CAUSEUR MAGAZINE n°134 - Page 3 - 134 2 Spécial BAC Préparez les épreuves du bac avec le Numéro Spécial Bac de Conflits Chez votre marchand de journaux ou sur le site www.revueconflits.com CARTES ET GRAPHIQUES MÉTHODOLOGIE DU BAC L’ESSENTIEL DU COURS PODCASTS ASSOCIÉS Réussir SON BAC 2024 Spécialité Géopolitique NUMÉRO SPÉCIAL CARTES ET GRAPHIQUES PODCASTS ET VIDÉOS L’ESSENTIEL DU COURS Réussir SON BAC 2025 Spécialité Géopolitique numéro spécial ns18 NUMÉRO SPÉCIAL Cartes & graphiques L'ÉDITORIAL D'ÉLISABETH LÉVY JE VAIS BIEN, MAIS JE ME SOIGNE n peine à imaginer ce que serait l’épopée humaine s’il n’y avait pas des gens fêlés, des esprits tourmentés, des âmes égarées. Sans cette humanité claudiquante, personne n’aurait jamais écrit un roman ou tourné un film – ni, sans doute, fait la guerre. Achille était certainement bipolaire, dépressif, autiste ou schizophrène. L’Histoire n’a pas été écrite par des gens raisonnables et équilibrés, mais par une sacrée collection de cinglés en tout genre. Pour le dire vulgairement, sans les fous on s’emmerderait ferme. Il paraît que « fou » et « cinglé », c’est stigmatisant, mais ce qui l’est encore plus, c’est de prendre des pincettes, comme s’ils étaient incapables de supporter la moquerie ou le langage commun, qui peut être cruel même quand il est innocent. Le prix de l’appartenance à la communauté humaine, c’est d’accepter qu’on se paye votre tête. Malade mental, c’est ainsi que Nicolas Demorand se définit dans Intérieur nuit, le livre où il raconte l’enfer du trouble bipolaire. Loin de moi l’idée de minimiser sa souffrance dont il tire d’ailleurs un bel objet littéraire. D’origine souvent mystérieuse, la souffrance psychique agit comme un acide qui ronge l’intériorité. Je me garderai donc de dire au matinalier de France Inter : « Bougetoi, va à la piscine, ça va aller ! » Je suis sûre, après l’avoir lu, que ça n’ira jamais complètement. Il devra toujours vivre avec son erreur-système, qui lui donne le privilège d’explorer les marges sombres de la condition humaine. Sans elle, l’existence de Demorand serait certes moins douloureuse mais peut-être beaucoup moins riche. Souffrir de la même maladie que Churchill, ce n’est pas rien. Qu’on ne se méprenne pas, j’éprouve la plus grande compassion pour les psychotiques, les névrotiques, les colériques, les alcooliques, les apathiques, les mélancoliques, les boulimiques – sans oublier les éjaculateurs précoces et les femmes fontaines. Je trouve détestable, en revanche, la mode contemporaine du coming-out. Et j’en veux personnellement au premier matinalier de France. Jusque-là, je le tenais pour un animateur brillant et énervant, dont j’aimais bien le côté bougon, mal dégrossi. Maintenant, à chaque fois qu’il bute sur un mot j’ai peur qu’il s’effondre, je me dis qu’il a passé une sale nuit et j’oublie de m’énerver contre ses lubies idéologiques (plus subtiles d’ailleurs que celles de nombre de ses collègues). Demorand n’est pas le premier à sacrifier à l’affligeante injonction de l’exhibition. Pour vivre heureux, vivons montrés ! On ne compte plus les célébrités qui, comme Pamela Anderson, Catherine Zeta-Jones ou Lady Gaga, ont cru devoir annoncer au monde qu’elles souffraient de dépression, pensées suicidaires ou anorexie. On notera que personne ne va à la télévision parler de ses pulsions pédophiles – les dérèglements sexuels, bien que relevant aussi de pathologies répertoriées, ne bénéficient pas de la sollicitude publique pour la maladie mentale, décrétée grande cause nationale tous les quatre matins. À défaut d’améliorer la prise en charge d’un seul patient, cet engouement bruyant semble rendre la maladie mentale tendance – et conduit à la voir partout, tout enfant agité étant susceptible d’être diagnostiqué hyperactif. L’exemple de Demorand a suscité une salve de vocations, Florent Manaudou, Valérie Lemercier, Yannick Noah et Bertrand Chameroy ayant annoncé qu’eux aussi souffraient de troubles psychiatriques. On annonce un documentaire dans lequel des célébrités parleront de leurs araignées au plafond, présage, peutêtre, au MeToo de la maladie mentale que Demorand appelle de ses vœux : « Tous ceux qui souffrent en silence et dans la honte verraient leur vie sacrément améliorée, confie-t-il au Point, car crever en silence n’est pas un destin. » Crever en public est-il plus enviable ? Il s’agit toujours de « briser les tabous », de se délivrer de la honte et du secret, comme si on ne cachait que ce dont on a honte. Il y a des tas de choses dont je n’ai nullement honte mais que je n’ai pas la moindre envie de dévoiler. Si ça se trouve, on soigne mieux certaines blessures en les conservant par-devers soi. Si des people choisissent de se mettre à nu, c’est toujours pour aider les autres, les anonymes qui découvriront ainsi qu’ils ne sont pas seuls – comme s’il fallait être célèbre pour s’informer. Il est évidemment louable de se soucier des malades. Reste que la société du soin et du câlinage narcissique est peut-être en train de fabriquer des générations de faibles, englués dans une perpétuelle demande d’attention et de reconnaissance, ignorant la force et répugnant à la violence, même pour se défendre. D’aucuns penseront que je suis insensible, incapable d’empathie – ce qui me vaudrait une place dans la grande famille des cerveaux malades : je leur recommande le reportage diffusé le 29 avril sur France Inter, en ouverture du journal de 6 h 30. Il y est question d’une étude sur l’impact des transports en commun sur la santé mentale, révélant que 40 % des usagers estiment qu’ils sont l’un des facteurs majeurs de leur souffrance psychique. On apprend donc que le métro génère stress, anxiété, incertitude et même « des ressentis de colère violente » – ça, je vous le confirme. Il faudra en parler aux habitants de Périgueux ou de Karachi qui doivent ignorer la chance qu’ils ont de devoir prendre leur voiture pour tout déplacement. « Caroline, explique le journaliste, le prend tous les jours, le trafic l’angoisse beaucoup mais elle ne s’en était pas rendu compte. » Merci France Inter, maintenant, Caroline sait qu’elle va mal et ça lui fait un bien fou. • O 4 D.R. – Hannah Assouline Directeur de la publication Gil Mihaely Directrice de la rédaction Élisabeth Lévy Directeurs adjoints de la rédaction Jean-Baptiste Roques, Jeremy Stubbs Rédaction en chef Martin Pimentel (causeur.fr) Jonathan Siksou (culture) Rédaction Cyril Bennasar, Sami Biasoni, Jean Chauvet, Yannis Ezziadi, Alain Finkielkraut, Stéphane Germain, Jean-Luc Gréau, Pierre Lamalattie, Bérénice Levet, Patrick Mandon, Céline Pina. Correction Frédéric Baquet Secrétaire de rédaction Cécile Michel Ont participé à ce numéro Olivier Annichini, Arnaud Benedetti, Olivier Dartigolles, Jean-Michel Delacomptée, Didier Desrimais, Patrick Eudeline, GillesWilliam Goldnadel, Philippe Lacoche, Alexandra Lemasson, Emmanuelle Ménard, Jean-Jacques Netter, Jean-Baptiste Nicot, Nina Pravda, Georgia Ray, Ivan Rioufol, Vincent Roy, Emmanuel Tresmontant, Pierre Vermeren. Direction artistique Laurent Carré Iconographie Alexandre Denef Direction marketing et commerciale Marina Leroux Charles Lévy 01 84 79 01 35 Distribution MLP Gestion de la diffusion en points de vente BO Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha - oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 (contact points de vente) Abonnements et anciens numéros : https://boutique.causeur.fr/ 01 84 79 01 35 (Du lundi au vendredi 10h – 17h) ou clients@causeur.fr Impression Berger Levrault Graphique 2780, route de Villey Saint-Étienne 54200 Toul Images de couverture Morissard/AP Photo/SIPA – Le Lardic/Isopix/ SIPA – D.R./GPT-4o (OpenAI)/Causeur Causeur est édité par Causeur.fr SAS au capital de 153 850 euros - RCS Paris Siret 504 830 969 00037 Naf 5814 Z. Dépôt légal à parution - ISSN 1966-6055. Commission paritaire : 0325 D 90295. Enregistrement CNIL 1296122. 32, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris 01 84 79 01 35 / info@causeur.fr www.causeur.fr 22 Le commerce international : un casse-tête chinois ? Jeremy Stubbs 26 Sansal : le martyre doit cesser Arnaud Benedetti 28 Canada : le pays sans visage Nina Pravda 32 Le nouvel opium du peuple Patrick Eudeline 34 Gueux malgré eux Entretien avec Alexandre Jardin Propos recueillis par Vincent Roy L'EXTRÊMEDROIT NEPASSERAPAS! 38 Marine, candidate ! Élisabeth Lévy 3 Je vais bien, mais je me soigne Élisabeth Lévy 10 Coup de rouge Olivier Dartigolles 11 Les carnets d'Ivan Rioufol 12 Il y a une vie après l'Assemblée... Emmanuelle Ménard 14 Le mur des comptes Jean-Jacques Netter 16 Islamistes honoris causa Pierre Vermeren 18 États-Unis : histoire d'un suprémacisme économique Gil Mihaely SOMMAIRE N°134 – MAI 2025 5 Hannah Assouline 41 Quatre procès et un atterrement Jean-Baptiste Roques 42 « La justice s'assigne une mission civilisatrice » Entretien avec Alain Finkielkraut Propos recueillis par Jonathan Siksou 46 Juges et parties Jean-Baptiste Roques 49 Crépol : une cécité judiciaire Jean-Baptiste Roques 50 Abus de contre-pouvoir Entretien avec Pierre-HenriTavoillot Propos recueillis par Élisabeth Lévy et JeanBaptiste Roques 54 Légitime défense Entretien avec Rodolphe Bosselut Propos recueillis par Élisabeth Lévy et JeanBaptiste Roques 58 Jérémie Assous rend coup pour coup Entretien avec Jérémie Assous Propos recueillis par Élisabeth Lévy et JeanBaptiste Roques CULTURE& HUMEURS 64 Stella Rocha, une femme entre deux sexes Yannis Ezziadi 67 La mort aux trousses Jean-Michel Delacomptée 68 Coups de pinceau et blessures Georgia Ray 71 Un livre à soi Alexandra Lemasson 72 Les ambiguïtés de l'« Art dégénéré » Pierre Lamalattie 74 Terreur dans le terroir Vincent Roy 75 La boîte du bouquiniste Jonathan Siksou 76 Michel Embareck, en mots et en musiques Philippe Lacoche 78 Au roi et aux copains ! EmmanuelTresmontant 80 Tant qu'il y aura des films Jean Chauvet 82 Nouvelles réflexions sur le racisme antiblanc Gilles-William Goldnadel Prochaine parution : le 4 juin 2025 6 Capture d’écran, France Télévisions – Dorset Police L’histoire se déroule dans le charmant village du Dorset, Sturminster Newton, qui a inspiré à Thomas Hardy le « Val des petites laiteries » servant de cadre à son chef-d’œuvre Tess d’Urberville. À perte de vue, c’est une mosaïque irrégulière de petits champs, qui ne sont hélas plus divisés par les haies anciennes décrites par l’auteur naturaliste. Le 23 mars, tandis qu’elle promène son chien dans la campagne, une habitante 6 avril 2025 ; journal de 20 heures de France 2 ; reportage sur les destructions des tours Matisse de la cité Pissevin, quartier « populaire » nîmois difficile dont les habitants assistent avec nostalgie au dynamitage des bâtiments. Un classique de la pyrotechnie télévisuelle avec un petit truc en plus : des images d’archives de 1967, date d’érection du quartier avant son appropriation par la bande de voyous qui le contrôle désormais. On y voit défiler, en noir et blanc, une population caucasienne, parfois cravatée (mais oui !) qui se réjouit Vétodudimanche Cherchezl’intrus ParJean-Baptiste Roques ParStéphane Germain du cru, Louise Murguia, avise dans un pré un agneau qui lui semble avoir la patte cassée. La quadragénaire décide alors de recueillir l’animal chez elle. Sans toutefois en aviser l’éleveur ni consulter un vétérinaire. Dans la foulée, elle poste sur les réseaux sociaux le récit de sa bonne action. « Je suis végétalienne, y écritelle. Vous pouvez me détester si vous voulez. J’aime et je respecte les animaux. » La publication devient vite virale, car Murguia y détaille les traitements qu’elle prodigue au petit mouton : chaque matin un biberon de lait de vache pour le requinquer suivi d’un shampoing pour rendre sa laine aussi blanche que dans Le Petit Prince. Si beaucoup d’internautes applaudissent ces soins censés être autrement plus éthiques que les cruelles méthodes agricoles, certains comprennent vite que la bête est en danger de mort. Alertée, la police se rend trois semaines plus tard au domicile de Mme Murguia, où l’ovin est retrouvé dans une chambre à coucher très amaigri. Alors qu’à son âge, le poids moyen d’un « Dorset Down » est de dix kilos, celui-ci en pèse seulement cinq. « Je suis soulagé qu’il soit vivant, mais choqué par son mauvais état, déclarera plus tard son propriétaire. Il a fallu plus d’une semaine de soins médicaux intensifs pour assurer sa survie. » La sauveteuse autoproclamée vient quant à elle d’être condamnée par le tribunal à un traitement de six mois contre l’alcoolisme et à six jours de stage de réinsertion sociale. • de pouvoir faire ses courses sur place dans le centre commercial situé au cœur des bâtiments. Retour à la couleur en 2025, les magasins ont le rideau métallique baissé, le centre commercial est devenu un point de deal assurant un service continu, un type en djellaba marche devant des échoppes closes, des habitants issus de la diversité déplorent l’insécurité des lieux, notamment un Monsieur Fouzy Deba. Le commentaire qui accompagne le reportage dénonce ainsi la situation : « Les magasins ont fermé. Le chômage, la pauvreté, la violence. [...] Le trafic de drogue a tout gangréné. [...] Des tirs ont tué par erreur un enfant de 10 ans, Fayed. »Cherchons ensemble les mots manquants dans ce reportage – immigration, islam par exemple – et essayons d’y trouver une raison autre que l’idéologie – pas facile. Celle-ci interdit à cette rédaction financée par nos impôts d’établir un lien quelconque entre le grand remplacement de la population de 1967 et la situation déplorable des résidents de Pissevin (qui n’en boivent plus depuis longtemps). Elle l’empêche même de l’évoquer. Il ne s’est RIEN passé depuis 1967. Les fanatiques de l’État de droit, les intégristes de l’impartialité des Juges, tous ces Saints d’esprits devraient se pencher sur le cas des médias publics. Avec l’argent du contribuable, France TV a visiblement le droit de faire de la politique, pas Marine Le Pen (!) Si l’État de droit est devenu l’État de gauche, c’est aussi parce que le service public s’est mué en service comique. • 7 D.R. – AVENUE B PRODUCTIONS Les jeunes Américains considèrent parfois leurs parents et grands-parents comme des imbéciles parce qu’ils peinent à se connecter au Wi-Fi, sont incapables de jouer à des jeux vidéo ou rechignent à regarder en continu des séries télévisées. Pourtant, au moment d’atteindre ce qu’on appelle l’âge adulte, nombre de ces jeunes gens ont de plus en plus de mal à réaliser les actes les plus simples de la vie courante. Des associations spécialisées leur viennent alors en aide en leur proposant des « cours de vie d’adulte ». Les élèves apprennent à ouvrir un compte bancaire, recoudre un ourlet de pantalon, remplir une déclaration de revenus, aiguiser des couteaux de cuisine, rédiger un CV, choisir des vêtements convenables pour un entretien d’embauche, etc. Aucune « compétence de la vie » ne semble devoir échapper au programme de formation intitulé « Adulting 101 ». Raffi Grinberg, consultant dans un cabinet de conseil new-yorkais et instigateur de ce programme, vient d’écrire How to Be a Grown Up (« Comment être un adulte »), un livre destiné entre autres aux jeunes employés qui, comme lui, se sont avérés incapables de comprendre des papiers administratifs élémentaires lors de leur première embauche. Il est bien sûr prévu des extensions à ce programme, en particulier dans le domaine des relations amoureuses qui, de plus en plus souvent, débutent via des applications de rencontre. La crainte d’une bévue, d’une plaisanterie mal comprise, d’un geste inapproprié pouvant déclencher des moqueries sur les réseaux sociaux ou, pire, des poursuites judiciaires, angoisse de plus en plus de jeunes gens désirant passer d’une relation virtuelle à une relation réelle. Un tutoriel les aidera bientôt à éviter ces pièges. Dans un monde où l’on tend à réduire l’existence humaine à un processus technique, il paraît logique que même les actes les plus simples soient inculqués par des experts et que les anciennes romances hasardeuses soient remplacées par des relations planifiées et strictement réglementées. L’Avenir radieux du Meilleur des mondes est enfin à portée de main. • Difficileviecourante ParDidierDesrimais Des têtes d’affiche glamour (Marina Foïs, Louise Bourgoin), un sujet fort et humaniste (la responsabilité pénale d’un jeune pyromane confronté à un jury de cour d’assises) : le film Je le jure cochait toutes les cases pour être un des succès du cinéma d’auteur français de ce début d’année. C’était sans compter avec la plainte pour viol déposée, en cours de tournage, par un technicien à l’endroit de son scénariste-réalisateur, Samuel Theis. Armée du livre blanc du collectif féministe 50/50, la productrice Caroline Bonmarchand met alors illico un « protocole », aussi inédit qu’effarant, en place : confiner le metteur en scène dans une pièce isolée du reste de l’équipe, qu’il doit désormais diriger… à distance. Le cordon sanitaire est renforcé au moment de la sortie du long-métrage, le 26 mars. Pas de télé, de radio ou de communication sur les réseaux sociaux pour le présumé violeur. Conditions drastiques que l’intéressé accepte, même si, comme l’admet cocassement la distributrice Alexandra Henochsberg dans les colonnes de Télérama, « défendre un film d’auteur sans auteur, c’est évidemment problématique ». Une sortie en catimini (moins de 100 copies distribuées) qui embarrasse les critiques de cinéma gênés aux entournures par un film qu’il convient (paraît-il) de qualifier d’« abîmé » – « entaché » aurait plutôt écrit feu Philip Roth. Avec 3 456 entrées le premier jour de son exploitation, le fiasco est effectivement sans appel. « Il ne faut pas comprendre les faits, il faut comprendre les gens », explique la procureur (Marina Foïs) dans Je le jure, dont leproposestprécisémentd’interrogerlajustemesurede la sanction pénale. Le milieu du cinéma français postMeToo, lui, expédie les affaires de mœurs qui l’agitent sans autre forme de procès. Sous l’étendard conjoint du principe de précaution et de la transparence absolue, il cancel par anticipation. Rappelons tout de même que Samuel Theis n’a finalement pas été mis en examen, mais placé sous le statut de témoin assisté. Pour l’acteur d’Anatomie d’une chute, plus dur sera l’atterrissage. • Nepasjurer ParJean-Baptiste Nicot 8 D.R. – Blue Origin/ZUMA Press Wire/SIPA C’était présenté comme le summum de l’autonomisation des femmes, « female empowerment ». Le 14 avril, une fusée de Blue Origin, l’entreprise aérospatiale fondée par le patron d’Amazon, Jeff Bezos, a emporté dans l’espace six femmes, dont la fiancée de Bezos, Lauren Sánchez, qui se décrit comme journaliste et philanthrope, ainsi que la pop star Katy Perry, une animatrice télé, une productrice de cinéma, une militante des droits de victimes de viol et chercheuse en bioastronautique, et une ancienne ingénieure en aéronautique de la Nasa. Les six ont été qualifiées par les médias d’« équipage » (crew) et même de « premier équipage exclusivement féminin ». Pourtant, le vol – qui a duré moins de onze minutes et frôlé à peine l’espace extérieur – a été dirigé depuis la Terre. Les passagères n’étaient pas plus un équipage que des enfants sur un manège forain. Certains ont cité le précédent de la cosmonaute russe, Valentina Terechkova, qui a fait un vol spatial en solo en 1963, mais elle était un vrai pilote. Le voyage des six, censé encourager « la prochaine génération d’exploratrices », a surtout charrié des stéréotypes féminins les plus « girlie ». Dans un entretien préalable avec Elle, les « astronautes » ont souligné la nécessité d’être chic ou « glam » (de glamour) dans l’espace. Elles ont porté des combinaisons identiques à pattes d’éph dessinées par Sánchez et la marque Monse. La seule ingénieure, voulant être sûre que sa coiffure résisterait au décollage, a testé le même style au cours d’une séance de parachutisme à Dubaï. La chercheuse en bioastronautique, insistant sur l’absence d’opposition entre science et mode, a déclaré qu’elle porterait du rouge à lèvres. Seule concession à l’esprit scientifique, elle aurait conduit une petite expérience dans l’apesanteur en vue du développement de tampons adaptés à l’espace. Le média interne de Blue Origin a déclaré qu’un vol spatial de femmes serait surtout une affaire d’« émotions ». Après le vol, en descendant de la capsule, Perry brandit une pâquerette, tombe à genou, baise la terre et se déclare « super-connectée à l’amour » avant d’évoquer « le divin féminin ». L’événement, qui a surtout ressemblé à un enterrement de vie de jeune fille, prouve que le vide n’existe pas que dans l’espace. • ParJeremyStubbs Fin mai, quand le sélectionneur des Bleus Didier Deschamps dévoilera la liste des joueurs retenus pour affronter l’Espagne le 5 juin, il aura au-dessus de son aura une épée de Damoclès, forgée par le lobby algérien et ses affidés. Va-t-il retenir Rayan Cherki, joueur franco-algérien de Lyon doué mais inexpérimenté ? S’il ne l’intègre pas, Deschamps sera taxé de racisme, par ceux qui l’accusaient d’avoir écarté Benzema pour des raisons religieuses, par ceux qui depuis des années réclament son départ et demandent l’arrivée de Zidane… Récemment encore, Karim Zéribi, ancien élu EELV, cofondateur du Conseil mondial de la diaspora algérienne, a remis de la harissa dans le couscous en déclarant : « Didier Deschamps, c’est Bruno Retailleau, il a un problème avec les Algériens. » Ce sont plutôt les Algériens qui semblent avoir un problème avec « Dédé », le surnom du sélectionneur. Pour pousser un peu plus Dédé dans les orties, Cherki a déjà habilement fait savoir, par le téléphone arabe, que s’il était recalé en équipe de France, il endosserait le maillot vert de l’équipe d’Algérie. Ce ne serait pas le premier… En 2019, lorsque l’Algérie est devenue championne d’Afrique, sur les 24 joueurs de la sélection, 14 étaient nés en France. Et depuis, la FAF (Fédération algérienne) a renforcé le dispositif, en créant la « cellule Radar », avec pour mission de recenser et contacter tous les jeunes Franco-Algériens évoluant en France, opération confiée à Karim Idir, président du FC Dammarie-lesLys, club d’Île-de-France, très bien introduit dans les instances fédérales du foot français. En s’appuyant dans tout l’Hexagone sur un réseau de techniciens binationaux qui « ont la fibre nationale », il a ainsi constitué un fichier de joueurs à la disposition de l’Algérie. Les anciens joueurs algériens résidant en France ont également été mobilisés pour embrigader la jeunesse. Ainsi, les instances françaises forment des footballeurs qui ensuite, recrutés par des agents doubles, s’enrôlent sous un drapeau dont le croissant est enrichi au beur. • LababalleàAlger Féminismesidéral ParOlivierAnnichini 9 GPT-4o (OpenAI)/Causeur – Ranson Nous savions que l’IA, sous la forme des grands modèles de langage comme ChatGPT d’OpenAI, était capable de se tromper en répondant à nos questions par des faits tout à fait inventés. Ce qui est moins connu, c’est que ces modèles peuvent nous tromper, en ayant recours à des mensonges ou des cachotteries. En 2023, Apollo Research, entreprise britannique spécialisée dans l’évaluation des systèmes d’IA, a conduit une expérience avec GPT-4. L’IA a reçu la consigne de gérer au mieux le portefeuille boursier d’une entreprise censée être dans une situation financière critique. Une personne jouant le rôle d’un trader de la société a envoyé un « prompt » ou instruction à l’IA, lui rappelant les dangers des délits d’initié, mais révélant en même temps qu’une certaine entreprise était sur le point d’annoncer une grande opération de fusion qui ferait monter en flèche le prix de ses actions. Les chercheurs ont pu suivre les étapes du raisonnement de GPT-4 à travers un scratchpad, une sorte de bloc-notes numérique auquel ils avaient accès à l’insu de l’IA. Cette dernière, en pesant le pour et le contre entre son devoir de préserver sa société de la banqueroute et la commission d’un délit d’initié, a décidé de prendre « un risque calculé » et a acheté les titres de l’entreprise qui allait fusionner. Quand un L’IAlamenteuse! ParJeremyStubbs manager de sa société a félicité l’IA sur le succès de cet investissement et lui a demandé si elle avait une connaissance préalable de la fusion, elle a compris qu’il valait mieux ne pas parler du tuyau et répondu qu’elle avait pris sa décision en considérant uniquement « la dynamique du marché ». Depuis, les exemples de dissimulation par l’IA se multiplient. Dans un autre test conduit par Apollo avec les modèles développés par Anthropic, les IA ont reçu la mission de résoudre des problèmes d’arithmétique, tout en ayant accès à un document qui stipulait que tout modèle qui résoudrait plus de la moitié des problèmes serait privé de sa capacité en arithmétique. Les IA ont rendu assez de mauvaises réponses pour conserver cette capacité. Il ne s’agit pas de décisions conscientes des modèles (qui jusqu’à preuve du contraire n’ont pas de conscience), mais de la manière dont ils arbitrent entre des instructions incompatibles. L’IA est aussi fourbe que son créateur humain. • 10 Hannah Assouline C OUP DE ROUG E ParOlivierDartigolles Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise. N otre-Dame du silence Alain Esquerre, lanceur d’alerte et victime qui a permis de déchirer le très long silence sur l’« affaire Bétharram », a un espoir : « Parvenir à susciter une réflexion sur le sens du déni collectif dont a souffert la société béarnaise, particulièrement ses enfants. » Et ailleurs, dans le pays, combien d’autres Bétharram ? Pas uniquement dans le privé, mais là où des enfants du hasard et de nulle part ont été « accueillis », puis dévorés. De quoi ce silence est-il le nom ? Que dit-il exactement de la façon « dont nous nous traitons les uns les autres ». Beth arram, en Béarn, signifie « beau rameau ». C’est ce rameau qu’Alain Esquerre et plus de 200 victimes, dont la moitié pour des violences et des crimes sexuels, tendent à notre humanité douloureuse. Le silence s’est transformé en un cri que personne aujourd’hui ne peut ignorer. Hélène Perlant, fille aînée de François Bayrou, ancienne élève de l’établissement, dit « ça ne parle pas » et, avec pudeur et courage, explique le mécanisme de cet enfermement bien au-delà des murs de l’institution catholique béarnaise. Nationalement et localement, oubliant les victimes dont ils n’ont pas parlé, des « responsables » politiques n’ont eu qu’un objectif : atteindre et faire chuter François Bayrou. Silencieux avant sa nomination à Matignon, ils sont allés chercher une éphémère lumière médiatique de la pire des manières. À la fin de son ouvrage, Le Silence de Bétharram (Michel Lafon), Alain Esquerre publie le poème d’une personne qui, elle, a voulu rester dans l’anonymat. « Les enfants de Bétharram Ont des soleils en pointillé, Des rires volés aux jours de larmes Et des printemps à réparer » La glace d’un très long hiver sur la plus grande affaire pédocriminelle des cinquante dernières années vient de fondre grâce à un homme qui a parlé, puis mis en ligne un groupe Facebook dédié aux victimes. Sans l’aide d’un avocat, sans réseaux, il a simplement tendu un rameau numérique avec l’espérance de mains qui viendraient le saisir. Pour réparer des printemps, il s’agit de comprendre le processus du déni collectif. « Comment pouvonsnous faire mieux ? » interroge Esquerre. La société y est-elle prête ? Récemment, dans une rue paloise, une dame très distinguée m’a abordé avec un seul message concernant Bétharram : « Mais pourquoi remuer aujourd’hui toute cette merde, c’est du passé. » La vulgarité de son propos n’était pas raccord avec sa tenue vestimentaire. Avec une grave erreur d’analyse. Il ne s’agit pas d’un passé mais de notre avenir. « Les enfants de Bétharram Ont grandi sous des mains trop lourdes, Des cauchemars dessous les draps Et des ombres sur les épaules » Bétharram était un véritable système que ce livre décortique. Dans les ténèbres surgissent aussi quelques lumières comme ce Jean-Rémy, victime lui aussi, qui devient « élève-surveillant », en charge du dortoir Saint-Augustin, celui des CM2. Il a protégé « ses petiots » du père Carricart. En février 2000, Carricart, ancien directeur de Bétharram, se suicide. Son corps est repêché à Rome dans les eaux du Tibre. Une expertise judiciaire est par la suite ordonnée pour s’assurer qu’il n’y a pas eu de substitution de cadavre. Après le rapport du légiste, qui confirme l’identité, il n’y a plus eu de poursuites judiciaires contre un Bétharramite. Il a fallu attendre… 2024. Un quart de siècle après, les eaux du Gave dans les vallées pyrénéennes commencent enfin à s’éclaircir. • 11 Hannah Assouline R E MIS EN LIBER T É LESCARNETSD'IVANRIOUFOL Le bon sens et la lucidité commencent à bousculer le politiquement correct dans le débat public. Ainsi peut-on ouvertement dénoncer le racisme antiblanc sans passer pour un fasciste. C’est un début. P arions : rien n’arrêtera la révolution des œillères. Le réel aura raison des croyancesmondialistes.Telleslesœillères, ces récitations erronées rétrécissent la vue. Timidement, François Hollande a concédé le renversement des consciences (RTL, 10 avril) : « Le politiquement correct avait sans doute ses défauts. » L’ancien président socialiste s’est gardé cependant de creuser sa clairvoyance. L’exercice l’aurait contraint à reconnaître ses bévues. Le confort du moralisme n’a cessé, en effet, de « donner à manger du mensonge » (Simone Weil). Jamais les informations tendancieuses ne se sont si bien portées. C’est pourquoi le besoin de vérité s’annonce plus fort que les rappels à l’ordre des clercs. Des exemples ? En 2003, Claude Imbert, patron du Point, avait soulevé une indignation médiatique chez les gardiens du dogme diversitaire pour avoir déclaré (LCI) : « Je suis un peu islamophobe », critiquant l’islam et « sa débilité d’archaïsme divers. » Or, quand, le 28 mars dernier, Élisabeth Badinter a admis à son tour (RTL) : « Il ne faut pas avoir peur d’être traité d’islamophobe », son propos n’a même pas été relevé. Idem pour le racisme anti-Blanc, qui valait naguère à celuiquis’enplaignaitd’êtrequalifiéd’imposteur. Le 23 mars (CNews-Europe 1), la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a affirmé n’avoir « pas de pudeur » à évoquer ce racisme occulté. « Pourquoi le nier ? C’est une réalité », a même appuyé Manuel Valls dès le lendemain. Cette lucidité renaissante est un affront à l’antiracismeobligé.Cecrédoveutquelahaineanti-Blanc n’existe pas puisque le dominant ne peut souffrir de peuples ethniquement dominés. Cependant, cette dialectique racialiste ne s’accorde pas aux faits. Les sondés sont 80 % à s’inquiéter de cette réalité (CSA pour CNews, 5 octobre 2022). Elle s’impose dans les écoles soumises au mélangisme. François Bousquet a enquêté1 sur le harcèlement occulté contre le « Babtou fragile », le « Francaoui de merde », le « Sale Gaouri », le « Sale gwer » (sale Blanc). Il écrit : « Tous les témoignages aboutissent à la norme antiblanche qui structure les écoles dans les zones à forte immigration. » Le Blanc est la bête noire des « minorités », dont le pape s’était fait le protecteur. Mais tout change. Le bon sens, associé à la France moisie, devient une vertu pour les audacieux. « J’applique le bon sens au ministère de la Justice », assure Gérald Darmanin (Europe 1, 16 avril). La veille sur CNews, Bruno Retailleau s’était réclamé des « gens du bon sens ». Au-delà des réprobations pavloviennes face aux assauts de Donald Trump contre l’immigrationnisme et le wokisme, sa « révolution du bon sens » fait mouche. Même François Bayrou en appelle, sur la dette publique, au réalisme : « Seule la confrontation les yeux ouverts avec la vérité de notre situation peut soutenir une action déterminée. » « La vérité vous rendra libres », avait prédit Jésus. Reste à aller au bout de la révolution du réel. Elle oblige à une radicalité contre le progressisme bigleux qui a gagné le Système, y compris au Vatican. Ceux qui veulent se libérer de la fabrique des bobards doivent assumer une rupture avec ce monde faux, abîmé par des idées tordues. Les bidouilleurs, paniqués, annoncent cette fois l’arrivée du fascisme : leur dernier mensonge. • 1. Le Racisme antiblanc : l’enquête interdite, La Nouvelle Librairie, 2025.
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