ROCK AND FOLK n°694 - Page 5 - 694 Juin 2025 R&F 003 Edito Plein la vue “Il n’y a que les aveugles et les trous du cul qui portent des lunettes noires la nuit.” Proverbe rock, anonyme (mais persistant) Revenons au début. Dans la hiérarchie des équipes de foot des cours de récréation, le gars à lunettes se retrouvait systématiquement dans les buts. Gardien. En concurrence directe avec celui en surpoids. Néanmoins, le binoclard reprenait immédiatement de l’intérêt au moment des interros de mathématiques. Comme si ses lunettes lui donnaient des super-pouvoirs. Qu’il allait finir physicien, banquier, homme politique de droite, alors qu’il bossait juste ses leçons. Tandis que tous les autres passeraient leur vie à marquer des buts extraordinaires dans la cour de l’école. A l’heure de la récréation. Qu’en est-il, en fait, de ces lunettes ? Attardons-nous sur l’affaire. Il y a dans une paire de lunettes — noires, fumées, solaires ou correctrices — bien plus qu’un simple accessoire, évidemment. Lunettes comme rempart. Lunettes comme manifeste. Lunettes pour être reconnu, parfois. Au cinéma, Audrey Hepburn les sacralise, Brigitte Bardot les insoucie, Sophia Loren les sexualise, Alain Delon les cisèle. Jack Nicholson, lui, en a fait un visage parallèle. Les lunettes noires, dans l’univers du 7ème art, filtrent la lumière, oui — et pas mal la vérité aussi. Dans le rock, c’est une autre lumière qu’elles filtrent. Des yeux qu’elles protègent. Des nuits blanches, des produits. Révélant souvent plus qu’elles ne cachent. Buddy Holly est le premier à bousculer l’esthétique dominante : des lunettes ! de vue ! dans un monde en train d’inventer la pose. Pas loin, Roy Orbison impose la monture épaisse et noire comme ses cheveux, verres jaunes. Elvis, bien sûr, en Neostyl Nautic 2 frappées du TCB au Madison Square Garden, Lennon, et ses bésicles rondes, comme Dion après, et Neil Hannon plus tard. Liam Gallagher les tentera, avec moins de succès. Roger McGuinn et ses granny glasses, cache-pupilles, les Aviators de Lou Reed, Ron Asheton et de Freddie Mercury aussi, les Blues Brothers, Elvis Costello... Jarvis Cocker. Morrissey ou même Joe Strummer. Jeff Lynne, Bob Dylan, jeune et vieux, Devo avec celles de piscine, Bono qui soigne son glaucome, Rivers Cuomo, Graham Coxon. On pense aussi à Lisa Loeb, avec ses montures sages, Chrissie Hynde, Patti Smith parfois, Debbie Harry souvent. Et bien sûr Janis Joplin et ses grandes montures aux verres colorés qui semblaient la protéger de sa propre brume psychédélique des années soixante. Il y a aussi ceux pour qui les lunettes deviennent une extension du personnage, un masque : Elton John, évidemment, collectionneur baroque et ses montures extravagantes, Sly Stone, Michel qui devient Polnareff quand il chausse ses Pierre Marly, des rappeurs… Des dizaines de pochettes d’albums… Les frères Lebrun… Qui ça ? Bref. Après avoir dit cela, on ne peut pas affirmer pour autant qu’il existe un rock à lunettes. Même le math-rock, hein. Une question taraude cependant, est-ce que tous ces gens étaient forts en calcul ? Jarvis Cocker, en couverture ce mois-ci, était-il gardien de but ? Vincent Tannières Parution le 20 de chaque mois Mes Disques A Moi Nicolas Ungemuth FABRICE LHOMME 10 In memoriam Thomas E. Florin David Thomas 14 Prospect Eric Delsart LULU 18 H.M. BERMUD 19 Tête d’affiche Stan Cuesta GINGERELLA 20 Jonathan Witt Charles Moothart 22 Thomas E. Florin Ella A. Thaun 24 Jérôme Soligny JAMIE PERRETT 26 Bertrand Bouard TAJ MAHAL & KEB MO 28 En vedette Eric Delsart PETER DOHERTY 30 Alexandre Breton Ty SEgall 34 Romain Burrel Garbage 38 Johan Dalla-Barba Sparks 42 Léonard Haddad BILL FOX 46 En couverture Vianney G Pulp 50 Eric Delsart Disco 2000 54 RUBRIQUES edito 003 Courrier 006 Telegrammes 008 Disque Du Mois 059 Disques 060 Reeditions 070 REHAB’ 074 vinyles 076 DYNASTIE 079 DISCOGRAPHISME 080 HIGHWAY 666 REVISITED 082 Qualite France 083 Erudit Rock 084 Et justice pour tous 086 FILM DU MOIS 088 Cinema 089 SERIE du mois 091 IMAGES 092 Bande dessinee 094 LivRes 095 Live 096 PEU DE GENS LE SAVENT 098 Sommaire 694 50 Pulp www.rocknfolk.com Photo Roger Sargent-DR 30 Peter Doherty Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Sophie Casasnovas Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99) Rédacteur en Chef adjoint Eric Delsart Chef des Infos Yasmine Aoudi (32 94) Chef de la rubrique Live Matthieu Vatin (32 99) Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) Secrétaire de rédaction Manuella Fall Publicité : Directeur de Publicité Olivier Thomas (34 82) Assistant de Publicité Christopher Contout (32 05) PHOTOGRAVURE Responsables : Béatrice Ladurelle (31 57), Flavien Bonanni (35 29) VENTES (Réservé aux diffuseurs et dépositaires) : Emmanuelle Gay (56 95) ABONNEMENTS : Promotion Abonnements : Carole Ridereau (33 48) Abonnement : France 1 an 12 numéros version papier + DIGITAL OFFERT : 76 €, Prélèvement mensuel 2025 : 6 € Suisse et autres pays et envoi par avion : nous contacter au (33) 03 44 62 43 79 ou sur : abo.lariviere@ediis.fr VENTE PAR CORRESPONDANCE : Accueil clients 03 44 62 43 79 Commande par Carte Bancaire ou sur www.rocknfolk.fr COMPTABILITé (32 37) Fax : 01 41 40 32 58 Directeur de la Publication et Responsable de la Rédaction : Patrick Casasnovas IMPRESSION : Imprimerie de Compiègne Zac de Mercières 60205 Compiègne Cedex. 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PAtrick Moalic Déséquilibre économique se traduisant par la hausse des prix En 1973, j’allais voir Led Zeppelin et T.Rex en concert, porte de SaintOuen pour les uns et Olympia pour les autres. J’avais un petit salaire, j’étais employé de supérette, autant vous dire que je ne roulais pas sur l’or ! Mais je pouvais me permettre. En 2025, je n’irai pas voir John Fogerty ni Neil Young, pas plus que Bruce Springsteen. John Fogerty au Zénith : de 145,50 euros à 178,50 euros par devant (comme disait Serge Gainsbourg) et 79,50 euros par derrière. Pour Neil Young faudra sortir entre 112,50 et 145,50 euros pour être à 300 mètres de la scène, Bruce Springsteen à Lille, 166,50 euros pas trop mal placé et 78,50 (sur la pelouse). Serait-ce maintenant l’âge d’or du rock’n’roll ? Alain Thiebot Emprunt Guten tag, juste ajouter à l’excellent article/ dossier sur Kraftwerk (et leur influence) de l’avant-dernier numéro l’emprunt par Coldplay (pas le groupe le plus électro krautrock du monde) de la mélodie de “Computer Love” (extrait du “Computer World” de 1981) pour le morceau “Talk” (album “X&Y”). Notons que les compositeurs du morceau emprunté sont bien crédités sur les notes de pochette du disque du groupe de Chris Martin... c’est la moindre des choses et ça évite les accusations de plagiat... Philippe Bouckenooghe Les deux ! Eh oui, Monsieur Nicolas Ungemuth, aussi incroyable que cela puisse être, il y en a certains qui aiment Grand Funk Railroad ! Et j’adore votre rubrique. Kriskam Brick by Brick En vertu d’un principe qui m’est propre, je considère de mon devoir de vous faire remarquer que vous ne m’avez jamais cité dans vos articles consacrés aux merveilleuses sixties alors que j’y ai joué un rôle majeur. Voyez, sur le premier album des Animals, c’est moi à droite ! Sur le “Five Live” des Yardbirds, à gauche, encore moi ! Toujours là, sur le “Back Door Men” des Shadows Of Night, le “Take A Heart” des Sorrows, le “Ziggy Stardust” de David Bowie. Tellement incontournable que je trône, majestueux et robuste, au verso du disque qui a rendu universellement célèbre un passage pour piétons. La gloire dans toute sa splendeur ! A tel point qu’au cours de la décennie suivante, Paul McCartney m’a voulu sur son célèbre “Band On The Run”, c’est bien moi derrière les condamnés en fuite. Même les punks n’ont pas résisté, les Ramones, bien moins crétins que leur réputation, m’ont imposé sur leurs deux meilleurs albums. Dans la foulée, les Heartbreakers se sont pointés, avec leurs dégaines de canailles chics, pour le cliché ornant leur historique “LAMF”. Puis, victime des années qui passent et de l’évolution des visuels, c’est en star déchue que je finis complètement oublié du public et de vous, chers érudits musicaux. Alors, je le proclame, il est grand temps de reconnaître l’importance historique du mur de briques dans la grande mythologie du rock... Si, si, je vous assure... Ringa Storr Kraft Martin & Werk Circus Superbe couverture, photo noire et blanc de Kraftwerk, des Teutons qui avaient révolutionné la musique alors que quelques autres Germains déclinaient du krautrock pur et mou. Kraftwerk, je les avais découverts avec la tribu alsacienne, avant les jeunots du pays au-delà des Vosges car nous, en Alsace-Moselle, baignions avant l’heure (française) dans la technologie FM des radios allemandes dont les ondes traversaient le Rhin bien avant certains rayonnements irradiants venant d’un pays de l’Est où le rock était bien moins libéré... Je n’ai vu qu’une fois cette Centrale Nucléaire en concert, sur le tard, en 2005, un concert mémorable aux Eurockéennes. Martin Circus, autre retour à mon adolescence, un article sous la plume de l’excellent narrateur Patrick Eudeline, dont la culture générale et musicale me séduit depuis longtemps. Alors, lorsqu’il décrit le paysage pop bien français des années soixante-dix avec Zoo, Triangle, Alan Jack Civilization, Magma, Dynastie Crisis, Alpes, Moving Gelatine Plates et l’horizon anglais avec Traffic, Blood Sweat And Tears, Flack, East Of Eden, John McLaughlin, Jack Bruce, Steve Winwood, Jethro Tull, je suis genre chérubin aux anges, aux archanges... Là aussi, souvenir, j’avais vu le Cirque de Martin en première partie de Johnny Hallyday le 16 août 1970, sous la Coquille de Colmar, dans leur première époque, masques blancs, habits blancs. Qui se souvient encore de “Le Matin Des Magiciens”, “Tout Tremblant De Fièvre”, “Barbe-Bleue” de 1969 ? Oui, bien sûr, les danseurs fièvreurs fêteurs se souviennent du tribal “Je M’Eclate Au Sénégal” en 1971 ou de la chanson de plage (la beachboysienne “Barbara Ann”) “Marylène” en 1975. Après cela, j’avais quitté le Cirque Martin... Stianchris de Sélestat Diabolique Coïncidence. Ce matin, jeudi 24 avril, sur ma radio musicale préférée, j’entends un truc qui me scotche pas mal, genre Divine Comedy, sunshine pop, truc qui me branche actuellement. Vite fait, je prends mon appli préférée et elle me dit que c’est Arthur Satàn. Ah oui, je connais un peu ce nom, c’est pas mal ce qu’il fait, dans mon souvenir... Ce midi, je reçois mon mensuel préféré. Je l’ouvre, le feuillette et que vois-je ? Le disque du mois de Rock&Folk est cet Arthur Satàn, le même que celui de ce matin ! Il y a des jours comme ça ! Alain Dounont Fumée blanche Ghost aurait fait une très belle couverture, après la mort du pape. E. T. Déconing PEople La fin de vie de Brian Alors Brian James a lui aussi fini par lâcher la rampe... Encore un vieux punk qui se fait la malle… C’est triste, bien sûr, mais d’un côté, j’ai du mal à les imaginer dans un Ehpad... GM Tour de François Bravo pour votre dossier sur Kraftwerk. Concernant la rubrique “Trafic d’influence”, il y a un détail historique inattendu qui pourra vous intéresser car il se trouve que des dizaines de millions de Français connaissent sans le savoir la musique de Kraftwerk. Le 10 mai 1981 à 20 heures, c’est en effet sur une musique de Kraftwerk que Jean-Pierre Elkabbach annonce l’élection de François Mitterrand au journal d’Antenne 2. La séquence devenue patrimoniale qui montre les lignes successives dessinant le visage du nouveau président de la République s’accompagne d’un bref sifflement suivi d’un arpège descendant à tonalités métalliques qui correspond à une brève séquence de “Kometenmelodie 1”, sur “Autobahn”. Ce fragment de moins d’une dizaine de secondes s’entend vers la fin du titre, grosso modo entre 6’28 et 6’36. Pierre-Frédéric Charpentier Recettes Ty Je ne sais plus sur les conseils de qui (probablement Rock&Folk), je me suis procuré un disque de Ty Segall : “Three Bells”. C’est comme si Van Der Graff Generator, King Crimson, Alice In Chains et Beck (des débuts) avaient formé un super groupe. Le garçon a un peu tendance à faire durer quelques dissonances et à interrompre après trois minutes de pures merveilles mélodiques et on se demande pourquoi (en fait, on a plutôt tendance à s’enfermer dans la salle de bains ou toute autre pièce de la maison un peu isolée pour hurler : “Mais pourquoi !”). Ensuite on réfléchit et on se dit qu’il fait bien ce qu’il veut et que tant qu’il y aura des musiciens comme lui, on regrettera un peu moins les années soixante-dix. Antoine Grisoni Les rois de Rennes Ecouter pour la première fois “Boxon” en 1975 dans un rade de Rennes qui a ouvert son rideau de fer au petit matin, quand une patrouille de flics passait dans la ruelle après une fin de nuit un peu trop embrumée, en buvant un chouchen et en jouant au flipper… Expérience. William Bande de Charlots Sympa d’avoir mis Gérard Rinaldi en couverture du mois d’avril ! Romain S Ecrivez à Rock&Folk, 12 rue Mozart, 92587 Clichy cedex ou par courriel à rock&folk@ editions-lariviere.com Chaque publié reçoit un CD 008 R&F Juin 2025 AIR Tandis que sa tournée mondiale “Moon Safari” s’étend outreAtlantique, le duo électro français fera escale au Bois de Vincennes (Paris) et figurera parmi la soixantaine d’artistes à se relayer lors du festival We Love Green qui aura lieu les 6, 7 et 8 juin. ART ROCK FESTIVAL Pour sa 42ème édition les 6, 7 et 8 juin prochains, Texas, Franz Ferdinand, Cat Power, La Femme, Juniore, Ditz, et Pogo Car Crash Control feront partie des artistes qui assureront le show à Saint-Brieuc. MATT BERNINGER Auréolé de la participation de nombreux invités tels que Booker T Jones, Kyle Resnick (The National) ou Paul Maroon (Walkmen)… et produit avec l’aide du producteur et ingénieur du son Sean O’Brien, le deuxième album solo “Get Sunk” du leader de The National sera mis en vente le 30 mai. BILL CALLAHAN Dans le cadre de sa tournée européenne, le singer-songwriter américain s’arrêtera à Lyon, au Festival des Nuits de Fourvière, le 30 juin et à Paris, au Festival Days Off, le 1er juillet. CLAMM Le trio punk (une fille, deux garçons) originaire de Melbourne dévoilera son troisième et dernier-né “Serious Acts”, attendu pour le 30 mai, à travers l’Hexagone. En juin, il sera au Havre (Le Tetris) le 14, à la Rochelle (La Sirène) le 18 et à Bordeaux (Mac 3) le 19. DAYS OFF La Philharmonie de Paris accueillera la 15ème édition du festival Days Off du 28 juin au 6 juillet. Au programme, entre autres, Beth Gibbons, Bill Callahan, Bloc Party, Sprints, Nick Cave Solo accompagné par Colin Greenwood (Radiohead)… DEAD DAISIES Le quatuor de hard rock australien se plonge dans le blues pour son prochain album annoncé pour le 30 mai. “Lookin’For Trouble” contiendra dix versions revisitées de standards de pionniers comme Robert Johnson, Muddy Waters, John Lee Hooker, Howlin’Wolf… JOHNNY DELAWARE Le guitariste-auteur-compositeur américain se produira aux côtés de son compatriote Early James pour une ambiance teintée d’americana, de rock, folk, country et blues le 28 juin à la Marbrerie, à Montreuil. DIRE STRAITS “Brothers In Arms”, le plus gros succès de la carrière des Britanniques paru en 1985, ressort dans une version Deluxe pour son quarantième anniversaire. Il renferme un live inédit capté la même année à San Antonio et est disponible en 5 LP ou 3 CD. GUS ENGLEHORN Le chanteur américain soutiendra son dernier disque “The Hornbook” en France en juin. Il sera à Lyon (Trokson) le 6, à Bordeaux (House Show) le 8, à Paris (Pop-up Du Label) le 12, à Thoré-la-Rochette (Gare à la Rochette Festival) et à Rennes (Pies Pala Pop Festival) le 14. SAMANTHA FISH La guitariste native de Kansas City sera en concert en France en juin, le 10 au Trianon de Paris et le 11 au Transbordeur de Lyon. L’occasion de (re)découvrir sa dernière livraison “Paper Doll”. FLAMING LIPS Le groupe psychédélique d’Oklahoma City mené par l’excentrique Wayne Coyne sera en concert exceptionnel au Trianon à Paris le 31 mai pour interpréter son chef-d’œuvre “Yoshimi Battles The Pink Robots”, album sorti en 2002, et certifié disque d’or depuis. GENESIS Pour célébrer ses cinquante ans, “The Lamb Lies Down On Broadway” (dernier album avec Peter Gabriel au sein du groupe) s’offrira une réédition Super Deluxe. Divers formats seront proposés, disponibles dès le 13 juin : un coffret 5 LP + Blu-Ray audio, un coffret 4 CD + Blu-Ray audio, et des versions digitales. GREEN DAY “Saviors”, le quatorzième album du trio californien publié l’an dernier, ressort dans une version Deluxe. Enrichie de sept nouveaux morceaux, elle est déjà dans les bacs. HEAVY WEEK-END Les mastodontes de la scène hard rock et heavy metal Saxon, Dream Theater, Europe, Slipknot, Mass Hysteria et Powerwolf… accompagnés de la nouvelle génération se relayeront sur scène pour la deuxième édition du Nancy Open-Air les 6, 7 et 8 juin. Télégrammes Clamm Photo DR Gus Englehorn Photo Oscar O’Shea-DR par Yasmine Aoudi INSPECTOR CLUZO Produit par Vance Powell (Jack White, The Raconteurs, Arctic Monkeys…), le dixième album “Less Is More” du duo landais sera dévoilé le 6 juin, avant leur départ en tournée à travers le monde jusqu’à début 2026. INXS Pour souffler les quarante bougies de l’album “Listen Like Thieves”, une réédition a vu le jour début mai au format coffret Deluxe (1 LP + 3 CD) contenant des extraits inédits... JAM Préfacé par Paul Weller, le livre “Solid Bond In Your Heart: A People’s History Of The Jam” du journaliste Malcolm Wyatt donne à son tour la parole aux fans du combo britannique. Retour en 288 pages sur les souvenirs de plus de 200 concerts du trio à travers plus de 150 photos, et des interviews de divers artistes. Déjà disponible. JIM JARMUSCH Avant leur concert unique prévu le 7 juillet prochain à la Cigale de Paris, Jim Jarmusch et le luthiste et compositeur Jozef Van Wissem reviennent avec un troisième disque. “The Day The Angels Cried”, aux “compositions free-folk minimales”, est attendu pour le 6 juin. KINGS OF LEON Les Followill, trois frères et leur cousin, seront de retour en France le 10 juin au Zénith de Paris. KORN Le quintette californien sera le 16 juin au Hellfest à Clisson et le 24 juin au Festival de Nîmes (Arènes de Nîmes). MASSIVE ATTACK Robert “3D” Del Naja et Grant “Daddy G” Marshall, le duo fondateur rescapé et précurseur du trip hop, animeront la soirée du 9 juin au Zénith de Paris. MEKONS Dans le cadre de leur tournée européenne, les trublions de Leeds interpréteront leur dernier pamphlet, “Horror” au Hasard Ludique à Paris le 31 mai. METALLICA “Load”, le controversé album de 1996 des Californiens bénéficiera à son tour d’une édition Super Deluxe. Au format : coffret Super Deluxe (6 LP, 15 CD, 4 DVD…) ou digipack 3 CD, le tout sera à (re)découvrir le 13 juin. MOTÖRHEAD Alors qu’une statue à l’effigie de son leader Lemmy Kilmister vient d’être dévoilée dans sa ville natale de Burslem, les éditions Petit A Petit célèbrent les cinquante ans de la création du combo et les dix ans de sa disparition avec un docu-BD intitulé “Motörhead – Back From The Dead” qui sera en librairie le 4 juin. NEW PORNOGRAPHERS Les Canadiens ont mis un terme à la collaboration avec leur batteur Joe Seiders. Ce dernier a été inculpé, entre autres, pour possession de pornographie juvénile… MARION RUSZNIEWSKI Notre photographe, survivante de l’attentat du Bataclan en 2015, lance une campagne Ulule jusqu’au 25 juin pour publier son livre “Doing It To Death — 20 Ans De Photos Au Bataclan”, prévu pour l’automne prochain. Pour apporter sa contribution : fr.ulule.com/marionrlivrephotos-bataclan. SCORPIONS C’est au tour du combo allemand de lancer sa propre bière, une pale lager sobrement nommée Scorpions, avec la collaboration de la brasserie bavaroise Aktienbrauerei Kaufbeuren (ABK). SHERIFF Lors du Spring Break – Indoor & Outdoor Festival de Montpellier qui aura lieu les 23 et 24 mai, le combo punk rock célébrera ses quarante ans Juin 2025 R&F 009 de carrière à domicile le 23, aux côtés des Dirty Fonzy, Not Scientists… JON SPENCER Le chanteur du Blues Explosion, flanqué de son Hitmaker, sera le 31 mai à Bourges pour le Cosmic Trip Festival, le 2 juin à Lille à l’Aéronef, le 4 à Paris à la Maroquinerie et le 5 à Annecy au Brise Glace. WAMPAS Le groupe mené par Didier Wampas vient de signer avec le label hexagonal At(h)Ome et informe de la préparation d’un nouvel album pour début 2026. WHO Après que le chanteur des Who a tenu à clarifier les choses de façon virulente via les réseaux, expliquant qu’il n’est à l’origine d’aucune brouille au sein du groupe, Roger Daltrey, et Pete Townshend viennent d’annoncer leur énième tournée d’adieu américaine : “The Song Is Over Tour”. Condoléances Steindór Andersen (chanteur islandais, de rímur, Sigur Rós), Roy Thomas Baker (producteur et ingénieur britannique, “Bohemian Rhapsody”, The Cars, The Smashing Pumpkins), Jean-Paul Bazin (musicien, producteur français, président de la Spedidam), David Paul Briggs (producteur et musicien américain, Elvis Presley, Joan Baez, The Monkees…), Bobbi Bruno (manager français, Trust, Océan, Klaxon), Carl Jahier (chanteur français, Komintern Sect), Nathan Jerde (musicien américain, batteur de The Ponys), Mike Peters (musicien britannique de rock, chanteur de The Alarm), Max Romeo (chanteur jamaïcain de reggae), David Thomas, Joe Louis Walker (chanteur et guitariste américain de blues). Photo Minhia Defoy-DR MUSTANG Le trio sera à Paris au Trabendo le 11 juin, l’occasion de (ré)entendre “Megaphenix” sa livraison de 2024. Juin 2025 R&F 011 Il est grand reporter au “Monde”, journaliste d’investigation spécialisé dans la politique. Il a également écrit plusieurs livres à succès avec son ami Gérard Davet, dont “Sarko M’A Tuer”, “Un Président Ne Devrait Pas Dire Ça” ou “Apocalypse. Les années Fillon” renouant ainsi avec la tradition des grandes enquêtes qui évoquent les réussites majeures de feu Pierre Péan. Mais Fabrice Lhomme est aussi un fou de rock, et des Clash en particulier. Il possède plusieurs éditions des mêmes albums, venues de pays différents (“C’est du fétichisme, je l’admets, mais je l’assume !”), des pirates, des photos, etc. Pour être clair, c’est un groupe qu’il vénère. Modeste, il avoue s’être mis au rock’n’roll sur le tard et évoque dans son appartement parisien un parcours singulier, et des découvertes tardives. Comme quoi le rock mène à tout : sans le groupe de Joe Strummer, Lhomme ne serait sans doute jamais devenu le grand journaliste que l’on connaît. Conscience politique ROCK&FOLK : Vous êtes né en 1965. Vous souvenez-vous du premier disque que vous vous êtes acheté ? Fabrice Lhomme : Je suis d’une nature très transparente, j’aime dire la vérité, y compris ce qui est ridicule. C’était vers 1976, le 45 tours “Allez Les Verts”. R&F : Qu’écoutaient vos parents ? Fabrice Lhomme : Je viens d’une grande famille, où presque tout le monde était musicien, sauf moi. Mes parents écoutaient Jacques Brel, Georges Brassens, Charles Aznavour, Léo Ferré, que j’aime toujours beaucoupaujourd’hui,maisiln’yavaitpasdemusiqueanglo-saxonne,de rock ou de pop. Ma mère a tenté de me mettre à la flûte à bec, ça n’a pas fonctionné.Jesuisvenuàtoutcelaplustard.Adolescent,j’écoutaislestubes quipassaientàlaradio.“Grease”,“You’re The One That I Want”, “YMCA”, “Born To Be Alive”, le disco, etc. Et puis, je me procureledeuxièmealbumdeTéléphone, “Crache Ton Venin”, et je découvre un son nouveau. Je ne connaissais pas du tout les Rolling Stones, les Beatles et leurs contemporains. Ensuite, je tombe sur Trust. J’ai vu Téléphone au Palais des Sports, il me semble. Et puis, il m’a fallu plusieurs années pour découvrir le rock et son histoire. Avant que je ne devienne, entre autres, fan de David Bowie avec “Ashes To Ashes”. J’étais très timide, sensible, je n’arrivais pas à exprimer beaucoup de choses, ou alors de manière unpeuviolente,j’aifaitpasmaldebêtises. Et le rock m’a appris à me calmer tout en m’énergisant. A l’époque, j’écoutais encorelestubes.Jemesuisachetétousles albumsdePolice,puisceuxdeU2—mon préféré n’est pas celui des fans, il s’agit de “Rattle And Hum”. Je ne renie rien. R&F : Que s’est-il passé ensuite ? Fabrice Lhomme : La découverte des Clash. Des amis les adoraient, l’un d’euxm’afaitunecassette.Jeconnaissais évidemment “London Calling”, mais n’étais pas un spécialiste. J’ai réellement découvert le groupe juste avant sa fin, au moment où il allait disparaître. C’est l’un de mes plus grands regrets. Pour être exact, j’ai été fasciné par le punk alors qu’il n’existait plus. J’avais plus de 18 ans. J’ai découvert les Sex Pistols, Le journaliste enquêteur est connu pour ses livres et articles concernant la politique. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est également fan de rock, ce qui doit être assez rare chez ses confrères. Rencontre avec un homme aux goûts éclectiques, obsédé par un groupe en particulier : The Clash. Fabrice Lhomme recueilli par Nicolas Ungemuth - photos william beaucardet Mes disques à moi “C’est du fétichisme, je l’admets, mais je l’assume !” 012 R&F Juin 2025 les Ramones, Stiff Little Fingers — “Nobody’s Heroes” —, les Buzzcocks. Je me suis teint les cheveux en vert, en rose, je me suis acheté des Docs et un Bomber, etc. R&F : Mais c’était l’époque des nouveaux romantiques, voire de la new wave ! Fabrice Lhomme : J’étais en décalage avec mon temps, tout cela ne m’intéressait pas. Grâce aux Clash, j’ai découvert plein de choses, notamment le reggae. Je n’en connaissais que les chansons les plus commerciales comme les derniers tubes de Bob Marley, mais les Clash m’ont permis de découvrir “Pressure Drop” de Toots And The Maytals, dont je suis toujours fan aujourd’hui. Et puis le ska, le rock steady, le dub, etc. Par ailleurs, les Clash ont développé ma curiosité. Ils m’ont donné une conscience politique et sociale que je n’avais pas. “White Riot” ou “White Man In Hammersmith Palais” — qui est l’une de mes chansons favorites — ont été considérées à tort par ceux qui ne comprenaient pas l’anglais comme des chansons racistes... Ils parlaient des sandinistes, je ne savais pas de quoi il retournait, j’ignorais même où se trouvait le Nicaragua. J’avais beau tenter de déchiffrer les paroles, ce n’était pas très clair. Alors, j’ai décidé de m’instruire, d’acheter “Le Monde” tous les jours. Je me suis inscrit à Amnesty International, j’avais le badge SOS Racisme. Et puis il y a eu le mouvement Red Wedge, avec des gens comme Paul Weller, Jerry Dammers ou Billy Bragg. Enfin, avec “The Magnificent Seven”, les Clash ont été l’un des premiers groupes blancs à enregistrer un rap, mouvement que par la suite, j’ai beaucoup aimé. J’étais dingue de MC Solaar pour le flow et les paroles, mais pas de NTM ni de IAM. Je préférais de loin le rap américain, avec des groupes comme Public Enemy, et ensuite Eminem, que j’ai adoré. Mais le rap français actuel, je ne peux pas : les textes sont affligeants. Un parolier fantastique R&F : Donc, dans les années quatre-vingt, en dehors du rap, vous vous penchez sur le passé ? Fabrice Lhomme : Oui, c’était le début du CD, j’ai fait mon éducation musicale de manière très méthodique. Je me suis acheté tous les Stones, tous les Doors, tous les Beatles — dont je ne suis pas fan car c’est trop gentil pour moi, en dehors de “Sgt. Pepper’s” parce qu’ils y tentent tout —, et tout Bob Dylan. J’ai une passion pour “Highway 61 Revisited” et “Blonde On Blonde”. Ses paroles étaient formidables. En réalité, j’ai découvert le rock à reculons. Mais j’écoutais tout de même des choses de mon temps : j’ai adoré les Pogues, en particulier “Rum, Sodomy & The Lash” (une phrase de Churchill pour décrire la marine anglaise, nda). C’est un album grandiose, inoubliable. Ce mélange de punk et d’influences traditionnelles irlandaises… Et MacGowan était un parolier fantastique. Quel disque… R&F : Quoi d’autre à l’époque, dans les années quatre-vingt ? Fabrice Lhomme : Les Bérus. Selon moi,c’étaitungrandgroupedescène.Bon, musicalement, ce n’était pas fantastique, mais en concert, c’était le cas. R&F : Qu’est-ce qui vous plaisait chez eux ? Les paroles politiques ? “La jeunesse emmerde le Front National” et tout ça ? Fabrice Lhomme : Oui, sans doute. J’aimais leur discours, François MES DISQUES A MOI Fabrice Lhomme “Les Clash ont développé ma curiosité. Ils m’ont donné une conscience politique et sociale que je n’avais pas” Juin 2025 R&F 013 et Loran étaient deux mecs hyper intelligents. Avec un sens de l’humour décapant. Et sur scène, honnêtement, ça déchirait, c’était remarquable. Ça m’a beaucoup marqué. L’album d’eux que je préfère est sans doute leur dernier, “Abracadaboum”. Certes, le titre n’est pas génial, mais j’adore ce disque, en particulier la chanson “Nuit Apache”. On ne parle pas de grands textes ni de grande musique, mais il y a un propos derrière. Strummer a expliqué que les Clash se sont dissous car ils ne voulaient pas devenir des dinosaures (c’est un peu plus compliqué que ça, le groupe d’origine n’existait plus, nda), les Bérus ont fait pareil. Il y a donc une démarche éthique que j’apprécie. Paul Weller a fait la même chose lorsqu’il a mis fin aux Jam et a monté le Style Council. R&F : Il y a une période que vous n’évoquez pas, celle qu’on nommait à l’époque la new wave : Cure, Joy Division, New Order, etc., qui ont fait beaucoup de choses alors que vous étiez en âge de les écouter. Fabrice Lhomme : Il y a chez eux des chansons que j’ai pu apprécier, mais cela ne m’a jamais fait vibrer. En fait, je fonctionne par vibrations. Ce que je préfère écouter, c’est la basse. Donc le reggae. J’ai découvert sur le tard, après les tubes internationaux, les premiers enregistrements de Bob Marley avec The Wailers, ceux de la fin des sixties. C’est merveilleux. Comme le best of de Toots And The Maytals avec “Pressure Drop”, qui est encore du rock steady ou du early reggae. Ou “54-46 Was My Number”. Et toujours grâce aux Clash, j’ai découvert Lee Scratch Perry. Ce qu’il faisait dans son studio Black Ark était phénoménal au regard des moyens techniques. Dans le même tiroir que Dylan R&F : Et dans les années quatre-vingt-dix ? Qu’écoutiezvous ? Fabrice Lhomme : J’ai adoré le disque “Unplugged” de Nirvana, que j’ai énormément écouté en voiture. A fond. J’ai eu l’impression qu’il y avait quelque chose de neuf. Ensuite, il y a eu Massive Attack. Avec la basse, le mélange de reggae et de hip-hop, ça ne pouvait que me plaire. L’album “Blue Lines”, j’ai adoré. Il y a eu également Björk, j’étais assez ébloui par sa personnalité, et j’ai beaucoup aimé le film “Dancer In The Dark”. Musicalement, pour moi, elle effectuait un travail remarquable. J’ai bien aimé aussi “Creep” de Radiohead, période très rock’n’roll donc, mais je n’ai pas vraiment suivi ce que le groupe a fait ensuite, et je n’y ai jamais vraiment accroché alors que j’ai fait beaucoup d’efforts dans la mesure où ma compagne adore Radiohead. Plus tard, les Libertines ont été sympathiques, “Up The Bracket”, c’était excellent, mais ça ne m’a pas bouleversé comme les artistes dont j’ai parlé auparavant. Cela coïncide aussi avec le moment où je me suis intéressé au jazz — que je pensais détester car je haïssais la trompette dont jouait mon grand-père — et à la musique classique. Ma palette s’est élargie. Comme beaucoup, en vieillissant, je me suis mis à apprécier de la musique plus calme, tout en adorant Daft Punk lorsqu’ils sont apparus parce que je trouvais qu’eux aussi apportaient quelque chose de neuf et de rafraîchissant, comme Kraftwerk avant eux. Même si je reste fidèle à Strummer : je suis toujours un fan de sa BO du film “Walker”, pourtant très médiocre. R&F : Quel disque emporteriez-vous sur une île déserte ? Fabrice Lhomme : Sans aucune hésitation “Sandinista!” ! Il y a 36 chansons, des genres éminemment variés. Et Strummer avait un côté très poétique. Je le range dans le même tiroir que Dylan : même si on ne comprend pas tout, parfois on dirait de l’écriture automatique, on décèle un sens, un message. C’est la définition de la poésie. Pour moi, c’est là que le rock est à son summum. H Photo archives Rock&Folk-DR Toutes ses dernières années, David Thomas jouait assis. La chaise balancée sur le bord de la scène, il trônait là, statue colossale d’un monarque taré qui venait en ville pour faire ce pour quoi il était payé : vous faire passer une mauvaise soirée. Le groupe vous poussait sur la crête du monde, juste à la limite du vide, pendant que David Thomas s’étouffait. C’était un râle terrible, les bajoues de bouledogue, les postillons soudains et la tension sous-jacente dans cette viandelà, toute cette angoisse et cette violence et la colère que les années n’avaient fait qu’endurcir. David Thomas était ce performer immense, une sorte de sorcier de l’ère post-industrielle qui a passé sa vie à nous étaler sur la tronche tout ce que nous essayons désespérément de cacher. Derrière ses paupières baissées, cet homme avait une vision. “Il faut comprendre, on travaillait tous chez des disquaires. Et si on ne pouvait pas trouver, je ne sais pas moi, les dernières outtakes de Tangerine Dream dans notre boutique, on avait tellement honte qu’on n’osait même plus se montrer. Alors on écoutait TOUT : Terry Riley et Harry Partch et ‘Kick Out The Jams’ et on voyait bien ce qui allait se passer, ce que le rock devenait, que le rock était en train de devenir l’art et la littérature.” David Thomas détestait qu’on lui parle de sa ville d’origine, Cleveland. A la question d’un pauvre intervieweur anglais qui essayait de faire son boulot, David Thomas s’était mis à s’étouffer et postillonner “Comment veux-tu que je te dise comment était Cleveland à l’époque ? Tu n’étais pas là !” Les coudes enfoncés dans la chair des côtes, en équilibre sur une fesse, les yeux fermés au plus fort désormais, il voulait nous faire comprendre quelque chose : “Il faut que vous compreniez quelque chose, avait-il même commencé d’ailleurs par dire. Le Velvet Underground était quasiment un groupe résident à La Cave à Cleveland. Ils y ont peut-être joué treize fois et tous les groupes du coin avaient des bootlegs de ces concerts et faisaient ‘Sister Ray’ et ‘Sweet Jane’ sur scène. Alors moi, je savais que le rock allait devenir la littérature et je voulais faire un groupe dans lequel auraient voulu jouer William Faulkner ou Raymond Chandler.” Il aurait fallu être fou pour ne pas vouloir jouer dans Pere Ubu. Cet endroit de destruction absolue et des remises en question systématiques, cette entreprise de déstabilisation massive non seulement du rock mais aussi de la civilisation, de l’entendement et de tout ce qui fait l’existence humaine. David Thomas n’avait pas d’autres ambitions. “Nous sommes des conteurs mais nos histoires sont des énigmes. in memoriam David Thomas 1953-2025 L’homme qui a mis fin au rock’n’roll Comme le tourbillon qui emporte l’eau aux égouts, nous sommes définis par le trou, l’endroit où l’on n’est pas. Le trou, c’est Pere Ubu.” Avant de chanter de sa drôle de voix étranglée dans l’un des meilleurs groupes du monde, David Thomas était rock critic. Il écrivait et déblatérait toutes ses théories malades sur la musique dans un journal local nommé “The Scene” et cela faisait de lui une petite célébrité dans la ville. Pour une centaine de personnes, Crocus Behemoth, son nom de plume, était quelqu’un qui comptait, et il aurait pu se contenter de cela. Sauf que Thomas voyait plus loin et refusait de jouer le rôle de Superman dans un verre d’eau. “Un jour, j’interviewais ce groupe de boogie, Black Oak Arkansas, et je parlais au chanteur James Dandy, et cela m’a heurté comme un mur de brique : je me foutais complètement de leurs réponses comme je me foutais de mes questions. J’ai quitté l’hôtel où se déroulait toute cette décadence rock’n’roll, les filles et le reste et je suis arrivé au journal et je me suis dit ‘si t’es si malin, tu devais monter un groupe’ et c’est ce qu’on a fait avec les autres membres du journal.” Crocus Behemoth, colosse à afro, la barbe éparse perdue sur des joues de Gargantua, a rejoint les Rockets From The Tombs, l’une de ces formations mythiques du rock qui n’ont jamais rien enregistré, à peine donné de concerts et n’ont été qu’un fantasme et du terreau fertile pour l’émergence d’une scène. “Ce groupe était un trop gros concentré d’ego et d’ambitions pour être viable. Puis c’était un groupe scindé en deux où il y avait
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