CAUSEUR MAGAZINE n°124 - Page 10 - 124 2 CO-ANIMÉ PAR JEREMY STUBBS CÉLINE PINA & Une fois par semaine, 30 minutes d’échange avec des invités sur l’actualité Retrouvez nos podcasts en ligne sur causeur.fr et sur l’ensemble des plateformes : 3 L'ÉDITORIAL D'ÉLISABETH LÉVY J’AIMALÀMA TRANS ue Marion Maréchal me pardonne, mais son plaidoyer pour les « mamans courage », paru dans Le Figaro le jour de la Fête des mères m’a passablement agacée. D’abord, une lectrice sourcilleuse de Renaud Camus devrait savoir que le mot « maman » est réservé à l’usage privé et (dans la majorité des cas) à une seule personne. Et puis, cette peinture de mères toutes aimantes et vertueuses, c’est du Walt Disney. « La gauche n’aime pas la famille », affirme Mathieu Bock-Côté. Ce n’est pas vrai. L’idéalisation un peu nunuche de la famille n’est pas l’apanage de la droite, ni des hétéros et autres cisgenres. Porteuses de jupes plissées, hommes à cheveux bleus, chanteuses à barbe, et sexuellement indécis : tout le monde veut les enfants, le chien et Darty le samedi après-midi. Les innombrables thuriféraires de la famille heureuse n’ont jamais dû lire un roman, ni voir un film de Bergman. Cependant, ce n’est pas parce que la famille peut être un lieu d’enfermement et de négativité qu’elle n’est pas une médiation indispensable entre l’individu et les communautés humaines. En plus d’être une source d’amour et de névrose, le foyer est le premier échelon administratif, ce n’est pas rien. Pour Sonia Devillers, l’impayable intervieweuse de France Inter, championne de la bondieuserie progressiste (elle a connu l’extase en accoant Godrèche), toutes les familles ne se valent pas. Recevant, temps de parole oblige, la tête de liste Reconquête !, elle répète à plusieurs reprises, avec un ton d’institutrice indignée « vous défendez la famille française, et la famille chrétienne ! », sans qu’on sache très bien ce qui, de française ou chrétienne, est le plus infamant. « Pétainiste ! » lâche finalement notre femme savante. « Au moins je sais pourquoi je veux privatiser l’audiovisuel public », réplique Maréchal. Et toc. Marion Maréchal a raison de s’inquiéter de la catastrophe démographique qui vient. Donc de prôner des mesures natalistes. Et elle a le droit de préférer le modèle papa-maman-la-bonne-et-moi1 , même si ça débecte Madame Devillers qui aimerait bien lui coller un procès. « L’envie du Pénal2 » de la vertueuse francintérienne trouve un terrain plus favorable, la transidentité, qu’un lobby hargneux et procédurier veut imposer comme une norme parmi d’autres. Après le prix décerné à Cannes à Karla Sofia Gascón, actrice espagnole transgenre, Maréchal a écrit : « C’est donc un homme qui reçoit le prix d’interprétation… féminine. » Six associations portent plainte pour « injure transphobe », tandis que la principale intéressée teste le colifichet pénal inventé par Marlène Schiappa, le délit d’outrage sexiste. On ne voit pas le rapport entre le propos de Maréchal et une femme qui se fait siffler dans la rue, mais passons. « La transphobie n’est pas une opinion, c’est un délit ! » braille Devillers, certaine d’avoir la loi avec elle. Si elle a raison, si le commentaire de Marion Maréchal (appelé « mégenrage » en jargon LGBT) est hors-la-loi, il y a le feu au lac des libertés. Certes, Karla Sofia Gascón a obtenu en justice un état-civil de femme et le droit d’être reconnue comme telle. On comprend qu’elle soit blessée quand Maréchal affirme qu’un homme reste un homme. Ça ne fait pas de ce propos une injure. Le scepticisme est un droit. Quel est le poids de la génétique ? Jusqu’à quel point peut-on changer ce qu’on est ? Tout celadevraitêtrematièreàdébatetcontroverses,pasàun festival d’interdits. On peut aussi penser à mi-chemin, comme cette trans magnifique qui m’a dit un jour « je sais que je ne suis pas complètement une femme ». La loi n’est pas là pour panser les blessures narcissiques. Interdire toute distinction entre femmes trans et femmes de naissance revient par ailleurs à instaurer une parfaite égalité, notamment dans le sport, et une totale promiscuité dans les vestiaires. Même Sonia Devillers peut comprendre que c’est problématique. Plus grave que ces frottements de la vie concrète, il y a la censure drapée dans la bienveillance inclusive. Il n’est plus question seulement de traquer la pensée ou la parole, mais d’une police du réel, dûment partagé entre licite et illicite. Si la justice cède demain, il sera interdit d’affirmer qu’il y a des hommes et des femmes ou d’observer la surreprésentation des étrangers dans la délinquance de voie publique, et après-demain, comme dans 1984, de dire que deux et deux font quatre. On répète à satiété la formule de Péguy : « Il faut voir ce que l’on voit. » Alors, profitons-en tant que c’est légal. • Q 1. Personnellement, tant qu’on ne ment pas sur la fabrication des enfants (donc sur la filiation), je suis plus libérale que Marion Maréchal quant aux conditions de leur élevage. Des homosexuels et des lesbiennes peuvent être des parents aussi toxiques qu’un couple à l’ancienne. 2. Dont Philippe Muray avait compris qu’elle est l’affect dominant de l’époque. 4 Hannah Assouline 22 Le Hamas est-il « antifa » ? Olivier Douman 24 Judéophobie mondialisée Jeremy Stubbs 26 De renoncement en renoncement Driss Ghali 30 Abolissons les banques centrales ! Charles Gave CONTRELEMACCARTHYSME METOO 34 Le bal des martyres Élisabeth Lévy 3 J'ai mal à maTrans Élisabeth Lévy 10 Coup de rouge Olivier Dartigolles 12 Ma vie à l'Assemblée Emmanuelle Ménard JUIFSDEFRANCE: POURVIVRE, VIVONSCACHÉS 16 Sombre avenir pour les juifs de France Entretien avec Georges Bensoussan Propos recueillis par Gil Mihaely 18 Universités : l'explosion antijuive Céline Pina SOMMAIRE N°124 – JUIN 2024 Directeur de la publication Gil Mihaely Directrice de la rédaction Élisabeth Lévy Directeurs adjoints de la rédaction Jean-Baptiste Roques, Jeremy Stubbs Rédaction en chef Martin Pimentel (causeur.fr) Jonathan Siksou (culture) Rédaction Cyril Bennasar, Sami Biasoni, Jean Chauvet, Yannis Ezziadi, Alain Finkielkraut, Stéphane Germain, Jean-Luc Gréau, Pierre Lamalattie, Bérénice Levet, Patrick Mandon, Céline Pina. Correction Frédéric Baquet Secrétaire de rédaction Cécile Michel Ont participé à ce numéro Jacques Aboucaya, Corinne Berger, Valentin Chantereau, Sophie Chauveau, Olivier Dartigolles, Jean-Michel Delacomptée, Didier Desrimais, Gilles-William Goldnadel, Dominique Labarrière, Isabelle Larmat, Alexandra Lemasson, Frédéric Magellan, Emmanuelle Ménard, Jean-Pierre Obin, Georgia Ray, Ivan Rioufol, Paul Thibaud, Emmanuel Tresmontant. Direction artistique Laurent Carré Iconographie Alexandre Denef Direction marketing et commerciale Marina Leroux Charles Lévy 01 84 79 01 35 Distribution MLP Gestion de la diffusion en points de vente BO Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha - oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 (contact points de vente) Abonnements et anciens numéros : https://boutique.causeur.fr/ 01 84 79 01 35 (Du lundi au vendredi 10h – 17h) ou clients@causeur.fr Impression Berger Levrault Graphique 2780, route de Villey Saint-Étienne 54200 Toul Image de couverture Carole Bellaïche/H&K Causeur est édité par Causeur.fr SAS au capital de 153 850 euros - RCS Paris Siret 504 830 969 00037 Naf 5814 Z. Dépôt légal à parution - ISSN 1966-6055. Commission paritaire : 0325 D 90295. Enregistrement CNIL 1296122. 32, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris 01 84 79 01 35 / info@causeur.fr www.causeur.fr 5 Laurent VU/SIPA – Sébastien Toubon 36 « Je n'ai jamais voulu être une victime » Entretien avec Fanny Ardant Propos recueillis par Sabine Prokhoris 42 Un monument nommé Polanski Sabine Prokhoris 44 La parole d'une femme n'est pas sacrée Entretien avec Delphine Meillet Propos recueillis par Élisabeth Lévy 48 Portrait d'une égérie MeToo Jeremy Stubbs 52 Le Festival de Connes Sabine Prokhoris 54 Les risques du métier Jean-Baptiste Roques CULTURE& HUMEURS 58 Judith Magre, une vie à jouer Propos recueillis parYannis Ezziadi 62 À mains nues Élisabeth Lévy 66 Allez voir, ça nous regarde ! Georgia Ray 69 La boîte du bouquiniste Vincent Roy 70 Drieu la Rochelle, une ombre encombrante Patrick Mandon 72 Taxi-Girl on the road Emmanuel Domont 74 Julien Benda, le Finkielkraut de son temps ? François Kasbi 76 Napoléon superstar Julien San Frax 78 Tant qu'il y aura des films Jean Chauvet 80 Les carnets d'Ivan Rioufol 82 Un jour dans Le Monde Gilles-William Goldnadel Prochaine parution : le 10 juillet 2024 6 D.R. Riche de 60 millions d’utilisateurs, mais souhaitant augmenter sa part de marché, Bumble, le numéro 2 du lucratif secteur des rencontres amoureuses (derrière Tinder), a décidé d’offrir une nouvelle fonctionnalité à ses utilisatrices : « Opening Moves ». Les catherinettes américaines disposaient jusqu’à cette date d’un privilège inaliénable : sur Bumble, pour les matchs hétérosexuels, la femme devait faire le premier pas. Une fois le match établi, la pauvrette avait vingt-quatre Invité de Laurent Delahousse sur France 2, Marc Lévy, auteur de best-sellers planétaires, a délivré aux téléspectateurs une émouvante leçon de politique. De façon extrêmement originale, il a dénoncé les populismes qui sapentlesdémocratiesoccidentales.Prenantdesrisques inouïs, il a dénoncé les fake news des réseaux sociaux et la culture de post-vérité qui anime l’extrême droite. Quitte à choquer, il a séparé l’échiquier politique occidental entre les forces du bien et celles du mal. Audacieux, il a reproché à ces dernières de « créer des peurs » (infondées) ou « d’inventer des ennemis » (imaginaires). Onpeutdoncconclurequ’ilnefautpascraindreleschangements culturels qu’induit l’immigration massive, et Femmestimides Lamoraledesplanqués ParMartinPimentel ParStéphaneGermain heures pour envoyer son premier message, sans quoi le match expire. L’homme, lui, ne pouvait pas envoyer de message ! Une façon pour l’application de donner le pouvoir aux femmes, qui faisait toute sa singularité jusqu’alors… Il est déjà amusant de noter que les homosexuels ne bénéficiaient pas de ce privilège. Mais, devoir lancer et relancer la conversation étant harassant, l’application offre désormais la possibilité de laisser les hommes s’en charger ! Psychologie féminine, chasseur, chassé(e)… nous n’épiloguerons pas sur ces points ! Le fonctionnement initial s’expliquait par le traumatisme subi par la fondatrice de Bumble, Whitney Wolfe Herd, laquelle avait quitté son ancien employeur Tinder en 2014 avec fracas, le poursuivant pour discrimination et harcèlement sexuels et obtenant un million de dollars de dédommagement. En lançant son concurrent, elle promettait des rencontres enfin débarrassées des comportements grossiers ou sexistes, tels que l’envoi de dick pics, ou le harcèlement. Pourtant, selon Bumble, 91 % des femmes préfèrent la nouvelle fonctionnalité où elles n’ont pas à faire le premier pas. Malheureusement pour Bumble, la compagnie a dû présenter ses excuses après une campagne marketing où l’on pouvait lire des messages tels que « un vœu de célibat n’est pas la réponse » ou « tu n’abandonneras pas les fréquentations et ne deviendras pas religieuse », jugés discriminants envers les utilisatrices qui choisissent d’être abstinentes. Jamais contentes ! On avait compris que les filles les plus délurées étaient chez Tinder. • que les islamistes ne pourraient constituer des ennemis réels. En revanche, l’apocalypse climatique ne figure pas au catalogue des peurs irrationnelles du romancier, alors que les thuriféraires du programme gaullo-chiraquien de Marine Le Pen constituent les vrais ennemis de nos démocraties. L’auteur aux 50 millions de livres vendus ne pense certainement pas qu’on puisse qualifier de fake news des assertions comme « à l’école, le niveau monte », ou « aucun lien entre immigration et insécurité ». S’il s’inquiète (légitimement) des livres brûlés dans certains États américains républicains, il ne souffle mot des autodafés organisés par les progressistes d’Amérique du Nord. Marc Lévy ne voit pas la différence flagrante qui existe entre les deux principales composantes occidentales. Les États-Unis d’un côté, puissance économique et militaire éclatante, assise sur les Gafam et une immigration chrétienne intégrable. De l’autre, une Europe bureaucratique largement désarmée, menacée par une Afrique musulmane revancharde et une Russie à laquelle la progressiste Angela Merkel a vendu son pays. Surtout, ce multimillionnaire dispense ses lénifiantes leçons de morale depuis… Manhattan, où il vit depuis 2008 ! À l’instar d’Omar Sy – lui, depuis la Californie –, est-il envisageable que les donneurs de leçons, exilés sous des cieux plus cléments, envisagent une pudique mise en veilleuse de leur irritante moraline ? • 7 D.R. – Tom Nicholson/Shutterstock/Sipa Les publicitaires fautifs pourront toujours dire qu’il n’y a pas de mauvaise publicité ! Et que le plus important dans le domaine, c’est qu’un maximum de gens parlent de votre produit. Reste que le nouveau spot époustouflant d’Apple dévoilé le 7 mai n’a vraiment pas rencontré le succès espéré… Sur une vieille musique rétro de Cher, on y voit d’innombrables objets – qui sont autant de symboles de la créativité humaine – sadiquement détruits sous une énorme presse. Écrabouillés les instruments de musique, les œuvres d’art ! Entassés autour d’un piano vite recouvert d’une peinture qui jaillit comme du sang, une trompette, une sculpture, des disques, des livres, un jeu d’arcade ou une télévision voient se refermer mécaniquement sur eux les énormes mâchoires métalliques de la presse. Une fois le tout ratatiné, les pinces de l’immense machine s’ouvrent à nouveau, et le nouvel iPad Pro apparaît. Le hic, c’est que les produits de la marque étant traditionnellement destinés aux créatifs, ces derniers n’ont pas apprécié cette prétentieuse démonstration : « Les gars se sont dit qu’ils allaient nous montrer toute la création humaine compressée dans une tablette incroyablement élégante. Mais le résultat final ressemble plus à toute la création humaine sacrifiée pour un gadget sans vie ! » observe The Hollywood Reporter, qui estime que cette publicité fournit la démonstration inverse du spot « 1984 » réalisé par Ridley Scott pour promouvoir le Mac, dans lequel la technologie libérait l’humain. En plus de sa minceur, le PDG de la firme Tim Cook a vanté le nouveau processeur M4 de sa tablette tactile, qualifié de « puce outrageusement puissante pour l’IA ». Mais à une époque où scénaristes, acteurs et artistes entament des poursuites judiciaires contre les spécialistes de ladite IA, comme OpenAI (ChatGPT), en les accusant de piller leurs œuvres, c’était exactement ce qu’il ne fallait pas souligner ! Apple a depuis présenté ses excuses, et promis que le spot ne serait jamais diffusé à la télévision. Mais dans la Silicon Valley, l’oppressant Tim Cook a décidé de laisser la vidéo sur ses réseaux sociaux. • Écrasésparlapomme ParMartinPimentel Publiée le 15 mai, la 28e édition du rapport de SOS Homophobie sur les discriminations et la violence envers les personnes LGBTI (lesbiennes, gays, bi, trans et intersexes) fait froid dans le dos. Du fait de leurs préférences sexuelles, trop de gens, en France, sont encore insultés, chassés de leur famille, agressés, piégés dans des guetsapens. De nombreux témoignages sont mis en exergue au fil des pages, qui révulsent. Ainsi Gino, un homme trans, qui « marchait dans la rue, quand trois hommes l’ont passé à tabac car il n’avait pas répondu à la question : “Est-ce que t’es une fille ou un garçon ?” » Plus loin, on tombe hélas sur un passage nettement plus politique, dénonçant une « vague de transphobie » qui serait, selon les auteurs, liée à « un repli conservateur » du pays. Dans leur viseur : une proposition de loi LR, actuellement en discussion au Parlement, visant à interdire les transitions de genre aux mineurs. « Ce débat ne devrait pas avoir lieu, estime la présidentedel’association,JuliaTorlet.Latransphobien’est plus seulement dite, elle est mise au vote. » Une charge non seulement antidémocratique, mais aussi antiscientifique. Carletexten’arrivepasauParlementparhasard.Plusieurs études récentes battent en brèche les certitudes des militants queer sur le traitement de la dysphorie de genre chez les adolescents. Ainsi le 17 février, le British Medical Journal a publié un article sur de jeunes Finnois souffrant de ce trouble, d’où il ressort qu’il n’y a pas moins de suicides parmi ceux qui ont eu recours à une chirurgie de réassignation sexuelle. Le 27 février, une étude néerlandaise a montré que, dans la plupart des cas, le trouble disparaît avec l’âge. Le 23 mars, la Mayo Clinic, un des hôpitaux les plus prestigieux des États-Unis, émettait une alerte contre les effets secondaires des bloqueurs de puberté, traitements auxquels certains médecins ont recours pour faciliter les transitions de genre. Enfin, le 9 avril, la détonante « enquête Cass » était publiée au Royaume-Uni. Menée par l’ancienne présidente du Collège royal de pédiatrie et fruit de quatre ans de recherche, sa recommandation la plus importante est que l’on cesse de soigner la dysphorie de genre chez l’adolescent avec des protocoles médicaux, et qu’on les remplace par de la psychothérapie. Sur les réseaux sociaux, la romancière J. K. Rowling, qui plaide depuis longtemps pour un encadrement des bloqueurs de puberté, a applaudi ces conclusions. Et si la mère de Harry Potter finissait par gagner contre le pot de fer ? • Transphobiescientifique ParJean-BaptisteRoques 8 D.R. – BERND VON JUTRCZENKA/DPA/AFP L’inflation fait des ravages ces dernières années, et n’épargne pas la restauration rapide. Mais pour contrer ce phénomène, la gauche allemande a une idée toute trouvée : plafonner le prix des kebabs. Le parti Die Linke (équivalent de LFI) n’est jamais à court d’idées farfelues et démagogiques pour tenter d’exister sur la scène politique nationale, et semble vouloir faire de ce sandwich turc, devenu une icône nationale outre-Rhin, une grande cause politique. Il faut dire que le prix de ce mets est aujourd’hui en moyenne de 7,90 euros, et parfois au-delà des 10 euros dans certaines grandes villes allemandes – soit le double d’il y a seulement trois ans. Une « Dönerflation » en partie provoquée par l’augmentation des coûts de main-d’œuvre, mais surtout des prix de l’énergie, l’Allemagne s’étant sabordée en la matière en fermant son parc nucléaire et en organisant méthodiquement, pour le gaz, une dépendance envers la Russie, dont on connaît désormais les conséquences fâcheuses. Pour Kathi Gebel, porte-parole de la politique de jeunesse du parti de gauche radicale, le prix des kebabs devrait être plafonné précisément à 4,90 euros, et même 2,90 euros pour les jeunes, le reste devant être à la charge de l’État, pour un coût de 4 milliards annuels. Mieux : le parti propose de distribuer des « bons kebabs » à certains foyers, sur critères de revenus. Un sujet qui est décidément d’actualité puisque fin avril, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, en voyage officiel en Turquie, s’était fait prendre en photo en train de savourer un délicieux döner kebab, s’attirant les foudres de la communauté turque en Allemagne, lui reprochant une forme de reductio ad kebabum. S’il est vrai que les clichés ont la vie dure, il est permis de douter que la proposition de la gauche sera approuvée au Bundestag, au demeurant quasi paralysé par une triple coalition bancale dont il ne sort rien de bien efficace depuis son élection fin 2021. • ParValentinChantereau En ce moment, sur TikTok, une vidéo remporte un certain succès : on y voit, dans une forêt, des femmes déchaînées frappant rageusement le sol avec des bouts de bois en poussant des hurlements. Cette vidéo promotionnelle a été postée par la « coach d’évolution personnelle » Mia Banducci alias Mia Magik. Cette autoproclamée « fée marraine spirituelle » organise en effet de réjouissantes « retraites » pastorales durant lesquelles ses « sœurs » peuvent « libérer leur colère » contre le patriarcat grâce à un… « rituel de rage ». Le déroulement de ce rituel, explique Mia Magik, est simple : les participantes rassemblent des bouts de bois en pensant aux personnes qui les ont contrariées ou blessées d’une manière ou d’une autre – naturellement, ces tourmenteurs sont essentiellement des hommes. Après une légère séance d’échauffement des bras et quelques vocalises, les filles se lâchent : danses de Saint-Guy et vociférations rythment la pulvérisation des bouts de bois sur le sol. Épuisée, chacune communie ensuite avec la nature en enlaçant un arbre ou sa voisine en sueur. Mia Magik montre l’exemple et participe activement à chacun de ces rituels qu’elle facture 220 dollars par tête de pipe. À ce tarif-là, la « prêtresse énergétique » Jessica Ricchetti ne veut pas être en reste : le 7 juin prochain, elle organise en Caroline du Nord un « rituel de Rage sacrée » lors d’une « retraite alchimique pour femmes » où il est prévu, après une prometteuse « cérémonie du Feu de la Femme sauvage », d’enseigner aussi bien « la Beauté de la Rage » que « la Sagesse de l’Ombre ». Programme chatoyant. En juillet, les Canadiennes auront droit elles aussi à leur « Cérémonie de la rage sacrée » mystico-primitive grâce à Secret Sanctuary, un espace communautaire situé en Alberta et proposant moyennant finances des « services de bien-être » – équilibrage des chakras, coaching spirituel, massage chamanique, etc. – ainsi que, ô progrès indiscutable, un hébergement spartiate avec des toilettes à compost. Et dire qu’il y a encore des ronchons atrabilaires pour penser que l’Occident décline. • Ôrage!Ôdésespoir! Kébabsd’État ParDidierDesrimais 9 Christophe ARCHAMBAULT/AFP On nous serine depuis longtemps que l’automatisation deviendra la norme dans la vie quotidienne. Modèle révolutionnaire il y a cinq ans, la caisse automatique dans les supermarchés était censée réduire le coût de la main-d’œuvre en remplaçant les salariés, et mettre fin au supplice de la fin des courses : l’attente dans les queues. L’engouement des enseignes pour cette technologie a été tel que, aujourd’hui, la proportion de magasins français ainsi équipés s’élève à 71 % selon une étude de NielsenIQ. Cependant, les caisses automatiques ne semblent plus destinées à grand-remplacer les salariés humains. Car la tendance est déjà en train de s’inverser aux États-Unis et au Royaume-Uni. Si, en 2020, la multinationale de la grande distribution Walmart inaugure des magasins uniquement dotés de caisses automatiques, à l’automne 2023, elles sont poussées vers la sortie. Désormais, Walmart supprime des caisses automatiques, ralliant d’autres grosses chaînes comme Giant Tiger. Certains points de vente sont même revenus au format traditionnel, avec seulement des caissiers humains. Ce retour en arrière s’explique en partie par les nuisances économiques engendrées, les vols étant très fréquents. En France aussi, le problème est récurHistoireenchaînée Patacaisses ParXavierLebas une « nourrice esclave » achetée à Saint-Domingue et libérée en 1793 par le Conseil général de la ville, il a notamment déclaré : « Trop longtemps, un voile a été jeté sur ce passé. […] Parce que nous regardons l’histoire en face, parce que nous voulons faire savoir, nous continuerons à mener la bataille de l’éducation. » De l’éducation, ou de la culpabilisation, voilà la question ? Dans cet esprit, il a tenu à annoncer la création d’un label spécifique « lieux de mémoire de l’esclavage ». Ainsi, « chacun saura, chacun verra, en arpentant nos rues, nos villes, les lieux où l’histoire de l’esclavage s’est écrite. Chacun pourra mieux se souvenir, mieux comprendre ». Et, je suppose, battre sa coulpe. Il a également annoncé l’organisation pour 2026 – le 25e anniversaire de la loi Taubira sur la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité – d’une « grande exposition nationale » sur ce thème. Pour ce rendez-vous mémoriel, je me permettrai une suggestion : qu’on place la manifestation sous la présidence d’honneur de l’Institut du monde arabe, avec en vedette, bien évidemment, son président à vie, Jack Lang. Juste pour rétablir les faits dans leur vérité et bien montrer au pays – au pays dans sa diversité – que, en matière de traite des êtres humains, le monde arabo-musulman fut un précurseur impitoyable et d’une efficacité terrifiante. Étrangement, de ce côté-là, la repentance se fait attendre. Le rendezvous de 2026 ne serait-il pas le moment idéal pour regarder aussi cette histoire-là en face ? • rent. Un agent de sécurité assure à France Télévisions, en mars : « [Certains clients] ne scannent que cinq produits, alors que dans le chariot il y en a au moins 30. On interpelle parfois pour 200, 100 euros. » Par-dessus le marché, les clients se plaignent du manque de contact humain, des bugs des caisses automatiques… Grand champion de l’automatisation, Amazon avait équipé la moitié des magasins physiques de sa chaîne d’épiceries de la technologie « Just Walk Out ». Cette dernière supprime complètement les caisses, remplacées par un système de caméras et de capteurs qui détectent les achats du client et les lui facturent automatiquement à sa sortie. Or, l’entreprise vient d’annoncer l’élimination progressive de ce système qui met en œuvre, non l’IA, mais 1 000 salariés en Inde chargés de suivre ce qui se passe dans chaque magasin. • Braves gens du beau pays de France, vous reprendrez bien une gorgée de repentance ? Cette fois, c’est Gabriel Attal, Premier ministre, qui y va de sa tournée. Le 15 mai, il se trouvait à La Rochelle où il présidait la « Journée des mémoires de l’esclavage et de leurs abolitions ». Danssondiscours,prononcéalléeAimé-Césairedevant la statue de l’artiste haïtien Filipo représentant Clarisse, ParDominiqueLabarrière 10 C OUP DE ROUG E ParOlivierDartigolles Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise. C haque jour, au petit matin, le premier message que j’envoie sur les réseaux sociaux est l’annonce d’une « bonne nouvelle ». Ce journal des actualités heureuses, dans une période qui ne l’est pas, a quelque chose de très incorrect. Mais comment ne pas voir, à l’aube, le pire de ce qui s’est passé la veille et le « pas terrible » qui s’annonce. Quand d’autres disent « ce pays est foutu » et en font la chronique quotidienne, quand Hadès, dieu de la mort et roi des enfers, semble être devenu le rédacteur en chef des ondes et des écrans, j’aime déchirer le rideau noir pour faire jaillir la lumière. Si cela n’est déjà fait, courez vers la salle de cinéma la plus proche pour prendre en plein cœur Un p’tit truc en plus d’Artus. « Clic, clic, pan, pan » (Yanns). Plus de 3 millions d’entrées les trois premières semaines : cela dit quoi de notre époque ? Et puis un livre, de Daniele Mencarelli, La Maison des regards (Globe). Bouleversant récit autobiographique d’un jeune poète, alcoolique, agent d’entretien dans le plus grand hôpital pédiatrique de Londres, qui va renaître grâce à des solidarités humaines taillées dans ce qui doit être le plus dur à supporter. Ou comment aller de la merde et de la mort à la beauté et à la vie. Je veux bien ici prendre date : les prochains Jeux olympiques auront la saveur de l’arrivée de la flamme à Marseille. C’était beau ! La cérémonie d’ouverture va clouer le bec à la basse-cour des « jamais contents ». Quant aux « carrément méchants », ils répondent à mes « bonnes nouvelles » du jour par des commentaires où la bêtise a rarement rendez-vous avec le Bescherelle. La question est ici celle d’une nouvelle espérance. Que peut-on seulement espérer ? Quel chemin emprunter pour aller du souhaitable au possible ? Dans la bataille culturelle et idéologique en cours, j’apprécie la confrontation des récits ! La manière de parler de l’avenir est essentielle. Elle devrait être au cœur des controverses et des disputes ! Les imaginaires devraient davantage être convoqués pour alimenter les débats médiatiques et politiques plutôt que pour faire la chronique permanente des faits avec, comme seul horizon, la prochaine alerte du fil de l’AFP. Qui annonce quoi ? Qui donnera le goût de l’avenir ou le dégoût de ce qui se produira ? C’est d’autant plus important que « nous sommes à l’ère de la communauté de destin de l’humanité, des problèmes fondamentaux de vie et de mort sont communs à tous les humains. L’universel est concret1 . » Dans mes « bonnes nouvelles » sur X (ex-Twitter) et Facebook, il m’arrive aussi de recopier une pépite comme ce « Si j’avais su que je l’aimais tant, je l’aurais aimé davantage » et « Faisons confiance aux événements, ils ne manqueront pas de se produire2 » ! Vous avez vous aussi de « bonnes nouvelles » ? Contactez-moi,jem’enferail’échoet,lesunesavec les autres, elles pourront même dégager l’horizon. Ou pas… • 1. Edgard Morin, Encore un moment…, Grasset, 2023. 2. Philippe Meyer, La prochaine fois, je vous l’écrirai…, Les Arènes, 2024. 11 © Crédit BULLETIND’ABONNEMENT 3 POSSIBILITÉS POUR VOUS ABONNER SUR INTERNET www.causeur.fr/boutique PAR COURRIER En nous envoyant ce formulaire avec votre règlement (chèque ou prélèvement SEPA) PAR TÉLÉPHONE 01 84 79 01 35 (DU LUNDI AU VENDREDI 9H30 - 17H) Sous enveloppe timbrée à : Causeur Abonnements 32 rue du Faubourg Poissonnière 75010 Paris Accompagné de votre règlement : Par chèque à l’ordre de Causeur.fr Je paye en une seule fois mon abonnement. Par prélèvement automatique (SEPA) Je serai prélevé mensuellement sur mon compte bancaire (résiliable à tout moment). Signature obligatoire pour autorisation de prélèvement 3. ENVOYEZ LE BULLETIN En application de la loi Informatique et libertés, les coordonnées demandées ci-dessus sont nécessaires à l‘enregistrement de votre commande. 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