Directrice de la Rédaction: Anne-Catherine Mendez Rédacteur en chef: Jean Poletti Rédaction: Karine Casalta, Anne-Charlotte Cuttoli, Caroline Ettori, Paule Santoni (photographe) Ont collaboré à ce numéro: Petru Altiani, Vannina Angelini-Buresi, Michel Barat, Laura Benedetti, Nathalie Coulon, Emmanuelle De Gentili, Charles Marcellesi, Sébastien Ristori, Kévin Yafrani-Biancardini Rédacteur en chef technique: Anne-Charlotte Cuttoli Impression: Riccobono-Le Muy Contact Rédaction: parolesdecorse@gmail.com Paroles de Corse sur Internet: www.parolesdecorse.fr Publicité: Véronique Celeri 06 22 36 84 48 - veroniqueceleri@free.fr Service abonnement: Paroles de Corse, 11, rue Colomba 20000 Ajaccio parolesdecorse@gmail.com Vente au numéro: parolesdecorse@gmail.com Commission paritaire: 1022I91536 Dépôt légal: à parution - ISSN 2260-7099 Toute reproduction des articles et photographies est interdite sauf autorisation expresse de C Communication. Ce papier est recyclable, déposez-le dans un container adapté! SOMMAIRE NOVEMBRE 2023 #125 3 L'ÉDITO Les couteaux de l’obscurantisme 8 HUMEUR 3 p’tits points… 10 ÉVÈNEMENT Les masques de l’autonomie 12 POLITIQUE Stupéfiants «A droga fora» Le slogan broyé par l’inquiétante réalité 16 CONTRIBUTION Perte de connaissance 18 ENTREPRISE Sébastien Ristori L’entreprise au cœur d’une économie émancipée 22 FOCUS La fin des cigarettes corses 24 SOCIÉTÉ Maroc L'heure de la reconstruction 30 ZOOM La fac bat la campagne 34 SPORT Self-défense à Bastia Quand le Krav-Maga fait école 38 PORTRAIT Alexandre Diani Un EP "Pas Pareil" 41 SONDAGE A droga fora, derrière le slogan 44 CULTURE Terroir Sì passa qualcosa… Una sola ricchezza : ATARRA 46 FINANCE La guerre des normes extra-financières 48 L'AGENDA Musique, théâtre, expositions... 6 • PAROLESDECORSE.FR EXPRESS OH PUNAISE! LA VISION du poète Piétons À QUAI VALLS A DEUX TEMPS VISITEURS DU SOIR LIBERTÉoblitérée Paul Valéry, qui comme chacun le sait, avait des attaches insulaires, eut ces mots qui rejoignent l’actualité «Vous vivez dans une île très belle que j’ai quelque raison de chérir». Et d’ajouter «cette terre séparée qui se défend encore un peu de ressembler à toutes les autres.» Cette ode au particularisme fut la préface à l’ouvrage L’enchantement multiple de Diane de Cuttoli. La vision toute romantique d’un auteur majeur du dix-neuvième siècle remise implicitement au goût du jour par le débat institutionnel. Mais ne dit-on pas communément que le poète a toujours raison? Un couple écumait la région de Porto-Vecchio. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne ménageaient pas leur temps et faisaient preuve d’un dynamisme débordant. En l’espace d’une année, ils commirent la bagatelle de cent-dix cambriolages. Ces Bonny and Clyde au petit pied avaient fait une escale illicite dans l’extrême-sud, après avoir écumé maints lieux d’Europe. Fausses identités et qualité de dissimulation leur permirent même d’échapper à un mandat d’arrêt des autorités italiennes. Les gendarmes leur mirent la main au collet. Terminés les randonnées nocturnes dans les domiciles. Finis les chapardages. Ces drôles de touristes ont rejoint des petites cellules et sont surveillés, même s’il n’y a rien à voler. La deuxième tranche des travaux est lancée. Dans huit mois, le quai nord du Vieux-Port de Bastia sera entièrement piétonnisé. L’achèvement du chantier dessinera le nouveau visage de ce lieu emblématique de la ville. Il offrira selon le maire, Pierre Savelli, une prolongation logique de la voie douce du Spassimare et de l’Aldilonda. Et en incidence accroître l’attractivité di u vecchju portu que les commerçants voient bien évidemment d’un bon œil. Le programme comprend aussi la suppression du parking qui sera transformé en amphithéâtre. Une sorte de retour à la vie de quartier sans voitures pour faire de l’ombre aux barques. Des élèves du collège de Biguglia se sont impliqués dans les commémorations de la Corse de manière originale. Ils ont en effet dessiné des planches de timbres à l’effigie de ces héros de l’ombre. Un travail qui reçut une belle récompense puisqu’ils furent oblitérés en présence de la ministre des Anciens Combattants. La centaine de carnets a immédiatement trouvé preneurs. Ces réalisations baptisées «Bulles de mémoire» furent réalisées par Florian Micaelli, Armand Vella-Leoni, Marc-Antoine Galloni d’Istria et Marc-Andria Peretti. Une belle initiative couronnée par des lauriers mérités. Elles envahissent lieux publics et domiciles. Dans une fulgurante offensive ces hordes indésirables deviennent une psychose. La Corse est-elle épargnée? Nullement. Une étude montre qu’elle fait partie des régions les plus touchées avec notamment le Limousin, l’Île-de-France et la Côte d’Azur. La police des insectes est sur le pied de guerre. Avec cette interrogation fondamentale: Comment ont-elles été importées? Sherlock Holmes au secours. Plus sérieusement cette offensive s’entoure de secret, aux lisières du tabou. Car ceux qui accueillent la clientèle n’avoueront pas que des pensionnaires se sont déjà installés dans les sommiers et matelas. Dormir dans les bras de Morphée, voilà un adage qui doit parfois être mis en sommeil… L’ancien chef du gouvernement fut aussi ministre de l’Intérieur. À ce titre, il eut à connaître le dossier de la fratrie radicalisée dont faisait partie celui qui assassina le professeur Dominique Bernard. L’expulsion fut annulée à un moment où la famille devait prendre place dans l’avion. Notamment en raison de manifestations émanant d’associations de défense des immigrés. Manuel Valls se dédouana récemment main sur le cœur en affirmant que l’affaire fut exclusivement gérée par ses collaborateurs. Puis il s’envola pour Israël, où il ne rechigna pas à se médiatiser en gilet pare-balles. À quel titre fit-il ce déplacement? En tout cas il n’avait nul mandat officiel. PAROLESDECORSE.FR • 7 CORI CORI NANTA U COSCIONU LA PALISSE SEMPRE VIVU COÏNCIDENCES FUMANTES ©Bonifacio.fr LARUE COMME DOMICILE DEUX ÉMINENCES AUX ACCENTS DE LA CORSE C’était un slogan de randonnées sur ce plateau au demeurant fort prisé. Mais l’image bucolique se transforma en scène d’un réalisme piquant. Un taureau, visiblement peu enclin aux visites, même débonnaires, chargea un vacancier. Alertés des pompiers du groupe montagne arrivèrent sur les lieux en hélicoptère afin de secourir le blessé. Ils furent à leur tour la cible du fougueux animal. L’un d’eux fut encorné, fort heureusement sans gravité. Finalement, la corrida s’acheva et le sauvetage réussit malgré la bête sauvage qui ruminait sa colère. La prudence s’impose quand on croise du bétail dans le maquis. Il n’est pas toujours aussi placide que celui qui se trouve dans les fermes du continent. Ou mieux qui affiche un regard souriant sur certaines boîtes à fromage. Inexorablement, le nombre de sans domicile fixe augmente partout. Bastia n’est pas épargné. Tant s’en faut. La banque alimentaire de Lupinu ne parvient plus à faire face. À telle enseigne que Odile Branca a écrit à Macron. Elle rappelle la promesse présidentielle faite voilà six ans. « En 2023 il n’y aura plus personne dans la rue. » L’évidence montre que cela ne fut que vaine parole. L’association Fradellanza, située en centre ville, fait un triste constat similaire. Récemment à Ajaccio, comme cela a été relaté dans nos colonnes, se tint une journée de sensibilisation contre la misère sous l’égide de François Pernin. La Corse est frappée de plein fouet par la misère. Selon une étude de l’Insee, notre île est la plus pauvre des régions métropolitaines. Monseigneur François-Xavier Bustillo ne s’est pas départi de cette humanité sans faille qui le caractérise. «Je suis désormais cardinal, mais je reste toujours évêque de Corse. Maintenant je suis le cardinal de Corse. C’est beau de porter ce titre et d’honorer mon peuple.» Un propos qu’il répéta à l’envi à la cathédrale d’Ajaccio puis en l’église Saint-Jean de Bastia. Précédemment, il n’avait pas hésité à s’exprimer au lendemain du guet-apens mortel contre Yvan Colonna qui suscita l’embrasement que l’on sait. Une telle empathie entre à maints égards en résonance avec l’attitude de monseigneur Jean-Charles Thomas récemment disparu. Il exerça son ministère durant de longues années dans l’île. Et fut même qualifié au sein de la population d’évêque d’Aléria en regard de son implication des tragiques événements. D’aucuns se souviennent qu’il se rendit à l’hôtel Fesch où s’était réfugié le commando de l’opération Bastelica, apportant un message de paix et prônant le retour au dialogue. D’autres se remémorent le poignant échange lors d’un journal télévisé national avec Christian Bonnet, ministredel’Intérieurdel’époque.Ilprononçasesmotsgravés dans l’inconscient collectif «La Corse n’est pas seulement un département français comme les autres. Elle l’est. Mais en même temps, et je crois prioritairement, elle est aussi une autre réalité: une histoire corse. Une communauté populaire corse, un style, une ensemble d’aspirations humaines et d’habitudes. Avant d’être un département français, la Corse est psychologiquement la Corse.» À cinquante ans d’intervalle, deux démarches similaires, pétries de hauteur de vue et d’engagement au service non seulement des fidèles, mais de tout un peuple. Un politologue commentant la nuit bleue en Corse sur une chaîne d’infos dit d’un ton sentencieux que ces attentats étaient prémédités. Heureux de l’apprendre. Ici on croyait benoîtement qu’ils avaient été décidés quelques instants auparavant autour d’un pastis. La suite de son intervention fut un chapelet de banalités que les personnes présentes sur le plateau buvaient en opinant du chef. Finalement, la clandestinité est aisée à comprendre. Il suffit d’écouter ce genre d’analyses émanant de spécialistes auto-désignés. Quelle époque épique! Avec le retour des frimas les incendies deviennent l’exception. Cela n’empêche pas d’observer que parmi ceux qui se déclarèrent cet été certains relèvent du rituel. Cette fois encore de nombreuses mises à feux se déclarèrent à Ghisonaccia, Aghjone, ou Linguizetta. Sauf à dire que la Plaine Orientale est la proie de coïncidences, cette succession de sinistres est le fait d’actes volontaires et répétés. Cela fut vrai voilà quelque temps du côté d’Oletta ou de Francardo. En maints lieux sévissent des adeptes de l’allumette. Pyromanie, actes de vengeance ou gratuits? En tout cas, le résultat est désolant. 8 • PAROLESDECORSE.FR Suivez nous sur twitter @parolesdecorse PAROLES de Tweets PDC HUMEUR 3 P’TITS POINTS… 3 P’TITS POINTS… Par Nathalie Coulon J’ai longuement cherché comment écrire cette chronique, et puis j’aurais pu même laisser la page blanche. Je vais d’abord imaginer que le titre ne serait que les 3 p’tits points ou… Ces points de suspension que l’on écrit quand on veut laisser libre cours aux lecteurs, à eux d’imaginer la suite, plus que ces points de suspension je pense que j’aurais voulu y mettre 1 point suspendu, existe-t-il ce point suspendu? Je ne sais pas, je ferai plus tard une recherche auprès des imprimeurs, des talentueuses «indéprimeuse(s)» pour savoir comment elles-mêmes l’auraient marqué dans l’encre, elles avaient imaginé un petit musée des ponctuations sauvages. Je cherche mon point suspendu! Cette période si barbare, si cruelle, si monstrueuse me laisse muette devant tant d’horreurs. Finalement, qui suis-je moi la petite européenne confortablement installée devant mon poste de télévision qui ne connaît ni la faim, ni la soif, ni le froid, encore moins la peur des bombardements, des kidnappings sanglants, Qui suis-je à part une spectatrice épouvantée, révoltée, impuissante devant cet écran, je sens même que c’est indécent de finir le verre de bon vin, la bonne bouteille qu’on s’ouvre le dimanche soir au coin du premier feu de cheminée. Je vais éteindre ma télévision, mettre fin aux infos d’un clic sur ma télécommande et passer à autre chose, comme ça d’un seul coup de clic passer à autre chose! Et bien je ne peux pas. Je ne peux pas dans l’indifférence totale, supporter comprendre comment au nom d’un seul Dieu, que l’on puisse encore en ce siècle dit civilisé, ce siècle qui a succédé au siècle des Lumières. Comment peut-on commettre encore autant d’atrocités. Les hommes sur cette terre seraient-ils nés pour faire la guerre? Soupir! Comme mon fameux point suspendu, je vais laisser cette fois le temps se suspendre pour apprécier ce que la terre nous offre, les paysages flamboyants qui changent au gré du temps, les châtaignes, bientôt que l’on récoltera, le figatellu que l’on partagera entre amis et toutes les bonnes choses qui font traverser un bout de chemin ensemble. Relire Machiavel, Hemingway, Tolstoï, prendre en pleine face un Guernica de Picasso. Relire Guerre et paix de Léon Tolstoï: «Et la guerre commença, c’est-à-dire un événement contraire à la raison et à la nature humaine. Des millions d’hommes commirent les uns à l’égard des autres plus de forfaits – mensonges, trahisons, vols, émissions de fausse monnaie, pillages, incendies et meurtres – que n’en contiennent depuis des siècles tous les tribunaux du monde, cependant qu’au cours de cette même période, les hommes coupables de ces crimes ne les considéraient pas comme des crimes.» PAROLESDECORSE.FR • 9 PDC ÉCONOMIE En finir avec LE MALAISE TOURISTIQUE Ainsi la première question qui se pose chaque année est toute simple. Quel a été le niveau de la fréquentation touristique ? On se souvient de l’intervention de la ministre déléguée au Tourisme, Olivia Grégoire, qui fin août à l’occasion de la présentation du bilan touristique annonçait que la saison avait été excellente tout en soulignant que «Cela n’a pas été parfait dans toutes les régions… notamment chez nos amis corses.» Elle annonçait alors une baisse de 5% dans les traversées maritimes et de 15% dans les hôtels insulaires. Elle essayait même de donner un début d’explication à cette désaffection en mettant en cause, entre autres, les tarifs trop élevés et une communication ayant pu avoir un effet «répulsif» sur les vacanciers. La présidente de l’ATC affirmait en écho que finalement la Corse avait peu ou prou à 30000 passagers près accueilli le même nombre de personnes qu’en 2022. Concédant toutefois que les professionnels se plaignaient d’une baisse de leurs réservations et donc de leur chiffre d’affaires et de leur trésorerie. Et c’est là que le bât blesse. Ce n’est pas parce qu’on a une fréquentation peu ou prou stable avec des variations, que le secteur touristique en profite. C’était sûrement vrai avant, où la fréquentation était directement corrélée à l’activité des professionnels du tourisme. Ce n’est plus vrai actuellement, car avec l’explosion de l’économie informelle, la manne touristique est désormais partagée entre l’industrie traditionnelle et les nouveaux entrants n’ayant pas toujours pignon sur rue. Et c’est bien pour cela que les professionnels sont montés au créneau en début de saison. La stratégie low cost Il faut bien avouer que le début de saison a été catastrophique en matière de fréquentation, et ce n’est pas une arrière-saison un peu plus importante qui peut compenser le manque à gagner qu’ont subi les acteurs du secteur depuis le mois d’avril. Au passage, et pour être tout à fait honnête, la saison était compromise depuis le début avec le désengagement de certaines compagnies comme Air France et Easy Jet. Pour l’aéroport d’Ajaccio, l’offre de sièges offerts a diminué de 10% (-163 000 sièges) par rapport à 2022. Easy Jet avait baissé sa programmation de 90µ000 sièges, soit 25% de moins qu’en 2022. Pourquoi? Simplement par ce que Easy Jet a eu de meilleures conditions ailleurs. Les compagnies low cost construisent évidemment leur modèle économique sur la maîtrise des coûts mais aussi sur les «incentives» que leur proposent les organismes régionaux (gestionnaire d’aéroports, agence de tourisme,) en charge du développement touristique pour créer et pérenniser des lignes. Dit autrement, il faut payer pour faire venir les low cost. Cette baisse de l’offre a permis aux compagnies d’optimiser leur remplissage avec à la clé une augmentation des billets d’avions, d’où la perception d’une destination chère par des touristes n’étant pas habitués à ce niveau de prix pour une destination hexagonale. Pourquoi est-on passé au travers? Pour madame Bastiani que l’agence n’a aucune responsabilité dans le déroulement de la saison vu la pauvreté de ses moyens d’intervention. En revanche, elle a un rôle à jouer dans la planification du secteur touristique qui plus est dans le cadre de la future autonomie. Les remèdes possibles? Élargissement de la saison et développement des marchés étrangers d’une part, régulation d’Airbnb d’autre part. C’est exactement ce que demandent les professionnels depuis des années. L’équation Airbnb Le développement des marchés émetteurs comme l’Allemagne ou l’Autriche, qui ont des vacances décalées par rapport aux nôtres, nécessite à la fois une politique de promotion de la destination Corse et la passation de contrats financiers avec des compagnies aptes à desservir ces pays. Pour l’instant, seuls Air Corsica, Volotea et Easy Jet pourraient prêter attention à l’exploitation de ces lignes. Cela veut dire aussi, que le politique doit assumer résolument cette stratégie d’incitation financière auprès des compagnies low cost. La régulation d’Airbnb et de toutes les plateformes de ce type y compris dans d’autres secteurs comme la location de véhicules, est une problématique mondiale. Plusieurs villes ont déjà réglementé plus ou moins sévèrement les locations touristiques depuis quelques années. En Corse, nous sommes à la traîne de manière inexpliquée. Cependant, des communes du Cap Corse ont pris le taureau par les cornes en mettant en place plusieurs mesures contraignantes comme l’enregistrement ou le changement d’usage. Bastia s’y met timidement quand Ajaccio est aux abonnés absents. Que la région prenne la main sur les meublés de tourisme, c’est certainement souhaitable et cela enlèvera la pression aux maires. Cependant, il faut faire vite. On ne peut pas attendre encore 2 ou 3 ans. Il faut que la régulation se fasse dès l’année prochaine. Nombrilisme au rencard Une fois de plus, le constat est fait que l’activité touristique n’est pas organisée. À quand une politique régionale et un plan de développement efficient? Le monde avance, nous n’avons pas les moyens de nous regarder le nombril et de faire passer les intérêts particuliers avant l’intérêt général. Alors que la Corse accueillait ses derniers touristes lors des vacances de la Toussaint, un certain nombre de reportages sur France 3 Corse ViaStella et une interview de la présidente de l’ATC dans Corse-Matin tentaient de faire le point sur la saison estivale. Il est intéressant de voir ainsi quelles perceptions ont les différents acteurs de la saison écoulée, aussi bien les politiques que les professionnels. Par Jean-André Miniconi 10 • PAROLESDECORSE.FR ÉVÈNEMENT Par Jean Poletti La nuit bleue clandestine a réveillé une situation qui paraissait à jamais enfouie dans le passé. Elle bat en brèche l’analyse d’une clandestinité orpheline de moyens logistiques et incapable d’actions d’envergure. Au-delà de la condamnation, il convient de s’interroger sur les motivations d’un tel chapelet d’explosions. Pour cela l’exégèse de la situation ambiante ne peut être occultée. Lesmasques DE L’AUTONOMIE Le fracas des bombes pénalise-t-il le processus à la fragilité du cristal? Est-ce une stratégie de rupture aux lisières de la terre brûlée ou un moyen de s’inviter à la table des négociations? La réponse plausible ne peut s’esquisser sans un retour sur l’offre politique proposée par le président de la République. «Canada Dry est doré comme l’alcool, son nom sonne comme un nom d’alcool, mais ce n’est pas de l’alcool.» Qui ne se souvient pas de ce slogan publicitaire? Tout compte fait l’annonce présidentielleconcernantlaCorsen’est-ellepas du même tonneau. Sans avoir l’outrecuidance de ravaler l’éventuelle réforme à une boisson, l’apparentement d’idées effleure notre esprit. Macron dans sa dialectique usuelle n’eutil pas l’ambition de marier la carpe et le lapin, d’unir le chaud et le froid. D’allier les antagonismes? Pour être qualifié de synthèse politique le propos élyséen aurait dû à tout le moins ne pas l’enserrer dans sa propre vision. Tracer d’emblée ce qui pourrait être à ses yeux acceptable et dresser des frontières indépassables rejoint en incidence la volonté de faire triompher le consensus mou. Celui qui d’emblée peut satisfaire globalement pour s’effilocher au fil du temps. Portant en germes le risque de susciter crispations générales. Et mécontentements nourris de volte-face. Saluer une tonalité volontariste du chef de l’État s’avère recevable sinon légitime. ©LePoint PAROLESDECORSE.FR • 11 ÉVÈNEMENT PDC Pour autant, certains décelèrent davantage d’habileté que de conviction. Font-ils erreur? L’avenir le dira. Mais en contrepoint ne peut être mise sous l’éteignoir l’idée que l’allocution présidentielle donnait du grain à moudre à toutes ou presque les composantes de l’Assemblée territoriale. Seules les deux formations indépendantistes eurent véritablement la dent dure. Un coup pour satisfaire les nationalistes, l’autre afin de rassurer les libéraux et autres réfractaires à l’idée de réforme. Un jeu d’équilibriste dans lequel excelle celui qui veut être le maître des horloges. Pas de peuple corse. À ce symbole brisé s’ajoutèrent notamment un veto sur le statut de résident ou la coofficialité linguistique. En contrepoint, et cela n’est nullement un hasard d’aucuns applaudirent au mot d’«autonomie» en oubliant que lui était accolé le qualificatif «à la Corse». Ceux qui sont rompus au droit constitutionnel ou en ont quelque réminiscence acquise sur les bancs de l’université auront beau se creuser les méninges pour comprendre le sens de ce néologisme juridique. Les puristes diront qu’une autonomie existe en tant que telle ou pas. D’autres auraient compris qu’elle s’adosse à ce qui se fait dans d’autres îles méditerranéennes sinon en Outre-mer. Mais lui adjoindre une notion de spécificité relève de l’innovation dont les mauvaises langues disent qu’elle ressemble à une recette de cuisine. À moins qu’il ne s’agisse d’un stratagème pour empêcher d’autres régions hexagonales de revendiquer elles aussi leur émancipation. Tout est possible dans le clair-obscur qui enveloppa le message pétri du fameux en même temps. Avec en filigrane une autonomie à tout le moins en liberté surveillée, tant il fut indiqué que les initiatives seront scrutées par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Gardonsnous cependant de tout procès d’intention. Même si une longue marche devra être nécessairement accomplie avant d’obtenir une plausible mutation. S’accorder ici sur un texte ne sera qu’une étape initiale et sans doute pas une promenade de santé. Ensuite ceux qui ont à cœur de le porter sur les fonds baptismaux devront prendre leur bâton de pèlerin et ressasser la bonne parole en terre continentale. Mais sauf à être béotiens la réalité impliquera de passer par les fourches caudines des parlementaires et notamment la Majorité de droite du palais du Luxembourg. En clair, accepter certaines de ses exigences étant entendu que l’inamovible président Gérard Larcher est loin de regarder ce dossier avec les yeux de Chimène. Tel est le parcours du combattant. Emmanuel Macron n’a délivré qu’une partie de la feuille de route. En traçant à grands traits principes et limites, il reconnaît en son for intérieur n’avoir pas de véritables atouts dans sa manche. Une carence qui est le reflet de son absence de majorité dans les deux instances délibérantes. Une fragilité patente dont pourrait à bas bruit profiter la haute administration pour jouer les détracteurs d’un projet qui de manière frontale ou induite atténuerait leurs prérogatives. Seuls en effet les naïfs pensent qu’à Bercy ou Beauvau les ministres sont omnipuissants et ne subissent pas les pressions feutrées de proches collaborateurs. Sans parler de la puissance préfectorale qui porte en bandoulière le deuil de Claude Érignac. Éluder ces obstacles de nature et de veine différentes équivaudrait à transformer une éventuelle échéance en illusions perdues. L’heure est au choix de société. Le temps est venu de dire sans ambages et audelà des postures, quel avenir voulonsnous collectivement pour notre île. Cette postulation, dûment signifiée et formalisée par une consultation locale, échappera alors à la Corse pour être l’apanage des instances nationales. Mais que nul ne se méprenne quel que soit le verdict final rien ne serait pire aux yeux de la population insulaire si ceux qui ont reçu mandat pour la représenter n’étaient pas capables de sceller un accord. Fruit de concessions réciproques. Si tel était le cas sur les bords de la Seine, il serait de bon ton de ressortir l’antienne d’une Corse incapable de savoir ce qu’elle veut. Alors faisons ici notre part de chemin pour éviter, fut-ce en cas d’échec, qu’il ne nous incombe pas. Toutefois seuls les impavides diront que les cartes ont été fortement rebattues par les attentats. Quel que soit le jugement de valeur, la clandestinité fait irruption sur l’échiquier insulaire. Jugée obsolète et dépourvue de logistique, elle démontre le contraire, ajoutant la surprise à l’ampleur. Avec cette interrogation centrale consistant à déceler une logique tactique ou stratégique derrière les cagoules. Nul doute n’est de mise, elle cible en onde de choc les mouvances nationalistes qui malgré leurs différences acceptent l’ouverture futelle ténue du chef de l’État. En corollaire, elle peut cristalliser davantage encore la position des forces libérales les incitant notamment à réclamerdesassurancesformellesetdéfinitives de ceux avec qui elles tentent de trouver un consensus. Enfin, rien n’indique malgré les déclarations préfectorales que l’Élysée se drape dans un certain repli, conditionnant la poursuite des négociations à la fin de la violence. Pour l’heure, il ne s’agit que de supputations. Mais sauf à croire qu’il s’agit d’un solennel avertissement des clandestins, factuel et sans lendemain, nul ne peut chasser de son esprit que se sont instaurées les prémices d’un climat de tension, qui risquent de conditionner le proche avenir. Dans un surprenant retour de l’histoire, voilà qui ramène aux turbulences qui accompagnèrent le statut Joxe. Avec une différence notable cette fois une formation nationaliste est aux responsabilités. Et que la droite se dit prête à faire une part du chemin. À l’époque du statut socialiste le FLNC alors uni proclamait «Il n’y a pas de troisième voie» tandis que maints radicaux de gauche communistes et libéraux dénonçaient le «toboggan contre l’indépendance.» Les lignes ont bougé au sein des formations classiques. Mais une constante demeure irriguant la clandestinité. Quelle que soit la coloration du pouvoir territorial sa doctrine est immuable. Aussi avions-nous en son temps écrit dans ces colonnes que la léthargie de la branche armée ne devait pas être assimilée à l’irréversible sommeil de salon. Ainsi lorsqu’elle annonça sa démilitarisation cela fut considéré comme un non-évènement ici et dans les sphères gouvernementales. Quand par la suite et à plusieurs reprises elle se fit menaçante nombreux les qualifièrent de stériles gesticulations. Qu’ils jouent les Cassandre ou tentent d’orienter les débats en cours sont des questionnements qui s’imposent à l’évidence. Cela n’équivaut nullement, tant s’en faut, à adhérer aux exactions. Pour autant, faire comme si cela était accessoire et ne revêtait aucune incidence serait comme le disent certains édiles une acceptation tacite ou affirméedelaprimautédeminoritésagissantes sur la société insulaire. Récemment à Corte se déroula une rencontre sous l’éloquente appellation de «Refondation patriotique». Même si toute relation de cause à effet serait infondée, rien n’interdit de penser que des forces se regroupent pour s’opposer à ce qu’elles nomment une tiède décentralisation, auréolée du terme d’autonomie. En corollaire la revendication frontiste transmise à CorseMatin ne laisse planer aucun doute «Nous n’avons pas de destin commun avec la France.» La brièveté du texte fut sans doute mûrement réfléchie. Aux yeux des auteurs, digressions et explications eurent atténué la force du message. En bons communicants qu’ils ont appris à être, ils savaient vraisemblablement qu’unesimplephraseestparfoispluséloquente tant elle laisse place aux commentaires au sein des commentateurs, élus ou population. Voilà brossés à grands traits et sans fards des épisodes dont l’enchaînement conduit au sempiternel leitmotiv: Quel futur pour la Corse? 12 • PAROLESDECORSE.FR C ertains se souviennent encore de ce slogan «A droga fora» brandi tel un étendard par des mouvances nationalistes. Il provoqua même l’assassinat de deux Maghrébins accusés d’être des revendeurs dans la cité impériale. Une double exécution loin d’être saluée par l’opinion publique qui, au-delà du refus des pratiques de justice expéditive, considérait cet épilogue sanglant disproportionné en regard du délit. Il est vrai qu’à l’époque le trafic était encore marginal, et les consommateurs peu nombreux. Des fumettes de haschisch dans certaines soirées, constituaient l’essentiel d’une pratique dont la vague de fond n’avait pas atteint nos rivages. Une protection que certains croyaient inhérente à l’insularité. Quand d’autres mettaient en exergue notre particularisme qu’ils assimilaient à un refus de dérives hexagonales. Le discours s’avérait à maints égards trompeurs. Rares ceux qui daignaient admettre que les digues étaient en grande partie dressées par les barons du banditisme qui dissuadaient, parfois avec des arguments peu diplomatiques, ceux qui tentaient de s’adonner à ce commerce illicite. Ainsi, dans le Cortenais, un truand d’envergure signifia sans autre forme de procès à trois apprentis dealers l’interdiction formelle de vendre «leur merde.» Coupant ainsi l’herbe sous le pied à ce groupe qui escomptait sur la population estudiantine pour attirer une clientèle et engranger de substantiels profits. Sans verser le moins du monde dans le panégyrique de ces caïds à l’ancienne, osons souligner que le veto était similaire dans les régions bastiaise ou ajaccienne. Le grand banditisme insulaire, qui tenait le haut du pavé dans l’Hexagone et avait des ramifications à l’étranger, avait décrété que la Corse était un sanctuaire où la drogue était bannie. les racines du mal Faut-il y voir une relation de cause à effet? Le milieu s’est balkanisé. Les parrains se sont entretués, laissant place à des groupes autonomes qui ont désormais investi un secteur lucratif. À telle enseigne que d’anciens policiers regrettent, sans le crier sur tous les toits, que dans un passé pas si lointain ils avaient dans cette interdiction comme alliés de circonstance et improbables supplétifs des voyous. Et l’un d’eux qui coule une heureuse retraite de dire non sans quelque humour «Leurs avertissements étaient fréquemment couronnés de succès, car eux avaient leur propre code de procédure pénale.» Sans trop revisiter la petite histoire, même si parfois elle conditionne la grande, rien n’interdit de rappeler que naguère existait une brigade des stupéfiants. Elle fut supprimée pour des raisons que l’entendement rechigne à admettre. Parallèlement, c’est révéler un secret de polichinelle de dire qu’à cette période les services d’enquête étaient focalisés sur la lutte contre le nationalisme et la clandestinité. Cela peut se comprendre et s’admettre, si en même temps le terrain n’avait pas été peu ou prou laissé aux délinquants, souvent sans réelle envergure, mais habités d’un sentiment d’impunité. Aussi, lorsque les équipes structurées implosèrent, ces petites mains purent à loisir croître, s’étoffer et prospérer. Il serait en effet partiel sinon partial de feindre l’étonnement face à l’explosion du trafic de drogue chez nous. Il progressa à bas bruit. Sans trouver sur sa route une réelle prise de conscience alliant pendant trop longtemps juridictions concernées et représentation politique. Le rappeler n’équivaut pas à verser dans l’anathème mais d’énoncer des erreurs flagrantes qui empêchèrent de circonscrire le fléau alors qu’il était encore balbutiant. sidération et révolte Pourtant au gré du temps, des signes patents alertaient que les faits divers isolés se transformaient en faits de société. Le petit consommateur qui vendait du produit pour se payer ses doses laissait progressivement place à une activité sans cesse plus élaborée. Mais malgré ses alertes patentes, la sacrosainte doctrine d’une île épargnée prévalait dans les bureaux de magistrats. Et étaient soumis à la portion congrue dans les discours officiels. Il aura fallu le coup de tonnerre sur le port de Bastia. Une tonne de drogue saisie dans un véhicule lors du débarquement! STUPÉFIANTS STUPÉFIANTS PAROLESDECORSE.FR • 13 POLITIQUE «Adrogafora» LE SLOGAN BROYÉ PAR L’INQUIÉTANTE RÉALITÉ Il aura fallu une importante saisie sur le port de Bastia pour que les yeux se décillent. Et si besoin était, des employés chassés par des dealers dans un quartier d’Ajaccio confortèrent l’évidence d’une île désormais touchée de plein fouet par le trafic de stupéfiants. Désormais feindre l’ignorance relève du délit de non-assistance à UNE ÎLE EN DANGER. Par Jean Poletti Dès lors l’illusion entretenue se brisa sur le mur du constat. La certitude éclata au grand jour. La dérision dans laquelle était traité un trafic qualifié d’accessoire vola en éclats. L’évidence ne pouvait plus être mise sous l’éteignoir, la drogue irriguait l’île. Le fait en tant que tel, peu propice aux élucubrations lénifiantes devenues rengaines éculées, dessinait en ombre portée la présence de groupes hiérarchisés conjuguant acheteurs sur le continent, convoyeurs et revendeurs. La sidération feinte ou sincère de cette découverte record se prolongea peu après par une scène surréaliste à Ajaccio, dans le quartier des Cannes. Deux agents municipaux furent menacés de mort par des dealers. Le message était limpide. Il signifiait ainsi, dans le droit fil de ce qui est monnaie courante à Marseille, dans la région parisienne et en d’autres villes, que nulle autorité ne pouvait empiéter sur un site indument approprié. Mais contrairement à la passivité commune à d’autres villes de France et de Navarre, ici la riposte populaire fut sans équivoque. À l’appel de partis et d’associations, des centaines de manifestants signifièrent que les vendeurs de mort blanche n’auraient pas pignon sur rue. maléfique spirale Une réaction salutaire qui en contrepoint met en exergue les carences des représentants de la loi, tant ce secteur comme tant d’autres sont des points de vente illicites et dument répertoriés. Tout comme le fut le secteur du jardin Romieu à Bastia, des immeubles de Plaine orientale, ou certains de l’ExtrêmeSud. Inutile de dresser une cartographie exclusive, toutes les agglomérations sont touchées et le rural n’est plus épargné. Ainsi, il se dit que des pourvoyeurs sillonnent des villages pour approvisionner une clientèle attitrée. Des rendez-vous aisément facilités par la téléphonie mobile propice aux messages codés. Il n’empêche, désormais les langues se délient au sein des autorités. Longtemps jugé subalterne, le dossier s’invite dans l’actualité, accréditant enfin l’intangible principe de réalité. La porosité entre notamment les fournisseurs de la cité phocéenne, l’Espagne ou le Maghreb et l’île s’apparentent à l’évidence. Certes magistrats et policiers ne l’affirment pas ouvertement, mais les précautions sémantiques ne peuvent décemment occulter l’interrogation concernant les lieux de ravitaillements illicites. JEAN-JACQUES FAGNI, PROCUREUR GÉNÉRAL MANIFESTATION ANTI-DROGUE DE LA POPULATION, QUARTIER DES CANNES ©Florent Selvini ©Florent Selvini
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