SO FOOT n°223 - Page 11 - 223 10 SOFOOT _ AVANT-MATCH Tête Miguel Angel Nadal, son coéquipier au Barça et en sélection: “Il faut bien distinguer son jeu de tête de son cerveau. Sa tête, Pep l’avait pour penser et non pour frapper.” Yeux Carles Rexach, ancien adjoint de Johan Cruyff: “La grande majorité des joueurs ne voient qu’une partie du terrain. Pep avait une vision panoramique. C’était une qualité unique. Le football, il le voyait en cinémascope.” Bras Paco Seirul·lo, préparateur physique historique du Barça: “Au gymnase, il soulevait parfois de la fonte avec les joueurs de la section handball, des types avec des biceps impressionnants. Un jour, il m’a demandé: ‘Tu penses que j’aurai les mêmes qu’eux un jour?’ Ça le complexait un peu… Mais il n’avait pas besoin de ça pour taper dans le ballon.” Pieds Nadal: “Pep n’était pas ambidextre de nature, mais son contrôle orienté et la transition rapide étant son fonds de commerce, il pouvait aussi bien se servir du pied droit que du pied gauche.” zPAR ANTOINE DONNARIEIX / PHOTO: DB Torse Nadal: “Il a toujours gardé un torse fin. D’un côté c’était bien parce qu’il gardait la ligne, mais de l’autre ça pouvait devenir problématique: il était parfois en insuffisance pondérale.” Cojones Fernando Redondo, ancien milieu de terrain du Real Madrid: “Chez moi, j’ai une photo où on le voit en train de me tirer le maillot. Il m’a toujours fait penser à un joueur argentin, il vivait le football comme nous. Ce jeu lui affectait le système nerveux et ça se voyait. Il avait du feu dans les veines!” Bassin Nadal: “Il se servait de son bassin non pas pour esquiver, mais pour anticiper l’action suivante. Guardiola ne dribblait pas le joueur, mais le temps.” PEP ANATOMIE RADIOGRAPHIE CHEZ TOUS LES MARCHANDS DE PRESSE LES HÉRITIERS DE GUARDIOLA PAR MAXIME CHAMOUX ET SYLVAIN GOUVERNEUR / ILLUSTRATIONS: SG TEST COMPARATIF Xavi fait partie, avec les Arjen Robben ou encore Kylian Mbappé, d’une catégorie très particulière de joueurs: ceux dont on peut regarder la tête pendant leur carrière et deviner sans l’ombre d’un doute celle qu’ils auront après leur carrière. Tête d’investisseur roublard dans Qui veut être mon associé? pour le natif de Bondy. Tête de prof de tennis qui baise ta femme au lieu de lui donner des cours pour le Batave. Tête d’installateur de pompes à chaleur donnant droit à des aides de l’État pour notre ami barcelonais. Quel rapport avec le Pep? Regardez les photos du jeune Guardiola. Admirez cette densité capillaire exceptionnelle, présentée dans une très exigeante buzz cut. Jamais “El Filosofo” n’aurait eu le mauvais goût d’être prévisible sur sa tête d’après carrière. Alors certes, pour le reste, on peut noter quelques similitudes qui font de Xavi l’un des plus évidents successeurs du chouchou de Cruyff. Les deux faisaient pas mal de passes avec leurs pieds. Les deux jouaient à Barcelone. Les deux ont gagné une palanquée de titres avec la Roja (sauf un des deux). XAVI HERNANDEZ Mimétisme physique: ★✩✩✩✩ Foncier: ★★★★★ Technique: ★★★★★ Quel personnage de Succession pour ce successeur? Roman. Note: 16/20 Sergio Busquets est, sans aucun doute, ce qui se fait de plus pur en matière de guardiolisme. Il y a quelques années, Pep lui-même en convenait d’ailleurs en conf’ de presse: “Je pense comme Del Bosque. Si je devais me réincarner en un joueur, ça serait Busquets.” Ce qui prouve deux choses: “Busi” est un joueur d’une valeur immense, et Guardiola a beau avoir gagné trois ligues des champions, il ne pige absolument rien au principe de la réincarnation. SERGIO BUSQUETS Mimétisme physique: ★✩✩✩✩ Foncier: ★★★★★ Technique: ★★★★★ Quel personnage de Succession pour ce successeur? Tom. Note: 16/20 Ah ça, pour gueuler ou pour faire des tweets, y a du monde: “Wesh c’est une dinguerie ce Ballon d’or, Vinicius est clairement le GOAT qu’il pense être, je vais câbler l’équipe.” Un petit conseil pour cette nouvelle année: posez votre album de 13’Organisé, buvez un thé vert et détendez-vous. Tous vos Vinicius, vos Bellingham, vos Pierre Lees-Melou, tout ça, c’est super et vraiment bravo à eux, mais où sont les vrais game changers? Et par game changers, on n’entend pas “ceux qui marquent des buts importants à des moments importants”, ça, pardon, mais même Samuel Umtiti, paix à son âme, l’a déjà fait. On parle d’un mec qui décide de porter ses cojones encima de la mesa et qui, un beau jour, rentre son putain de maillot dans son putain de short. Et pas à moitié, notez bien. Une vraie maman des années 80, le mec. Le résultat? Des purs cadors comme Endrick, João Neves ou Jean-Philippe Mateta suivent la tendance et se mettent aujourd’hui à suivre le règlement du football à la lettre après des décennies de chienlit débraillée permise par une Fifa à la solde des gauchos. Alors oui, muchos gracias, Môsieur Rodri. RODRI Mimétisme physique: ★✩✩✩✩ Foncier: ★★★★★ Technique: ★★★★★ Quel personnage de Succession pour ce successeur? Connor. Note: 16/20 Tous les cerveaux ne sont pas confinés dans la boîte crânienne. Chez la pieuvre, par exemple, le cerveau se prolonge à l’intérieur de ses huit bras, ce qui explique notamment son exceptionnelle faculté d’adaptation et sa grande sensibilité. Chez Benoît Pedretti, une partie non négligeable du lobe frontal a élu domicile dans la proéminence laryngée du cartilage thyroïde, plus connue sous le nom de pomme d’Adam. Le phénomène –rarissime– s’accompagne malheureusement de désagréments non négligeables au quotidien (pilosité rétive embarrassante, bannissement à vie de la ville de Montpellier), mais c’est là un bien maigre prix à payer compte tenu de ce qu’il offre, en contrepartie, comme atouts providentiels: une vision du jeu digne des meilleurs radiologues, un sens de la récupération à même d’anéantir Laurent Wauquiez, une capacité à trouver un partenaire libre qui pourrait faire de lui une star chez les mormons, une coupe de cheveux qui… Bref, vous l’avez compris, Benoît Pedretti, c’était le GOAT et le goitre sous un même maillot. Mimétisme physique: ✩✩✩✩✩ Foncier: ★★★ ✩ Technique: ★★★✩✩ Quel personnage de Succession pour ce successeur? Cousin Greg. Note: 16,5/20 BENOÎT PEDRETTI 12 SOFOOT _ AVANT-MATCH 12 SOFOOT _ AVANT-MATCH Qu’est-ce qui t’a pris de ne parier que sur des matchs nuls? En fait, j’en ai fait neuf. J’avais fait un système, donc il m’en fallait au moins huit sur neuf pour gagner. C’est quelque chose que je fais de temps en temps. Le but, c’est d’aller chercher de la grosse cote. C’étaient tous des paris en live, donc quand je vois par exemple que l’équipe à domicile ou la favorite est menée, et que théoriquement elle est censée au moins revenir et faire match nul, je réajuste. J’ai hésité pour le dernier match sur lequel j’ai parié, le Benfica Lisbonne contre Farense. Benfica était mené 1 à 0, mais j’étais persuadé qu’ils allaient en planter au moins deux. Mais pour ne pas déroger à la règle, j’ai fait comme pour tous les autres et j’ai mis match nul. Quel était le plus nul de tous ces matchs nuls? Je ne les ai pas tous regardés, pour être honnête. J’ai maté Manchester City, qui menait 2 à 0 contre Brentford. Vu que ces derniers temps, le City de Guardiola, ce n’est pas foufou et que Brentford à domicile, c’est très fort, je me suis dit qu’il y avait moyen qu’ils reviennent. Et c’est ce qu’ils ont fait. Pour les autres, je regardais juste les statistiques en live. Tu ne t’es donc pas infligé Plymouth-Oxford un mardi soir? Non (rires). Mais je suivais quand même les scores! Entre nous, tu ne regrettes pas un peu de n’avoir misé que 25 centimes? Non, non. De toute façon, je ne suis pas le type de parieur qui met des grosses sommes. Je ne fais que des petits paris avec des petits montants. Quand je gagne, je me dis évidemment que si j’avais mis 50 centimes ou un euro, j’aurais pu gagner beaucoup plus, mais c’est aussi le risque de perdre plus. Mon seul regret, c’est ce match de Benfica, qui m’aurait fait gagner 94000 euros. Même si bon, il y a quand même trois matchs où ça égalise à la dernière seconde. Dont celui de l’OM, avec ce but de Luis Henrique pour arracher les tirs au but contre Lille en coupe de France. Tu comptes t’acheter son maillot avec tes 8500 euros de gains? Moi qui suis supporter parisien, pour une fois, j’étais bien content que les Marseillais marquent! Mais non, je n’irai pas jusqu’à acheter leur maillot. Par contre, je ne parie jamais sur le PSG. On ne mélange pas le cœur et le business. Quels sont tes principes pour un jeu responsable? Miser des petites sommes. Et surtout, je me fais un suivi pour me permettre d’avoir un plafond de jeu hebdomadaire et mensuel. Depuis que je parie sur Winamax, je me fais tous les mois un bilan des dépenses et des gains. – PROPOS RECUEILLIS PAR JOSEPH BRIAT ET VICTOR JEZEQUEL / ILLUSTRATION: WINAMAX Le coin des parieurs Fidèle supporter du PSG, Florian s’est pour une fois trouvé très heureux de voir les Marseillais égaliser au bout du temps additionnel face à Lille. Car celui qu’on connaît sous le pseudo de LosFloccos a eu la drôle d’idée de ne parier que sur des matchs nuls. Avec succès: 25 centimes et huit matchs plus tard, il repart avec un joli chèque de 8521 euros, pour une cote à 30298,51. Une soirée pas si nulle que ça, finalement. “Je n’irai pas jusqu’à acheter le maillot de l’OM” “Je ne parie jamais sur le PSG. On ne mélange pas le cœur et le business” 2 7 1. Traianos Dellas. 1,96 m pour 88 kg. On n’avait pas vu un Grec plus balèze depuis Hercule. Ses douze travaux, Dellas va les accomplir dans des clubs horribles: Aris Salonique, Panserraikos Serrès, Sheffield United, AC Pérouse, Anorthosis Famagouste et AEK Athènes. C’est plus un CV, c’est un fugitif en cavale. Reste cette parenthèse romaine aussi enchantée qu’improbable pour le défenseur central qui réalise dans la foulée son plus beau braquage en 2004, un championnat d’Europe remporté avec son pays. Dellas > Hercule. 2. Gabriel Batistuta. “En très peu de temps, je me suis retrouvé dans l’incapacité de marcher, j’avais tellement mal que je n’arrivais même plus à me lever de mon lit. Parfois, je me suis même pissé dessus… Je n’ai plus de cartilage ni de tendon. C’était insupportable, à tel point que j’ai demandé l’amputation. Je me disais que c’était la solution.” Faux, la solution c’est une prothèse de la cheville posée en 2019 qui remet finalement sur pied la légende Batigol. Idole de la Fio, passée par la Roma et l’Inter mais aussi par Boca et River. Un 9 comme on n’en fait plus. 3. Vincent Candela. Oui, tous les chemins mènent à Rome. Ceux qui passent par Montpellier, Toulouse et Guingamp aussi. Défenseur, milieu, piston, attaquant, appelez ça comme vous voulez tant que ça déborde côté droit. Champion d’Italie 2001 avec la Roma, d’Europe en 2000 et du monde en 1998 avec les Bleus. Mais Vincent Candela c’est surtout l’homme grâce auquel la Sacem de Gloria Gaynor a explosé en France, faisant de son tube I Will Survive l’hymne d’une équipe et une chanson qui se dégaine à tous les mariages de province. La, lala, la, la, lalalala… 4. Jonathan Zebina. Veni, vidi, vici. Été 2000, Zebina signe à la Roma. Neuf mois plus tard il soulève le Scudetto. Il faut dire que le Z n’a pas le temps. Une descente avec Cannes, une autre avec Cagliari, le défenseur français a soif de succès. Petit protégé de Capello, le technicien italien l’emmène dans ses valises à la Juve où de nouveau il empoche deux titres de champions en 2005 et 2006. Retirés à la suite de l’affaire du Calciopoli. Un jeu que les Juventini adorent, c’est comme le Monopoly, mais à la place des rues, on achète des arbitres. 5. Ivan Pelizzoli. Peut-on remporter une supercoupe d’Italie avec la Roma, une coupe de Russie avec le Lokomotiv Moscou et une médaille de bronze aux JO avec la Nazionale? La réponse tient en deux mots: Ivan Pelizzoli. Gardien moyen au look douteux, Ivan c’est une carrière où les clubs ressemblent plus à ceux du championnat italien de volley qu’à ceux de Serie A: Delfino Pescara, Virtus Entella, AlbinoLeffe. Le volley, un sport où Pelizzoli aurait probablement plus laissé sa trace que dans le calcio. 6. Walter Samuel. Défenseur argentin dans la plus pure tradition. Dur sur l’homme. Mais sur tout l’homme, hein. Les genoux, les tibias, les chevilles. Derrière il y a R qui passe. D’où son surnom: le Mur. Érigé à Rome mais défoncé au Real Madrid où il ne reste qu’une saison avant de signer à l’Inter pour gagner tout ce qu’on peut gagner. Aujourd’hui, l’homme aux yeux revolver fait partie du staff technique de l’Argentine championne de tout. Comme chantait Abba: The Winner Takes It All. 7. Marco Delvecchio. Cheveux mi-longs, bouc et lacets dans les cheveux. Ce 2 juillet 2000, dans les alentours de 22h45, Delvecchio le sait, son grand moment est enfin arrivé. Lui l’attaquant formé à l’Inter, adopté par la louve romaine, savoure sous le maillot de la Nazionale. Quelques minutes auparavant, il a ouvert le score face à la France dans cette finale de l’Euro. 1-0, c’est écrit, il est le héros de ce match. L’Italie a fermé la boutique et attend le coup de sifflet final. Hélas pour lui, Wiltord est en train de déborder côté gauche… La suite on la connaît, lui pas encore. Porca miseria. En 2002-2003, la Roma est une équipe qui compte. Championne d’Italie deux saisons auparavant, profil poil à gratter en ligue des champions, la Louve emmenée par Fabio Capello vient même d’attirer la légende du Barça, Pep Guardiola. Mais hélas pour lui, la mode est aux cheveux longs mouillés et aux maillots élastiques près du corps. Quand on pèse 60 kilos et qu’on commence à perdre ses cheveux, tout porte à croire que la greffe ne va pas prendre. Bingo. AS ROME 2002 COPAINS D’AVANT 1 14 SOFOOT _ AVANT-MATCH IMAGO / ICON SPORT 3 6 4 8 9 10 8. Francisco Lima. Pas le chirurgien-dentiste conventionné situé au 97 rue Ronsard, 37100 Tours. Non, le footballeur brésilien, né le 17 avril 1971 à Manaus. Milieu de terrain quelconque à la carrière incompréhensible. Dans le désordre: San José Earthquakes, Lokomotiv Moscou, FC Zurich, US Lecce, Qatar SC ou encore le Sao Paulo FC. Dans tout ce foutoir s’est glissée une AS Roma 2001-2004. Et à bien regarder son visage, Francisco a l’air de se demander comment il a atterri là. Nous aussi. 9. Davide Bombardini. Entre 2002 et 2003, ce défenseur que personne ne connaît à part sa mère a réussi la prouesse de disputer huit matchs avec les Giallorossi. Cette photo est là pour en témoigner. Il faut dire que ses exploits, Bombardini les a surtout réalisés dans les catégories inférieures. Champion d’Italie en Serie C avec Palerme puis à nouveau champion en Serie B avec l’Atalanta. Le profil idéal pour jouer à “Mais qui est l’imposteur” avec Squeezie. 10. Emerson. Comme tous les grands joueurs passés par le Calcio dans les années 2000, Emerson a trahi. La Roma pour la Juve. La Juve pour le Milan. Avant ça, il y a eu les débuts en Europe au Bayer Leverkusen, puis un passage plus que mitigé au Real Madrid. Taulier de la Seleção avec qui il perd la finale du mondial 98 et gagne celle de la Copa América 99, le sosie brésilien de Jean-François Copé reste aujourd’hui encore l’une des plus belles calvities assumées de l’histoire du foot. 11. Josep Guardiola. Des jambes en canard, une vitesse de pointe à 1,5 km/h, et un sens du but identique à celui de Nolan Roux… Soit le profil idéal pour jouer milieu devant la défense du FC Barcelone. Cerveau de la “Dream team” de Cruyff, il quitte le club de sa vie pour une improbable aventure italienne. Brescia d’abord, puis six petits matchs avec Rome. Un flop. À l’époque, tout va trop vite, tout va trop fort, mais Pep prend des notes. Le football va changer. Ou plus précisément, il va changer le football.GPAR L’INSUPPORTABLE ALEXANDRE GONZALEZ / PHOTO: IMAGO / ICONSPORT On les oublie pas: Vincenzo Montella, Antonio Cassano, Damiano Tommasi, Christian Panucci, et évidemment Francesco Totti. 11 5 “Ça te dérange si je mets ma main sur ta cuisse?” 16 SOFOOT DREAM teen ARCHIVES FC BARCELONE 18 SOFOOT _ DREAM TEEN 1 C’est ce qu’on appelle un début de saison galère. Cet été 90, Johan Cruyff et son bras droit, Carles Rexach, avaient déjà perdu Luis Milla. Pion essentiel de la saison précédente, où il avait été élu révélation de la Liga, le milieu défensif formé à la Masia avait choisi d’envoyer l’offre de prolongation du Barça à la poubelle pour mieux filer au Real Madrid. Le 27 octobre 1990, deuxième coup dur: Ronald Koeman se pète un tendon de la cheville au Vicente Calderon, au tout début d’un match de Liga perdu face à l’Atlético, le concurrent numéro un pour le titre. Le Barça n’a pas le choix, il doit recruter. Et pas n’importe qui. Cruyff et son binôme ont des exigences. Ils veulent un joueur capable de jouer libero à la place de Koeman, mais aussi, et surtout, d’évoluer un cran plus haut une fois que le numéro 4 aux grosses pralines sera de retour sur le pré. Cette perle rare a un nom venu du froid, d’un pays où l’on barre les o: Jan Mølby. Ce dernier pige alors à Liverpool, après avoir été le coéquipier de Cruyff à l’Ajax lors de la saison 1982-83. Grand fan du triple ballon d’or, l’international danois n’est pas insensible aux appels du pied du Barça. Les Reds sont alors interdits d’Europe depuis la sanction post-drame du Heysel, et jouer sous le soleil de Catalogne avec son compatriote Michael Laudrup est un argument de plus pour celui qui vient d’enquiller un troisième titre de champion d’Angleterre. Mølby est tellement convaincu de finir au Camp Nou qu’il annonce même son départ de Liverpool, en novembre 1990, la veille d’un match contre Luton: “Il se pourrait bien que ce soit l’une des dernières fois que je porte ce maillot, explique-t-il en conf’ de presse. J’espère juste que les supporters catalans seront aussi chaleureux et sympathiques que ceux des Reds.” Ce transfert, évidemment, ne fait pas les affaires de Josep Guardiola dont le talent en laisse alors perplexe plus d’un. À l’époque, le pur produit de la Masia est ainsi qualifié d’“asperge dégingandée” par certains dirigeants du Barça. Pour son premier match avec les pros, un amical disputé en mai 1989 contre Banyoles, une équipe de troisième division, “Pep” avait même été sorti à la mi-temps par Cruyff, excédé par la performance d’un joueur “plus lent que [sa] grandmère”. Un souvenir encore vif dans la tête du coach des Citizens: “Je voulais jouer la deuxième mi-temps et Cruyff m’a dit: ‘Non’. Je me suis assis et j’ai pensé: ‘Jamais plus je ne jouerai en équipe première à Barcelone. C’est fini.’” La Mercedes et le métro En cet automne 90, pourtant, la pièce va finir par tomber du bon côté. Enfin, pas pour Jan Mølby. “Quand Johan m’a appelé, je lui ai dit que ses dirigeants devaient voir directement avec les miens afin de voir s’ils étaient prêts à me vendre, détaille aujourd’hui le Danois. Les deux clubs n’ont pas réussi à tomber d’accord sur le prix du transfert (estimé à 1,5 million de livres sterling, ndlr) et Liverpool a LE PREMIER CHOIX Avant de faire de Pep Guardiola le métronome de sa Dream Team, Johan Cruyff voulait un autre 6: Jan Mølby. La condition physique du Danois, les exigences de Liverpool et les finances des Catalans en ont décidé autrement. Retour sur un mercato frustré qui a changé l’histoire du FC Barcelone. Par Maxime Brigand IMAGO / ICON SPORT finalement fermé la porte. Johan m’a dit: ‘Je sais que nous n’avons pas d’argent, mais je pensais qu’ils se plieraient en quatre pour Johan Cruyff. Ça n’a pas été le cas.’” Le Flaco n’a pas raconté toute l’histoire à son ex-coéquipier ajacide. Notamment le chapitre sur les réticences du président catalan, Josep Lluis Nunez, refroidi après avoir passé un coup de fil à son ancien ballon d’or danois, Allan Simonsen, 42 buts avec le Barça entre 1979 et 1983. Tout juste retraité des terrains, ce dernier lui déconseille de lâcher 250 millions de pesetas pour un joueur sur la fin et avec des kilos en trop. Mais Cruyff et Rexach insistent, alors Nunez leur présente un document à parapher, histoire de se couvrir auprès des socios: si le caprice Mølby est un flop et qu’ils ne parviennent pas à remporter la Liga, ce sera fini pour eux au 30 juin prochain. Devant tant de pression bureaucratique, Rexach propose alors une solution alternative à son N+1: faire redescendre José Ramon Alexanko derrière, et lancer Guardiola au milieu. “Le transfert raté de Mølby, c’est un peu comme si ton fils te demandait une Mercedes pour aller à l’école, remet un illustre dirigeant du Barça sous couvert d’anonymat. Tu lui dis oui, mais en échange, il faut que le bulletin de note soit irréprochable. Et finalement, il t’annonce qu’il préfère aller en classe en métro. Bah voilà, le métro de Cruyff, c’était Pep parce qu’il n’était pas sûr de décrocher le titre avec Mølby.” Cruyff se résout donc à faire monter le catalan en équipe première, non sans lui hurler dessus à chaque séance d’entraînement, le poussant notamment à utiliser ses deux pieds. Il faut dire qu’en descendant le voir avec le Barça B, le Néerlandais avait été pris d’un sérieux doute, le gamin de Santpedor ayant passé l’intégralité de la rencontre sur le banc. “Carles! Tu n’arrêtes pas de me dire que ce mec est bon, mais il ne joue pas, avait-il alors fulminé. Il ne s’est même pas échauffé!” La justification du staff de la réserve est à l’époque la suivante: Pep est, à leurs yeux, trop frêle. Un détail dont Cruyff se moque pas mal. Après un mois de bricolage, avec Alexanko dans le rôle de libero et Guillermo Amor à la base de son losange, le Néerlandais lâche son jeune métronome dans le grand bain face à Cadix, le 16 décembre 1990. Hasard ou coïncidence, Cruyff prolonge son contrat de deux ans dans la foulée. Quelques mois plus tard, Guardiola sera fixé pour de bon dans le onze de ce qui deviendra la Dream Team, vainqueure de la première C1 du club, en 1992. L’année du dernier titre pour Jan Mølby: une coupe d’Angleterre, avant des prêts ratés à Barnsley et Norwich et une fin de carrière anonyme à Swansea. Après quelques expériences guère plus concluantes en tant que coach, le Danois est finalement revenu s’installer à Liverpool, où il jouit de son statut de légende. Il occupe désormais ses journées à faire des podcasts, à une cinquantaine de kilomètres de l’homme dont il a, malgré lui, lancé la carrière. •TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR MB, SAUF CEUX DE CRUYFF TIRÉS DE PEP GUARDIOLA: ANOTHER WAY OF WINNING ET CEUX DE MØLBY, ISSUS DU PODCAST WE ARE LIVERPOOL “Liverpool a fermé la porte et Johan m’a dit: ‘Je sais que nous n’avons pas d’argent, mais je pensais qu’ils se plieraient en quatre pour Johan Cruyff. Ça n’a pas été le cas…’” Jan Mølby, transfert frustré PA IMAGES / ICON SPORT Même en photo il est lent.
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