CAUSEUR MAGAZINE n°131 - Page 10 - 131 2 Téléchargez l’application Causeur De nouveaux articles publiés tous les jours Les magazines disponibles hors connexion à lire ou à écouter Des notifications à chaque parution d’articles activables selon vos envies Cliquez pouraccéder aux modes lecture et audio Disponible surAndroid et iOS 3 L'ÉDITORIAL D'ÉLISABETH LÉVY LA FRANCE À CRAN D’ARRÊT ne promesse de vie humaine bafouée. Un jeune homme de 14 ans ne rentrera jamais de son entraînement de foot. Le 24 janvier, à Paris 14e , Elias a été poignardé à mort par deux barbares qui voulaient voler son portable. Victime de la cruauté à bas front de ses agresseurs (tous deux mineurs), mais aussi de la bêtise satisfaite des pouvoirs publics, parfaitement représentés en l’espèce par l’improbable Carine Petit, maire de cet arrondissement où les cités HLM assurent à Anne Hidalgo une élection sans risque. Un an plus tôt, une bande semait la terreur aux abords des deux stades du quartier. Ne croyez pas que notre bonne maire soit restée inactive face à ce qu’elle qualifie pudiquement de « signaux d’alerte » : « On a mobilisé tout le monde, on a mis des mots sur ce qui se passait. » Combattre l’ensauvagement en « mettant des mots », il fallait oser, c’est à ça qu’on les reconnaît. Soyons justes, il y a aussi eu des actes, dont la maire se félicitait en mars 2024. « En discutant avec les services sociaux et les associations sportives, on a identifié cinq jeunes. On leur a apporté un soutien éducatif, on a aidé leurs familles et depuis, tout va mieux. » Les deux meurtriers d’Elias faisaient partie des cinq jeunes. Sans surprise, la chaîne pénale s’était montrée tout aussi inefficace, une loi scélérate concoctée par Nicole Belloubet, présentée par Éric Dupond-Moretti et votée par l’Assemblée nationale ayant établi qu’on jugerait les mineurs plusieurs mois après les faits. De sorte qu’ils ne comprennent rien à la sanction et puissent dans l’intervalle entre un délit et sa sanction causer d’autres dégâts. Ou tuer. On savait que des bandes semaient la violence et on n’a rien fait. Pire, on a apporté à ces salopards « un soutien éducatif ». Un adolescent est mort à cause de l’idéologie de l’excuse propagée depuis quarante ans par le commentariat convenable, la sociologie d’État, les associatifs subventionnés, la gauche angélique. Cet adolescent pourrait être votre fils ou votre frère. Alors que les États-Unis et la Chine se disputent la maîtrise de l’intelligence à coups de milliards et de pucessuperpuissantes,l’EuropeetlaFrancesubissent un phénomène venu d’un autre âge et d’autres contrées, une multiplication des attaques à l’arme blanche qui peuvent frapper n’importe où, n’importe quand et n’importe qui. Certaines sont perpétrées au nom de l’islam, d’autres pour dépouiller la victime ou à cause d’un regard de travers. En quelques jours, un homme a été poignardé au cri de Allah Akhbar ! dans un supermarché d’Apt, un autre, agressé au couteau dans le métro de Lyon par un type qu’il avait bousculé. Sans oublier ce bébé de 2 ans tué par un Afghan dans une attaque au couteau dans le sud de l’Allemagne. Pour l’année scolaire 2023-24, on a recensé dans les seuls établissements parisiens 74 agressions au couteau dans les collèges, 38 dans les lycées, et 18 en primaire où les élèves ont moins de 11 ans. Encore une fois, ne croyez pas que l’État soit impuissant. Quelques jours après la mort d’Elias, la mairie de Paris lançait son « plan couteaux ». Le rectorat, les médiateurs de la capitale, la police municipale, la préfecture de police, le parquet et de nombreux professionnels de terrain (autrement dit des militants associatifs subventionnés) ont collectivement réfléchi à des « actions de sensibilisation et de prévention », je n’invente rien. Une vidéo intitulée « Ne mets pas ton couteau dans ta poche » sera diffusée dans chaque classe parisienne. Il est aussi prévu, sans rire, de distribuer des flyers pour expliquer aux élèves qu’ils ne doivent pas porter de couteau et d’organiser la venue dans les établissements de médiateurs ou de policiers – entre deux séances d’initiation à la transidentité on suppose. Enfin, la Mairie de Paris s’apprête à doubler les effectifs de l’équipe de médiation. Les voyous tremblent. On respire. Impuissantes à neutraliser les individus qui agressent ou tuent à l’arme blanche, incapables de les désigner parce qu’il ne faut pas stigmatiser, les institutions mèneront une guerre sans merci contre les couteaux. Un peu comme si, après l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, on avait mis en place une surveillance des camions. On pense à la ministre de l’Intérieur britannique qui, après la tuerie de Southport de l’été 2024, s’en est pris à Amazon sous prétexte que l’assassin de trois petites filles s’était procuré son couteau sur la plateforme. Il faut dénoncer sans attendre les agissements du BHV. L’accablement n’empêche pas la rage, il la décuple. Le 27 janvier, on apprenait dans Le Parisien que, dans le Colorado, un spectateur avait été tué par un marteau au cours d’une compétition de lancer dudit objet. Je ne sais pas ce que fait la police, mais j’exige que la Mairie de Paris, le ministère des Sports et l’ONU lancent immédiatement un « plan marteaux » pour que de tels drames ne se reproduisent pas. • U 4 Hannah Assouline 28 La ruée vers l'âge d'or John Gizzi 32 Le grand blond avec une chemise noire Robert Ménard 34 Et si on supprimait le CNRS ? Joseph François LATECHPASSE ÀDROITE 42 La guerre des nerds Élisabeth Lévy 3 La France à cran d'arrêt Élisabeth Lévy 10 Coup de rouge Olivier Dartigolles 12 Il y a une vie après l'Assemblée... Emmanuelle Ménard 14 Trouble allégeance Élisabeth Lévy 16 Franco-algériens : l'impasse victimaire Charles Rojzman 20 Une diaspora disputée Driss Ghali 24 L'autre ambassade d'Algérie Jean-Baptiste Roques 26 À la schlague Entretien avec Xavier Raufer Propos recueillis par Anne Lejoly et JeanBaptiste Roques SOMMAIRE N°131 – FÉVRIER 2025 Directeur de la publication Gil Mihaely Directrice de la rédaction Élisabeth Lévy Directeurs adjoints de la rédaction Jean-Baptiste Roques, Jeremy Stubbs Rédaction en chef Martin Pimentel (causeur.fr) Jonathan Siksou (culture) Rédaction Cyril Bennasar, Sami Biasoni, Jean Chauvet, Yannis Ezziadi, Alain Finkielkraut, Stéphane Germain, Jean-Luc Gréau, Pierre Lamalattie, Bérénice Levet, Patrick Mandon, Céline Pina. Correction Frédéric Baquet Secrétaire de rédaction Cécile Michel Ont participé à ce numéro Olivier Annichini, Jean-Paul Brighelli, Olivier Dartigolles, Jean-Michel Delacomptée, Didier Desrimais, Joseph François, Driss Ghali, John Gizzi, Gilles-William Goldnadel, Raphaël de Gubernatis, Anne Lejoly, Emmanuelle Ménard, Robert Ménard, Georgia Ray, Ivan Rioufol, Charles Rojzman, Vincent Roy, Emmanuel Tresmontant, Loup Viallet. Direction artistique Laurent Carré Iconographie Alexandre Denef Direction marketing et commerciale Marina Leroux Charles Lévy 01 84 79 01 35 Distribution MLP Gestion de la diffusion en points de vente BO Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha - oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 (contact points de vente) Abonnements et anciens numéros : https://boutique.causeur.fr/ 01 84 79 01 35 (Du lundi au vendredi 10h – 17h) ou clients@causeur.fr Impression Berger Levrault Graphique 2780, route de Villey Saint-Étienne 54200 Toul Images de couverture Midjourney/Causeur – Idir Hakim/SIPA Causeur est édité par Causeur.fr SAS au capital de 153 850 euros - RCS Paris Siret 504 830 969 00037 Naf 5814 Z. Dépôt légal à parution - ISSN 1966-6055. Commission paritaire : 0325 D 90295. Enregistrement CNIL 1296122. 32, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris 01 84 79 01 35 / info@causeur.fr www.causeur.fr 5 AP Photo/Evan Vucci/SIPA – Hannah Assouline 44 De la « high-tech » à la « right-tech » Gil Mihaely 48 Volte-face pragmatique Entretien avec Samuel Lafont Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques 50 La conversion de Mark Zuckerberg Loup Viallet 53 Les fausses pudeurs de la FrenchTech Loup Viallet 54 Elon Musk, vox populiste Jeremy Stubbs CULTURE& HUMEURS 60 « Je n’ai pas vu venir ce qui nous arrive » Entretien avec Guillaume Erner Propos recueillis par Élisabeth Lévy 64 Goldnadel moque les wokes Entretien avec Gilles-William Goldnadel Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques 67 La boîte du bouquiniste Vincent Roy 68 Le plaisir d'être trompé Georgia Ray 71 Se fondre dans l'histoire Jean-Michel Delacomptée 72 Les joyaux de l'Opéra Raphaël de Gubernatis 74 Malka après Voltaire et Voltaire après Dieu Jean-Paul Brighelli 76 Les ventres de Paris EmmanuelTresmontant 78 Tant qu'il y aura des films Jean Chauvet 80 Les carnets d'Ivan Rioufol 82 Des vessies pour des nazis Gilles-William Goldnadel Prochaine parution : le 5 mars 2025 6 Hannah Assouline – D.R. Les nouvelles du front démographique français révèlent l’aporie du (merveilleux) modèle social hexagonal : 663 000 naissances seulement en 2024. Autrement dit, 3,4 actifs pour un retraité en 1960 ; 1,35 aujourd’hui et, à ce rythme, moins d’un en 2050. Intenable ! Le maintien d’une retraite par répartition, déjà mis à mal par le vieillissement de la population, Si Jean-François Kahn, décédé le 22 janvier, est désormais au paradis, c’est un retour au bercail. C’est en effet dans un véritable éden qu’il a passé les premières années de son existence. Sous l’Occupation, Jean-François a vécu à la campagne, loin des horreurs de la guerre, dans la maison de sa grand-mère avec basse-cour et jardin, entourédesesfrèresmaissanssesparents,quihabitaient Paris. Toute sa vie, Kahn n’a eu de cesse de retrouver et partager cette douce France. Son arme principale était la part d’enfance qu’il avait gardée en lui et qui le rendait curieux de tout, obstiné, absorbé, voire habité par ses Soustutelle,vite! AdieuJean-François Kahn ParStéphaneGermain ParGilMihaely relève désormais, sans exagération, de la pure sciencefiction. Le taux d’épargne record de nos concitoyens prouve qu’ils en sont, in petto, conscients. Mais ils sont comme ces enfants qui font semblant de continuer à croire au Père Noël pour ne pas compromettre l’arrivée des cadeaux – la retraite le plus tôt possible. Que la majorité de la représentation nationale les conforte dans ce rêve démontre moins son incompétence que sa profonde lâcheté. Considérant comme impossible de se faire élire sur la promesse d’une réforme drastique des retraites (14,2 % du PIB chez nous, 10 % ailleurs, soit 120 milliards de moins !), nos élites ont adopté sur ce dossier, comme sur l’ensemble des dépenses publiques, une pensée de type chamanique : impossible est français. La mise sous tutelle par le FMI, la BCE (ou n’importe quel organisme de niveau BEPC) constitue désormais notre seul espoir crédible. Ce tuteur permettra de ramener les dépenses publiques dans la moyenne de la zone euro – soit 300 milliards d’économies nécessaires – et non 30 pourtant déjà introuvables selon nos chamanes. Mieux encore, elle donnera l’occasion à nos veules dirigeants de chouiner en expliquant au bon peuple que c’est pas de leur faute, que c’est les méchants du FMI qui les forcent à faire des réformes atroces. Au prix, certes, d’une ultime humiliation. Mais quand on s’est déjà fait virer de l’Afrique et qu’à Bruxelles on a plus de considération pour Malte que pour Paris, on n’est plus à une humiliation près. • projets. Ses livres et articles peuvent être lus comme une réflexion sur la crise profonde qui traverse les pays industrialisés. Le fondateur de L’Événement du jeudi, puis de Marianne cherchait à comprendre pourquoi l’Occident, malgré sa domination mondiale sur les plans économique et culturel, est en proie à une implacable remise en cause identitaire et morale. Il fut parmi les premiers, dès le début des années 1990, à pointer le prix exorbitant de la mondialisation et les méfaits du néolibéralisme. Mais derrière les analyses et les critiques, pointait toujours une certaine idée de la France, de la France vue comme un paradis. Républicain jusqu’au bout des ongles, Jean-François Kahn avait, comme Péguy, compris que la République n’est pas uniquement un régime ou une constitution, mais une foi, peut-être des mœurs. Il a donc fait le choix politique du centre refusant à la fois de croire au Père Noël, et de prétendre qu’il n’existe pas. Croire sans y croire, comme les Grecs croyaient en leurs dieux. Ce « en même temps » était tout sauf mièvre. Au contraire, il menait JFK à prendre dans ses journaux des positions hardies, à braver le consensus de ses pairs et à ne pas toujours brosser ses lecteurs dans le sens du poil. Kahn a inventé une manière iconoclaste, bagarreuse et joyeuse de faire son métier. C’est peu dire qu’elle nous a inspirés quand, sur une ligne certes bien différente, nous avons créé Causeur il y a dix-sept ans. Nous voilà endeuillés à présent. On ne perd pas tous les jours un grand frère. • 7 D.R. Aux États-Unis, de plus en plus d’hommes sont célibataires. Si certains le sont malgré eux, d’autres ont fait le choix d’éviter les possibles inconvénients d’une vie de couple régie par les nouvelles sommations féministes sur la répartition de la charge mentale et le partage des tâches domestiques. Bien sûr, certains jours, même le célibataire le plus endurci peut finir par regretter l’absence d’une épouse imaginée idéalement amoureuse, attentive et compréhensive. Le doute s’installe. L’homme s’interroge, hésite, finit par envisager la possibilité d’une vie de couple en bonne et due forme – avec tous les risques que cela comporte, selon lui. Que faire ? Que ne pas faire ? Un beau jour, une lueur d’espoir apparaît finalement sous la forme d’un prospectus publicitaire vantant les produits d’une entreprise ayant créé une gamme de robots humanoïdes issus de l’IA. « Pour faire face à l’étourdissante épidémie de solitude », Realbotix propose en effet des « robots-partenaires romantiques ». Pour 12 000 dollars, le client peut obtenir, pour l’installer par exemple sur la table de sa cuisine, le buste d’une ravissante jeune femme capable de converser avec lui pendant qu’il dîne. Le modèle de luxe – prévoir 175 000 dollars ! – bouge, parle, « se souvient de qui vous êtes, peut agir comme une petite amie et avoir des conversations de nature intime », assure Realbotix. L’entreprise de robotique affirmant, par ailleurs, pouvoir reproduire des célébrités, le célibataire se prend à rêver. Il imagine une idylle avec le sosie androïde d’une actrice qu’il admire. Il n’est d’ailleurs pas impossible que cela finisse par un mariage : « Dans les deux ou trois prochaines décennies, certains États, au moins aux États-Unis, autoriseront les mariages avec les robots », prédit David Levy, auteur du livre Love and Sex with Robots. Mais… des féministes radicales annoncent d’ores et déjà qu’elles veilleront à ce que ces nouveaux phénomènes ne perpétuent pas les « fantasmes sexuels agressifs » des hommes et les inégalités dans l’espace domestique. Décidément… • L’homme,ce romantique… ParDidierDesrimais Un personnel dont les grèves sont calquées sur le calendrier des fêtes et vacances, des tarifs extravagants… la SNCF ose tout, c’est même à ça qu’on la reconnaît. Sans gardes-barrières, elle s’accorde le permis de mal se conduire. Voici son dernier écart… Dans la Manche, à dix bornes de Cherbourg, se trouve un petit village, Couville, qui n’a jamais rien demandé ni jamais rien eu. Mais pour son malheur, au bout d’un champ qui limite la commune, les vaches regardent passer les trains… sur une voie en remblai couvrant une canalisation où s’écoule le Trotte-Bœuf, un ruisseau qui au fil du temps et de l’eau menace l’édifice. Sécurité oblige, la SNCF (via sa filiale SNCF Réseau) a réalisé des travaux, mais elle compte faire payer l’addition aux villageois ! La douloureuse s’élève à 1,1 million d’euros : pour Couville, 1 250 habitants, dont le budget annuel est de 820 000 euros, céder à une telle injonction reviendrait à s’endetter sur vingt-cinq ans, mettant notamment en péril la rénovation de l’école ! Son maire, Sédrick Gourdin, un ancien gendarme, estime que la SNCF déraille complètement à propos de cette canalisation : « Elle ne sert pas à la commune, elle ne sert pas aux agriculteurs, elle ne sert pas aux habitants. Elle ne sert qu’à la SNCF pour faire passer ses trains et pourtant on nous demande de payer. » Le plus fort, c’est que Couville n’est pas desserviparleréseau,laSNCFn’yayantjamaisfaitgare. Du coup, Gourdin tire la sonnette d’alarme et saisit la justice. En novembre 2023, la justice lui donne raison et renvoie la SNCF au terminus des prétentieux. Mais les gros bonnets de la SNCF ont la tête dure et, ajoutant au forfait grotesque un supplément bêtise, ils font appel. Las ! Le 17 janvier, la cour de Nantes a définitivement débouté la SNCF. Cette initiative malheureuse pour récupérer un petit million confirme que la SNCF est toujours sur une mauvaise voie : sa filiale SNCF Réseau affiche une dette de... 19 milliards d’euros, alors que l’État a déjà versé 35 milliards pour renflouer les caisses (25 milliards en 2020 et 10 en 2022) ! • La SNCF déraille ParOlivierAnnichini 8 D.R. – Vatican Mediai/SIPA Comment dit-on « gauche caviar » dans la langue de Dante ? En Italie, il existe une expression pour désigner les bonnes âmes qui donnent des leçons d’ouverture et d’humanité à la terre entière tout en restant bien protégées dans leur ghetto doré : le « parti ZTL », en référence aux zones à circulation limitée (Zona a traffico limitato), c’est-à-dire les centres historiques des grandes villes où vivent les classes aisées votant souvent à gauche. À Rome, l’une des ZTL les plus fameuses est la Cité du Vatican. D’une surface d’environ 500 hectares, c’est le plus petit État au monde, le moins peuplé (avec 500 habitants environ et 4 500 travailleurs étrangers), mais aussi le plus inégalitaire de la zone euro (son indice de Gini s’élevant à 0,35). Dans un décret du 19 décembre 2024, il vient de renforcer sa législation antimigrants. Désormais « quiconque entre sur le territoire de l’État de la Cité du Vatican par violence, menace ou tromperie » encourt un à quatre ans de prison, 10 000 à 25 000 euros d’amende ainsi qu’une interdiction d’entrée pour une période de dix ans. Peu de pays européens possèdent des règles aussi répressives en la matière… On ne manquera pas de remarquer que celles-ci sont en totale contradiction avec les beaux discours du chef d’État local, le pape François, qui depuis son élection en 2013, ne cesse d’appeler ses homologues à accueillir davantage de sans-papiers chez eux et ne manque jamais de rudoyer les Occidentaux xénophobes. Rappelons que le souverain pontife a si peu de respect pour le principe – pourtant souverain – de frontières nationales qu’en 2023, il déclarait, avant de se rendre dans la cité phocéenne : « J’irai à Marseille, mais pas en France. » Que dirait-il si un immigré clandestin affirmait, au moment de rentrer dans la basilique Saint-Pierre, qu’il se trouve certes à Rome, mais pas au Vatican ? En attendant, pas sûr que les gardes suisses soient sensibles à cet argument venu d’en haut. • ParJean-BaptisteRoques Pendant que dans les gazettes du monde entier, les plus fins esprits s’inquiètent de savoir si l’IA ne serait pas un brin woke ou un poil facho, certains pensent encore que les journalistes ont le pouvoir d’influer sur la marche du monde par leurs écrits. Malgré la signature de la charte déontologique de Munich, malgré les dénégations répétées et toutes les assurances données par les médias d’information quant à leur neutralité et leur rigueur, d’aucuns estiment qu’il leur arrive toujours d’être partiaux ! C’est le cas du milliardaire américain Patrick Soon-Shiong. Après avoir fait fortune dans les biotechnologies, il a racheté le Los Angeles Times en 2018 pour un demi-milliard de dollars. Pour s’attirer les bonnes grâces de Donald Trump, le magnat a refusé que son journal apporte son soutien à Kamala Harris l’année dernière, ce que souhaitait pourtant son comité éditorial. 20 000 lecteurs résilient alors leur abonnement. À présent, le fortuné propriétaire entend mesurer la partialité de ses journalistes en affichant un baromètre de l’objectivité (« bias meter ») sur chaque article du journal. « Nous voulons être une source d’information modérée et digne de confiance. La seule façon de survivre est de ne pas être la caisse de résonance d’un seul camp », se justifie le patron de ce titre réputé progressiste jusqu’alors. C’est à l’IA, une activité investie par ailleurs par M. Soon-Shiong, que sera confié cet affichage des biais des sources. Évidemment, les journalistes se sentent insultés. « Tous les membres du journal respectent les règles de déontologie qui exigent équité, rigueur et vigilance vis-à-vis des préjugés », s’est indigné leur syndicat professionnel dans un communiqué. Et au-delà de ces jérémiades prévisibles, il faut bien reconnaître que personne ne sait vraiment qui pourra garantir que le fameux baromètre est lui-même libre de tout biais… Quand nous bouclions notre propre journal, le dispositif n’était pas encore déployé sur le site. Et il n’était pas certain que lire le journal soit alors la priorité des Angelenos qui regardaient les incendies reprendre autour de leur ville sur leurs écrans de télévision. • Le Nutri-Scorede l’objectivité Grandcœurmaispastrop ParMartinPimentel 9 D.R. – Ranson Un des grands problèmes auxquels les démocraties occidentales font face, c’est celui de l’expulsion des criminels étrangers. Si la France connaît des taux d’exécution des OQTF très bas, le problème est aussi grave outre-Manche, où un humanitarisme excessif, dévoyé, entrave trop souvent le cours naturel de la justice. Ce verdict est illustré par l’histoire récente d’un violeur jamaïcain que le ministère de l’Intérieur considère comme un réel danger pour le public britannique. Lors d’une fête en 2018, l’homme, arrivé sur le sol anglais en 2001 à l’âge de 18 ans, a violé une femme qui s’était endormie sous l’influence de l’alcool. Au tribunal, sa défense a consisté à maintenir qu’il ne savait pas qu’avoir des relations sexuelles avec une personne qui dormait constituait un viol. Condamné à sept ans d’emprisonnement, il a été libéré précocement en 2021, mais a fait l’objet d’un ordre d’expulsion vers son pays d’origine. Il a contesté cette décision auprès d’un tribunal spécialisé dans des questions d’immigration et d’asile politique. En janvier, la presse a révélé qu’une magistrate de cette cour d’appel vient de lui donner raison Bienvenueauxvioleurs (immigrés) ! ParJeremyStubbs au motif qu’il serait… bisexuel. L’homme prétend avoir eu des relations avec des membres de son propre sexe avant de quitter sa terre natale. Bien que le ministère de l’Intérieur n’ait trouvé que des preuves de relations hétérosexuelles depuis son arrivée en Angleterre, et que la magistrate reconnaisse qu’il représente toujours une menace pour le sexe féminin au Royaume-Uni, elle a décidé que le risque qu’il soit persécuté pour sa prétendue bisexualité en Jamaïque, où les homosexuels sont souvent stigmatisés et brutalisés, primait sur le risque qu’il récidive en Grande-Bretagne. Selon le calcul humanitaire moderne, les droits humains d’un seul homme, s’il est immigré, sont plus importants que ceux de toute une population féminine. • 10 C OUP DE ROUG E ParOlivierDartigolles Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise. L ongtemps, j’ai pensé que cela ne changeraitjamais.Qu’ilseraittoujourspossible de dialoguer sans s’accorder sur tout. Au collège Jules Ferry à Langon (33), dans mon équipe de basket et à l’école de musique, j’ignorais la religion de mes copains. Le dimanche, à la table de mon grand-oncle, ancien résistant et déporté, maire et conseiller général communiste d’une terre entre Garonne et coteaux, se retrouvaient, autour d’une lamproie ou d’une alose, le curé de la paroisse et des barons de la droite locale. Dès son arrivée tonitruante, Robert Escarpit avait l’habitude de dévorer tous les chocolats. Quand je questionnais mon grand-oncle sur son dernier échangetéléphoniqueavecChaban-Delmas,ilavait toujours la même réponse : « Quelques souvenirs en commun. » Pour sa dernière campagne électorale, lors d’une soirée de collage d’affiches (on ajoutait du verre pilé à la colle pour ne pas être arraché par les concurrents), un militant du FN a arrêté sa voiture, baissé sa vitre et craché : « On aurait dû le fumer à Dachau. » Cela fut la seule morsure dans cette fin des années 1980 pour lesquelles j’éprouve tendresse et nostalgie. À l’université Michel de Montaigne, à Bordeaux, Sylvain était chiraquien, Patrick vaguement anar et Thomas se passionnait pour les radicaux valoisiens. Nos soirées de poker étaient animées. Quand nous perdions, avec nos verrespleinsetnosportefeuillesvides,Sylvainnous faisait crédit en inscrivant nos dettes sur un papier où nous devions apposer notre signature. Après, il s’agissait tout simplement de dérober le document. Ça gueulait un peu, puis on riait beaucoup. Aujourd’hui, que sont mes amis de droite devenus ? Si je n’ai pas aimé la soirée place de la République avec des crétins célébrant la mort de Jean-Marie Le Pen, j’ai rappelé lors de débats médiatiques le contenu précis de ce qui précédait et suivait le « détail ». « Je suis un passionné aussi par l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, je me pose un certain nombre de questions et je ne dis pas que les chambres à gaz n’ont pas existé, je n’ai pas pu moi-même en voir, je n’ai pas étudié spécialement la question. » Puis : « Ce n’est pas une vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire. C’est une obligation morale ? Je dis qu’il y a des historiens qui débattent de cette question. » Il n’emploie jamais le terme « génocide ». Quand on me répond que « le détail nous a beaucoup indignés mais il n’a eu aucune conséquence sur la vie des juifs », et qu’il ne faut aujourd’hui retenir de Le Pen qu’un « visionnaire » sur l’immigration ou la sécurité, cela m’apparaît tout simplement inacceptable. Est-il possible d’en discuter ? Pas vraiment. Je n’ai pas pu avoir de débat, pourtant légitime et indispensable, sur l’élection de Donald Trump, car cette « victoire culturelle » ne tarderait pas, m’a-t-on dit, à s’imposer dans le reste du monde occidental… J’ai vu quelques masques tomber. Fini la rigolade, on ne discute plus ! Le paradoxe est de les voir adopter exactement les mêmes comportements obtus et dogmatiques que ceux qu’ils n’ont cessé de pourfendre en parlant de France Inter et de la « bienpensance de gauche ». Siamois d’une même tragédie où le débat d’idées, l’altérité et la complexité sont remplacés par une fièvre permanente. Je déteste cette époque où chacun choisit ses sujets et ses victimes – et il m’arrive d’en faire autant –, où même la Star Academy, avec une finale entre Ebony et Marine, devient un espace d’affrontements identitaires. Que s’est-il passé ? « Ce sont amis que vent emporte Et il ventait devant ma porte Les emporta » Et avec eux, cette chronique. • 11 © Crédit BULLETIND’ABONNEMENT 3 POSSIBILITÉS POUR VOUS ABONNER SUR INTERNET www.causeur.fr/boutique PAR COURRIER En nous envoyant ce formulaire avec votre règlement (chèque ou prélèvement SEPA) PAR TÉLÉPHONE 01 84 79 01 35 (DU LUNDI AU VENDREDI 9H30 - 17H) Sous enveloppe timbrée à : Causeur Abonnements 32 rue du Faubourg Poissonnière 75010 Paris Accompagné de votre règlement : Par chèque à l’ordre de Causeur.fr Je paye en une seule fois mon abonnement. Par prélèvement automatique (SEPA) Je serai prélevé mensuellement sur mon compte bancaire (résiliable à tout moment). Signature obligatoire pour autorisation de prélèvement 3. 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