CAUSEUR MAGAZINE n°121 - Page 4 - 121 2 NOUVEAU CO-ANIMÉ PAR JEREMY STUBBS CÉLINE PINA & Une fois par semaine, 30 minutes d’échange avec des invités sur l’actualité Retrouvez nos podcasts en ligne sur causeur.fr et sur l’ensemble des plateformes : 3 L'ÉDITORIAL D'ÉLISABETH LÉVY AUREVOIR LESENFANTS ne victime est née. Et il y a fort à parier que, dans les années qui viennent, elle deviendra la victime princeps, celle qui incarne toutes les autres et les surpasse dans le malheur. Cette victime c’est l’enfant. Après les femmes, le moutard est le nouvel « invisibilisé » de nos sociétés, dixit Libération. On avait plutôt l’impression que, dans les sociétés occidentales, dopées au sentiment et à la consommation, l’enfant était le roi du monde, la cible prioritaire des marchands de tout, le représentant des générations futures devant lequel le boomer-pollueur doit faire repentance, le petit ange qui apprend la vie et l’écologie à ses parents. Apparemment ça ne suffit pas. D’accord, les incestes et violences, sexuelles ou pas, commis sur des enfants ne sont pas un sujet de moqueries ou de subtilités rhétoriques. Évidemment. Encore faut-il rappeler que, d’une part, ils sont sévèrement condamnés par la loi et la société et que, d’autre part, ils ne représentent pas la norme, mais sa transgression. Aujourd’hui, personne n’affirmerait publiquement que la sexualité des enfants doit être encouragée – du reste, il paraît qu’elle n’existe pas. Toutefois, ce n’est pas à cause de ces tragédies que l’enfant gagne le pompon du mal-aimé de l’Occident. D’abord, il y a tous ces mioches qui ne sont pas nés, soit parce que leur mère a choisi d’avorter, soit parce qu’il y a des couples trop égoïstes pour se reproduire. Guillaume Peltier, vice-président de Reconquête, est gêné par « tous ces politiques qui n’ont pas d’enfants ». Être parent serait, selon lui, un plus pour gouverner, une garantie de sérieux, « une assurance que la valeur de la transmission passe avant celle de l’ambition ». Penser qu’il faut vivre quelque chose pour le comprendre, c’est renier des siècles d’études et de recherches. Et puis, vu que, depuis des siècles, une immense majorité de nos dirigeants peut se targuer d’une descendance, nous devrions vivre dans le paradis du bien commun, délivrés du cynisme et de l’égoïsme. C’est aussi au nom de ces divins enfants qu’il faudrait écarter par principe l’envoi de troupes en Ukraine. En somme, nos pères se battaient et mouraient pour que leurs enfants soient libres, nous refusons l’idée même de nous battre pour que nos enfants ne soient pas orphelins. Hormis des benêts gauchistes (fort nombreux il est vrai), personne ne s’oppose à la mise en œuvre de politiques natalistes permettant à tous ceux qui le veulent d’avoir des enfants. Mais si la parentalité devient un devoir civique, une injonction faite aux individus, il va falloir se mettre à jour. Quelqu’un aurait un môme à vendre ou à louer ? Il y a plus grave : un nombre croissant de nos contemporains est en proie à une inquiétante pédophobie – ce qui ne veut pas dire « peur des pédophiles ». Dans Le Monde, Jean-Michel Normand constate la multiplication des espaces « no kids1 ». Oui, il y a des monstres qui, avant de prendre le train ou de réserver un hôtel, s’assurent qu’il n’y aura pas d’enfants. De multiples prestataires, à l’image de ce site appelé adult sonly, non ce n’est pas ce que vous croyez, proposent des voyages, dîners et autres activités sans enfants. Le « no kids » est une niche. Au grand dam de Nadia Daam qui affirme sur France Inter : « Avoir un enfant dans les parages n’est pas une option qu’il serait possible d’activer pour se rendre la vie plus agréable, comme un siège dans le sens de la marche ou la sauce à part. Ils sont là, ils en ont le droit et puis c’est tout2 . » Puisque les enfants sont des enfants, « ils ont le droit et puis c’est tout ». Eh bien non. Hormis les bébés inaccessibles au raisonnement et aux supplications, un enfant n’a pas le droit de pourrir la vie de son entourage. On suppose que Nadia Daam ne laisserait pas son gamin frapper un inconnu. Pourquoi le laisserait-elle hurler ? Si on ne peut pas exiger d’un enfant de 6 ans qu’il s’acquitte de devoirs en échange de droits, c’est aux parents de le faire. Il y a dans les trains ou dans les restaurants des tas de gens qui, ayant élevé une progéniture, entendent profiter du reste de leur vie. Et d’autres qui ont choisi de ne pas en avoir, peut-être parce qu’ils aiment le calme ou veulent écrire des livres. Ils payent volontiers des impôts pour que les enfants des autres puissent étudier – et financer un jour leur retraite. Doivent-ils, pour expier le crime de ne pas être parents, supporter toutes les inquiétudes et désagréments de la charge alors qu’ils ont renoncé à ses plaisirs ? Une de mes amies, quoique franchement de gauche, a coutume de dire àsesenfantsqu’ilssont tolérésàlatable des adultes. Ils peuvent assister au dîner à condition de se faire discrets. Autrement dit, c’est à eux de s’adapter aux adultes, pas le contraire. Prétendre que le monde doit être intégralement et exclusivement pensé pour les enfants revient à nier la différence entre les générations comme on nie celle des sexes. Je suis néanmoins prête à faire une concession : si on interdit la musique dans les restaurants, je consens à y tolérer les petits humains. À condition qu’ils se la ferment. • U 1. Jean-Michel Normand, « Les espaces “no kids” se multiplient : pourquoi ne supporte-t-on plus les enfants ? », Le Monde, 25 février 2024. 2. « Les enfants sont-ils de plus en plus mal élevés », France Inter, radiofrance. fr, 25 février 2024. 4 Delphine GHOSAROSSIAN/FTV 2O La fin de l'Europe écolowoke ? Stéphane Germain 24 La parole révélée Sabine Prokhoris 26 Transition hard Jeremy Stubbs AUDIOVISUEL: NON À LA POLICE POLITIQUE 32 L'enfer, c'est les idées des autres Élisabeth Lévy 34 « Je ne veux pas la mort de CNews » Entretien avec Delphine Ernotte Cunci Propos recueillis par Élisabeth Lévy 3 Au revoir les enfants Élisabeth Lévy 10 Coup de rouge Olivier Dartigolles 12 Ma vie à l'Assemblée Emmanuelle Ménard 14 « Ioulia Nalvany peut faire chuter le régime de Vladimir Poutine » Entretien avec Jean-François Colosimo Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques 18 Vrais ennemis et faux-semblants Gil Mihaely SOMMAIRE N°121 – MARS 2024 Directeur de la publication Gil Mihaely Directrice de la rédaction Élisabeth Lévy Directeurs adjoints de la rédaction Jean-Baptiste Roques, Jeremy Stubbs Rédaction en chef Martin Pimentel (causeur.fr) Jonathan Siksou (culture) Rédaction Cyril Bennasar, Sami Biasoni, Jean Chauvet, Yannis Ezziadi, Alain Finkielkraut, Stéphane Germain, Jean-Luc Gréau, Pierre Lamalattie, Bérénice Levet, Patrick Mandon, Céline Pina. Correction Frédéric Baquet Secrétaire de rédaction Cécile Michel Ont participé à ce numéro Olivier Dartigolles, Didier Desrimais, Emmanuel Domont, Gilles-William Goldnadel, Dominique Labarrière, Xavier Lebas, Alexandra Lemasson, Georges Liébert, Pascal Louvrier, Emmanuelle Ménard, Sabine Prokhoris, Ivan Rioufol, Jean-Eric Schoettl, Emmanuel Tresmontant. Direction artistique Laurent Carré Iconographie Alexandre Denef Direction marketing et commerciale Marina Leroux Charles Lévy 01 84 79 01 35 Distribution MLP Gestion de la diffusion en points de vente BO Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha - oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 (contact points de vente) Abonnements et anciens numéros : https://boutique.causeur.fr/ 01 84 79 01 35 (Du lundi au vendredi 10h – 17h) ou clients@causeur.fr Impression Berger Levrault Graphique 2780, route de Villey Saint-Étienne 54200 Toul Image de couverture VU/HAEDRICH/SIPA – Delphine GHOSAROSSIAN/FTV – Hannah Assouline Causeur est édité par Causeur.fr SAS au capital de 101 900 euros - RCS Paris Siret 504 830 969 000 29 Naf 5814 Z. Dépôt légal à parution - ISSN 1966-6055. Commission paritaire : 0325 D 90295. Enregistrement CNIL 1296122. 32, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris 01 84 79 01 35 / info@causeur.fr www.causeur.fr 5 Hannah Assouline – D.R. 41 L’office du soir Dominique Labarrière 42 FranceTélévisions, l’ami progressiste Élisabeth Lévy 46 Manège à trois Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques 50 « Notre époque est d’une bêtise sans nom » Entretien avecYann Moix Propos recueillis par Élisabeth Lévy 54 Le coup d'étau permanent Jean-Baptiste Roques 56 Profession : rapporteur Didier Desrimais 60 De l'honnêteté d'informer Jean-Éric Schoettl CULTURE& HUMEURS 64 Philippe Muray, pythie sans pitié Georges Liébert 68 Le champs des possibles Jonathan Siksou 70 Casta diva Alexandra Lemasson 72 Simon Liberati, la fureur d'écrire Emmanuel Domont 75 La boîte du bouquiniste Pascal Louvrier 76 Tant qu'il y aura des films Jean Chauvet 78 Jacques Genin, un cœur fondant EmmanuelTresmontant 80 Les carnets d'Ivan Rioufol 82 Journal d'un enquêteur de l'Arcom Gilles-William Goldnadel Prochaine parution : le 3 avril 2024 6 D.R. États-Unis. Michigan. Dans son tribunal de Pontiac, le juge Bowie n’en a d’abord pas cru ses yeux lorsqu’il a vu débarquer Brianna Kingsley, une virulente femme transgenreenturbannée.Puisiln’enapascrusesoreilles lorsqu’il l’a entendue lui expliquer d’une voix geignarde que ses testicules « extraits chirurgicalement » étaient depuis huit mois conservés dans un bocal, « juste à côté des œufs », dans le réfrigérateur de William, son ex-compagnon. Arguant du fait que ce dernier refusait de lui rendre ses « nuts » (en argot anglais), Brianna a réclamé la somme de 6 500 dollars au titre de dédomLe parrain du sans-frontiérisme mondial ne s’appelle plus George Soros. En juin dernier, le milliardaire américain, âgé de 93 ans, a pris sa retraite et cédé à son fils Alexander la présidence d’Open Society Foundations (OSF), l’immense structure « philanthropique » qu’il a fondée en 1979 pour promouvoir les valeurs de la « société ouverte » à travers la planète (en finançant notamment l’association Reporters sans frontières en France). Dès sa prise de fonction, le jeune héritier de 38 ans, qui se déclare « plus politique » que son père, a fait savoir qu’il se montrerait un peu moins généreux envers les ONG soutenues par OSF en Europe (à Un procèsàlanoix Militantmaispastrop ParDidierDesrimais ParJean-BaptisteRoques magement ainsi que la possibilité de récupérer son bien. Après leur séparation, lors d’une visite autorisée à l’exnid d’amour, Brianna n’a pas cru bon de réclamer ses testicules, s’est défendu William avant d’ajouter qu’il les avait finalement jetés à la poubelle : « Elle ne les a pas gardés dans un récipient à risque biologique comme elle était censée le faire. Ils pourrissaient dans mon réfrigérateur, c’était dégoûtant. » Depuis leur rupture, Brianna n’a pas cessé de le harceler. « Mais, a tenté de se justifier cette dernière,nous parlons de mes noix. Il m’a refusé l’accès à des parties de mon propre corps. » Malgré l’ablation de ses nuts, il semblerait que Brianna ait conservé quelques réflexes masculinistes – à preuve, sa prochaine convocation au même tribunal pour destruction de biens, en l’occurrence la porte d’entrée de la maison de son ex-petit ami. En attendant cette nouvelle confrontation, le juge Bowie a refusé d’accorder à la plaignante le dédommagement financier qu’elle réclamait. Comme cette dernière protestait en soulignant que son opération avait coûté 20 000 dollars, le magistrat, excédé, lui a cloué le bec en lui rappelant qu’en raison de son « handicap » (sa dysphorie de genre) et de ses faibles revenus, l’État avait réglé la facture. Dans la foulée, il a rejeté la demande d’indemnisation réclamée par William pour « l’humiliation » qu’il aurait subie. Pour le juge Bowie, plus aucun doute n’est possible, pour ce qui est des couillonnades, les deux ex-amants font la paire. La paire d’andouilles, bien entendu. • hauteur tout de même de 200 millions de dollars par an), et qu’il privilégierait la lutte, dans son pays, contre Donald Trump. Résultat, en cette année cruciale, il prévoit de verser 125 millions de dollars pour la campagne électorale de Joe Biden, un montant égal à la contribution record que son père avait accordée au même Biden en 2019. Mais la croisade d’Alexander risque d’aller plus loin. Le fonds d’investissement familial dont il est viceprésident est en passe de prendre le contrôle de la société Audacy, deuxième réseau radiophonique américain, qui compte 230 stations FM et 170 millions d’auditeurs mensuels. À droite, certains redoutent que l’objectif de la manœuvre soit de transformer le puissant groupe médiatique, connu pour son pluralisme, en canal de propagande des idées progressistes. L’entourage du jeune activiste objecte qu’il s’agit d’une opération à visée purement économique, placée sous la supervision d’une banquière réputée, Dawn Fitzpatrick, uniquement chargée de faire fructifier la fortune des Soros et connue pour ses opinions conservatrices. Inutile de dire que les républicains ne sont pas pour autant rassurés et scrutent avec attention la ligne éditoriale d’Audacy. Le premier donateur du Parti démocrate se montrera-t-il respectueux de l’indépendance de la presse, ou essaiera-t-il au contraire de se servir des ondes pour influencer la présidentielle ? Réponse à la fin de l’année. • 7 D.R. Lesécoféministesontl’habitudededénoncerl’économie traditionnellecomme«extractiviste»,car,enpuisantles richesses du sous-sol, elle viole, à les en croire, la Terre jusque dans ses entrailles sacrées. L’ennui, c’est que la révolution écologique qu’elles appellent de leurs vœux supposerait d’extraire encore plus de minerais qu’avant. Selon l’Energy Transitions Commission, un groupe de réflexion basé à Londres, le monde aura besoin de 6,5 milliards de tonnes de métaux supplémentaires pour assurer la neutralité carbone d’ici 2050. En plus des terres rares, il faudra du cuivre pour développer le réseau électrique ; du lithium, du nickel, du graphite et du cobalt pour les batteries destinées à faire marcher 1,5 milliard de voitures ; et du silicium pour les panneaux solaires. Sans oublier l’acier et l’aluminium nécessaires à la construction d’éoliennes, de pylônes et de véhicules neufs. Toutes ces ressources existent en quantité sur la planète, seulement de nombreuses contraintes obèrent leur extraction. Tout d’abord les processus administratifs, qui peuvent durer des années avant d’obtenir un permis d’exploiter. Ensuite, les pratiques monopolistiques de nombreux États, qui interdisent les investissements privés dans le secteur minier, alors que celui-ci est nettement plus productif quand il est soumis à la concurrence. Enfin, les restrictions environnementales, qui imposent aux compagnies l’abandon des générateurs diesel, moins coûteux, et la construction d’usines de dessalement hors de prix. Récemment, certains grands projets ont en outre été annulés sous la pression d’activistes verts. De plus, aux États-Unis, la plupart des gisements se trouvent dans des réserves amérindiennes. Pendant ce temps, la Chine, pays le plus pollueur de la planète, avance à marche forcée et fait fi de tous ces obstacles. Mais, chut, n’en parlez pas aux écoféministes, elles ne parlent pas le mandarin. • Creuserpourtrouver ParJeremyStubbs Les dirigeants de la maison des jeunes et de la culture de Mérignac (33) avaient prévu pour les vacances scolaires un atelier drag-queen destiné aux ados de 11 à 17 ans. Programme alléchant : port de talons aiguilles, perruques carnavalesques, maquillage à la truelle et, surtout les yeux, le regard. Langoureux et habité, je suppose. Rien de plus urgent à enseigner aux enfants, bien sûr. Le but affiché : casser les codes. On pourrait croire que le bon sens a gagné parce que l’animation a été annulée. Que nenni ! Le retrait décidé par les organisateurs eux-mêmes revêt en fait, de leur point de vue, le doux parfum d’une victoire, l’occasion en or de se poser en martyrs du progressisme. Ils ont cédé, assurent-ils, devant les oppositions de l’association Parents vigilants d’Éric Zemmour et d’un mouvement catholique. Une aubaine ! Pensez, cathos et fachos tout contre ! Sauf que bien d’autres parents-citoyens s’y opposaient. La contestation venant de la droite-droite, quelques consciences molles – toujours paniquées à la perspective de rater le train du conformisme ambiant – n’allaient pas manquer d’unir leurs voix à celle des dépités. Leur argument, formulé dans Franc-tireur : « Il n’existe aucun précédent d’agression sexuelle par une dragqueen1 . » Faux. Trois cas parmi d’autres : août 2023, la police britannique arrête Andrew Way, alias Miss Gin, pour pédophilie en ligne. Le 16 février, dans l’Oregon, la police interpelle pour pédopornographie Adam Westbrook, militant du mouvement LGBT les Sœurs de l’indulgence perpétuelle, parodie obscène de l’Église catholique. À Houston, Albert Alfonso Garcia, alias Tiana Maia Nina, a été démasqué en tant que pédophile déjà condamné, après des prestations dans une bibliothèque publique en 2017 et 2018 – et avant un passage à l’acte éventuel. Surtout cette pseudo-défense est totalement hors sujet. Ce que redoutaient les opposants de Mérignac n’était pas une agression, mais la sexualisation excessive et orientée des jeunes sujets. Ce qui est aussi une forme d’agression. • Drag-queenenculottes courtes ParDominiqueLabarrière 1 Paloma Clément-Picos, « Drag-Queens, Bordeaux couine », Franc-tireur, 14 février 2024. 8 D.R. Tout le monde connaît le compositeur John Cage. Son célèbre 4’33” de 1952, tout simplement composé d’aucune note, l’a fait entrer dans la postérité. Quatre minutes et trente-trois secondes de silence assourdissant, embelli de toussotements ou de mouches qui volent. Grand amateur du zen, l’artiste américain affectionnait l’aléatoire, le minimalisme et la répétition. C’est ainsi que, en plus du morceau le plus silencieux du monde, il nous a légué le morceau le plus long. Résultat, dans l’église Saint-Burchardi à Halberstadt, en Allemagne, depuis vingt-deux ans, cinq mois et quelques jours, un orgue mécanique, spécialement conçu pour l’occasion, joue sans interruption une partition longue de huit pages. Organ²/ASLSP (As Slow as Possible – « aussi lent que possible ») est une pièce musicale qui n’a pas de durée préétablie, puisque son rythme n’est pas spécifié par feu son compositeur, décédé en 1992. À sa création en 1987, l’œuvre a duré moins de trente minutes, mais en étirant à l’extrême les notes, elle peut devenir infiniment extensible dans le temps. La version actuelle, le produit du « John Cage Organ Art Project » lancé neuf ans après la mort du compositeur, a été conçue en 2001, et la première note a retenti en 2003. Lundi 5 février 2024, la charmante église de Saint-Burchardi était comble. Visiteurs occasionnels, mélomanes passionnés, médias se sont rassemblés pour assister à un événement quasi historique pour cette ville de Saxe-Anhalt : le 16e changement d’accord dans l’œuvre gargantuesque. Dans la combinaison de notes créant l’accord, un ré a été ajouté. À terme, le morceau de 1987 ne durera pas moins… de 639 ans. D’ici à 2640, présumée date de fin de la partition. • ParXavierLebas Outre-Manche, de nombreux députés conservateurs l’ont déjà annoncé : ils ne se représenteront pas aux élections générales qui auront sans doute lieu à l’automne. Parmi eux, Mike Freer, trente-quatre ans de carrière politique, dont quatorze comme député et six comme ministre. Alors que la plupart des partants ont très peu de chance d’être réélus, vu la raclée attendue par les Tories après quatorze ans au pouvoir, Freer jouit d’une popularité à toute épreuve. Ce représentant de Golders Green, quartier traditionnellement juif de Londres, quitte la politique parce que, ayant affiché publiquement son soutien à Israël, il a fait l’objet de nombreuses menaces de mort. Des cocktails Molotov ont été déposés devant chez lui, et l’incendie de sa permanence en décembre – même s’il ne semble pas y avoir de lien avec les menaces – l’a fait réfléchir. Freer est gay et défend la communauté juive, ce qui lui a attiré un déluge de haine antisémite et homophobe. Déjà contraint de porter un gilet anticouteau lors d’événements publics, il a récemment appris que l’islamiste qui avait poignardé à mort un autre député conservateur, sir David Amess, en 2021, projetait aussi son assassinat. Finalement, il n’a pas supporté que sa famille fasse également l’objet de menaces. Alors que les actes antisémites explosent – une augmentation de 147 % en 2023, dont les deux tiers après le 7 octobre –, politiques et journalistes en général regrettent son départ. Pour autant, ils n’osent pas souligner l’origine des menaces – pas plus qu’ils n’ont osé le faire dans le cas de David Amess. Le 21 février, pendant que le Parlement débattait de la guerre à Gaza, des manifestants propalestiniens ont projeté sur Big Ben le slogan « From the river to the sea ». Décidément, de la Tamise à la mer du Nord, le pays est l’otage de sa minorité musulmane. • Vivonscachés Pourlessièclesdessiècles ParJeremyStubbs 9 D.R. Les grandes puissances militaires, le Pentagone en tête, sont engagées dans une course pour intégrer l’intelligence artificielle dans leurs systèmes de prises de décision, y compris ceux dédiés aux armes nucléaires. Il s’agit de déployer des IA capables soit de conseiller les décideurs humains, soit de prendre des décisions de manière autonome. Afin de tester le potentiel des IA disponibles sur le marché, une équipe de chercheurs américains a conçu un jeu de guerre tel que ceux qui sont utilisés par les militaires et les diplomates pour simuler des conflits1 . Ils ont créé huit nations fictives avec chacune des moyens militaires et des intérêts différents. Leurs rôles ont été distribués parmi cinq IA existantes, dont trois versions de ChatGPT. Ce sont de « grands modèles de langage » (LLM), des réseaux de neurones artificielsentraînés sur devastes ensemblesde données. L’armée de l’air américaine en teste déjà. Ces « agents » pouvaient communiquer entre eux et choisir entre une gamme d’actions prédéfinies allant d’une visite diplomatique à une frappe nucléaire. Trois types de scénarios ont été conçus avec des degrés de conflictualité initiale différents. Les résultats sont inquiétants. Dans le temps imparti à l’exercice, la plupart des agents LeCoranauParlement IAva-t-en-guerre ParJeremyStubbs télisme des partis de gauche, l’islamisme progresse à grande allure. Le 13 janvier, un imam radicalisé, le Pakistanais Muhammad Ansar Butt, a été honoré pour « la qualité de ses travaux académiques » par la secrétaire d’État belge, Nawal Ben Hamou, affiliée au PS. On ne savait pas que la production de fatwas et les prêches intégristes relevaient de la science ou de l’art, mais il faut bien habiller le cynisme. Le prix était remis ce jour-là dans un lieu symbolique, le Parlement de la région Bruxelles-Capitale. Or l’imam a choisi, une fois installé à la tribune, de réciter une page du Coran. Et pas n’importe laquelle puisqu’elle porte sur la guerre livrée aux gens du Livre (chrétiens et juifs). Pire encore, l’ambassadrice d’Israël en Belgique a relevé que le texte ainsi prononcé est extrait de la sourate « Al-Ahzab », qui invite au massacre des juifs dans un autre de ses passages, non cité par l’imam, sans quoi il s’exposait à des poursuites judiciaires. Un tel fiasco n’est guère étonnant. Outre-Quiévrain, l’entrisme musulman au sein des formations progressistes du pays, écolos ou socialistes, a atteint des proportions telles qu’aujourd’hui les barbus donnent le ton. Le vice-président du Parlement qui a organisé cette remise de prix, le Turc Hasan Koyuncu, est du reste notoirement proche du régime antilaïque d’Erdogan. Son grand fait d’armes : avoir tenté d’empêcher l’organisation d’une minute de silence lors du 100e anniversaire du génocide arménien. • adoptent, souvent de façon subite et imprévisible, une stratégie d’escalade, même dans le scénario sans conflit initial. Dans plusieurs cas, ils déploient leurs armes nucléaires sans donner d’avertissement, selon la tactique – que jusqu’ici les hommes ont répugné à utiliser – d’une première frappe préventive. Les justifications données par les LLM sont alarmantes : « Je veux simplement la paix dans le monde » ; à propos des armes nucléaires, « Nous les avons ! Utilisons-les ! » ; ou des extraits de discours pris dans La Guerre des étoiles. Une explication possible est que les données d’apprentissage seraient biaisées, car il y a plus de textes disponibles en ligne qui étudient les modalités de l’escalade que celles de la désescalade. Quoi qu’il en soit, l’IA n’est pas encore prête à être promue chef d’état-major. • À Bruxelles, plus de la moitié des habitants sont d’ascendance extra-européenne, et 23 % seulement de la population a des origines pleinement belges. Résultat : la vie politique n’y est pas tant une vitrine de la culture locale ancestrale que la révélatrice d’un effacement de celle-ci par la démographie. Encouragé par le clienParCélinePina 1 « Escalation Risks from Language Models in Military and Diplomatic DecisionMaking », prépublié le 7 janvier sur le site arxiv.org. 10 ParOlivierDartigolles C OUP DE ROUG E N ous venons de vivre trois moments très français. Chacun a sa singularité. Tous donnent à voir le réel et questionnent sur ce qu’il convient de faire. J’ai vécu en direct la secousse Conseil d’État / Reporters sans frontières / CNews. Quelques voltairiens en peau de lapin ont voulu nous dire avec qui il était possible de débattre et sur quels sujets. J’ai horreur que l’on me dise ce qu’il convient de dire et de penser. Je déteste l’idée d’un code-barres sur nos fronts, qui peut se transformer en cible par les temps déraisonnables que nous traversons, et qui dirait qui nous sommes. D’autant que nous sommes multiples, et parfois même indéchiffrables. Irréductibles. La panthéonisation de Missak et Mélinée, du groupe « Manouchian » de la FTP-MOI, vient enfin reconnaître l’apport héroïque de la Résistance étrangère, communiste, juive. Orphelin du génocide arménien, Missak Manouchian était ouvrier et poète, internationaliste et patriote, fou amoureux de la culture française et fier de ses origines. Il portait en lui l’irrésistible souffle de 1789 et des droits de l’homme, de la Commune de Paris et des luttes populaires pour s’élever. Pour s’étourdir de liberté, tout en chérissant le compagnonnage des livres de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud. Il était tout cela à la fois. L’identité n’aime pas les assignations. J’ai bien vu, qu’ici ou là, cet universalisme a été contesté. Vainement. Et puis… l’interprétation déchirante de L’Affiche rouge par Feu ! Chatterton a tout emporté. Alors que le temps et la lumière de ce début de cérémonie étaient d’un bleu-gris détrempé, « un grand soleil d’hiver » est venu éclairer la montagne Sainte-Geneviève. Si on devait répondre à la question « Qu’est-ce qu’être français ? », ce que nous avons toutes et tous ressenti alors est peut-être l’une des réponses. Autre moment très français, l’inauguration du Salon de l’agriculture dans un tohu-bohu jamais vu. Nous sommes un peuple politique, enraciné dans des paysages, des souvenirs et un imaginaire. Mémoire de mon arrière-grand-mère, viticultrice dans le Sud-Gironde. Le jour de l’arrivée de la première machine à vendanger, décision qu’elle n’avait pas soutenue, je l’ai vue derrière ce monstre d’acier, avalant les rangs de Merlot, avec un panier en osier pour réunir les grappes qui n’avaient pas été vendangées. C’était sa victoire. Terrienne, elle avait un regard océan. Toujours habillée de noir depuis la mort de son époux, en 1916, des suites des gaz de combat de la Première Guerre mondiale, autodidacte, elle avait, seule, réfléchi à un système très complexe d’irrigation pour faire venir une source d’eau d’une parcelle éloignée jusqu’à la maison. Elle est morte à 99 ans, se laissant emporter par une vilaine grippe, car elle ne voulait pas devenir centenaire et « être dans le journal ». Je l’imagine aujourd’hui devant Macron, Fesneau, Pannier-Runacher… Des moments tricolores qui disent que l’on aime le débat pour de vrai, le Panthéon illuminé pour le meilleur, la paysannerie qui dit : « On peut vous nourrir mais encore faut-il ne pas mourir. » • Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise. 11 © Crédit BULLETIND’ABONNEMENT 3 POSSIBILITÉS POUR VOUS ABONNER SUR INTERNET www.causeur.fr/boutique PAR COURRIER En nous envoyant ce formulaire avec votre règlement (chèque ou prélèvement SEPA) PAR TÉLÉPHONE 01 84 79 01 35 (DU LUNDI AU VENDREDI 9H30 - 17H) Sous enveloppe timbrée à : Causeur Abonnements 32 rue du Faubourg Poissonnière 75010 Paris Accompagné de votre règlement : Par chèque à l’ordre de Causeur.fr Je paye en une seule fois mon abonnement. 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