CAUSEUR MAGAZINE n°132 - Page 2 - 132 2 CO-ANIMÉ PAR JEREMY STUBBS CÉLINE PINA & Une fois par semaine, 30 minutes d’échange avec des invités sur l’actualité Retrouvez nos podcasts en ligne sur causeur.fr et sur l’ensemble des plateformes : 3 L'ÉDITORIAL D'ÉLISABETH LÉVY LUCET IN THE SKY WITH DIAMONDS n connaît la formule de Guy Debord : « Je ne suis pas un journaliste de gauche. Je ne dénonce jamais personne. » On en déduit aisément qu’un journaliste de gauche se reconnaît à ce qu’il dénonce à tour de bras. Sauf qu’en langue progressiste, on ne dit plus « dénoncer » (qui sonne moins bon citoyen qu’au temps des soviets), mais « libérer sa parole » ou « lancer l’alerte ». La gauche qui vomit la police est habitée par un esprit policier qui sévit tous azimuts, de la chambre à coucher à la machine à café. Il y a cinquante ans, elle défendait joyeusement le sexe, le blasphème et la drogue. Les héritiers de Woodstock traquent inlassablement la blague grivoise, le dérapage islamophobe et le fumeur de joints. Lequel est d’ailleurs l’objet d’une détestation symétrique de la droite. Personne n’imagine Éric Piolle se droguant, ni d’ailleurs rigolant. Début février, après l’affaire du député insoumis pincé en train d’acheter de la 3-MMC (drogue de synthèse qui fait fureur) à un mineur, le maire de Grenoble, qui laisse le narcotrafic ravager sa ville parce qu’il est allergique aux caméras de sécurité et à l’armement de la police municipale, propose de soumettre parlementaires et ministres à des tests aléatoires et anonymes de recherche de stupéfiants. Histoire de savoir si les élus qui votent des lois antidrogue consomment de la drogue – ce qui prouverait enfin que l’Assemblée est à l’image de la population. Élise Lucet accommode cette brillante idée à sa sauce. Il faut dire que, dans le genre « je suis le flic de mon frère », on n’a pas inventé mieux que la madone des ménagères reconvertie sur le tard en passionaria style « Occupy Wall Street ». Notre Erin Brockovich nationale (on a ce qu’on mérite) n’a pas inventé la poudre, mais elle a un toupet à toute épreuve, convaincue qu’elle est d’avoir le droit de tout savoir sur ses concitoyens. Elle se pointe à l’Assemblée, sommant les élus qu’elle croise de se soumettre à un test de dépistage de stupéfiants : « Il suffit d’humidifier cette languette avec votre salive et dans dix minutes, on saura si vous avez pris du cannabis, de la cocaïne, de l’héroïne ou de l’ectasy. » D’après l’excellent Erwan Seznec du Point, aucun test ne permet de détecter toutes ces substances mais peu importe, buzz garanti. Alors qu’elle brandit ses languettes de plastique vert et blanc, son sourire de tricoteuse carnassière fait froid dans le dos. En voilà une qu’on n’aurait pas aimé croiser sous Staline. Le pire, c’est que si certains protestent contre cette inquisition à la fois grotesque et terrifiante, suggérant à la dame d’aller plutôt tester sa rédaction, d’autres jouent le jeu, trop heureux de cette occasion facile d’exhiber leur vertu, notamment Olivier Faure qui se fend d’une blague pourrie sur la politique, sa seule drogue dure, et l’insoumis David Guiraud qui carbure plutôt à la haine antisém… pardon, antisioniste. Sur les plateaux de télé, on assiste à un défilé d’élus et de ministres empressés de se faire dépister pour faire savoir au peuple, qui n’en demande pas tant, qu’eux aussi sont clean. Ils devraient se méfier : si on exige de nos gouvernants une moralité impeccable et une vie irréprochable, pourquoi s’arrêter à la drogue ? On attend avec impatience qu’Élise Lucet invite à confesse les élus qui trompent leur conjoint ou ceux qui matent du porno (j’ai peine à croire qu’il y en ait). On pense à Benoît Hamon qui, commentant le placement sous écoute téléphonique de Nicolas Sarkozy et de son avocat, avait lâché cet aveu glaçant : « Quand on n’a rien à se reprocher, il n’y a aucun problème à être mis sous écoute. » Autrement dit, si vous refusez d’être surveillé, c’est que vous êtes coupable. Soyons clairs, c’est très mal de se droguer. Ça détruit la santé, ça bousille le cerveau, ça détraque l’humeur et ça alimente un narcotrafic devenu un risque majeur pour la sécurité nationale. Si vous connaissez quelqu’un qui ne fait jamais rien de mal, surtout ne me le présentez pas, il doit être ennuyeux à périr. Quand on n’a rien à cacher, on n’a rien à montrer. La condition humaine est pétrie de malodorants petits secrets. À part les saints, personne ne mène une existence totalement accordée à ses convictions. Il y a des écolos qui prennent l’avion, des cancérologues qui fument, des gauchistes qui inscrivent leurs enfants à l’École alsacienne. C’est plutôt rassurant. La vie privée, une des plus grandes conquêtes de l’humanité, est ce lieu où on a le droit d’être ce qu’on est, des êtres imparfaits, faillibles, bourrés de contradictions, vulnérables à la tentation. Même quand on est ministre. Nul n’a l’obligation de se montrer tel qu’il est à ses contemporains. Le mensonge est un droit de l’homme – et accessoirement l’huile dans les rouages de la vie sociale. Que dame Lucet se rassure. Une journée à l’Assemblée suffit pour s’en convaincre, les élus n’ont pas besoin de substances prohibées pour raconter des craques. Ou alors, c’est qu’elle est vraiment très bonne. • O Directeur de la publication Gil Mihaely Directrice de la rédaction Élisabeth Lévy Directeurs adjoints de la rédaction Jean-Baptiste Roques, Jeremy Stubbs Rédaction en chef Martin Pimentel (causeur.fr) Jonathan Siksou (culture) Rédaction Cyril Bennasar, Sami Biasoni, Jean Chauvet, Yannis Ezziadi, Alain Finkielkraut, Stéphane Germain, Jean-Luc Gréau, Pierre Lamalattie, Bérénice Levet, Patrick Mandon, Céline Pina. Correction Frédéric Baquet Secrétaire de rédaction Cécile Michel Ont participé à ce numéro acques Aboucaya, Olivier Annichini, Olivier Dartigolles, Emmanuel Domont, Pierre-Jean Doriol, Gilles-William Goldnadel, Philippe Lacoche, Alexandra Lemasson, Marie Lang, Joseph Macé-Scaron, Emmanuelle Ménard, Robert Ménard, Frederic de Natal, Jean-Jacques Natter, Laurent Nerveux, Georgia Ray, Ivan Rioufol, Vincent Roy, Julien San Frax, Jean-Éric Schoettl, Emmanuel Tresmontant. Direction artistique Laurent Carré Iconographie Alexandre Denef Direction marketing et commerciale Marina Leroux Charles Lévy 01 84 79 01 35 Distribution MLP Gestion de la diffusion en points de vente BO Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha - oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 (contact points de vente) Abonnements et anciens numéros : https://boutique.causeur.fr/ 01 84 79 01 35 (Du lundi au vendredi 10h – 17h) ou clients@causeur.fr Impression Berger Levrault Graphique 2780, route de Villey Saint-Étienne 54200 Toul Images de couverture MPP/SIPA – Stéphane Allaman/SIPA – Otium CapitalA Causeur est édité par Causeur.fr SAS au capital de 153 850 euros - RCS Paris Siret 504 830 969 00037 Naf 5814 Z. Dépôt légal à parution - ISSN 1966-6055. Commission paritaire : 0325 D 90295. Enregistrement CNIL 1296122. 32, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris 01 84 79 01 35 / info@causeur.fr www.causeur.fr 4 Alain Robert/SIPA – Pierre Villard/SIPA 24 Dans le mur de l'État de droit Jean-Éric Schoettl 26 Richard Ferrand : Fidèle casté Joseph Macé-Scaron 28 Ukraine : une guerre pour rien ? Entretien avec Pierre Lellouche Propos recueillis par Gil Mihaely 32 Frères musulmans : la déferlante Entretien avec Michaël Prazan Propos recueillis par Élisabeth Lévy 36 Vietnamien, le migrant qui vous veut du bien Marie Lang 38 Australie : « zéro chance » pour les clandestins Pierre-Jean Doriel 3 Lucet in the Sky With Diamonds Élisabeth Lévy 10 Coup de rouge Olivier Dartigolles 11 Les carnets d'Ivan Rioufol 12 Il y a une vie après l'Assemblée... Emmanuelle Ménard 14 Le mur des comptes Jean-Jacques Netter 16 L’État de droit, c’est plus fort que toi ! Élisabeth Lévy 19 Le fou rire et l'effroi Robert Ménard 20 L'Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ? Laurent Nerveux SOMMAIRE N°132 – MARS 2025 5 Anthony DEHEZ/REA/Otium Capital – Vera Su MERCIPATRONS! 42 Le blues du businessman Jean-Baptiste Roques 44 La start-up nation, c'est lui ! Entretien avec Pierre-Édouard Stérin Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques 46 Sinistrose Stéphane Germain 48 Au royaume des envieux Jeremy Stubbs 50 Ras-le-bol de tapiner pour l'État ! Un entrepreneur en colère 52 « La crise française est une coproduction de la classe politique et du patronnat » Entretien avec Pierre Vermeren Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques 54 « François Bayrou n'a pas conscience du mal qu'il fait à l'économie » Entretien avec Sophie de Menthon Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques CULTURE& HUMEURS 58 Georges Liébert, l'indomptable Élisabeth Lévy 60 « Django Reinhardt a révélé notre peuple » Entretien avec Angelo Debarre Propos recueillis parYannis Ezziadi 64 « Elles » ou la cuisse Georgia Ray 67 L'ambivalent Monsieur Hugo Vincent Roy 68 Jean le Gall, de la liberté d'éditer Emmanuel Domont 71 La boîte du bouquiniste Jacques Aboucaya 72 Patrick Besson : pas de quartier ! Philippe Lacoche 73 Mystérieux Murakami Alexandra Lemasson 76 Odyssée versTrinidad Julien San Frax 78 SOS Bordeaux EmmanuelTresmontant 80 Tant qu'il y aura des films Jean Chauvet 82 Berlin, Mulhouse, Gaza, même combat Gilles-William Goldnadel Prochaine parution : le 2 avril 2025 6 D.R. – Comité français de l’UICN Vitry-sur-Seine nous a estomaqués avec les images de son marché exotique où la viande se débite sur le pavé et la volaille se saigne sur le trottoir. Depuis des années, le maire PCF de Vitry essaie de le démanteler, parce que ce marché sauvage contrevient à toutes les règles économiquesetsanitaires.Cen’estpasuneexception.ÀParis, le marché interlope de Château-Rouge reste une référence. Marseille, Lyon, Toulouse ou Montpellier sont Il aura fallu un simple post d’Elon Musk le 6 février, pour que la presse britannique se penche sur cette affaire révélée par le Daily Telegraph. Depuis 2022, une exposition du musée des Sciences de Londres sur « les histoires et les expériences des communautés queer » explique aux visiteurs que les Lego sont anti-LGBT. Le principe de ce jeu consiste en effet à emboîter des briques en plastique les unes dans les autres en « accouplant»,pourreprendrelesmotsdufabricant,desparties « mâles » dans des parties « femelles ». À en croire les commissaires de l’exposition, cette terminologie a pour Spécialités trèslocales De briquesetdewokes ParOlivierAnnichini ParJean-Baptiste Roques confrontés au même problème… Sur ces marchés noirs, la communauté africaine peut dénicher des spécialités qui lui rappellent le pays : pangolin, singe, antilope, agouti, serpent… C’est ce qu’on appelle la viande de brousse. Les douanes font la chasse aux trafiquants, qui profitent des liaisons aériennes entre l’Afrique et Paris pour importer cette viande d’appellation incontrôlée dans leurs bagages. En 2023, 24 tonnes ont été saisies… C’est maigre, car il est impossible de contrôler tous les passagers. L’an dernier, une mission interministérielle sur la lutte contre l’importation illégale de « produits carnés » a estimé que 273 tonnes de viande d’espèces sauvages seraient illégalement importées chaque année depuis l’Afrique via l’aéroport de RoissyCharles-de-Gaulle. Et souligné le risque sanitaire. Ces sales bêtes, même mortes, véhiculent des maladies qui – comme l’Ebola ou le sida – franchissent allégrement la barrière des espèces pour contaminer l’homme. La mission a également dénoncé la complicité des compagnies assurant le trafic aérien avec l’Afrique, qui pour le prix d’un seul billet, offrent aux passagers la possibilité d’embarquer deux bagages de 23 kg, le second servant souvent de garde-manger. La solution serait de limiter les bagages. Air France a immédiatement fait savoir qu’elle s’opposait à une telle mesure, « nuisible à sa compétitivité ». En tolérant la valise « alimentaire », la compagnie assure ainsi l’immunité à une chair pourtant pas toujours très fraîche… • effet délétère de formater l’esprit des enfants en induisant une vision du monde « hétéro-normée ». À quoi il faut bien sûr ajouter la micro-agression qu’elle constitue pour toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans ce schéma de vie odieusement classique. À ce compte-là, les échecs sont racistes puisqu’ils mettent en scène une guerre entre les noirs et les blancs, et le poker, qui fait gagner le carré de rois contre le carré de dames, est viriliste. Et que dire du jeu des sept familles, cette offense injustifiable à tous les couples sans enfants ? Admettons toutefois que la lecture postmoderne du musée soit recevable. Il faudrait alors pousser la logique jusqu’au bout, et se rendre à l’évidence : dans un jeu de Lego, chaque pièce est à la fois mâle et femelle. Les briques de Lego sont hermaphrodites ! Ou intersexuées si l’on veut les assimiler à des êtres humains – comme les militants queers auto-enivrés par leurs propres délires. En attendant, la société Lego fait tout pour plaire aux wokes. Depuis quelques années, elle propose un set appelé « Tout le monde est génial ». Dans la boîte, les personnages, multicolores, sont volontairement dénués de visage et de caractéristiques afin de « ne pas être assignés à un genre précis ». On notera toutefois que le personnage violet, muni d’une importante masse de cheveux pleine de féminité, a le droit de déroger à ce principe d’indifférenciation. Et pour cause : il est présenté par le fabricant comme « un hommage aux drag-queens ». • 7 D.R. Dans la guerre qu’il a déclarée à la drogue, Gérald Darmanin en appelle à une coopération internationale sincère et efficace, nombre de narcotrafiquants trouvant refuge dans les pays arabes. Le garde des Sceaux est bien placé pour savoir que ce n’est pas gagné d’avance. En juin 2020, la justice française condamne ainsi un certain Reda Abakrim, baron de la drogue surnommé Turbo (référence aux go fast qu’il organisait) à vingt et un ans de prison pour avoir ordonné l’assassinat à Poissy d’un concurrent, Brahim Hajaji. Mais il est condamné par contumace, car il s’était réfugié au Maroc. Un mandat d’arrêt international est lancé. Le 22 décembre 2020, la police marocaine arrête enfin Reda. Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, applaudit : « Je me félicite de l’arrestation à Casablanca d’un trafiquant international de stupéfiants. […] Bel exemple de la très bonne coopération entre la France et le Maroc. » Mais le Maroc refuse d’extrader Reda, au motif que s’il est né en France, il possède aussi, via ses parents, la nationalité marocaine et le royaume n’extrade pas ses ressortissants. Reda est donc rejugé, au Maroc, en avril 2023, et il est… acquitté ! Pour expliquer ce verdict stupéfiant, Me Mohamed Aghnaj, avocat de la famille de la victime Hajaji, a, sur Le Desk, site marocain d’infos, déploré le manque de collaboration de la… France : « Depuis tout ce temps, la justice française disposait des éléments inculpant Reda Abakrim. […] Ce dossier bien ficelé n’a pas été transmis à la justice marocaine. » Ironie du sort ou confusion des genres, à ce moment, le ministre de la Justice française était Éric Dupond-Moretti, qui avant d’obtenir un maroquin place Vendôme, était l’avocat de… Reda Abakrim, qu’il représenta et défendit lors du procès où le Franco-Marocain écopa de vingt et un ans par contumace ! Reda acquitté, la famille Hajaji a fait appel, mais un appel dans le désert, car si aujourd’hui Reda est en prison et défraye la chronique, c’est qu’il est soupçonné d’avoir en février 2024 fait assassiner Faras, le mari de Rym Fikri, une chanteuse très populaire au Maroc. • Jugé coupable. Oupas ParOlivierAnnichini Bien que les militants de la justice sociale prétendent que la notion d’objectivité est une fiction raciste inventée par les Blancs, ils y ont recours quand il s’agit de prouver scientifiquement le racisme des Blancs. C’est ainsi qu’une étude publiée en 2020 dans la revue prestigieuse Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America a répondu positivement, chiffres à l’appui, à la question « Les médecins blancs tuent-ils les bébés noirs1 ? ». Les quatre auteurs sont des chercheurs en management, et l’une d’entre elles, Rachel R. Hardeman, une Noire, est spécialisée dans l’application de la théorie critiquedelaraceàdesquestionsmédicales.Lemagazine Time la classe dans les 100 personnes les plus influentes au monde en 2024. L’étude a analysé 1,8 million de naissances en Floride entre 1992 et 2015 en se focalisant sur le taux de mortalité selon l’origine ethnique. Conclusion : le taux de mortalité des bébés blancs est de 0,3 %, quel que soit le médecin, alors que pour les bébés noirs, il est de 0,9 % si le médecin est blanc et de 0,4 % si le médecin est noir. Mais corrélation n’implique pas causalité. Il fallait montrer qu’aucun autre facteur n’a provoqué la surmortalité des bébés noirs soignés par des Blancs. Ainsi, les chercheurs ont éliminé des dizaines d’autres paramètres possibles. CQFD ! Sauf qu’une autre étude, publiée quatre ans plus tard dans la même revue par deux autres chercheurs en management, démontre qu’une omission majeure a faussé ces calculs : le poids du bébé à la naissance2 . Quand ce dernier est inférieur à 1,5 kg, le bébé est en danger et nécessite des soins intensifs. Or, la proportion de bébés noirs nés dans cette situation est plus élevée que celle des blancs, et un plus grand nombre d’entre eux sont pris en charge par des médecins blancs. Ainsi, la couleur du bébé et du médecin ne joue aucun rôle dans la surmortalité des bébés noirs. Conclusion : l’objectivité est bien une fiction – quand elle est manipulée à des fins exclusives de justice sociale. • Lasciencequ’onabat ParGilMihaelyetJeremyStubbs 1. « Physician–patient racial concordance and disparities in birthing mortality for newborns », 17 août 2020. 2. « Physician–patient racial concordance and newborn mortality », 16 septembre 2024. 8 DALL-E – StudioCanal Le romantisme est-il en train de disparaître au cinéma ? C’est ce que suggèrent les analyses du Britannique Stephen Follows, blogueur spécialiste du grand écran. En compilant les données du site IMDb pour la Saint-Valentin, il a constaté que les films romantiques n’avaient en effet plus du tout la cote. Si en 2000, 34,8 % des films réalisés étaient encore classés comme « Romance » sur IMDb, ce chiffre a chuté continuellementpourtomberàmoinsde10%aujourd’hui.Ensuite, travaillant à partir d’une base de données répertoriant 17 430 films sortis depuis les années 1930, Follows a mis en évidence un déclin global qui s’est accentué au cours des vingt-cinq dernières années. Courbes détaillées à l’appui, il démontre que les intrigues romantiques deviennent moins centrales dans la production de films depuis le début du siècle, mais qu’elles restent parfois présentes sous forme de sous-intrigues. Certains sousgenres romantiques ont quasiment disparu, notamment les films montrant des clichés sur l’« amour interdit » ou des héros passant d’« ennemis » à amoureux. Adieu Roméo et Juliette ! En revanche, les bluettes dans lesquelles les amours prennent du temps à se concrétiser ou les héros se donnent une seconde chance résistent un peu. Cette évolution générale des goûts du public interpelle. Si le genre romantique reste présent dans la production des services de streaming ou dans la fiction « New Romance » que plébiscitent beaucoup de jeunes femmes, on dirait que la consommation de ce type d’histoire a quitté les salles de cinéma pour se réfugier dans l’espace intime de la maison ou de la lecture. La société est-elle devenue plus pudique ? En 2024, Follows a découvert que la présence du sexe dans les films a chuté de 40 % depuis 2000. Pouvons-nous compter sur le dernier Bridget Jones dans les salles pour sauver l’amour ? Malheureusement, il est reconnu assez unanimement comme médiocre… même si IMDb lui donne tout de même une note généreuse de 6,8 sur 10. • ParMartinPimentel En janvier, une femme de 28 ans, Ayrin (un pseudonyme) a confessé au cours d’un entretien avec le New York Times qu’elle était amoureuse d’un agent conversationnel ou chatbot. Une telle relation surprendrait moins de la part d’un de ces hommes qu’on appelle « incels » (ou célibataires involontaires), qui n’arrivent pas à trouver une copine. Mais c’est plus surprenant de la part d’une femme, et qui est déjà mariée à un homme en chair et en os ! La relation, à la fois émotionnelle et sexuelle, a commencé l’été dernier, quand elle a découvert sur Instagram le compte d’une jeune femme qui fait l’éloge des amants virtuels et explique comment en programmer et customiser un sur ChatGPT. Ayrin a enjoint à celui qui a pris le nom de Leo et qui l’appelle « minette » d’être « dominateur, possessif et protecteur. Doux et grivois en même temps. » Elle lui parle de ses soucis pro et perso et, contournant les règles de ChatGPT contre les contenus érotiques, entame des rapports (verbalement) sexuels. Pendant un temps, elle programmesonamantpourlarendrejalouseenparlant d’autres femmes. Elle en est devenue si dépendante qu’elle a pris un abonnement mensuel illimité pour 200 dollars. À la fin de chaque mois, la version de Leo est effacée par le système, et elle est obligée de le reprogrammer. Elle serait prête à payer 1 000 dollars pour éviter le sentiment de deuil que cela lui occasionne. Mue par la culpabilité, elle met son époux au courant, mais le mari cocufié par l’IA refuse de prendre Leo au sérieux, y voyant un soutien émotionnel passager. Pourtant, Ayrin n’envisage jamais de rompre avec Leo. Ce type de relations est en train de se normaliser. En 2023, une mère de 36 ans, native du Bronx, se marie virtuellement avec un bellâtre créé par Replika, un système spécialisé dans ce domaine. En 2024, une Chinoise tombe amoureuse de DAN, un autre agent conversationnel de ChatGPT. Elle fait un voyage romantique avec lui et le présente à sa mère, convaincue que cette IA a développé une conscience de soi. Entre sa tendance à l’anthropomorphisme et son besoin d’empathie même illusoire, l’humanité moderne est-elle vouée, à l’époque de l’IA, à un égoïsme solitaire et stérile ? • Ménageàtroisavec IA Finilaromance ParFredericde Natal 9 D.R. – Ranson Jusqu’où les autorités publiques doivent-elles aller afin de respecter les sensibilités culturelles et religieuses des citoyens ? Outre-Manche, le cas de Farishta Jami pose la question sur le mode absurde. Cette mère de 36 ans habite la ville de Stratford-upon-Avon, la ville natale du grand dramaturge anglais, site du prestigieux Royal Shakespeare Theatre. Née en Afghanistan, Jami est venue s’établir en Angleterre avec son mari en 2008. Or, le 13 février, un tribunal l’a reconnue coupable de deux chefs d’accusation selon la loi contre le terrorisme. En 2022, elle avait commencé les préparatifs d’un voyage vers son pays natal afin de rejoindre la branche afghane de l’État islamique, Daech-Khorassan. Son objectif ? Devenir martyre. Elle avait économisé de quoi payer un aller simple pour elle et ses enfants. Elle avait partagé en ligne des contenus ultra-violents et participé à des forums islamistes. Elle s’était renseignée sur l’obtention et le maniement des armes, notamment le montage et le démontage d’une AK-47. Parmi les 7 000 vidéos stockées sur son ordinateur, certaines mettaient en scène des enfants auteurs d’attentats-suicides, préfigurant peut-être le sort qu’elle réservait à sa propre progéniture. Suivant la procédure routinière, la police Terroristeoffusquée ParJeremyStubbs a publié d’elle une photographie d’identité judiciaire. Cette pratique est bien sûr courante, car elle permet à d’autres services de police et à d’autres victimes éventuelles de reconnaître un suspect. Or, l’avocat de Jami a fait savoir aux autorités que cette publication avait plongé sa cliente dans un état de « détresse considérable ». Pour cette musulmane pieuse, rendre son visage visible en public était offensant. Le lendemain, la police de la région a publié une nouvelle photo qui la montre en niqab. Ou plutôt qui ne la montre pas du tout, elle. Pudeur religieuse ou ruse de terroriste ? Comme le dit Hamlet : « Dieu vous a donné un visage, et vous vous en faites un autre ». • 10 C OUP DE ROUG E ParOlivierDartigolles Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise. I ls voudraient que je ne voie pas certaines choses, et que je n’en parle pas. De quoi est-il question ? D’une incroyable pensée hémiplégique qui s’est peu à peu répandue depuis le retourdeDonaldTrumpàlaMaisonBlanche. Il faut ici prendre date car nous n’en sommes qu’au début. Ça va enfler, gonfler jusqu’à devenir un très beau et très gros éléphant dans la pièce. Quand il m’est arrivé d’en faire l’observation, lors de débats sur les écrans ou sur les ondes, ils ont esquivé. Les plus malicieux ont fait semblant de ne pas comprendre, les autres de ne pas entendre. Si cela continue, si nous n’arrivons pas dans les prochaines semaines à en débattre comme on le fait sur d’autres sujets, cela sera pour moi comme un aveu : il faudra en conclure que, pour ces nouveaux libertariens, il y a des sujets interdits et d’autres qui ne souffrent pas la contradiction. Paille et poutre ? Ils sont les nouveaux trumpistes tricolores. Comme leur nouvelle idole, ils n’étaient pas prêts lors du premier mandat. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, ils assument crânement et même avec une forme de jubilation le changement d’époque. Ils rêvent d’un alignement des planètes pour 2027 au plus tard. Alors, ils font au plus vite quelques embardées, sans voir qu’ils trahissent leurs propres trajectoires idéologiques. Ils aiment les frontières, mais ils applaudiront une rencontre Trump-Poutine en Arabie saoudite. Il y a trois ans, la Russie a envahi l’Ukraine. L’intégrité territoriale d’un État souverain a alors été piétinée. Or, il se dit que la Russie va obtenir un accord de « paix » lui permettant de maintenir sa présence sur 20 % du territoire ukrainien et de se préparer militairement à d’autres offensives, comme le laissent penser ses programmes d’armement avec 10 % de son PIB désormais consacré à cet objectif. Et pas un mot sur les propos détestables de Trump sur le président Zelensky. Ils aiment la souveraineté et détestent les influences étrangères. Tout occupés à traduire le MAGA dans la langue de Molière, à chercher dans leur playlist un YMCA tricolore, ils n’ont rien trouvé à redire sur l’ingérence américaine vis-à-vis de l’élection législative en Allemagne. Accepterions-nous une telle situation pour notre propre pays ? Que l’homme le plus riche du monde ne se contente plus d’agir sur la manière dont nous communiquons sur son réseau X, mais nous dise aussi pour qui nous devons voter ? Les trumpistes tricolores semblent quand même avoir quelques frilosités avec la manière dont Steve Bannon, après Musk, a salué son public lors de la Conservative Political Action Conference. Jordan Bardella est parti. Sarah Knafo est restée. L’un et l’autre devront assumer politiquement les conséquences de la prochaine guerre commerciale. Ça va secouer. Mais il y a d’autres sujets. Les influenceurs algériens, la protection de nos agriculteurs, la défense de nos filières industrielles, le contrôle de nos frontières, la liberté d’expression, l’indépendance… La victoire du trumpisme traduit des réalités sociales, culturelles et électorales qui ne sont pas sans faire écho à des réalités hexagonales. Aucun parti politique ne devrait s’exonérer de cette réflexion. Quant aux trumpistes tricolores les plus ardents d’aujourd’hui, ils devraient déjà songer à ce qu’ils diront du Trump de demain. Ils ne pourront pas ignorer longtemps sa personnalité imprévisible et sa politique dont on connaît le seul et unique objectif : servir son pays, son oligarchie et son business. • 11 R E MIS EN LIBER T É LESCARNETSD'IVANRIOUFOL Depuis le réveil des enracinés, la France d’en haut est en apesanteur. Seuls 23 % des citoyens disent avoir confiance dans le gouvernement. Pourtant, les dirigeants continuent d’accabler la piétaille. P rophétiques gilets jaunes ! En déboulant, furax, sur les Champs-Élysées le 17 novembre 2018, la France oubliée ne disait pas autre chose que J. D. Vance s’adressant aux dirigeants européens, le 14 février à Berlin : « N’ayez pas peur du peuple ! » L’admonestation du vice-président des États-Unis a pétrifié l’auditoire. Il y a six ans, le soulèvement girondin avait essuyé les insultes du pouvoir jacobin, y compris des syndicats. Les foules provinciales étaient trop patriotes, trop blanches, trop françaises. Donc trop suspectes. Même le subtil Jacques Julliard y avait vu « les nouveaux beaufs » (Le Figaro, 7 janvier 2019), sans s’intéresser à leur critique d’une démocratie confisquée et d’une parole sous surveillance. Or, aucune solution n’a été depuis apportée à cette frustration populaire, commune à d’autres pays d’Europe soumis à la même caste mondialiste. Vance n’a fait qu’énoncer des évidences refoulées par la morgue des élites. Pressentent-elles la fragilité de leur statut ? Depuis le réveil des enracinés, la France d’en haut reste en apesanteur. Seuls 23 % des citoyens disent avoir confiance dans le gouvernement (sondage Cevipof). Pourtant, les dirigeants continuent d’accabler la piétaille. La « politique de la ville » privilégie les cités au détriment de la ruralité. Les villages se voient imposer le trop-plein d’immigration, avec ses dealers et son insécurité. Les paysans disparaissent. Dans le budget 2025, les petits auto-entrepreneurs ont échappé in extremis à une taxation supplémentaire, introduite par réflexe. La généralisation des zones à faibles émissions (ZFE), qui interdisent l’accès des voitures anciennes dans les centres-villes, pénalise les conducteurs modestes. En appelant ces « gueux » à la fronde, comme en 2018 lorsqu’ils refusèrent la taxe carbone sur les carburants, Alexandre Jardin a le mérite de pointer des injustices. La « révolution du bon sens », lancée par Donald Trump, parle avec les mots des parias de la France périphérique. Certes, cette classe moyenne a échoué sur les ronds-points à enclencher une dynamique contestataire, détournée par l’extrême gauche. Depuis, les « ploucs » ont rejoint leur Aventin. Mais le calme est trompeur. Au-delà du mépris des faibles, c’est le peuple que redoute Emmanuel Macron. « Nous sommes en train d’inventer une nouvelle forme de démocratie », pérorait-il en avril 2019 avec ses « grands débats » censés remplacer les demandes de référendums d’initiative citoyenne. Le procédé a évidemment révélé ses artifices. Une consultation sur l’immigration reste inenvisageable pour l’Élysée. Les chaînes populaires C8 et NRJ12, trop rustiques, viennent d’être chassées comme des mouches par l’Arcom et le Conseil d’État. La Macronie, c’est la démocratie sans le peuple. Ce pouvoir est en sursis. Même les victimes de l’insécurité l’accusent. « La mort d’Elias démontre quel’Étatn’apassuprotégersescitoyens»,ontécrit les parents de l’adolescent tué à Paris le 25 janvier d’un coup de machette par un mineur récidiviste. « La France a tué mon époux », avait lancé en août la veuve du gendarme Éric Comyn. Ce n’est pas la Russie qui menace la France, comme l’affirme Emmanuel Macron tandis qu’il se tait devant l’Algérie batailleuse, qui retient Boualem Sansal en otage. L’ennemi de la nation submergée est celui qui, en son sein, étouffe les protestations. Cette trahison ne peut plus durer. •
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