SECRETS D'HISTOIRE n°45 - Page 7 - 45 3 SECRETS D’HISTOIRE - N°45 - 2025 Édito Les sorcières, aujourd’hui revenues à la mode et réhabilitées depuis l’essai de Michelet au xixe siècle, jusqu’à incarner, selon Mona Chollet dans son best-seller Sorcières, La Puissance invaincue des femmes (éditions La Découverte), « la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations », ont rarement eu bonne presse depuis l’Antiquité. Dès L’Odyssée, d’Homère, les compagnons d’Ulysse sont confrontés à Circé, l’enchanteresse qui leur jette un sort maléfique et les transforme en porcs, puis ce sera Hécate ou Érichtho, en Thessalie, que le poète Lucain décrit dans sa Pharsale comme « maigre, laide, ses cheveux mêlés sur sa tête noués comme des serpents »… L’image de la sorcière s’installe, maléfique, jeteuse de sorts, à la fois rebouteuse, devineresse, magicienne et bientôt hérétique quand le pape Jean XXII au xive siècle va intensifier la chasse aux sorcières par des procès en sorcellerie dont l’une des premières victimes sera Jeanne de Brigue en 1391. Mais c’est à partir de la publication vers 1487 du Malleus Maleficarum, (Le Marteau des sorcières), un livre écrit par deux dominicains, Heinrich Kramer, dit Institoris, et Jacob Sprenger, que l’on va voir s’étendre les grands procès en sorcellerie par des Inquisiteurs qui vont envoyer au bûcher toute personne suspectée d’être maléfique. Au total, selon les historiens, il y aurait eu de 100000 à 200000 victimes de ces persécutions. Cette histoire des sorcières et de leur chasse, qui embrase l’Europe jusqu’à l’affaire des poisons au xviie siècle, est jalonnée d’épisodes tragiques comme les possédés de Loudun, les sorcières de Triora en Italie ou de North Berwick en Écosse à la fin du xvie siècle, les célèbres sorcières de Salem réputées dans le monde entier et jusqu’à la dernière victime Anna Göldin, en Suisse. Au-delà de la question religieuse, la stigmatisation des sorcières renvoie les sociétés humaines à la peur des épidémies, à la mort inexpliquée de nouveau-nés ou de bétail, et à des catastrophes que l’on croit alors surnaturelles. Dès lors, la chasse aux sorcières – expression qui trouvera son apogée dans l’Amérique du maccarthysme en lutte contre les idées communistes – traduit la volonté de communautés humaines de chercher un bouc émissaire et de le charger de tous les malheurs. À cet égard, le complotisme est un avatar de cette terrifiante chasse aux sorcières… Ce numéro de Secrets d’Histoire magazine retrace cette évolution des sociétés vis-à-vis des sorcières et vous propose le portrait de quelquesunes des figures célèbres qui ont marqué l’Histoire… jusqu’à Ma Sorcière bien-aimée. Aller toujours au-delà du mythe ou de la légende, c’est bien là l’une des missions de ce magazine, en plus de vous apporter le plaisir de la lecture. Dans ces pages, vous découvrirez la véritable histoire d’amour du roi George III d’Angleterre et de la reine Charlotte, au-delà de la sympathique Chronique des Bridgerton, vous revivrez avec Jean-Christian Petitfils le sacre d’Henri IV à Chartres alors que la route de Reims lui était barrée, vous plongerez dans l’énigme de Jean Ier, le Posthume, qui ne régna que cinq jours et donna naissance à une véritable imposture politique, et vous serez éblouis par l’incroyable talent d’Aliénor d’Aquitaine, celle qui fut tour à tour reine de France et d’Angleterre, une femme remarquable qui, à 76 ans, part en Espagne chercher sa petite-fille Blanche de Castille pour la marier à Louis VIII. Son gisant à l’abbaye de Fontevraud atteste de l’aura inaltérable de cette immense souveraine qui fut aussi une femme libre en plein Moyen Âge. Si elle n’avait été reine, aurait-elle été victime elle aussi d’une chasse aux sorcières? Les femmes libres, qui hier encore faisaient peur, sont à mon avis, les grandes architectes de l’Histoire. − par Stéphane Bern é d i t o Laurent Menec / France Télévisions / SEP 12 100 Granger Coll NY / Aurimages Daniel Arnaudet / Gérard Blot / RMN-GP Sommaire 4 92 60Heritage Images / Aurimages Content_DFY / Aurimages 3 L’édito de Stéphane Bern 6 Les rendez-vous de l’Histoire 12 Les sorcières La grande peur de l'Occident 14 L’interview de Stéphane Bern 52 Zoom sur… Au temps des Expositions universelles 60 Au cœur d'une vie Aliénor d'Aquitaine - Une vie de politique au cœur du Moyen Âge 74 Dans les secrets de… Caen, la conquérante 86 L’énigme de l'Histoire Le mystère de Jean Ier 88 L’illustre inconnu Étienne de Silhouette 90 L’âme des objets L’urne électorale de 1848 92 Des mots, des histoires 92 Au cœur d'une passion Charlotte de Mecklembourg-Strelitz et George III - La reine et le roi fou 100 Une journée particulière Le sacre d’Henri IV 104 Visite privée SaintFargeau Cage dorée de la Grande Mademoiselle 110 Fiction ou réalité Sarah Bernhardt, La Divine, de Guillaume Nicloux 112 Faits divers Domenica, La veuve noire de l’Orangerie Une partie de cette édition comprend pour les abonnés : une lettre de bienvenue, une lettre augmentation de tarif, une lettre de réabonnement à Secrets d'Histoire et un encart jeté First Voyages. Sommaire n° 45 SECRETS D’HISTOIRE - N°45 - 2025 5 6 LES RENDEZVOUS DE L’HISTOIRE Carole Fritz (CNRS) / équipe Grotte Chauvet. Crédit Ministère de la Culture TEXTES DE ANAÏS DELANNAY, MARINE GUIFFRAY ET DOMINIQUE ROGER Les secrets de la grotte Chauvet p. 7 Les rendez-vous de l’Histoire 7 SECRETS D’HISTOIRE - N°45 - 2025 A C T U S MAURICE Les secrets de la grotte Chauvet A N N I V E R S A I R E Son chef-d’œuvre incontesté ? Le Boléro. Créé à la demande de la danseuse Ida Rubinstein, qui y tient le premier rôle, et mis en scène par la chorégraphe Bronislava Nijinska, le ballet a été joué pour la première fois le 22 novembre 1928 à l’Opéra de Paris. « Pas de musique, pas de composition : seulement un effet d’orchestre », écrivait Ravel au sujet de son célèbre crescendo. Né le 7 mars 1875 à Ciboure, au Pays basque, le compositeur français signe là l’orchestration audacieuse d’une danse espagnole à trois temps, un fandango puissant dont l’air entêtant sera maintes fois repris et adapté. À l’occasion des 150 ans de la naissance du musicien, la Philharmonie de Paris consacre une exposition au morceau phare qu’il imagina à l’âge de 53 ans dans sa maison du Belvédère de Montfortl’Amaury. Une interprétation filmée de la partition par l’Orchestre de Paris donne le ton. Puis, de nombreux objets personnels, photographies, tableaux, dessins et instruments racontent la vie et l’œuvre du maestro, imprégnées de son attachement à la culture hispanique, de sa fascination pour la mécanique et le rythme, et d’une certaine nostalgie de l’enfance. On profite aussi de cette visite pour se promener dans les étages du musée : du luth à la guitare électrique, du clavecin au synthétiseur, son parcours permanent retrace l’évolution des genres musicaux et de la facture instrumentale du xviie au xxe siècle. Musique ! Ravel Boléro, à la Cité de la musique, Philharmonie de Paris, jusqu’au 15 juin. Plein tarif : 11 €. philharmonie deparis.fr Grotte Chauvet, l’aventure scientifique, à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, jusqu’au 11 mai. Plein tarif : 15 €. cite-sciences.fr. Grotte Chauvet 2 – Ardèche, 07150 Vallon-Pont-d’Arc. Plein tarif journée : 18 €. grottechauvet2ardeche.com Découverte dans un méandre abandonné de l’Ardèche par Jean-Marie Chauvet, Éliette Brunel et Christian Hillaire le 18 décembre 1994, la grotte ornée du pont d’Arc fascine les spéléologues. Vingt-sept ans après le début des études sur place, la Cité des sciences et de l’industrie propose de comprendre comment les scientifiques analysent les empreintes, fossiles et chefs-d’œuvre du Paléolithique qu’elle recèle – ses peintures pariétales, créées il y a 36 000 ans environ, comptent parmi les plus anciennes connues dans le monde. Petits et grands peuvent se munir d’outils scientifiques pour tenter de percer les mystères de cette cavité préhistorique inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2014. Avant, peut-être, d’aller explorer l’exceptionnelle reconstitution de la grotte Chauvet accessible à Vallon-Pont-d’Arc toute l’année. Gil Lefauconnier Stéphane Jaillet (CNRS) / équipe Grotte Chauvet. Crédit Ministère de la Culture RAVEL 8 POUR EN SAVOIR PLUS EXPOS - LIVRE Musée de la Grande Guerre de Meaux. Entrée plein tarif, incluant la visite de la tranchée : 12 €. Le musée est ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h 30 à 18 h. Gratuit tous les 1ers dimanches du mois (sauf le 1er dimanche de septembre). museede lagrande guerre.com Rebâtir Notre-Dame de Paris, le livre officiel de la restauration, Mathieu Lhours, Éditions Tallandier, 304 p., 49,90 €. Le 11 novembre dernier, treize ans jour pour jour après sa création, le musée de la Grande Guerre de Meaux a inauguré une tranchée pédagogique à ciel ouvert, dispositif immersif unique en France. Si le musée héberge déjà deux reconstitutions, allemande et française, il n’est pas possible d’y déambuler comme dans ce nouvel espace. L’entrée dans les boyaux se fait comme pour un soldat, par la seconde ligne. À l’époque, en effet, on « montait aux tranchées » environ une semaine pour retourner ensuite en troisième ou quatrième ligne. Le bruit accompagne les pas des visiteurs et plusieurs ambiances sonores se succèdent. Après le grondement des bombardements et des cris, la légèreté du chant des alouettes a de quoi surprendre. Au gré du parcours, on passe du poste d’observation – d’où l’on peut voir le no man’s land (où s’entassaient des déchets en tout genre et même les corps de soldats tués) – au poste d’artillerie. L’espace réduit des tranchées a conduit à la création de mortiers adaptés, de courte portée et peu encombrants, les « crapouillots ». La visite se poursuit par la découverte du stratégique poste d’écoute. L’abri des soldats, ironiquement baptisé ici « Grand Hôtel poilu », donne un aperçu poignant de ce qu’était leur quotidien. En immersion chez les Poilus Cinq ans après avoir été la proie des flammes, Notre-Dame a rouvert ses portes. Depuis le parvis ou les quais de Seine, fidèles et visiteurs retrouvent la cathédrale qu’ils connaissaient depuis toujours. Mais, à peine le portail franchi, ils découvrent stupéfaits un édifice à la fois nouveau et authentique. Jamais la pierre des voûtes et des piliers n’a réfléchi une clarté aussi douce ; les polychromies au cœur des chapelles éclatent comme des feux d’artifice ; et les vitraux aux couleurs subliminales vibrent au gré de la lumière du moment. Comment un tel prodige a-t-il été possible ? Rebâtir Notre-Dame de Paris raconte cette impossible aventure. En 250 photos et plans appuyés par les textes de Mathieu Lours, historien de l’architecture religieuse, cet album grand format vous fait visiter la cathédrale, jusque dans ses lieux inaccessibles, la charpente et la flèche par exemple. Avec, en prime, des clichés du chantier qui illustrent bien le travail de la pierre, du bois, du fer et du verre tel qu’on le pratiquait dans les temps gothiques. Appréciables aussi sont les témoignages des artisans, architectes ou maîtres d’œuvre, ainsi que la rigueur et la précision des légendes. Au fil des pages, on porte peu à peu un regard neuf et émerveillé sur Notre-Dame. Notre-Dame de Paris, la splendeur retrouvée Les rendez-vous de l’Histoire SDP Mairie de Meaux / Nordine Benchaib *sondage réalisé sur un panel de 800 abonnés / sept 2024 EN ÉDITION LIMITÉE sur www.laboutiquesecretsdhistoire.tv ENTIÈREMENT DÉDIÉE À L’HISTOIRE des milliers de vidéos en illimité partout dans le monde recommandé par 95% des abonnés scannez ici scannez ici 10 Il n’a pas réfléchi longtemps Charles Lanclerc, étudiant parisien à la recherche d’un emploi, avant d’accepter un job de gardien dans la colonie pénitentiaire de Cayenne en Guyane. Le hasard parfois… L’histoire débute en 1923, l’année où le grand reporter Albert Londres publie le premier volet de son enquête, En voguant vers la Guyane, dans Le Petit Parisien. Louise d’Auzay, autrice de ce premier roman, nous emmène pour un long voyage de SaintMartin-de-Ré, en métropole, à SaintLaurent-du-Maroni et les terrifiantes îles du Salut. Si les témoignages et les récits ne manquent pas sur cette période sombre de l’histoire du bagne créé en 1852 par Louis-Napoléon Bonaparte, les romans historiques sont plus rares. On mentionnera l’œuvre de Jean-Paul Delfino (Guyanes) ou d’Eunice Richards-Pillot (Terres noyées). Avec Les Oubliés de l’enfer vert, la romancière trousse une intrigue où se mêlent roman d’aventures et enquête policière, l’ensemble reposant sur une trame documentaire des plus solides et inspirée de faits réels. À l’omniprésence de la violence qui règne dans cette microsociété, constituée de bagnards et de leurs gardiens, Louise d’Auzay oppose la brutalité, la corruption, la trahison des représentants de l’administration coloniale. De cette plongée dans « l’enfer vert », puissant vecteur de fantasmes et étrange aimant pour les aventuriers, Louise d’Auzay en restitue la démesure, l’immensité, une dangerosité toute palpable. Au fil des pages, nous sommes immergés dans la moiteur poisseuse de la forêt primaire équatoriale ; des rives des fleuves Maroni et Oyapock, frontières naturelles avec le Brésil et le Surinam, aux couleurs organiques, minérales, montent des odeurs âcres. Il nous semble même percevoir le chant du « capitaine de la forêt » (paypayo), si caractéristique du labyrinthe végétal amazonien, nous aidant à ne pas perdre tous nos repères. À Louise d’Auzay, on aurait envie de demander, comme le fit Pierre Lazareff, le patron de France-Soir, à Blaise Cendrars à propos du Transsibérien : « Dis donc, Louise, tu le connais vraiment cet enfer vert ? » Nous répondrait-elle, à l’instar de « l’homme foudroyé » : « Qu’est-ce que ça peut te faire, puisque je vous l’ai fait découvrir à tous ! » Spécialistes du livre d’art, les Éditions Place des Victoires ont lancé La Grâce d’une cathédrale, une collection haut de gamme sur le patrimoine sacré. Les Résurrections de Notre-Dame retrace la renaissance de cette « Belle du Seigneur » après cinq ans d’un chantier titanesque. Réunissant un aréopage d’historiens, d’architecte et de théologiens, sans oublier l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, et le recteur de Notre-Dame, Mgr Olivier RibadeauDumas, l’ouvrage met en scène cette incroyable aventure collective. Aux textes documentés répond une iconographie mêlant reportages photographiques d’aujourd’hui et archives inédites. Le monument ouvre aussi les portes à la lecture de notre Histoire. Celle du génie créatif des bâtisseurs, celle des grands événements heureux ou tragiques. Point zéro des routes du pays, Notre-Dame est ainsi porteuse de la permanence spirituelle et un symbole d’espérance. Les Résurrections de Notre-Dame. Histoire, Chantiers, Ferveur, coll. La Grâce d’une cathédrale, dirigée par Mgr Joseph Doré et Bernard Reumaux, Éditions Place des Victoires, 320 p., 69 €. La renaissance d’une cathédrale SDP POUR EN SAVOIR PLUS LIVRES Cayenne, terre de la grande punition Les Oubliés de l’enfer vert, de Louise d’Auzay, coll. Terre d’Histoires, City Éditions/Hachette, 304 p., 18,50 €. Les rendez-vous de l’Histoire Artemisia Gentileschi, Judith et sa servante avec la tête d’Holopherne, v.1615, Huile sur toile, 114 x 93,5 cm, Florence, Gallerie degli Uffizi, Galleria Palatina, crédit : Su concessionne del Ministera della Cultura. Heritage Images / Fine Art Images / akg-images Le Sabbat des sorcières, de Frans Francken le Jeune (1581-1642). Œuvre majeure de l’art baroque flamand, ce tableau à l’atmosphère inquiétante et surnaturelle, entre lumière et obscurité, représente une réunion de sorcières, ou sabbat.
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