ROCK AND FOLK n°666 - Page 2 - 666 février 2023 R&F 003 Edito L’enfer du décor Numéro 666 : chiffre du diable, “number of the beast”, annonciateur des pires fléaux, cataclysmes, chaos, peste, périodes de ténèbres. Le rock’n’roll en porte la marque indélébile. Qu’il en joue ou en soit le jouet, il n’en demeure pas moins l’héritier d’un pacte diabolique qui scelle le destin de ses victimes, nos idoles, nos stars, ces “aimables pestilences”. Deux lignées se distinguent. La première s’organise sur un faisceau de signes. Comme on sait, le diable est dans les détails et s’habille parfois en Prada ; il court et se loge là où on ne l’attend pas, traverse les époques. Le rock’n’roll en est un élément syndémique. Avant lui, le blues de Robert Johnson. Refus de l’autorité, affirmation du corps, de la sexualité, ivresse, vitesse, toxiques, culte de la Mort. Pacte : succès contre damnation. Faust. Dès les premiers déhanchements d’Elvis, les ligues de vertus prennent la mouche, le rock est étiqueté “musique du diable” : la messe (noire) est dite, la censure, séide du vice, vise juste. Elvis et sa cohorte d’anges déchus, maniaques — Gene, Vince, Link, Jerry Lee — confirment. La seconde, fin des années 1960, début des années 1970, pour faire vite, est un simulacre du premier : on joue avec les codes, c’est du folklore. Un Barnum. Le rock fait semblant de croire aux fables pour enfants, joue à se faire peur. Les Rolling Stones, Led Zeppelin et sa quincaillerie ésotériste, Alice Cooper, Black Sabbath, le gothique version batcave, le metal version scandinave, Marilyn Manson, Ghost... On lit Aleister Crowley, on frissonne sur Anton LaVey, on met des croix à l’envers, on dessine des pentagrammes, on invoque Lucifer comme nouveau Père. On égorge de blanches colombes. Les yeux sont révulsés. Et on forme des cornes avec les doigts. Pour faire rock. La divine comédie. Un peu. C’est du théâtre, du mime, la transgression inoffensive, la provocation infantile, du show-biz. Mais il n’en demeure pas moins un élément diabolique, un pacte secret, l’élément thanatique du rock, sa Chimère, son chiffre maudit : la came. Noire déesse venue de l’Enfer. Elle a son club (des 27), ses passions suicidaires, ses visions fantastiques, ses corps suppliciés. C’est de cela dont il s’agit dans ce numéro 666. Bienvenue en Enfer. Tannières, Breton, Delsart Vendredi 13 janvier 2023 Parution le 20 de chaque mois Mes Disques A Moi Thomas E. Florin BERTRAND MANDICO 10 In Memoriam Olivier Cachin JET BLACK 14 Olivier Cachin TERRY HALL 16 Olivier Cachin PAUL ALESSANDRINI 18 Tête d’affiche Olivier Richard GLEN MATLOCK 20 Alexandre Breton GAZ COOMBES 22 Jérôme Soligny Marianne Faithfull 24 Romain Burrel MARGO PRICE 26 Bertrand Bouard TEDEScHI TRUCKS BAND 28 Jérôme Reijasse FOREVER PAVOT 30 En vedette Stan Cuesta LOUIS REGO 32 Jérôme Soligny DAVID BOWIE 36 Story Nicolas Ungemuth JOHN McGeOCH 40 En couverture Alexandre Breton & Eric Delsart 666 Un numéro d’enfer 46 La vie en rock Patrick Eudeline Vivienne Westwood 58 RUBRIQUES edito 003 Courrier 006 Telegrammes 008 Disque Du Mois 063 Disques 064 Reeditions 072 REHAB’ 076 vinyles 078 DISCOGRAPHISME 080 HIGHWAY 666 REVISITED 082 Qualite France 083 Erudit Rock 084 Et justice pour tous 086 FILM DU MOIS 088 Cinema 089 SERIE du mois 091 IMAGES 092 Bande dessinee 094 LivRes 095 absolutely LIVE 096 PEU DE GENS LE SAVENT 098 Sommaire 666 46 666 Un numéro d’enfer www.rocknfolk.com Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Stéphanie Casasnovas Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99) Chef des Infos Yasmine Aoudi (32 94) Chef de la rubrique Live Matthieu Vatin (32 99) Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) A collaboré à ce numéro Manuella Fall Publicité : Directeur de Publicité Olivier Thomas (34 82) Assistante de Publicité Marine Donné (32 05) PHOTOGRAVURE Responsables : Béatrice Ladurelle (31 57), Flavien Bonanni (35 29) Chromiste : Hugues Vuagnat (3489) VENTES (Réservé aux diffuseurs et dépositaires) : Emmanuelle Gay (56 95) ABONNEMENTS : Promotion Abonnements : Carole Ridereau (33 48) Abonnement : France 1 an - 12 numéros papier et numérique : 131,48 e, prélèvement mensuel : 5,95 e Suisse et autres pays et envoi par avion : nous contacter au (33) 03 44 62 43 79 ou sur : abo.lariviere@ediis.fr VENTE PAR CORRESPONDANCE : Accueil clients 03 44 62 43 79 Commande par Carte Bancaire ou sur www.rocknfolk.fr COMPTABILITé (32 37) Fax : 01 41 40 32 58 Directeur de la Publication et Responsable de la Rédaction : Patrick Casasnovas IMPRESSION : Imprimerie de Compiègne Zac de Mercières 60205 Compiègne Cedex. Papier issu de forêts gérées durablement, origine du papier : Allemagne, taux de fibres recyclées : 63%, certification : PEFC/ EU ECO LABEL, Eutrophisation : 0,003 kg/ tonne. Diffusion : MLP – Rock&Folk est une publication des Editions Larivière, SAS au capital de 3 200 000 euros. Dépôt légal : 1er trimestre 2023. Printed in France/ Imprimé en France. Commission paritaire n° 0525 K 86723 ISSN n° 07507852 Numéro de TVA Intracommunautaire : FR 96572 071 884 CCP 11 5915A Paris RCS Nanterre B 572 071 884 Administration : 12, rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 32 Fax : 01 41 40 32 50. Les manuscrits et documents non insérés ne sont pas rendus. PhotoAndyHosie/DailyMirror/Mirrorpix/GettyImages 58 Vivienne Westwood couverture Photo : Charlie Gillet/ redferns/ GETTY images Courrier des lecteurs “Maman, c’est qui les Cramps ?” Self-control J’ai vu les Specials une seule fois sur scène. C’était à la Cigale le 8 avril 2019. Le concert avait été excellent, même s’il n’y avait là que trois membres originaux du groupe. Terry Hall m’avait impressionné par son selfcontrol et son professionnalisme jusqu’au-boutiste. En effet, je m’étais placé avant le show au premier rang dans la fosse, en face du guitariste Lynval Golding et, à ma gauche, se trouvait un fan ultra des Specials qui les avait vus un nombre incalculable de fois depuis leurs débuts. Il m’avait raconté avant le concert qu’il avait été très déçu par les récentes déclarations politiques, pro-Brexit si mes souvenirs sont bons, de Terry Hall, le chanteur des Specials. En discutant avec mon voisin qui s’était placé en face du chanteur avant le début du show, j’avais remarqué alors qu’il n’avait sans doute pas bu que de la Tourtel avant d’aller voir son groupe préféré. Le concert débute et j’assiste à un comportement totalement hallucinant et à la limite schizophrénique de la part de cet énergumène. Pendant les morceaux, il danse comme un forcené et prend son pied comme pas possible. Entre les morceaux, il insulte copieusement Terry Hall qui se trouve à un ou deux mètres de lui, en citant ses récentes déclarations politiques. Et ce manège a duré tout le concert. A chaque fois, je me disais : “C’est impossible que Terry Hall ne l’entende pas. Il va réagir”. Eh non, Terry Hall reste stoïque pendant tout le concert et agit comme si mon voisin n’existait pas. Et puis, à la seconde où la dernière 006 R&F février 2023 Liberté de penser Tiré de l’excellent bouquin de J J Burnel et A Boile “Strangler In The Light” : “Jet au comptoir. Un flic arrive. Jet le voit et lui dit : ‘Excusezmoi monsieur l’officier. Si je vous traitais de connard, qu’est-ce que vous feriez ? – Je serais obligé de vous arrêter car vous insulteriez un policier de Sa Majesté. – Ah OK, mais si je pensais simplement que vous êtes un connard ? – Eh bien, monsieur, vous pouvez penser ce que vous voulez, nous sommes dans un pays libre. – Ah, OK, je pense que vous êtes un connard’”. Alors levons nos verres pour Jet Black, batteur historique des Stranglers, qui vient de passer l’arme à gauche et qui était un fameux lascar ! MLK La fête d’une mère Grâce à Tim Burton, ma fille, jeune adolescente de quinze ans, m’a posé la question la plus improbable de l’année. “Maman, c’est qui les Cramps ?”... Sans préparation, ça fout un coup, mais, en réalité, j’étais ravie. Quoi de plus réjouissant que de penser à toutes ces gamines, dansant devant leur glace au rythme poisseux de cette musique qui a toujours été à la marge ; dommage que les planètes s’alignent bien trop tard pour les Cramps. Franchement, “Goo Goo Muck”, ça a quand même plusde gueule que tous ces rappeurs crétins et leurs poulettes du R&B... C’est bien simple, moi, j’en redemande... Ringa STorr Allez, quoi ! Extrait du hors-série “Métalliques Chaos”, page 22 : “les vrais amateurs le savent : un hors-série entièrement dédié à Deep Purple ne suffirait pas pour raconter l’ensemble de la saga du groupe”. Même en faisant un effort ? Antoine Grisoni Merci, vraiment... Bonjour Rock&Folk et bravo ! Après m’avoir traîné à un concert de Clara Luciani, ma femme jubile depuis sa consécration dans le “Mes Disques A Moi” du mois de janvier... Et moi, je continue à attendre la réhabilitation du prog à sa juste place (rien qu’un peu !). Philzehip Ding-dong Grâce à la rediffusion d’un incroyable “Embûches De Noël” de 1982 sur Melody TV, j’ai opportunément revisité ce titre de Noël bien craignos (pléonasme ? Ou plutôt, disons que “craignos”, c’est ce que je pensais que ce titre de Paul McCartney était jusque-là, à tort !)... La chanson en question, c’est “Wonderful Christmastime”... Merveilleusement excentrique, bigarré, avec ses arrangements électro antiques... Le pont avec les “ding-dong”, concentré de pop bubble-gum, magistralement régressif et absolument désaturé de tout message... Paul McCartney est un génie. Jean-Pierre CAncoillotte What else ? Rock&Folk numéro 665 : en couverture, Iggy Pop... En quatrième de couverture, son alter ego vertueux... Cap2 Bonne blague Lors d’un concert de Kid Congo, deux de mes potes, membres du groupe rock nîmois Les Milliardaires, ont offert à ce dernier un 45 tours de Bernard Menez en lui expliquant que c’était un très bon rocker français. On n’a jamais su qu’elle a été sa réaction quand il a joué le disque une fois revenu aux Etats-Unis. E. T. DEconing PEople note du rappel a été jouée, Terry Hall s’est agenouillé et s’est penché vers la fosse. Il a fait calmement un signe de la main à mon voisin pour lui faire comprendre qu’il voulait lui parler. Bizarrement, mon voisin semblait tout content que son idole lui prête attention. Terry Hall a agrippé mon voisin par le col et lui a dit que s’il le revoyait une prochaine fois, il lui exploserait la gueule. Quel bel exemple de maîtrise de soi et de professionnalisme pendant tout le concert de la part du chanteur qui n’avait pas réagi plus tôt par crainte sans doute de ne pas pouvoir assurer la suite du show s’il en venait aux mains avec un spectateur. Mon voisin a d’ailleurs été totalement surpris de la réaction agressive de Terry Hall à son égard. Je me demande bien pourquoi. Frédéric Les jours heureux Dans le Rock&Folk 665, Bertrand Burgalat évoque Wilko Johnson et un show de FR3 de 1976 qui “sonne comme les obsèques de notre jeunesse” telle celle d’un étudiant de 1976 qui s’était fait réprimander par un voisin pour avoir monté le son sur “Malpractice” : “Back In The Night” des jours heureux. Dominique Imprimer la légende Je resterai abonné à R&F tant que j’y trouverai toujours des petites anecdotes comme celle de la machine à écrire dans l’enregistrement de Janis Joplin et de Jorma Kaukonen. Ce sont ces choses-là qu’on a envie de retenir (on se doute bien que ça avait été fait volontairement, mais l’histoire est tellement plus belle quand elle est racontée comme ça !). Phil (L’Autre) Imprimer la légende 2 Par pitié s’il vous plaît, pouvez-vous mettre en légende et dans le bon ordre les noms des membres des groupes photographiés ? Sérieux, j’en ai marre de ne pas savoir lequel est George, lequel est Ringo, lequel est John, lequel est Paul ! Merci ! berduleu Ecrivez à Rock&Folk, 12 rue Mozart, 92587 Clichy cedex ou par courriel à rock&folk@ editions-lariviere.com Chaque publié reçoit un CD 008 R&F février 2023 ACID ARAB Précédé du simple “Leïla”, le troisième disque “٣” (Trois) du collectif parisien sera à écouter dès le 3 février. Il le présentera dans la foulée le 9 à l’Olympia. ALGIERS En amont de son quatrième opus “Shook”, le quatuor d’Atlanta a dévoilé “Bite Back”, psaume à la résistance noire et aux violences policières. Il verra le jour le 24 février, ils le soutiendront à Paris lors d’une escale au Petit Bain le 7 mars prochain. ALLMAN BROTHERS BAND L’écrivain britannique Andrew Wild s’est penché sur l’épopée d’un des plus populaires combos américains, The Allman Brothers, dans “The Allman Brothers Band On Tracks”. Déjà disponible. BLACK ANGELS Les Texans joueront leur dernierné “Wilderness Of Mirrors” aux sonorités psyché rock, au Trianon (Paris) le 22 février. EVA CASSIDY Disparue tragiquement en 1996 des suites d’un mélanome à tout juste trente-trois ans, l’interprète américaine de blues, folk, jazz et gospel aurait dû fêter son soixantième anniversaire le 3 février. Pour commémorer le triste événement, le label Blix Street annonce la sortie de “I Can Only Be Me”, album qui associe la voix de la diva au London Symphony Orchestra, prévue le même jour. EN ATTENDANT ANA “Principia” est le troisième opus du quintette indie-pop parisien, et sera à écouter le 24 février prochain. JEAN FELZINE Le chanteur de Mustang, et moitié du duo formé avec sa dulcinée Jo Wedin, vient de dévoiler “A Blanc” et “Fanfiction”, annonciateurs de son premier solo, “Chord Memory”, attendu le 24 février. LEE FIELDS Le soulman donne rendezvous sur la scène du Trianon le 17 février prochain. L’occasion de (ré)entendre “Sentimental Fool”, sa dernière livraison parue en octobre dernier. SERGE GAINSBOURG L’exposition “Serge Gainsbourg, Le Mot Exact” est une immersion totale dans l’univers de Gainsbarre, à travers ses manuscrits, tapuscrits annotés, objets et livres personnels, et documents d’archives, proposée par le Centre Pompidou (Paris). L’exposition se tiendra du 25 janvier au 28 mai 2023 à la Bibliothèque publique d’information. GRADE 2 Le titre de nouveau “meilleur espoir punk” revient ce mois-ci au trio britannique originaire de Ryde (Ile de Wight). Son troisième opus éponyme aux déflagrations punk rock enragé et engagé verra le jour le 17 février. INDEX FOR WORKING MUSIK Des membres de Toy et de Proper Ornaments unissent leurs forces pour former ce quintette londonien. Leur première collaboration, “Dragging The Needlework For The Kids At Uphole”, est programmée pour le 17 février. KOOKS Le trio rock britannique emmené par Luke Pritchard jouera le 28 janvier au Bikini, à Ramonville Saint-Agne, le 29 au Krakatoa à Mérignac (complet) et le 31 au Transbordeur à Villeurbanne. Le concert initialement prévu le 3 mars 2022 à l’Olympia aura finalement lieu le 18 février 2023. CAROLE KING L’Américaine approuve le choix de Daisy Edgar-Jones pour interpréter son rôle dans le prochain biopic “Beautiful”, réalisé par Lisa Cholodenko, qui lui sera consacré. Il s’inspire du spectacle “Beautiful: The Carole King Musical” qui a été joué durant cinq ans à Broadway. PATTI LaBELLE La diva a été contrainte d’interrompre et d’évacuer la salle lors de son concert au Riverside Theatre de Malwaukee le 10 décembre dernier en raison d’une fausse alerte à la bombe. MIOSSEC Le sobrement intitulé “Simplifier” du Brestois renferme onze nouvelles compositions, comme “Tout Est Bleu”, “Mes Voitures” (hymne sous forme de métaphores à ses femmes ?), “Mes Disparus”. Il verra le jour le 17 février prochain. NORTH MISSISSIPPI ALLSTARS Les Sudistes adeptes de blues et de rock sillonneront l’Hexagone en février. Ils seront les 21 à Clermont-Ferrand (Coopérative de Mai), 22 à Nantes (Stéréolux), 23 à La Rochelle (La Sirène), 24 à Tours (Le Temps Machine), 25 à Rouen (Le 106), pour finir par Paris le 27 (La Maroquinerie). PAVEMENT Alex Ross Perry, réalisateur de son état, aura la charge du film sur le combo californien mené par Stephen Malkmus. Aucune date de sortie n’est fixée pour le moment. PUNK ROCK MUSEUM Le musée du punk rock, situé entre le Strip de Las Vegas et le centre-ville, ouvrira ses portes le 10 mars prochain. Impulsé par Fat Mike de NOFX et d’autres musiciens réunis sous le sobriquet “Punk Collective”, il abritera artefacts, dépliants, photos, vêtements, instruments, paroles manuscrites, Télégrammespar Yasmine Aoudi Grade 2 PhotoRyanMackfall-DRPhotoArnoMuller-DR En attendant Ana œuvres d’art offerts par les protagonistes de la scène comme Blondie, Devo, Sum 41, Rise Against... ROLLING STONES Retour discographique pour les rockers septuagénaires avec un album live “GRRR Live!”, capté lors du concert du 15 décembre 2012 à Newark, au Prudential Center du New Jersey (Etats-Unis), avec des invités de prestiges The Black Keys, Mick Taylor, Bruce Springsteen... Disponible le 10 février. PHILIP SELWAY Le batteur de Radiohead poursuit sa carrière solo avec un troisième opus, “Strange Dance”. Devancé par le simple “Check For Signs Of Life”, il sera dans les bacs le 24 février prochain. ANDY SHAUF Poursuivant sa tournée outreAtlantique, l’auteur-compositeur et interprète canadien vient de partager un nouveau morceau, “Wasted On You”, annonciateur du successeur de “Wilds” (2021). “Norm” est espéré pour le 10 février. SIOUXSIE SIOUX Après dix ans d’abstinence, la diva des Banshees vient d’annoncer qu’elle participera à l’édition 2023 du Festival Latitude le 23 juillet prochain. SMILE La prestation du trio mené par ThomYorke lors du Montreux Jazz Festival (Suisse) le 12 juillet dernier a bénéficié d’un EP 7 titres live. “The Smile At Montreux Jazz Festival July 2022” est disponible uniquement en digital. MICHAEL STIPE L’ex-frontman de REM a déclaré plancher avec divers musiciens sur son premier solo prévu courant 2023. En amont, deux singles ont déjà vu le jour, dont “Future If Future” paru en 2022. STÖNER Le supergroupe du désert californien réunissant Brant Bjork (guitare, chant), Nick Oliveri (basse, chant), tous deux membres fondateurs de Kyuss, Mondo Generator, Fu Manchu..., et Ryan Güt (batterie) reprendront du service avec “Boogie To Banja”. Retour aux sources du pur stoner, combiné aux grooves du désert, et de stoner rock et punk, produit par Yosef Sanborn, il sera en vente le 24 février prochain. STROKES Les New-Yorkais annoncent la sortie d’un coffret vinyle “The Singles – Vol 01” pour le 24 février. Il contiendra des succès des trois premiers albums de 2001 à 2006, des faces B, démos et raretés, ainsi que les reproductions des visuels originaux. SUSAN TEDESCHI En récompense pour sa contribution à la culture et aux arts américains, la chanteuse et musicienne du Tedeschi Trucks Band a reçu la médaille du bicentenaire James Smithson au Musée National d’Histoire Américaine (Washington DC) le 8 décembre dernier. Dave Grohl et Gloria et Emilio Estefan également. TIMBER TIMBRE Le 27 janvier, Taylor Kirk et sa clique originaires d’Ontario rééditent en vinyle et éditions février 2023 R&F 009 limitées à 1 500 exemplaires chacune “Cedar Shakes” (2005) et “Medicinals” (2007). WAEVE Précédé du mélodieux “Can I Call You”, l’album du duo formé par Graham Coxon et Rose Elinor Dougall, renfermant dix titres, sera à découvrir dès le 3 février. WEEZER “I Want A Dog” est l’ultime volet de la série de quatre EP Sznz, qui a débuté en mars dernier avec “Sznz: Spring”. Déjà disponible. Condoléances Paul Alessandrini, Rick Anderson (bassiste américain de rock, The Tubes), Angelo Badalamenti (compositeur et arrangeur américain, Nina Simone, Shrirley Bassey, “Lost Highway”, “Mulholland Drive”), Thom Bell (auteur, compositeur arrangeur et producteur de disques américain, un des créateurs de la Philadelphia Soul), Willie J. Campbell (bassiste américain de blues), Dino Danelli (batteur américain, The Rascals), Martin Duffy (claviériste anglais, Primal Scream 1985-1989), Herb Deutsch (compositeur américain, co-inventeur du synthétiseur Moog), Charlie Gracie (chanteur, guitariste américain de rock’n’roll et rockabilly), Terry Hall, Sammie Hutchins (chanteur, guitariste américain, The Masqueraders), Roddy Jackson (chanteur, auteur-compositeur, pianiste et saxophoniste américain de rock’n’roll et rockabilly), Maxi Jazz (musicien et chanteur britannique, Faithless), Luther Johnson Jr (chanteur, guitariste américain de blues, Muddy Waters), Bertha McNeal (chanteuse, pianiste américaine, cofondatrice de The Velvelettes), Pelé (footballeur brésilien), Anita Pointer (auteur compositrice et interprète américaine de disco et soul, The Pointer Sisters), Lisa Marie Presley (auteure, compositrice et interprète américaine, fille d’Elvis), Big Scarr (rappeur américain), Kim Sommonds (guitariste britannique de blues rock, Savoy Brown), Jim Stewart (producteur et réalisateur artistique américain, cofondateur de Stax Records), Vivienne Westwood, Fred White (batteur américain, Earth, Wind & Fire). PhotoDavidRedfern/Redferns/GettyImages Jeff BeckLa mauvaise nouvelle est tombée au pire moment. A l’heure des rotatives. Alors, bien sûr, on reviendra, dès le prochain numéro, sur la disparition, à soixante-dix-huit ans, de Jeff Beck. Successeur d’Eric Clapton au sein des Yardbirds, destructeur de guitare dans le film “Blow Up” d’Antonioni, il a brillé au sein de nombreuses formations (The Jeff Beck Group, BBA…) en développant un style de folie qui n’a laissé personne indifférent (Pink Floyd, les Rolling Stones ont essayé de le recruter). Sa discographie solo de guitariste génial et surtout hors norme est émaillée de disques importants et d’autres que même son public n’a pas compris. Mais voilà, Jeff, rebelle dans l’âme, n’en a toujours fait qu’à sa tête, s’intéressant notamment aux courants musicaux de son temps (“Who Else!”) et n’hésitant pas à s’associer à bien plus jeune que lui (Tal Wilkenfeld, Bones...). Ses apparitions scéniques étaient toujours des événements, et il a partagé la scène avec les plus grands : ses idoles et ses fans. Il est parti discrètement, comme il vivait, un 10 janvier, décidément une sale date pour le monde du rock. JS IL OUVRE LA PORTE, SA TÊTE FLOTTE DANS UNE ÉCHARPE AUX COULEURS DE SON DERNIER FILM, “AFTER BLUE” QUI SEMBLE PARFOIS FILMÉ AU-DELÀ DU SPECTRE VISIBLE DE LA LUMIÈRE. After blue donc, infra-red et ultra-violet, tout cela à la fois, Bertrand Mandico s’assied dans son canapé, au milieu d’une collection discrète d’objets érotiques submergés par celle, bien plus impressionnante, de DVD. C’est ici, trônant au dernier étage d’un immeuble ayant accueilli les ballets russes, un anus en faïence accroché juste audessus de son oreille gauche, que le réalisateur a longuement parlé de son initiation musicale, intimement liée à sa découverte du cinéma. Bowie au journal de 13 heures ROCK&FOLK : Premier disque acheté ? Bertrand Mandico : “Chagrin d’Amour” qui, on pourrait dire, était le premier rap français. Mais très vite et très jeune, je découvre et bloque sur Nina Hagen… R&F : Il y avait de la musique chez vous ? Bertrand Mandico : Très peu. Je grandis à la campagne, entre Toulouse et Montauban. Enfant, je voulais devenir acteur — ou actrice d’ailleurs. Je regarde beaucoup la TV et découvre les Stranglers à la radio dont le côté planant etmélancoliquemefascinetoujours.Puis il y a eu “WOT!” de Captain Sensible, “This Is Not A Love Song” de PiL, toutes ces choses que je vois aux Enfants du Rock, à L’Echo des Bananes, Sex Machine… C’est le moment que je préfère dans le punk, le passage à quelque chose de racoleur, une pop qui sent le soufre, quand ils vendent leur âme au diable. R&F : A quel moment prenez-vous conscience de la musique dans les films ? Bertrand Mandico : Tout de suite. Dans mes premiers souvenirs de cinéma, il y a le Nino Rota pour “Toby Dammitt”, une adaptation d’Edgar Allan Poe par Fellini, mais aussi une reprise au cinéma de “Le Bon, La Brute Et Le Truand” que je vois trop tôt dans une station balnéaire. Et là, la musique d’Ennio Morricone, le côté opératique, les envolées comme lors de la course à la fin dans le cimetière ; l’émotion qui y monte est autant due au génie de Sergio Leone qu’à celui de Morricone. C’est là que je prends conscience de la musique au cinéma et que j’ai envie de les réentendre. A contrario, il y a des BO que j’entends à la radio ou dans les bandes-annonces et que je me procure car je ne peux pas voir le film. Ça a été le cas pour “Furyo” par exemple, auquel je rêve à travers la musique de Ryuichi Sakamoto. R&F : “Furyo”, c’est aussi la présence de David Bowie. Bertrand Mandico : Oui, et cette image de lui, martyre ensablé jusqu’au cou. Bowie m’attirait et donc j’étais amoureux, comme beaucoup de monde. J’ai le souvenir de l’avoir vu au journal Le réalisateur le plus étrange de France sort son deuxième long-métrage en DVD. L’occasion de discuter avec lui de la face cachée des films : leur musique. Bertrand Mandico Recueilli par THOMAS E. Florin - Photos William Beaucardet 010 R&F février 2023 Mes disques à moi “Le diable pour lequel les Stones avaient de la sympathie, c’était Jean-Luc Godard” 012 R&F février 2023 de 13 heures chez mes grands-parents. Yves Mourousi annonce ce qui était le début du vidéo-clip. Il passe “China Girl” je crois, et ce côté dandy m’a fasciné. Comme chez Screamin’ Jay Hawkins, qui était une espèce de Salvador Dali de la soul, ou de James Brown, un dandy ultime. A cette époque, on était à la croisée des chemins. Des ados beaucoup plus âgés que moi bloquaient encore sur Pink Floyd pendant qu’à Toulouse, dans une ruelle, j’entends par hasard Philip Glass, par une fenêtre ouverte. Cette musique m’obsède, je cherche à retrouver ce que j’ai entendu, puis sort “Mishima”, de Paul Schrader, dont il fait la BO. Et tout se rejoint. Je découvre la musique bien avant le film que j’adore. R&F : Il y a une synchronisation entre vos goûts cinématographiques et musicaux ? Bertrand Mandico : Tout à fait. J’aime la new wave et Paul Schrader, dont le travail avec Giorgio Moroder est, à mon sens, déterminant. “American Gigolo” et les deux films suivants — “La Féline” et “Mishima” — forment la trilogie qui définit l’esprit des années quatre-vingt. Quand arrive “American Gigolo”, sous la direction artistique de Ferdinando Scarfiotti, qui travaillait avec Bernardo Bertolucci, toute l’esthétique du nouvel Hollywood bascule — les films formidables de la décennie précédente sont démodés. Et cela passe autant par l’esthétique du film que par le fond et la musique synthétique de Giorgio Moroder. Puis il y a “Call Me”, chanté par Debbie Harry dont je tombe immédiatement amoureux… Deux icônes indépassables R&F : Qu’est-ce que vous écoutez et voyez d’autre à cette époque ? Bertrand Mandico : “Rumble Fish” (sorti en France sous le nom de “Rusty James”, ndr) qui m’a complètement fasciné, avec la musique de Stewart Copeland, j’étais très jeune collégien. Le film sort et son esthétique annonce les clips vidéo. Pour moi, il y a eu deux films qui ont fait cela : celuici et “Les Prédateurs” de Tony Scott, où je découvre “Bela Lugosi’s Dead” de Bauhaus, le collage des morceaux de Bach et la présence de deux icônes indépassables : David Bowie et Catherine Deneuve. R&F : Vos films sont assez psychédéliques. Vous vous droguez en écoutant de la musique ? Bertrand Mandico : Surtout pas. Mon cerveau s’emballe trop vite tout seul. Un peu comme Alex dans “Orange Mécanique” qui écoute Beethoven et a des visions complètement dingues. Il ne prend pas de drogue, il boit du lait mais il vrille quand il écoute Beethoven. Là-dessus, je suis un peu pareil. Certains morceaux ouvrent mon imaginaire. “This Is Hardcore” de Pulp, que je trouve être l’un des morceaux les plus beaux qui soient, arrivait à me faire repartir dans l’écriture quand j’étais bloqué. Aujourd’hui, c’est Terry Riley. R&F : D’autres trips musicaux ? Bertrand Mandico : Alors, la musique de “Aguirre” par Popol Vuh, ça fonctionne tout de suite, comme celle de Tangerine Dream — la BO de “Aux Frontières De l’Aube” de Kathryn Bigelow par exemple, ou pour parler d’un autre film de vampires, la musique de François de Roubaix pour “Les Lèvres Rouges” dont le monde de cubes et la musique de “Chapi Chapo” m’oppressaient quand j’étais enfant. R&F : On parle souvent de l’influence de la musique sur le cinéma mais pensez-vous que le cinéma a eu une influence sur la musique ? Bertrand Mandico : Oui. Particulièrement à la fin des années quatrevingt-dix avec l’arrivée du trip hop. Portishead, ce sont clairement des musiciens qui se réfèrent au cinéma et à la BO. Pour moi, ils font des musiques de films. Et d’ailleurs le nouveau groupe de Geoff Barrow, Beak, fait référence directement à des BO de John Carpenter, etc. Oreille coupée R&F : Carpenter justement : n’est-ce pas le fantasme de tout réalisateur de pouvoir composer ses propres musiques ? Bertrand Mandico : Il sait ce qui est bon pour lui, c’est absolument génial. Son minimalisme va droit au but, adapté à son économie, “Les gens allaient voir ce film comme un concert de rock” février 2023 R&F 013 c’est absolument parfait. Moi, j’adorerais mais j’en suis incapable. Je bricole des sons et j’emmerde les musiciens avec qui je travaille. R&F : Quels sont vos couples préférés de réalisateurs/ compositeurs ? Bertrand Mandico : Alors Morricone, il n’est pas fidèle, on peut dire qu’il a couché avec tout le cinéma italien. L’une de ses plus belles BO, très mélancolique, très féminine, c’est celle de “Metti Una Serra A Cena” de Giuseppe Patroni Griffi. C’est son autre genre musical,leshistoiresdefemmesperdues. Pour les duos, Howard Shore et David Cronenberg avec “Crash”, je trouve ça génialement glacial. La meilleure BO de Shore et l’un des meilleurs films, peutêtre le meilleur, de Cronenberg. Je suis persuadé qu’ils ont pris comme mètreétalon le morceau “In Dark Trees” sur “AnotherGreenWorld” deBrianEno.De la même manière, Lynch et Badalamenti pour “Blue Velvet”, je trouve l’osmose fascinante.Encoreunfilmquej’aivutrop jeune, toujours dans ce même cinéma de station balnéaire. La pellicule s’est bloquée dans le projecteur, pendant une crisedeDenisHopper,etlephotogramme a fondu… J’étais terrifié. Ça m’est arrivé avec “Fire Walk With Me” aussi. Lynch m’aaccompagnétoutemavie :aveclaBO d’Eraserhead dont je considère le travail sonore exemplaire, puis celle de “Sailor Et Lula” évidemment, film que je suis allé voir tous les soirs à sa sortie, quinze jours durant, avec ce morceau de metal — “Slaughterhouse” de Powermad — qui l’ouvrait. R&F : Puis, il y a cette scène mythique avec la chanson de Roy Orbison dans “Blue Velvet” ? Bertrand Mandico : C’est le contraste. On est dans l’horreur totale avec Dean Stockwell qui tient sa lampe, des prostituées, junkies, cette poupée à la Kokoshka, puis ce morceau hyper doux de Roy Orbison, “In Dreams”, magnifiquement beau. C’est terrifiant. Ça parle de la culture de façade, celle d’une Amérique sucrée qui cache ses démons. Ce qui est dit dans l’intro du film avec ces gens qui se saluent, arrosent leur gazon mais sous le tapis, il y a les fourmis dans l’oreille coupée… Le contraste musique douce et image violente marche à tous les coups, comme dans “Cannibal Holocaust” où, face à des images insoutenables, il y a la musique enfantine de Riz Ortolani. Terrible effet. Des musiques très disparates R&F : Faut-il écrire la BO avant d’avoir tourné le film ? Bertrand Mandico : Ça dépend. J’ai fait mes trois derniers longsmétrages avec Pierre Desprats à la musique, et nous n’avons jamais fonctionné pareil. Pour “Les Garçons Sauvages”, j’avais tricoté à partir de morceaux existants, mais c’était trop cher. Le morceau de fin, qui remplace “Midnight Summer Dream” des Stranglers, a été écrit par le frère d’Elina Löwensohn, il s’appelait Echo et faisait une magnifique néo cold-wave mais il est mort avant d’enregistrer son disque. Elina avait des enregistrements sur cassette, on a repris l’un des morceaux que l’on a réorchestré avec Pierre. Très vite, Pierre a transformé le “à la manière de”, en compositions très originales pour tout le reste du film. Pour “After Blue”, je lui ai donné le script et les musiques avec lesquelles j’ai écrit. Pour le prochain, “Conan La Barbare”, je me suis nourri de musiques très disparates mais toutes liées aux percussions, comme la BO expérimentale du “Satyricon” de Nino Rota. Les gens allaient voir ce film comme un concert de rock et, pourtant, la musique de Rota est tribale, primitive. Autre influence pour “Conan”, quelque chose que j’adore, un mash-up entre les Beatles et le Wu-Tang Clan. R&F : Ce qui permet de poser cette question rituelle : Stones ou Beatles ? Bertrand Mandico : C’est une histoire d’âge. Dans la petite enfance, “Yellow Submarine” que je trouve toujours être un très beau film d’animation et un disque sublime. Puis à l’adolescence, les Stones, leur côté sulfureux, ont pris le dessus mais aujourd’hui, c’est les Beatles, il n’y a pas photo. Les Stones, ont été avalés par un film de Jean-Luc Godard que j’adore. C’est leur meilleur morceau qui est capté, ce qui prouve que la présence de la caméra les a galvanisés. Parce que le plus punk, le plus rock’n’roll de tous, celui qui s’est battu dans la salle de cinéma avec les producteurs du film, c’était lui. Oui : je pense que le diable pour lequel les Stones avaient de la sympathie, c’était Jean-Luc Godard. H DVD “After Blues” (Vinegar Syndrome) MES DISQUES A MOI Bertrand Mandico 014 R&F février 2023 février 2023 R&F 015 PhotoEricaEchenberg/Redferns/GettyImages “ON A UN HUMOUR TRES NOIR DANS CE GROUPE : chaque fois que meurt quelqu’un de connu, ou quelqu’un qu’on a connu, on se réjouit parce que Jet n’est pas encore mort. Lorsque je lui demande : Comment vas-tu ? - Pas très bien, mais j’ai survécu à tout le monde, ah ah ! Bowie, George Michael, Lemmy ? Je leur ai survécu !”. Ainsi parlait JJ Burnel de son vieux camarade dans le récent livre d’entretiens avec Anthony Boile, “Strangler In The Light”. Les rires se sont figés le 6 décembre dernier à l’annonce du décès de Brian John “Jet Black” Duffy. Surnommé “Monsieur Raisonnable” par le bassiste anglo-frenchy, Jet Black, natif d’Ilford dans l’Essex, a commencé sa carrière musicale sur le tard, après avoir été propriétaire d’une flotte de camions vendant des glaces et d’un magasin de spiritueux à Guilford, The Jackpot, où vont se rencontrer en 1974 les membres des Guilford Stranglers, qui deviendront les Stranglers. Souriresetmenottes Hugh Cornwell, qui faisait alors partie du groupe Johnny Sox, posta une annonce dans le “Melody Maker” à laquelle répondit le batteur, déclenchant la naissance d’un groupe légendaire qui tourne encore aujourd’hui, près de cinquante ans après ses débuts. Fun fact : c’est dans un des camions de son armada glacière que le groupe et son matos furent transportés à leurs débuts. Les Stranglers sortent leur premier album en 1977, le classique du punk baroque “Rattus Norvegicus”, suivi six mois plus tard par “No More Heroes”. Très prolifiques, ils livrent en mai 1978 leur troisième album, “Black And White”, où le style simple et puissant de Jet Black fait merveille sur des titres comme “Nice ‘N’ Sleazy”, “Toiler On The Sea” et la reprise du hit de Dionne Warwick “Walk On By”. En 1981, Jet écrit un petit livre de soixante pages édité par le fan-club Stranglers Information Society, “Much Ado About Nothing”, consacré au fiasco du concert niçois de juin 1980 qui conduisit à l’emprisonnement du groupe. Un incident devenu fameux, la photo du single “Nice In Nice” (chanson qui par ailleurs ne parle absolument pas de l’affaire) montrant Jet et ses trois compères arborant sourires et menottes aux côtés des pandores venus les incarcérer. Interviewé en 1999 par Bruno Berthau du blog Stranglers France, Jet Black se régalait de ce souvenir : “La meilleure chose qui nous soit arrivée, c’est la semaine que nous avons passée en prison à Nice. Personne en France ne connaissait les Stranglers, nous tournions dans des grandes salles devant quinze ou vingt personnes. Quand nous sommes sortis de prison après une semaine, il y avait des photographes du monde entier, et la première chose que nous avons faite après, c’est une tournée française à guichets fermés. Ça a été une bonne leçon, nous avons appris que c’est un moyen de faire de l’argent. (…) On a fait l’ouverture des infos télévisées et la une des journaux en Grande-Bretagne. Fantastique ! Quand on est sortis de prison, il y avait des centaines de journalistes”. Humournoir Contrairement à ses collègues qui ont tous tenté leur chance en solo ou dans des formations éphémères, Jet Black n’a jamais sorti de disque sous son nom et a très rarement collaboré avec d’autres groupes, à l’exception notable de sa participation à “Seppuku”, l’album maudit de Taxi Girl, grâce à Burnel, qui le produisit en septembre 1981, après avoir fini l’enregistrement de “La Folie”, comme il l’a raconté dans “Strangler In The Light” : “Je suis donc venu, comme un bon producteur, écouter les répétitions avec leur nouveau batteur. Je ne le trouvais pas très bon. J’ai dit au manager que je ne pouvais pas travailler avec lui. Alors, je leur ai rendu l’avance qu’ils m’avaient filée, et j’ai dit que la seule personne que je connaissais qui pourrait assurer, Jet Black. Ils étaient d’accord. On a fixé un prix pour ça, qui n’était pas élevé parce que Jet se foutait du fric. (…) Il ne disposait que d’une semaine pour faire toutes les batteries. Il a donc écouté chaque morceau et enregistré ses parties comme une machine, par section. Ensuite, j’ai fait jouer le reste du groupe sur ce que Jet avait enregistré. (…) Sur l’album, il est crédité ‘Jet Le Noir’ ”. En 2014, Jet Black déclarait au journal “Oxfod Times” : “Les Stranglers sont le meilleur groupe du monde, et on va continuer jusqu’à ce qu’on n’en puisse plus. Mais on n’y pense pas.” Son album préféré ? “The Raven”, le quatrième, et le plus apprécié par la critique. Après quelques derniers concerts en 2015, miné par ses problèmes de santé, Jet ne joue pas sur le “Black And White Live” de 2016 mais voyage avec le groupe et dédicace les albums pour les fans. Il prend officiellement sa retraite en 2018, remplacé par sa jeune doublure et premier fan, Jim Macauley. Il meurt chez lui, au Pays de Galles, à 84 ans. Deux ans après le décès de Dave Greenfield en mai 2020, c’est le second membre historique du quatuor qui disparaît avec Jet Black. Burnel a salué son vieux pote avec l’humour noir qui a toujours caractérisé le groupe : “Le comité d’accueil a doublé”. H par Olivier Cachin in memoriam JETBLACKGardien du rythme et grand archiviste chez les Stranglers, Jet Black est mort à l’âge de 84 ans. 1938-2022
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