URBANISME n°433 - Page 2 - 433 Le groupe EDF accompagne chaque territoire dans sa transition écologique avec des solutions adaptées à ses besoins. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE COMMENCE ICI. Devenons l’énergie qui change tout. 3 Au cours de l’été qui vient de s’achever, la question des lieux de culte – entendu, des chapelles et églises catholiques – a suscité quelques articles et animé de nombreux débats sur les réseaux sociaux, en réaction à de récentes et spectaculaires démolitions d’églises, notamment dans le Nord et en Mayenne. Assez étrangement, ce sont les voix favorables qui se sont le plus manifestées, tandis que celles opposées ont été bien moins nombreuses et audibles. En cause, les charges pour les collectivités – et donc les contribuables – relatives à leur entretien ; les sénateurs, auteurs1 d’une tribune parue sur le site internet du quotidien Le Monde, le 9 août 20232 , n’hésitant pas à affirmer qu’il existe « un surdimensionnement du patrimoine mis à disposition de l’Église catholique », notamment au regard de la « baisse de la pratique cultuelle ». De telle sorte que la dimension patrimoine de ces édifices se serait dissoute dans la dimension usage. Drôle d’argument, car, si nous y réfléchissons bien, il y a encore bien trop d’arènes romaines en France par rapport au nombre de combats de gladiateurs qui y sont organisés, et même de corridas (qui bientôt, de toute évidence, n’appartiendront plus qu’à l’histoire). Dans une drôle d’époque, qui voit de nombreuses, visibles et même parfois virulentes mobilisations contre les destructions de bâtiments existants, y compris aux caractéristiques très ordinaires et/ou d’histoire récente, s’agissant notamment de ce qui est qualifié aujourd’hui de patrimoine du XXe siècle. La revue Urbanisme a relayé certaines de ces luttes dans ses pages, et elle le fait encore dans ce numéro. Les défenseurs de ce patrimoine, hostiles aux démolitions, développent le plus souvent des arguments premiers autour de la mémoire sociale, économique, populaire, etc., des territoires, qui, selon eux, transcende l’architecture même du bâtiment. Est-il permis de douter que le patrimoine religieux, bien au-delà de la spiritualité et des convictions, pourrait parfaitement s’inscrire dans cette logique ? D’autant que ce patrimoine, en France, est loin d’être totémisé : de très nombreux édifices – dont certains de grandes dimensions, comme à Paris ou à Arles – ont été désacralisés pour être transformés en équipements publics, souvent dédiés aux activités culturelles, ou bien en restaurants, logements ou autre. D’autres bâtiments, toujours lieux de culte, ont su s’ouvrir à de nombreuses activités socio-éducatives et culturelles sans lien particulier avec la religion catholique. Le potentiel de recyclage (mutualisation, réemploi, etc.) des bâtiments dédiés aux cultes a même été identifié dans certaines études préalables à l’élaboration ou la révision de documents d’urbanisme réglementaire intercommunaux (PLUi). Le plus étrange dans ces débats, c’est que ce sont souvent les mêmes acteurs qui crient au scandale face au projet de démolition d’une MJC et qui applaudissent au spectacle de celle d’une église de 1866, qui, bien que présentant de nombreux désordres et nécessitant un investissement important, conservait un grand potentiel d’usage et constituait aussi – surtout – un témoignage historique, traditionnel et culturel. Chut, un esprit disparaît. 1/Les sénateurs Catherine Morin-Desailly (Union centriste, Seine-Maritime), Pierre Ouzoulias (Parti communiste, Hauts-de-Seine) et Anne Ventalon (Les Républicains, Ardèche). 2/Dans l’espace « Le Monde des Religions », à la rubrique « Patrimoine » (sic). Un coup de pied au culte ? éditoPar Julien Meyrignac urbanisme N°433 urbanisme N°433 4 5 p5 OPINION David Harvey en France… enfin !, par Gilles Pinson p7 ESPÈCES URBAINES EN VOIE DE DISPARITION Les tours de bureaux, par Marie Baléo p8 OPINION Bien vivre le temps de l’attente au rythme de l’usager, par Aude Masboungi p10 LE NUMÉRO 433 – LES RESSOURCES CACHÉES DU RENOUVELLEMENT URBAIN EN CHIFFRES ET EN LETTRES p12 AGENDA p14 3 QUESTIONS À Fabrice Loher, maire de Lorient p16 LA DÉFENSE ET SA MANNE SOUTERRAINE INEXPLOITÉE Une configuration qui a contribué à créer un envers du décor complexe et labyrinthique, par Marjolaine Koch p19 + ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS ROCHE, architecte p20 LE POTENTIEL DE VILLE ORDINAIRE DES QPV Un héritage bâti à exploiter, doté en infrastructures et équipements publics, par Maider Darricau p23 QUEL DEVENIR POUR LES FRICHES ET LE BÂTI AGRICOLES ? Les terres inexploitées en zones rurale ou périurbaine constituent un véritable potentiel pour les territoires, par Claire Nioncel p27 LES SITES ÉCONOMIQUES SUR LE CHEMIN DE LA RÉGÉNÉRATION Les zones d’activités économiques sont un enjeu important pour les collectivités et les aménageurs, par Marie-Odile Farineau p29 + ENTRETIEN AVEC SÉBASTIEN BERTHO, directeur projets chez Sonadev p30 + ENTRETIEN AVEC ANTOINE MONNERIE ET DOMINIQUE AUBERGER, directeur général de Territoires Rennes et directeur général de Citédia p31 « NOUS NE QUITTONS LA VILLE QUE MEILLEURE, PLUS GRANDE ET PLUS BELLE QUE NOUS L’AVONS TROUVÉE » Entretien avec Tom Bloxham, personnage haut en couleur et magnat de l’immobilier britannique sommaire Photo : Semapa Photo : Antoine Duhamel opinion Le 8 avril dernier, un jeune géographe de 87 ans a fait une entrée remarquée dans l’espace public hexagonal. Son nom ? David Harvey. Une poignée de curieux chanceux a pu le voir, en chair et en os, lors d’un évènement organisé par l’Institut La Boétie. David Harvey n’est rien moins que le géographe le plus cité au monde et l’une des grandes figures internationales des sciences sociales critiques. Ses travaux constituent une référence incontournable pour quiconque travaille sur la ville. Pourtant, en France, il est très peu connu et a longtemps été très peu mobilisé, que ce soit par les chercheurs ou par les urbanistes, à l’inverse d’un Henri Lefebvre. C’est grâce à une génération de jeunes géographes, et tout particulièrement Cécile Gintrac ou le regretté Matthieu Giroud1 , et à des maisons d’édition audacieuses comme Amsterdam ou Les Prairies ordinaires, qu’à partir des années 2010, le travail d’Harvey a pu être enfin porté à la connaissance d’un public plus large, à la faveur d’un patient travail de traduction2 . Mais en quoi le travail d’Harvey est-il si important ? Le géographe a spatialisé le marxisme en inventant un matérialisme historico-géographique qui théorise la manière dont le capitalisme produit sa propre géographie, très largement urbaine, et dont celle-ci devient, à son tour, partie prenante du processus d’accumulation capitaliste. Les espaces dans lesquels nous vivons constituent la matérialisation des flux de capitaux. Harvey va notamment s’intéresser à l’urbanisation du capital, autrement dit, à la manière dont le surplus de capital est réinvesti dans la production de l’environnement bâti. Toutefois, l’infrastructure physique ainsi générée n’est pas qu’un paysage ou une sorte de cimetière des surplus du capitalisme. C’est également la matière première de nouvelles stratégies d’accumulation et de spéculation de la part des capitalistes, et notamment de ceux qui incarnent le property capital3 (propriétaires, promoteurs, investisseurs, etc.). Ces stratégies ont pour effet de déterminer la fortune des différents espaces, qu’ils soient délaissés (inner cities4 , régions industrielles, villes moyennes) ou, au contraire, investis par le capital (quartiers d’affaires, espaces gentrifiés, métropoles). Au-delà, ces stratégies d’accumulation peuvent être aussi à l’origine de crises systémiques du capitalisme, comme l’a montré la récente crise des subprimes. Comment expliquer que la France soit passée à côté d’un chercheur aussi important ? L’autarcie académique et éditoriale française y est sans doute pour beaucoup. Harvey a probablement aussi pâti du refoulement du structuralisme et du marxisme qui fut à la mesure de leur hégémonie pendant les décennies d’après-guerre. Mais il y a une autre raison qui tient au paysage de la formation et de la recherche sur la ville et l’urbanisme en France. Depuis les années 1980, à mesure que les formations en aménagement et l’urbanisme se structuraient et se professionnalisaient, on a vu ce premier continent académico-professionnel s’éloigner d’un autre, plus diffus et moins structuré, celui des études urbaines et des sciences sociales de la ville. On a plus formé en France à la conception des plans d’occupation des sols (POS), puis des plans locaux d’urbanisme (PLU) qu’à l’économie politique urbaine. En quoi David Harvey est-il utile à l’urbaniste ? Il lui permet de le dessiller sur ce qui constitue la matière première des processus de production de l’espace urbain – les mécanismes d’accumulation et de valorisation – et de ne pas y voir le résultat du seul génie des concepteurs ou de la clairvoyance des édiles. Il l’éclaire aussi sur les transformations récentes des rapports entre le capital et la ville. Avec la globalisation, la néolibéralisation, la désindustrialisation et la financiarisation, les villes ne sont plus une destination secondaire des capitaux. Les biens urbains (logements, bureaux, infrastructures) sont devenus des actifs, desquels les spéculateurs attendent des profits mirobolants et auxquels sont appliqués les modes de calcul de l’industrie financière. Et cela a bien entendu toute une série de conséquences sur les modes de production de la ville et l’exercice effectif du droit à la ville pour tous. 1/Matthieu Giroud était maître de conférences en géographie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée depuis 2012. Il a été tué au Bataclan le 13 novembre 2015. 2/On se contentera de citer parmi les ouvrages traduits en français : Paris, capitale de la modernité, Les Prairies ordinaires, 2012, et Les Limites du capital, Amsterdam, 2020. 3/Capital immobilier. 4/Centres-villes. Par Gilles Pinson professeur de science politique à Sciences-Po Bordeaux David Harvey en France… enfin ! urbanisme N°433 urbanisme N°433 6 7 sommaire p36 LA CLEANTECH VALLÉE REMOBILISE LES ÉNERGIES DU GARD Panorama d’un projet EDF de redynamisation après la fermeture de la centrale d’Aramon, par Rodolphe Casso p38 RÉVÉLER LES RESSOURCES IGNORÉES DU « DÉJÀ-LÀ » Il est urgent d’inventer d’autres méthodes face à la crise climatique et de la biodiversité, par Nicolas Michelin p40 + ENTRETIEN AVEC NICOLAS MICHELIN, architecte-urbaniste au sein de Studio MAE p41 GARES DU GRAND PARIS Portfolio, par Lola Fauconnet p48 L’AUTOROUTE URBAINE, INFRASTRUCTURE EN VOIE DE DISPARITION Projets urbains et paysagers de reconversion d’infrastructures routières du Grand Paris,par Paul Lecroart p52 LA FIN DU MONDE PAVILLONNAIRE Lancé dans les années 1960, le modèle pavillonnaire, à bout de souffle, doit se réinventer, par Yves Deloison p55 « IL Y A UNE TENDANCE À SUPPRIMER DU FUTUR CE QUI NOUS SEMBLE INDÉSIRABLE » Entretien avec Louise Jammet, chercheuse postdoctorante sur le programme Plan urbanisme construction architecture p57 PLU BIOCLIMATIQUE : PARIS PLANIFIE RENOUVELLEMENT ET TRANSITIONS Paris a franchi une étape décisive dans sa transition vers une ville plus verte et plus solidaire, par Emmanuel Grégoire et Charles-Antoine Depardon p60 + ENTRETIEN AVEC EMMANUEL GRÉGOIRE, adjoint à l’urbanisme de la Ville de Paris p62 LE FUTUR DU « DÉJÀ-LÀ » Retour sur la 6e édition du festival Building Beyond, à Leonard : Paris, du 19 au 24 juin 2023 p64 SAINT-DIZIER, DES RESSOURCES (ENFIN) RÉVÉLÉES La commune de Haute-Marne mène un ambitieux plan de transformation de son cœur de ville, par Rodolphe Casso p66 + ENTRETIEN AVEC QUENTIN BRIÈRE, maire de Saint-Dizier p67 « LA CONCERTATION EST PROGRESSIVEMENT DEVENUE UNE SORTE D’INJONCTION » Entretien croisé avec Emmanuelle Gallot-Delamézière, directrice de l’agence Aire Publique, et Éric Hamelin, associé de l’agence Repérage Urbain p70 LES CARRIÈRES, UN POTENTIEL URBAIN À CREUSER Des espaces urbanisés et équipés pour le renouvellement urbain et le recyclage d’espaces artificialisés, par Julien Meyrignac p74 L’INVITÉ : JEAN-LUC MOUDENC Rencontre avec le maire de Toulouse p82 LIVRES p86 CINÉMA p88 EXPOS p90 ENTRETIEN avec Cédric Babouche,créateur du jeu vidéo Dordogne p94 JEUX VIDÉO p95 MUSIQUE p96 VILLE DE FICTION Pour vivre heureux, vivons séparés ? par Nicolas Minvielle et Olivier Wathelet p98 VOUS ÊTES BIEN URBAIN… MATHIEU GARRO, directeur général de la Fondation Palladio Photo : Lola Fauconnet Photo : Benjamin Elliott/Unsplash C’est à Londres que l’on peut contempler le premier bâtiment de bureaux de l’histoire : l’Old Admiralty y est érigé pour accueillir l’administration de la Royal Navy en… 1726. En France, les bureaux occupent originellement d’anciens logements, tandis que l’administration s’installe dès le XVIIIe siècle dans des hôtels particuliers de la capitale. Avec l’haussmannisation, ce sont des appartements que l’on investit bientôt pour y faire des affaires – un usage répandu jusqu’au milieu du XXe siècle et qui subsiste encore à Paris. Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que des bâtiments spécifiquement dédiés au travail de bureau voient le jour dans les grandes métropoles américaines. Après l’invention de l’éclairage électrique et de l’air conditionné, la création de l’ascenseur puis de l’ossature en acier ouvre la voie à l’édification des premiers skyscrapers (gratte-ciel) à Chicago et New York. En France, il faut attendre les années 1960 pour voir apparaître le quartier de La Défense, dont la première tour de bureaux, la tour Esso (11 étages), est inaugurée en 1963. Le début d’un âge d’or pour la tour, emblème pompidolien de la modernité, qui surfe sur l’explosion du secteur tertiaire tout au long des Trente Glorieuses : en l’espace de trois ans seulement (1971-1974), 3 millions de m2 de bureaux sortent de terre à Paris1 , rappelle la professeure Ingrid Nappi-Choulet. Mais les chocs pétroliers des années 1970 tempèrent la trajectoire fulgurante des bureaux, et plus particulièrement des tours, qui ne susciteront plus l’engouement des débuts. S’il faut se garder de toute généralisation (après tout, La Défense a battu en 2022 son propre record de m2 de bureaux loués2 ), les beaux jours des tours pourraient bien être derrière nous. En donnant un coup d’accélérateur au travail à distance, la pandémie de Covid-19 a réduit la demande de surfaces tertiaires et soulevé des questions irrésolues sur la pertinence de leur modèle. Se pose encore la question du bilan carbone, souvent considérable, de ces tours sur l’ensemble de leur cycle de vie, sans compter que la réglementation rend nombre d’entre elles obsolètes. À La Défense, 1 million de m2 pourraient le devenir dans les dix ans à venir3 . Or, la réhabilitation de bureaux s’avère extrêmement coûteuse, avec une addition estimée en moyenne entre 3 000 et 4 000 euros4 par mètre carré. C’est encore la réglementation qui entrave ce qui pourrait constituer la principale voie d’avenir pour les tours de bureaux : leur transformation en logements. Une idée qui va dans le sens d’une réutilisation de l’existant pour répondre aux besoins futurs sans artificialiser de ESPÈCES URBAINES EN VOIE DE DISPARITION Marie Baléo Les tours de bureaux sols. Et qui peut s’appuyer sur un fort potentiel : l’Ile-de-France, par exemple, compte aujourd’hui plus de 4,4 millions de m2 de bureaux inutilisés5 . Mais ce type d’opération se heurte à d’importants obstacles réglementaires : normes de sécurité (accès, réglementation incendie), environnementales, techniques (hauteur sous plafond)… Un enchevêtrement de contraintes qui rend improbable une éventuelle massification des conversions, d’autant que les tours de bureaux, souvent concentrées au sein de quartiers d’affaires, ne proposent pas toujours la facilité d’accès aux aménités urbaines requise d’un logement. Reste alors à concevoir, à l’avenir, des tours non seulement plus sobres en matériaux et en énergie, mais surtout réversibles, c’est-à-dire permettant de passer d’un usage à un autre, en minimisant les coûts et ajustements requis, une flexibilité dans l’air du temps. La tour de bureaux n’a peut-être pas dit son dernier mot ! 1/https://ingridnc.files.wordpress.com/2013/02/les-mercuriales.pdf 2/« Nouvelle année record pour l’immobilier de bureaux à La Défense », leparisien.fr, 7 mars 2023. 3/« À Paris La Défense, 1 million de mètres carrés de bureaux obsolètes doivent être transformés », lejdd.fr, 29 novembre 2022. 4/« La Défense interroge le devenir des tours de bureaux, entre télétravail, crise climatique et tensions sur l’énergie », lemonde.fr, 11 décembre 2022. 5/Note rapide, n° 963, novembre 2022, L’Institut Paris Region. Photo : Vincent Nicolas/Unsplash urbanisme N°433 8 9 Par Aude Masboungi opinion Trop long le temps d’attente de l’usager face à la lourdeur du processus de transformation urbaine ! En effet, de manière générale, les grands projets d’urbanisme s’étalent sur une période qui varie entre dix et trente ans. Le temps administratif, économique, politique et technique de la fabrique de la ville n’est jamais aisément assimilé par le riverain, dont le temps repose sur un vécu quotidien qui en appelle parfois à l’urgence. De plus, la chaîne de fabrication d’un projet est séquencée. Des phases se superposent, les procédures peuvent être rétroactives, avec des moments d’accélération, de blocage et des ralentissements qui se succèdent ou s’accumulent dans un contexte d’incertitude grandissant (juridique, financier, politique). Lors de la phase opérationnelle, le phasage est tel que des premiers programmes peuvent être fraîchement livrés, investis par de nouveaux occupants, tandis que d’autres espaces restent en friche, en travaux ou en attente de réhabilitation. Le temps de la mutation urbaine, incompressible, est souvent mal vécu par les habitants vivant dans des conditions précaires, puis dans un chantier pendant de longues années. Spécifiquement, en contexte de renouvellement urbain, on note des problématiques récurrentes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), liées à la fois aux temporalités longues (procédures administratives et chantier), à l’appréhension de la population du changement urbain et sociodémographique, avec crainte, voire regret des projets de démolitions lourdes prévues dans les grands ensembles, alors qu’il s’agit d’un cadre familier auquel les habitants sont souvent attachés. Il y a alors nécessité d’accompagner l’habitant et l’usager dans ce processus de transformation, voire de l’intégrer à l’opération et de le rendre acteur, en faisant en sorte que ces temps soient féconds, avec une possibilité pour l’usager de faire évoluer le projet au regard de sa propre pratique, et en familiarisant l’habitant – et le visiteur – avec les futurs espaces qui naîtront de la reconversion de son environnement. Aller vers l’usager Partant de ces sujets émergents, il s’agit de développer une méthode centrée autour de l’usager et de son vécu, prenant en compte les différentes phases de la transition urbaine, mais aussi sociale, écologique et programmatique. Pour ce faire, le terrain doit être la source d’inspiration pour le projet, sans préjugés initiaux. Cela passe par des entretiens, des enquêtes (physiques et/ ou en ligne) et des rencontres spontanées dans l’espace public (notammentàl’aided’unstandmobile),desateliersàdomicilequi ciblent les publics à interroger selon les projets (scolaires, centres sociaux, commerçants, etc.). Il s’agit donc d’« aller vers » plutôt que de « faire venir » l’usager. Il convient d’éviter les concertations non représentatives. Dans chaque mission, les participants sont comptés et identifiés en termes de genre, d’âge et, parfois, de catégorie socioprofessionnelle (CSP). Parallèlement ou en aval des enquêtes menées, il faut autant que possible rendre les quartiers en transformation confortables pour les usagers, avec des dispositifs comme la signalétique, des parcours, des espaces Bien vivre le temps de l’attente au rythme de l’usager Aude Masboungi est architecte-urbaniste. Elle cofonde, en 2015, l’agence d’assistance à maîtrise d’usage (AMU) et de stratégie urbaine La Belle Friche, qui propose une programmation urbaine alternative et inclusive. Photo :D.R. d’information autour du projet en cours ou à venir, des éléments qui racontent l’histoire du site (portraits, paroles d’habitants, faits historiques), des micro-aménagements et des animations avec la population locale pour les faire vivre… L’enjeu est alors de jouer les intermédiaires, porte-parole entre la sphère maîtrise d’ouvrage/institutions/maîtrise d’œuvre et la sphère civile, avec les habitants et usagers. Ainsi, nous faisons des allers-retours entre la décision, le dessin et le terrain pour faire évoluer l’un et l’autre dans le temps long de l’aménagement urbain. Par ailleurs, la programmation urbaine, qui consiste à penser des usagesetfonctions,lesdimensionsetlemodedesespacesàaménager, s’est vue bouleversée par les évolutions de paradigmes quant à la fabrique de la ville. En quelques années, nous sommes passés de la planification urbaine au projet urbain, conçu par les concepteurs architectes-urbanistes, et aujourd’hui, à la stratégie/ programmation urbaine qui met en lumière l’apport des sciences sociales et le rôle central de l’usager (Jean-Yves Chapuis)1 . En ce sens, la participation citoyenne, l’urbanisme transitoire/tactique/évolutif peuvent influer sur la manière de penser les fonctions au plus proche des desiderata des usagers, afin d’en définir les contours volumétriques et spatiaux. L’usager, qui arrivait en fin de processus dans la temporalité de l’aménagement urbain, tend à prendre sa place plus en amont. Il s’agit aussi de privilégier le « non-fini », laissant la porte ouverte aux différentes utilisations qui pourraient être faites d’un site. En effet, dans un projet de renouvellement urbain, il existe une part d’incertitude quant au mélange des fonctions urbaines pensées de façon pragmatique, sur un site en transformation avec un nouveau melting-pot de population. Ainsi, des surfaces non programmées doivent être gardées « en réserve ». La nécessaire cohésion sociale Par exemple, sur le campus de Cachan (ancien campus de l’École nationale supérieure) – 11 hectares aménagés par la Société d’aménagement et de développement des villes et du département du Val-de-Marne (Sadev 94) –, les écoles d’ingénieurs (Aivancity, EPF, ECAM-EPMI, etc.) vivent actuellement dans des enclaves enserrées elles-mêmes dans l’enceinte du campus, sans espaces communs ni animations (prévus dans le projet à terme). La démarche d’assistance à maîtrise d’usage (AMU) consiste en premier lieu à utiliser un bâtiment « La Porterie », ancienne maison de gardien, afin d’en faire un tiers-lieu d’insertion (café/restauration, fablab et ressourcerie) pour dix-huit mois, projet porté par l’association La Mine. Un des enjeux forts du projet étant d’ouvrir les campus sur la ville pour en faire un quartier, le nouveau tierslieupermettra,dansunedémarched’insertion,demêlerlesavoirfaire des écoles avec la population locale, d’ouvrir une buvette restauration aux étudiants qui manquent d’espace de rassemblement, mais aussi aux riverains. Il s’agit aussi de mettre en avant les portes d’entrée pour inciter les riverains à parcourir le site avant la livraison finale, de travailler la signalétique et les parcours pour orienter les usagers, de parler du projet urbain et de l’histoire du site. Il faut donc imaginer des programmes inattendus, des montages immobiliers innovants, des dispositifs architecturaux évolutifs et réversibles, et un phasage prenant en compte le temps de l’usager et l’éventuelle évolution, voire mutation d’une partie du programme. Enfin, dans un contexte de plus en plus incertain, comme celui dans lequel nous baignons avec les tensions politiques, les séquelles de la pandémie, des conflits sociaux, sans oublier les émeutesrécentes…,leslieuxdeproximité(espacespublics,tierslieux, équipements sportifs, etc.) semblent plus que jamais porter la responsabilité du brassage des âges entre genres, niveaux sociaux et de la nécessaire cohésion sociale. « Ce qui compte pour nous, c’est le présent », nous confient souvent les usagers. Pour conclure sur la question du temps en articulation avec la démarche d’assistance à maîtrise d’usage, son efficacité exige sans doute que cette dernière soit lancée au bon moment (souvent avant l’avant-projet, mais pas trop en amont non plus), avec le bon tour de table (être en lien avec les concepteurs directement est essentiel pour intégrer les résultats du terrain), le financement nécessaire (l’urbanisme tactique/transitoire a un coût), enfin, des interlocuteurs engagés. Une question persiste néanmoins : les missions étant commanditées le plus souvent par la sphère institutionnelle (avec un fonctionnement interne et un calendrier électoral inférieur au temps des projets urbains), comment assurer la prise en compte des retours du terrain dans le temps à la fois court (décisions instantanées à prendre, nécessitant souplesse et fluidité) et le temps très long de l’aménagement, garant de la parole habitante malgré les changements politiques et les aléas des projets urbains ? 1/www.lemoniteur.fr/article/du-projet-urbain-a-la-strategie-urbaine.1770409 Plaine Air, occupation temporaire d’une friche dans le 20e arrondissement de Paris, NPNRU Python-Duvernois. Photo : Semapa urbanisme N°433 urbanisme N°433 10 11 « Il y a une tendance à supprimer du futur ce qui nous semble indésirable. » Louise Jammet, chercheuse postdoctorante à l’Arep. « Trop de ressources de la ville sont sous-exploitées, car il n’y a plus assez de planification stratégique, plus assez d’urbanisme. » Tom Bloxham, Urban Splash. « La gouvernance public/privé permet donc de désiloter les problématiques, car sur les questions économiques, mais surtout climatiques, soit on réussit tous ensemble, soit on perd tous ensemble. » Virginie Monnier-Mangue, présidente de la CleanTech Vallée. « La ville figée, ça n’existe pas, ça n’a jamais existé, c’est une vue de l’esprit. Le patrimoine, doit être respecté en tant que tel, mais il ne doit pas nécessairement être conservé. » Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse et président de la communauté urbaine de Toulouse Métropole. « Nous avons terminé l’urbanisme d’aménagement et nous nous tournons vers un urbanisme de transformation. » Emmanuel Grégoire, 1er adjoint à la maire de Paris. « La désirabilité globale d’un projet de rénovation urbaine se résume à faire connaître ses plus-values, car elles sont souvent mal communiquées quand elles existent. » Éric Hamelin, associé gérant de l’agence Repérage Urbain. « Le marché de l’immobilier et de la construction préfère toujours la démolition, la tabula rasa qui permet de repartir sur des bases saines. » Nicolas Michelin, architecte-urbaniste. Le projet Racine transforme l’ancien siège de l’ONF. Le programme intègre des tiers-lieux pouvant s’adapter à de multiples possibilités et différentes formes de nature en ville à chacun des étages : potagers, serres agricoles, espaces de vie. © Maud Caubet Architectes 28 000 hectaresLa surface de terres artificialisées d’ici à 2030 annoncées en 2019. Source : France Stratégie (l’avenir du pavillonnaire). 1,2 milliard d’eurosLe coût total du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) de la métropole toulousaine. 40 000 m2 La surface de foncier en centre-ville concerné par le plan de transformation urbaine « Révéler Saint-Dizier », initié en juin 2021. 80 %Le pourcentage de foncier dédié à l’habitat pavillonnaire en Ile-de-France. Source : Benjamin Aubry, architecte-urbaniste, cofondateur de Iudo, d’après le MOS IDF – L’Institut Paris Region, 2021. 2 721Le nombre de friches repérées par L’Institut Paris Region, sur 4 200 hectares, dont 40 % d’espaces verts à l’abandon et 20 % ne comportant aucun bâtiment. LE NUMÉRO 433 – LES RESSOURCES CACHÉES DU RENOUVELLEMENT URBAIN EN CHIFFRES ET EN LETTRES Graphisme :LéoFaure 20 à 30 % Le temps d’utilisation moyen d’équipements tels que les bureaux et les écoles en France. Emmanuel Grégoire, adjoint à l’urbanisme de la Ville de Paris. urbanisme N°433 urbanisme N°433 12 13 agenda S’adapter Séminaire « Comment concilier densification du bâti et biodiversité ? » Le programme de recherche Biodiversité, aménagement urbain et morphologie (Baum) s’est emparé du questionnement suivant : « Comment concilier densification du bâti et biodiversité ? » Le programme a été initié par le Plan urbanisme construction architecture (Puca), en partenariat avec l’Office français de la biodiversité (OFD) et la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN). Six équipes de recherche travaillent depuis 2021, composées d’écologues, d’urbanistes, d’acteurs de l’aménagement urbain et de chercheurs. Cette journée sera l’occasion de présenter l’état d’avancement de leurs travaux qui se termineront en décembre 2023. Le 28 septembre 2023 Grand Amphithéâtre, Muséum national d’Histoire naturelle 57,rue Cuvier,75005 Paris www.urbanisme-puca.gouv.fr/28-septembreseminaire-baum-comment-concilier-a2750.html Séminaire « Adapter les villes aux inondations » Organisé par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et le Cerema, ce séminaire intitulé « Adapter les villes aux inondations : solutions pour concilier réduction de vulnérabilité et qualité d’usage » se déroulera à Dax, le 24 octobre 2023. Il fait suite au concours d’idées Amiter lancé par le Puca, la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) et le Cerema, en 2021. Cette journée se divisera entre tables rondes, ateliers et visites, et traitera, entre autres, du renouvellement urbain en zone inondable. La Ville de Dax est particulièrement concernée par cette problématique et conduit des études pour imaginer le devenir de l’un de ses quartiers d’habitation situé en zone PPRI (plan de prévention du risque inondation) sur les bords de l’Adour. Le 24 octobre 2023 Théâtre de l’Atrium 1, cours Maréchal-Foch, 40100 Dax www.urbanisme-puca.gouv.fr/seminaire-adapter-les-villes-aux-inondations-le-24-a2762.html Conférence technique « Gestion de crise » Le Cerema Méditerranée organise une conférence technique territoriale, « Gestion de crise – exercices de crise – de l’organisation à l’implication des populations », le 16 novembre aux côtés des communes et des intercommunalités. Elles ont l’obligation de réaliser tous les cinq ans des exercices pour préparer les élus et les agents à l’éventualité d’une crise. Cette journée « aura pour objectif d’apporter des éléments méthodologiques nécessaires à l’élaboration d’exercices de crise en croisant différents regards ». L’inscription est obligatoire et gratuite. Le 16 novembre 2023 Cerema Méditerranée Pôle d’activités Les Milles 30, avenue Albert-Einstein 13583 Aix-en-Provence www.cerema.fr/fr/evenements/ctt-gestioncrise-exercices-crise-implication-population Rencontres professionnelles 44e Rencontre nationale des agences d’urbanisme « Pas de réorientation écologique sans recomposition culturelle des territoires », telle est la thématique de cette rencontre nationale qui aura lieu à Clermont-Ferrand en novembre. « Au déni succède le vertige. Au refus de voir le monde s’effondrer – avec un climat qui s’emballe, le vivant qui s’étiole, des ressources qui s’épuisent et des inégalités qui se creusent – s’ensuit la désorientation. Redevenue vulnérable et privée des repères forgés par la modernité, l’humanité va devoir réinventer ses manières de vivre sur terre. » Invitée dans l’une des villes candidates à la capitale européenne de la culture 2028, la Fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau) prépare un programme alternatif cette année, avec une grande place accordée aux arts plastiques et vivants. Vous y retrouverez tout de même les incontournables explorations « enquête » qui vous conduiront dans plusieurs lieux emblématiques du Massif central, ainsi que les deux plénières, points d’orgue de ces journées. Du 15 au 17 novembre 2023 La Comédie 69, bd François-Mitterrand 63000 Clermont-Ferrand https://aucm.fr/fnau44/ 33e Convention nationale de l’intercommunalité Rendez-vous à Orléans pour l’évènement annuel des intercommunalités qui réunit plus de 2 000 élus et agents territoriaux. Au programme : des débats, ateliers, conférences, points juridiques, espaces de partage et d’expériences autour de la thématique « Les transitions, une question politique ». Pour Sébastien Martin, président d’Intercommunalités de France, « ces enjeux et ces défis ne sont pas de simples sujets techniques. Ils bousculent notre modèle de cohésion sociale et territoriale. Ils sont éminemment politiques et c’est dans ces termes que nous avons souhaité les aborder avec vous en 2023 ». Du 11 au 13 octobre 2023 Complexe évènement CO’MET Rue du Président-Robert-Schuman 45100 Orléans www.cerema.fr/fr/evenements/33e-conventionnationale-intercommunalite Culture Festival Close-Up « Ville, architecture et paysage au cinéma » Du 10 au 17 octobre 2023, Close-Up, en partenariat avec la revue Urbanisme, revient pour une troisième édition. Fondé */L’agenda de la revue Urbanisme est rédigé en collaboration avec le Collectif national des jeunes urbanistes. Le CNJU conduit depuis 2010 des actions d’appui en faveur de l’insertion professionnelle et de la mise en réseau des diplômés en urbanisme et aménagement. N’hésitez pas à nous proposer vos évènements à :redaction@urbanisme.fr par Hervé Bougon et Aldo Bearzatto, le festival prône une démarche « exploratrice,pédagogique,ludiqueetcitoyenne », et croise les regards entre cinéastes et acteurs de la ville. L’objectif : sensibiliser et rendre compréhensible cette pratique mal connue du grand public qu’est l’urbanisme. Le programme de la 3e édition sera disponible prochainement. Du 10 au 17 octobre 2023 Paris, Aubervilliers, Arcueil, Bagnolet, Rueil-Malmaison, Sceaux, Versailles https://festivalcloseup.com/fr Architecture frugale, réhabilitations inspirantes en Occitanie Le CAUE Haute-Garonne présente une exposition pour sensibiliser à la frugalité architecturale. Face aux changements climatiques, « le monde du bâtiment change aussi. Frugalité en énergie, frugalité en matière, frugalité en technicité, frugalité pour le territoire, sont autant d’enjeux pour lesquels existent des solutions architecturales, urbanistiques et techniques ». L’exposition s’inspire de la publication d’un livre paru en 2022 par Ilot formation et l’association Frugalité heureuse, Architecture frugale, 22 réhabilitations inspirantes en Occitanie. Par souci de cohérence, les matériaux choisis pour la scénographie sont écologiques, locaux et issus du réemploi, les toiles en tissu sans PVC et les encres utilisées sont écologiques. Douze projets sont mis en avant dans l’exposition. Un ancien bâtiment thermal à Saint-Gilles, dans le Gard, transformé en école maternelle, une maison autoconstruite, en Lozère, ou la requalification d’un cœur de village, en Avignon. Du 5 octobre au 23 décembre 2023 Galerie 24, Cour Baragnon 24, rue Croix-Baragnon, 31000 Toulouse www.les-caue-occitanie.fr/haute-garonne Réouverture du musée des Beaux-Arts de Draguignan Installé dans l’ancien palais d’été de Monseigneur du Bellay, évêque de Fréjus depuis 1888, l’ancien musée d’Art et d’Histoire de Draguignan se transforme en musée des Beaux-Arts, à l’automne 2023, après sept ans de travaux. La restructuration conduite par la Ville « vise à aménager un équipement culturel remarquable dans un bâtiment dont les richesses patrimoniales témoignent de l’histoire de la cité ». Draguignan espère renforcer son attractivité en intégrant le musée à l’espace public. Réouverture prévue le 16 novembre 2023. À partir du 16 novembre 2023 Musée des Beaux-Arts 9, rue de la République, 83300 Draguignan www.ville-draguignan.fr/quefaire-a-draguignan/culture/ les-lieux-culturels/ Vue du futur musée de Draguignan. © blpassociés Séminaire Mardi 24 octobre, Dax (40) ArnaudBouissou-Terra ADAPTER LES VILLES AUX INONDATIONS Solutions pour concilier réduction de vulnérabilité et qualité d’usage urbanisme N°433 14 QUESTIONS À Fabrice Loher, maire de Lorient Lorient est une cité portuaire qui s’est paradoxalement éloignée de son littoral. Quels sont les projets mis en place par la mairie pour le reconquérir ? Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’occupation par la marine et l’implantation d’équipements publics économiques et portuaires ont contribué à éloigner les Lorientais de leur littoral. Mes prédécesseurs ont entamé une politique de reconquête que j’ai accélérée, autour de trois points d’accroche. Le quartier historique du Péristyle au cœur de la ville se transforme progressivement en quartier d’habitat. Nous allons ensuite aménager un ponton, afin qu’il devienne un quartier de commerces et d’activités nautiques. Nous conduisons en ce moment une étude urbaine pour penser le devenir de l’estacade, c’est-à-dire le linéaire entre le centre-ville et l’embarcadère de Groix. L’idée est d’en faire une promenade piétonne maritime, afin que les habitants et visiteurs puissent déambuler sur la façade maritime. Enfin, nous venons de terminer la déconstruction de la Glacière (bâtiment frigorifique sur le port de pêche de Lorient). Nous prévoyons l’aménagement de magasins de marée, d’un centre de caisses de poissons et d’un tiers-lieu maritime, qui fera le lien entre la ville et le port, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous prenons exemple sur la reconversion réussie de l’ancienne base sous-marine, qui s’est transformée en site économique et lieu de vie. En juin, elle a accueilli un festival culturel. Nous souhaitons ouvrir le port à la population. Vous disposez de nombreuses friches portuaires. Comment sont-elles reconverties ? La zone du port de commerce dispose effectivement de friches, soumises à deux contraintes principales : technologique et de submersion littorale. Nous avons signé aux côtés de l’Agglomération et de la Région une charte d’utilisation du foncier portuaire, dans laquelle nous fixons des objectifs d’utilisation. Nous souhaitons que les friches à proximité du port à quai soient en priorité dédiées aux activités maritimes dures. Les plus éloignées pourront accueillir des activités maritimes qui ne sont pas en lien avec le port de commerce et la manutention. La CCI lance régulièrement des appels à manifestation d’intérêt. Dans le cadre de notre stratégie de décarbonation, je mène un combat administratif avec la Région Bretagne afin d’obtenir un agrément « bio » pour le port. Il nous permettra d’accélérer le commerce maritime de produits biologiques et de réduire la part du transport d’hydrocarbures. Quelle est la stratégie de renouvellement urbain de la ville ? Lorient est une petite ville en surface foncière qui s’étend sur 17 km2 . C’est deux fois moins que Vannes, alors que nous avons plus de population. La ville est urbanisée à 85 %, donc nous n’avons pas d’autre choix que de reconstruire la ville sur la ville. La ZAC [zone d’aménagement concerté, ndlr] de Bodélio en est l’exemple. Sur la friche de cet ancien hôpital, nous construisons un quartier qui comptera 700 logements. La contrepartie de la densité foncière et de l’acceptation par la population, c’est la renaturation. Nous serons une des premières villes en France à introduire un coefficient biotope dans notre PLU [plan local d’urbanisme]. Nous souhaitons raisonner à la parcelle et imposer l’intégration du végétal, y compris pour les projets de rénovation. Propos recueillis par Maider Darricau Port de commerce historique, Lorient compte sur ses friches portuaires pour construire une offre de logements abordables dans un marché tendu et réintégrer le littoral au tissu urbain. Photo : Florimond Furst-Herold 3 AGE CE D’U BA IS E CLE O T ASSIF CE T AL PAS DE ÉO IE TATIO ÉCOLOGIQUE SA S ECO POSITIO CULTU ELLE DES TE ITOI ES 15 > 17 OV. 2023 CLE O A D 44ème rencontre nationale des agences d’urbanisme PAS DE ÉO IE TATITT O ÉCOLOGIQUE SA S ECO POSITIO CULTU ELLE 44ème rencontre nationale des agences urbanisme N°433 urbanisme N°433 16 17 LA DÉFENSE ET SA MANNE SOUTERRAINE INEXPLOITÉE En surface, une fourmilière, l’éclat du soleil sur les interminables façades vitrées, des œuvres, des fontaines et des gens pressés. Sous leurs pieds, des tunnels, des cavités sombres, des grondements sourds ; parfois, cette lumière orangée typique des tunnels et le bruit des canalisations. La Défense est une immense dalle. Une configuration qui a contribué, avec ses nombreuses tours, à créer un dessus et un dessous, un envers du décor complexe et labyrinthique. La conception même du site en fait un lieu à part. L’urbanisme de dalle, généralement utilisé en reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, a servi de socle à ce nouveau quartier d’affaires. Imaginé à partir du milieu des années 1950, il a permis de développer un urbanisme opérationnel et une unité en surface. La contrainte, à l’époque, était de trouver un moyen de laisser circuler 60 000 véhicules par jour sur une voie qui cisaille le site. Deux niveaux sont alors imaginés : dessous, les voies de circulation, les aires de livraison, les parkings et les zones de stockage des déchets ; dessus, les piétons, les bâtiments et un espace aéré. Et pour relier ce nouveau quartier d’affaires à Paris, des platanes le long de l’allée principale jusqu’à la place de l’Étoile, un rappel des aménagements d’Haussmann dans la capitale. Le plan d’aménagement, avec son concept de dalle, est adopté en 1964 par l’établissement public d’aménagement de La Défense (Epad). Il acte, par là même, la création d’un envers du décor. « Dans les années 1960 et 1970, l’idée était de bâtir un quartier d’affaires très dense, qui nécessitait des bases solides en béton », raconte Edouard Zeitoun, responsable du développement culturel de Paris La Défense1 . C’est lui qui nous guide dans ce sous-sol labyrinthique, dénommé « la cathédrale ». Près de 20 000 m² de vide, coincés sous la dalle et entre les deux bretelles de l’A14. « Si lemêmesiteétaitconstruitaujourd’hui,cesvidesrésiduelsn’existeraient pas, ils auraient été comblés », estime-t-il. Dans cette vaste cathédrale, le poids de la dalle est réparti sur une série de murs, dans le but de ne pas s’appuyer uniquement sur les équipements accueillant le RER, sous nos pieds. Mais si les sous-sols sont particuliers à La Défense, c’est aussi du fait du montage juridique élaboré spécifiquement pour le site. Car, dans cette configuration, le droit immobilier n’est pas adapté aux dalles. Comme le décrit le site Défense 922 sur sa page relatant l’histoire du quartier d’affaires : « Les juristes, notaires et géomètres se sont évertués à imaginer des règles spécifiques permettant de résoudre les problèmes posés par l’imbrication sur un même terrain de domaines privés (bureaux, logements, hôtels) et de domaines publics (autoroutes, parkings, voies ferrées), tous incompatibles avec les solutions juridiques traditionnelles. […] C’est ainsi que l’ancien droit de superficie dissociant le dessus et le dessous va être remplacé par la “division en volumes”. » Autrement dit, la quasi-totalité du sol reste propriété de l’aménageur, l’Epad, les investisseurs négociant un « volume d’air », borné dans les trois dimensions, longueur, largeur et hauteur. « Nous avons un principe très strict de séparation fonctionnelle entre ce qui se passe au-dessus et en dessous », détaille PierreYves Guice, directeur général de Paris La Défense. « Mais ces infrastructures ont été construites dans un contexte où l’on avait une infinité d’espace disponible, la question de l’optimisation du foncier ne se posait pas. L’aménagement était très rationnel, le but était d’aller le plus vite du point A au point B. Tout cela s’est fait d’une manière itérative : d’abord le RER dans les années 1970, puis les premiers tunnels routiers, les parkings souterrains, les entrepôts de stockage pour chaque nouvelle tour… jusqu’au prolongement de la ligne 1 du métro en 1992. » Et avec chaque nouvel aménagement, des vides interstitiels qui s’ajoutent, plus ou moins vastes, plus ou moins profonds, générant ce chaos du dessous. Des espaces vacants sont même ajoutés dans les sous-sols lors de certaines constructions, comme lorsque le centre commercial des 4 Temps voit le jour. L’Epad décide alors d’anticiper en construisant sous le bâtiment et les quatre niveaux de parking, un futur espace destiné à accueillir un éventuel prolongement de la ligne 1 du métro. Un ouvrage similaire est conçu sous le quartier Michelet. Mais cette configuration demandait de faire passer la ligne 1 sous la Seine. La solution, jugée trop coûteuse par la RATP, est remplacée par un tracé suivant l’A14, à l’écart de celui anticipé par l’Epad : les deux espaces n’ont jamais accueilli un passager et Marjolaine Koch restent vacants aujourd’hui. « Il suffit de regarder en surface pour comprendre qu’il y a de moins en moins de foncier disponible, et qu’on s’approche du seuil de densité acceptable au-delà duquel le quartier aurait du mal à fonctionner », décrit Edouard Zeitoun. « En revanche, en dessous, par le caractère extensif et désordonné de ces infrastructures, il existe quantité de disponibilité foncière ou d’espaces en attente de vocation. » De la culture dans les cavités Reste à trouver ce qui pourrait prendre place dans ces espaces sans lumière directe ni normes de sécurité, ni sur l’aération, ni sur les issues de secours. Depuis les années 1970, la question semble flotter dans l’air, et la première réponse trouvée fut la culture. Car le premier à investir l’un de ces espaces, une haute caverne de 1 000 m² toute en longueur, est le peintre et sculpteur Raymond Moretti. En 1973, alors qu’il vient de se faire déloger du pavillon Baltard à l’occasion de la rénovation des Halles au cœur de Paris, il est invité par l’Epad à rejoindre le tout nouveau quartier d’affaires. Cette vaste pièce qui lui est attribuée lui permet de déployer son « Monstre », immense sculpture en mutation permanente. Et même si l’artiste est décédé en 2005, le Monstre, lui, est resté figé pour l’éternité dans cette pièce aveugle. Dans les années 1990, c’est un autre artiste qui se voit invité à investir les sous-sols : Patrice Moullet, créateur d’instruments et de musiques nouvelles. Il installe son « Omni », instrument circulaire à touches multicolores, dans l’un de ces autres interstices, à l’invitation du DG de l’époque, Gérard de Senneville. Enfin, sous le bassin de la fontaine Agam, les réserves du Centre national des arts plastiques (Cnap) sont elles aussi arrivées en 1991 : 90 000 œuvres entreposées, dont 3 500 sont déplacées chaque année pour des expositions, et qui côtoient un atelier de restauration aménagé sur place. Depuis 2018, le Cnap a annoncé son départ imminent pour rejoindre les Magasins généraux de Pantin et rassembler sa collection avec celle du Fonds national d’art contemporain (Fnac), mais, pour l’heure, l’opération n’a pas été concrétisée. Si la culture se taille une jolie part dans les sous-sols, d’autres pistes ont pourtant été envisagées sans qu’aucune n’aboutisse. Dans la cathédrale coincée entre les deux bras de l’A14, des agriculteurs ont, par exemple, envisagé d’y cultiver du cresson. Mais, à chaque fois, la question de la sécurité bloque. Un autre projet, d’envergure celui-ci, a bien été lancé juste avant la pandémie : Paris La Défense organisait un « dialogue compétitif » réunissant cinq groupements d’architectes internationaux, avec pour défi de transformer les 20 000 m² de la cathédrale en lieux de vie. C’est l’agencebelgeBaukunstquiaétéretenue,grâceàsonscénariode promenade souterraine reliant la place Basse au hub de mobilité Cœur Transports, jalonnée d’espaces aux usages variés, avec une percée spectaculaire pour faire entrer la lumière. « C’est un beau projet, mais il ne se posait pas la question de la programmation de l’usage », explique Pierre-Yves Guice, aux commandes de Paris La Défense depuis 2020. « Nous étions dans une approche Palais de Tokyo : on prend une infrastructure, on la rend capable, on la met aux normes ERP, puis advienne que pourra. Il y a des pays qui sont très familiers de l’exploitation d’équipements publics souterrains, mais en France, c’est un sujet un peu exotique. Nous n’avons pas trouvé de modèle économique, ce qui nous a conduits à laisser ce projet de côté pour quelque temps. » Enfin, depuis toujours, d’autres populations ont investi ces lieux et mené une existence parallèle à la vie bien rangée du dessus : selon une étude menée en 2017 par FORS-Recherche sociale, un organisme indépendant d’étude et de recherche en sciences sociales, au moins une centaine de sans-abri se serait réfugiée dans ces délaissés. Des lieux aussi prisés des grapheurs et des urbexeurs. « Le site est un grand terrain de jeu pour l’urbex, et ce dédale est impossibleàsécuriser »,reconnaîtEdouardZeitoun.Etc’estencore la culture qui reprend le dessus lorsqu’un projet aboutit, comme « La Cathédrale », « Les Bassins », « L’Atelier », « La Fnac » et « Le Plateau », soit plus de 20 000 m2 d’espaces cachés sous la dalle. Photo : Adrien Teurlais urbanisme N°433 18 l’exposition organisée sur trois jours en février dernier, confiée au collectif d’artistes urbains Interstices, qui comprend grapheurs et urbexeurs. « La non-conformité du site génère beaucoup de contraintes », explique Edouard Zeitoun. « Nous n’avons pas pu aller au-delà de trois jours à cause des coûts générés : un mois d’exposition coûterait 20 000 euros en frais de personnel et de gardiennage. » Cette expo, sorte de test grandeur nature, est suivie d’une autre, confiée à l’architecte François Roche, en septembre (lire p. 19). Lui bénéficie de deux semaines d’exposition. Adapter les aménagements à de nouveaux modes de déplacement À l’intersection entre ces zones théoriquement inaccessibles et la surface se trouvent les aménagements prévus pour « soulager » la dalle de toutes les contingences matérielles. Ces tunnels où circulent les voitures, les livreurs et les camions-poubelles, ces espaces dédiés aux déchets et les parkings. Parkings qui, aujourd’hui, sont moins sollicités. « On considère qu’environ 5 000 places sont inoccupées sur 22 000 », précise David Guerra, directeur délégué de l’ingénierie et services au territoire. « Deux parkings ont été fermés ; nous réfléchissons au développement à donner à ces sites. » Symboles de la transition actuelle, ils reflètent l’essor du télétravail et la réduction des flottes de voitures. À la place, le vélo a fait son apparition, lui qui était interdit de circulation sur la dalle jusqu’en 2015. Avant 2019, environ 600 cyclistes franchissaient le pont de Neuilly au quotidien. En 2020, ils sont 6 000. Si, dans un premier temps, un itinéraire leur a été proposé avec des « coronapistes » et un guide sur la dalle (une bande verte dessinée au sol pour les rassembler), il est temps, pour l’établissement public, de renvoyer ce mode de circulation sous la dalle, en lui proposant des aménagements en site propre sécurisés et efficaces. « Notre projet de réfection des voies couvertes, prévu initialementpoursemettreenconformité,aétélargementbousculéparles aménagements temporaires réalisés durant la pandémie », estime David Guerra. « Cette période a permis de montrer que ces aménagements fonctionnaient, et qu’il fallait les pérenniser. C’est ce qui nous a amenés à requestionner notre premier projet. » Au total, 14 voies couvertes, dont deux axes principaux (la voie des bâtisseurs et celle des sculpteurs), doivent subir un lifting destiné à les mettre aux normes. Sur ces deux axes, environ 25 tours sont desservies. L’établissement public Paris La Défense les pousse à revoir, elles aussi, leurs aménagements et leurs points d’entrée pour que les cyclistes s’y orientent, en trouvant au pied des tours des parkings sécurisés, des casiers ou même des douches. Ce projet est le premier à envisager une réfection des voies souterraines, pour les rendre plus agréables et les rapprocher du statut attribué jusque-là à la surface. Autrement dit, non plus des zones de transit que l’on tâche de camoufler, mais des espaces agréables à traverser, sécurisés, clairs, que cyclistes et piétons pourraient emprunter sans crainte – et ainsi éviter les conflits d’usage devenus trop nombreux sur la dalle. Un investissement de 100 millions d’euros est dédié au réaménagement de ces voies. De quoi, espère le directeur délégué de l’ingénierie et service au territoire, non seulement mettre ces sites aux normes, mais aussi les embellir. Zones de livraison et de collecte des déchets, pistes cyclables dédiées et bidirectionnelles, aménagement de placettes, coffrage des plafonds pour améliorer l’esthétique, aménagement de trémies pour la circulation de l’air et la pénétration d’une lumière naturelle, réalisation d’un parcours lumineux dont les codes couleur permettent de se situer sous la dalle…, le projet est ambitieux. L’arrivée de stations Vélib’, après des années de négociation pour des raisons d’incompatibilités juridiques, devrait guider les utilisateurs sous la dalle, leur positionnement étant prévu sur certaines des futures placettes. Ainsi, la dalle reprendrait sa vocation piétonne et les sous-sols gagneraient en confort et en fréquentation, comme une entame pour, peut-être, un jour, guider les usagers vers des aménagements nouveaux, souterrains et frais. Une qualité que l’on va sans aucun doute rechercher dans les années à venir. 1/L’établissement public Paris La Défense a été créé en 2018 pour réunir les compétences d’aménagement et de gestion. 2/www.defense-92.fr/histoire Nous avons rencontré François Roche, cet été : il préparait une exposition numérique dans les soussolsdeLaDéfense,Lachambredesmémoiresà-venir1 , qui accueillera le public au compte-gouttes durant deux semaines, jusqu’au 1er octobre 2023. Comment est né ce projet ? Mon intention était de créer une infrastructure dans la vallée de la Vézère, dans le Périgord noir, dans cet endroit où il y a des grottes pariétales. Quelques-unes d’entre elles ne sont ni nationalisées ni patrimonialisées et nous souhaitions en investir une pour déployer une infrastructure dans laquelle le futur nous regarderait. L’idée était non pas de produire une esthétique, mais de produire numériquement des personnages qui vont nous juger dans le fatras de l’ici et maintenant. Des observateurs de l’Homo sapiens, espèce vulnérable et assez stupide pour détruire son biotope et s’exterminer. Est-ce qu’il n’y avait pas une autre branche préalable qui aurait été exterminée, et qui avait une autre relation à la planète ? C’est une sorte de conte philosophique qui mêle grotesque et dérision, à la Zadig. Et comment passe-t-on de la vallée de la Vézère aux sous-sols de La Défense ? Nous avons répondu à l’appel à projets Mondes nouveaux lancé par le Gouvernement2 . Nous avons obtenu une enveloppe de 150 000 euros. Notre projet était bien avancé en 2021, lorsque nous avons répondu, mais il nous fallait trouver un lieu compatible avec notre projet et notre budget. J’ai revu mon ambition de départ, mais j’ai conservé l’idée qu’il ne fallait pas une exposition dans un espace hygiénisé, qui peut abîmer la parole. Je voulais une zone non déterminée d’art contemporain. Et puis j’ai repensé aux explorations urbaines de ma jeunesse, ce qu’on appelle l’« urbex » de nos jours et qui est devenu une vraie tendance. À l’époque, j’avais rejoint les résidus infrastructurels de La Défense en passant par l’A14. Ces lieux sont inaccessibles, ils n’ont jamais été pensés en tant qu’établissement recevant du public (ERP). Il n’y a pas d’issue de secours, pas de lumière, on entend les grondements de la ville au-dessus… C’est comme des catacombes pompidoliennes du temps présent. Il m’a fallu un an pour convaincre et négocier les contrats. Qu’est-ce qui vous attire dans ces sous-sols ? Au moment de la construction, chacun a pensé son autonomie : l’autonomie de l’A14, du RER, sous les tours…, ils créent des vides infrastructurels et des labyrinthes dans lesquels vit une population de l’ombre, cachée sous la dalle. Certains sans-abri y vivent, les grapheurs, les urbexeurs s’y retrouvent… C’est l’envers du décor, une zone non cartographiable. Quel type d’installation va-t-on trouver ? Ce conte philosophique va s’appuyer sur un dispositif destiné à le rendre aquatique. On le projette sur des écrans de fumée, derrière des vitrages, comme si le sous-sol avait généré ses propres résidus. Nous pouvons raconter un conte pariétal en jouant avec ce décor qui a tout d’une grotte. Je souhaite que l’expérience soit un peu déceptive dans le sens intellectuel, que l’on ne soit pas dans la fétichisation de l’existence de ces robots. Le récit théâtralisé par Laura Benson3 va accompagner la paréidolie provoquée par l’installation, où chacun va identifier des formes selon ses propres représentations mentales. Propos recueillis par M. K. 1/https://new-territories.com/PASTFUTURECHAMBER 2/Mondes nouveaux est un programme de soutien à la conception et à la réalisation de projets artistiques, d’un montant de 30 millions d’euros, dans le cadre du plan de relance. 3/La comédienne britannique, qui vit à Paris depuis 1981, a joué, entre autres, dans Touch Me Not, Ours d’or 2018. « C’est comme des catacombes pompidoliennes du temps présent » François Roche, un architecte aux codes très éloignés de ceux de sa profession, a passé une dizaine d’années à Bangkok. Le Covid l’a forcé à rentrer en France. François Roche, « La chambre des mémoires à-venir/ New-Territories ». Photo : New-Territories Le projet de réaménagement des espaces sous la dalle de La Défense. Photo : Paris La Défense urbanisme N°433 19
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