LIRE - MAGAZINE LITTÉRAIRE n°537 - Page 6 - 537 LIRE MAGAZINE • FÉVRIER 2025 • 3 STÉPHANIE LACOMBE POUR LIRE MAGAZINE – ALEXANDRE ISARD POUR LIRE MAGAZINE – AGIP/BRIDGEMAN IMAGES – JEAN-LUC BERTINI POUR LIRE MAGAZINE SOMMAIRE COUVERTURE: ALE+ALE Ce numéro comporte un encart Dékuple diffusé sur l’ensemble des abonnés France et un encart Lire Magazine sur une diffusion partielle. 4 L’ÉDITO Baptiste Liger 6 LE GRAND ENTRETIEN Vanessa Springora 13 L’ACTUALITÉ 36 L’UNIVERS D’UN ÉCRIVAIN Éric Neuhoff 40 LE DOSSIER Humour et littérature, le rire polymorphe 52 LE PORTRAIT Philippe Vilain 56 L’ENQUÊTE Pierre Michon et ses pairs, une génération majuscule 63 LE CAHIER CRITIQUE 64 l Événement: Haruki Murakami 70 l Littérature française 77 l Polars 78 l Littérature étrangère 84 l Classiques/Études littéraires/Poésie 86 l Science-fiction/Fantastique/Romance 87 l Bande dessinée 88 l Mangas/Jeunesse 94 l Essais/Documents 66 LES EXTRAITS 66 l J’emporterai le feu de Leïla Slimani 90 l Alice au pays des idées de Roger-Pol Droit 104 LA LANGUE FRANÇAISE 114 LES LIVRES DE MA VIE Marc Lavoine LA CHRONIQUE DE 39 Gérard Oberlé Livres méconnus ou oubliés 62 Bernard Lehut Le livre à lire 69 Patricia Reznikov Dans les piles 93 Solange Bied-Charreton Ordre d’idées 102 Pascal Ory Mot de tête 111 Éric-Emmanuel Schmitt L’atelier d’écriture ABONNEZ-VOUS EN 1 CLIC SUR WWW.LIRE.FR OU EN SCANNANT CE QR CODE POUR DÉCOUVRIR TOUTES NOS OFFRES ! N° 537 - FÉVRIER 2025 6 LE GRAND ENTRETIEN VANESSA SPRINGORA 36 L’UNIVERS D’UN ÉCRIVAIN ÉRIC NEUHOFF 40 LE DOSSIER HUMOUR ET LITTÉRATURE, LE RIRE POLYMORPHE 52 LE PORTRAIT PHILIPPE VILAIN À une lettre près. Oui, à une lettre près, « rire » et « lire » ne seraient qu’un seul et même mot. Deux verbes qui pourraient, finalement, aller de pair tant la lecture sait parfois nous amuser, nous faire sourire. Pourtant, lorsqu’on regarde les divers classements des meilleures ventes, force est de constater que, contrairement au cinéma ou au théâtre, la comédie ne fait guère recette, ce qui n’est pas le cas des tragédies intimes, drames sociétaux, thrillers crépusculaires ou évocations de moments terribles de l’Histoire. Il y a bien, de temps en temps, un petit miracle (mettons de côté le domaine de la BD), mais les lecteurs français semblent privilégier des œuvres plus sombres. Plus « sérieuses »? Pour ce début d’année, à l’occasion du 50e anniversaire de la disparition de Pierre Dac – grand maître des mots, l’air de rien –, Lire Magazine a choisi de consacrer son dossier aux liens entre l’humour et la littérature. Et ce, aussi bien à travers les grands classiques des lettres ou les divers registres du rire que dans des domaines moins officiels – au fond, quand on regarde les textes de leurs sketchs, Raymond Devos ou Pierre Desproges ne maîtrisaient-ils pas mieux la langue française que certains lauréats des grands prix d’automne? Si, en ce début d’année, il y a bien un auteur qui a débridé nos zygomatiques (mais pas que), c’est bien lui: Jean Echenoz. Les péripéties de son roi du nanar dans Bristol confirment, si besoin était, son talent et sa manière si singulière de passer du comique au tragique. Mais on ne résumera sans doute pas à ce seul titre cette rentrée d’hiver 2025, riche en titres stimulants. Doit-on parler de grand cru? Assurément. Parmi les nombreuses pépites du moment, nous aurons été marqués par le retour gagnant de Haruki Murakami, la virtuosité narrative de Camille Laurens, la reconstitution du Paris gay des années 1980 de Jean-Christophe Grangé, le drôle de ton de Rachel Kushner ou le portrait amer d’Annie Ernaux signé Philippe Vilain. Sans compter bien des découvertes. Qui vous feront (parfois) rire ou (souvent) pleurer – qu’importe: les écrivains auront su vous transporter, vous passionner, vous émouvoir, vous révolter. Et donc affirmer la puissance de la littérature. n ÉDITO DE BAPTISTE LIGER Sociétééditrice EMC2 SAS au capital de 499400 euros Siègesocial 43, avenue du 11-Novembre, 94210 Saint-Maur-des-Fossés. Tél.: 0147004949 - RCS 832332399 Créteil Président/Directeurdelapublication Jean-Jacques Augier Directeurgénéral Stéphane Chabenat Adjointe Sophie Guerouazel RÉDACTION Directeurdelarédaction BaptisteLiger Rédacteurenchef AlexisBrocas Directionartistique/Maquette IsabelleGelbwachs Secrétariatderédaction MeriemDjebli,avecBrigittedeZélicourt Iconographie JanickBlanchard Chroniqueurs SolangeBied-Charreton,BernardLehut,GérardOberlé, PascalOry,PatriciaReznikov,Éric-EmmanuelSchmitt. Ontcollaboréàcenuméro Fabriced’Almeida,FrédériqueAnne,HubertArtus, SimonBentolila,Boll,PatriceBollon,EugénieBourlet, OlivierCariguel,MathieuCharrier,Jean-PierreColignon, FabriceColin,LéonardDesbrières,BrunoDewaele, SophieDiMalta,MarcusDupont-Besnard,Nicolasd’Estienne d’Orves,AntoineFaure,LaëtitiaFavro,IlanFerry, HélèneGestern,AudeGiger,ÈveGuerra,EmmanuelHecht, JeanHurtin,MarieJouvin,Louis-HenrideLaRochefoucauld, XavierLeClerc,ÉricLibiot,GladysMarivat,GabrielleMartin, JeanMontenot,MargauxMorasso,Jean-FrançoisPaillard, JacquesPerry-Salkow,DominiquePoncet,BernardQuiriny, ChristopheRioux,JulietteSavard,SergeSanchez. Publicitélittéraire,partenariatsetdéveloppement AstridPourbaix:0147000323 IsabelleMarnier:0147001177 publicite@lire.fr Photogravure/Impression MauryImprimeurS.AMalesherbes PublicationmensuelleéditéeparEMC2SAS. Siègesocial:43,avenuedu11-Novembre, 94210Saint-Maur-des-Fossés. N°Commissionparitaire:0625K85621. Dépôtlégal:moisencours. ISSNn°3038-3900. 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Parce qu’il est impossible d’entretenir une relation affective stable avec un mythomane, qui camoufle ses failles avec des mensonges. Peutêtre était-il possible, au moins, de le comprendre… Pour cela, Vanessa Springora a cherché. Et elle a trouvé ce qu’elle n’attendait pas – des preuves de l’homosexualité de son père, insoupçonnable. Mais aussi un baromètre avec le visage de Pétain, un petit portrait de Hitler et deux photos anciennes montrant son grand-père dans des tenues frappées de l’aigle impérial nazi… Bien sûr, des questions ont surgi, qui rejoignaient celles que l’autrice se posait de longue date sur son Patronyme, ce « hapax » qui semble ne se relier à rien. Pour y répondre, il fallait enquêter. Se plonger dans les archives de la Seconde Guerre mondiale, voyager, interroger. Ainsi, au gré des béances de la mémoire collective, Vanessa Springora a reconstitué une histoire. Qui nous emmène dans les Sudètes, cette région de Tchécoslovaquie peuplée par une importante communauté allemande et revendiquée par Hitler, où le nationalisme germanique fut porté à incandescence. Qui nous parle d’un amour entre un soldat perdu et une jeune fille de Normandie qui risqua sa vie pour lui. Qui explique le geste inouï d’un homme pour se réinventer en France, se libérer de son passé et en délivrer ses enfants. Mais de même que ce que l’on tait ne disparaît pas pour autant, ce que l’on trouve ne révèle jamais tout. Ce livre – et c’est son intérêt – n’est donc pas le récit d’une marche triomphale vers la vérité. Au fil d’une écriture très tenue, où chaque mot semble avoir été pesé, Vanessa Springora raconte ses tâtonnements, sa poursuite d’une histoire qui déjoue toujours ses attentes, mais la conduit aussi à réaliser un vœu cher à son grand-père. La structure gigogne du livre reproduit le mouvement de cette enquête : chaque découverte, chaque fausse piste, chaque interrogation donne sa forme au chapitre suivant. L’autrice y ajoute de petites fictions où, forte des dernières informations recueillies, elle imagine le passé de son grand-père. Une vérité forcément changeante. Et c’est par ce travail sur la forme, et par cette quête d’un absolu qui semble toujours se dérober, que le récit devient texte littéraire… Nous avons rencontré Vanessa Springora dans un café de la place de la Bastille. Comme la morgue propre aux auteurs français qui vendent plus de 1000 exemplaires lui est étrangère, l’entretien s’est vite transformé en une passionnante conversation à bâtons rompus sur cette quête des origines, et sur ce que la littérature peut faire et défaire. PATRONYME RACONTE LA QUÊTE D’UN ABSOLU QUI SEMBLE TOUJOURS SE DÉROBER lll HHHH PATRONYME VANESSA SPRINGORA 368 P., GRASSET, 22 € EXTRAIT LIRE MAGAZINE • FÉVRIER 2025 • 7 LE GRAND ENTRETIEN PAR ALEXIS BROCAS « Briser la chaîne du silence » VANESSA SPRINGORA À lire Patronyme, on a l’impression qu’il y a une continuité avec Le Consentement. Comme si, après vous être réapproprié votre histoire, vous aviez voulu, dans la suite de ce mouvement, vous réapproprier votre nom. Est-ce le cas? Vanessa Springora C’est exactement ça. D’abord, le hasard a fait que les deux événements se sont télescopés, puisque mon père est mortquatrejoursaprèslasortieduConsentement.Etj’aibeaucoup dit, à l’époque, que je cherchais à me réapproprier mon histoire. Mais je ne suis pas uniquement constituée de cet épisode de ma vie, qui a duré de mes 14 à mes 15 ans. Après la mort de mon père, quand j’ai été confrontée à tous ces documents, tous ces mystères à élucider, je me suis rendu compte que si je ne savais pas d’où je venais et quelle était l’histoire de ma famille paternelle, il me manquerait toujours une grande partie du puzzle. Pour aller plus loin, je dirais que les deux textes résultent de la même démarche: il y avait un récit à déconstruire. Dans Patronyme, je n’avais pas envie de porter de jugement moral sur le parcours de mon grand-père, et j’ai essayé d’être la moins manichéenne possible. Mais il me semblait nécessaire de montrer la part de fiction et la part manquante de ce récit qui nous avait été donné, à mon père, mon oncle et à moi – celui d’un héros qui avait échappé à deux totalitarismes,quiavaitrésisté,unehistoirequioccultaittouteune partie moins glorieuse de sa vie. Enfin, il était aussi important de comprendre ce qui avait pesé sur mon père, ce qui avait fait de lui ce mythomane compulsif, incapable d’être un père pour moi. Quand j’ai réalisé avec quels non-dits il avait dû vivre, beaucoup de choses se sont éclairées. Il était le premier à porter ce faux nom – après mon grand-père qui l’avait forgé pour effacer les traces de son passé, et pour que ses enfants puissent avoir un avenir. J’avais besoin de comprendre qui était mon père, un personnage très énigmatique qui m’a beaucoup fait souffrir par son absence, son côté insaisissable, ses mensonges… Et j’ai pu élucider ces mystères à l’aune de mes découvertes, en comprenant que lui-même n’avait jamais su qui était véritablement son propre père. Il ne l’a pas su mais, comme vous l’écrivez, il y avait des indices. Il avait vu les photos de votre grand-père en uniforme allemand. Et il y a eu une période où lui-même s’est voulu d’extrême droite… V.S. Oui, il avait découvert son secret, mais n’a jamais pu en parler directement avec lui, ce qui est la pire des situations. Ça l’a conduitàendosser,parmimétisme,lesmensongesdesonpère.Età développerunefascinationpourl’idéologienaziebienqu’àd’autres moments de sa vie il se soit dit de gauche. Mon père a oscillé entre la haine de soi et la haine des autres, qui sont pour moi deux faces d’une même médaille. C’est tragique, car ça a débouché sur cette existencepresqueavortée.Audépart,monpèreavaiténormément de possibilités: il était très intelligent, autodidacte et extrêmement cultivé, il avait une passion pour la politique. Finalement, il s’est tournéverslapresse.Ilseprétendaitjournalistealorsqu’iltravaillait plutôt dans la branche marketing et communication de certains journaux. De même qu’aucun de ses trois mariages n’a duré, sa vie professionnelle a été faite de sauts d’un poste à un autre. Je pense que ses employeurs s’apercevaient assez vite qu’il y avait beaucoup d’esbroufechezlui,etqu’enréalitéilétaittoutsimplementincapable detravailler.Parcequ’ilétaittroppsychiquementatteintpourfaire preuve de régularité. Après ces échecs, votre père est allé s’installer chez sa mère – la description de cet appartement clivé, avec la chambre de votre grand-mère, que vous retrouvez dans un état impeccable, et ce salon englouti sous le désordre où votre père habitait, est un des moments forts du texte. N’était-ce pas une façon de se rapprocher de la source de ses traumas? V.S. Oui,jesuispersuadéequ’ilestalléyvivrepourêtreauplusprès de ce mystère qu’il n’avait jamais réussi à élucider complètement. Quant à la topographie de l’appartement, elle reproduisait de nombreusesfrontières– l’undesthèmesdemonlivre –politiques, psychiques, géographiques, de genre. Et cela dans un espace 2006 Après un DEA de lettres à la Sorbonne et un début de carrière comme réalisatrice pour l’INA, Vanessa Springora devient assistante d’édition chez Julliard, puis éditrice en 2010. 2019 Deux mois avant la parution du Consentement, l’autrice prend la direction des éditons Julliard. Elle quittera ce poste en 2021 pour se consacrer à l’écriture. 2020 Parution du Consentement, récit où elle revient sur la relation dans laquelle l’écrivain Gabriel Matzneff l’entraîna alors qu’elle avait 14 ans, et lui 49 ans. Vendu à plus de 300000 exemplaires, le livre a été l’un des grands succès de l’année. BIObibliographie LE GRAND ENTRETIEN l VANESSA SPRINGORA 8 • LIRE MAGAZINE • FÉVRIER 2025 très réduit – d’environ 35 mètres carrés. Il y avait cette pièce, ce mausolée de ma grand-mère décédée, qu’il continuait à nettoyer. Le fait d’avoir retrouvé les fameuses photos de mon grand-père dans les affaires de ma grand-mère me laisse penser que c’était elle qui avait caché ces objets à cet endroit-là, peut-être après le décès de son mari… Je ne suis pas tout à fait sûre que mon père ait trouvé ces photos. Mais il avait dû les voir dans son enfance, puisqu’il y a eu ce premier moment mimétique étonnant où il a voulu faire de l’escrime comme son père, qui porte sur l’une de ces photos un costume d’escrimeur avec une croix gammée. Plus tard, il a développé une fascination pour l’imagerie nazie, qui l’a conduit à collectionner certains objets dont j’ai d’abord cru qu’ils appartenaient à mon grand-père. Saviez-vous, en commençant votre enquête sur votre père, qu’elle vous mènerait à votre grand-père? V.S. Je le pressentais, ou j’en avais le désir, parce qu’il y a toujours eu une énigme autour de l’origine de son nom de famille. Et c’est danscetappartement,encroyantessayerdecernerlapersonnalité de mon père après son décès, que j’ai dévié vers la figure de mon grand-père. Les deux sont indissociables: il était impossible de comprendremonpèresanscomprendrequiétaitlesien.D’ailleurs, ça a été mon réflexe naturel de le faire enterrer avec ses parents… Comme si j’avais l’intuition qu’on ne pouvait pas séparer leurs destins. Et même si mon père est allé vivre dans cet appartement pour des raisons très pragmatiques, j’ai eu l’impression que c’était aussi une façon de me laisser une sorte de jeu de piste. Sur le lit de ma grand-mère, il y avait ce papier en évidence, avec mon nom… Il avait compris que le jour où il mourrait, ce serait moi que l’on appellerait, même si je ne le voyais plus depuis des années. D’une certaine manière, il m’avait désignée, et c’est pourquoi je me suis sentie presque investie de l’obligation de mener cette enquête. Vous avez fait de la psychanalyse, où les questions du nom et de l’origine sont essentielles. Cette enquête n’est-elle pas une façon de la poursuivre par d’autres moyens? V.S. Je m’interroge beaucoup sur les liens entre littérature et psychanalyse, qui sont deux formes d’exploration connexes de la psyché humaine. Mais en psychanalyse, on cherche à prendre conscience de ses déterminismes, alors que l’on peut écrire en puisant dans son inconscient sans forcément conscientiser les choses. Dans le cadre de la psychanalyse, la reformulation d’un récit familial permet de changer le regard que l’on porte sur lui mais, pour en arriver là, il faut aussi se confronter au réel, voyager, rencontrerlesdernierstémoins,etessayerdeconvoquerunmatériau qui n’est pas seulement celui de l’exploration psychique, comme je l’ai fait dans Patronyme. Avoir élucidé une partie du mystère a changé beaucoup de choses pour moi. Cela m’a permis de mieux comprendre pourquoi mon père a été aussi impuissant à jouer son rôle de père. Mais aussi de découvrir mes véritables origines: commejel’écris,c’estmaintenantenmonâmeetconsciencequeje continuerai àporter ce nom.Jesuisconstituéedecettehistoire,de cetteambiguïtéetilfautl’assumer.D’ailleurs,quisommes-nouspour savoir ce que nous aurions fait dans des circonstances similaires? À moins d’y avoir été confronté, on ne peut pas l’imaginer. Il y a eu 8 millions d’encartés au NSDAP… D’autant que lorsqu’on découvre, sous votre plume, l’atmosphère des Sudètes avant-guerre, avec cette exaltation du nationalisme allemand, qui passait par le sport, on voit bien qu’il était très facile, pour les jeunes de la génération de votre grand-père, de se laisser embrigader… V.S. C’est aussi pour cela que la question du nom structure si bien cettehistoire:« Springer » [le nom originel de sa famille paternelle] désigneuneappartenanceàlacommunautéallemande.Quandon hérite d’un patronyme, on hérite d’une identité, et du serment de loyauté qui va avec. Ce qui m’a intéressée, c’est dans quelle mesure on peut échapper à ces déterminismes. Dans le cas d’un jeune homme comme l’était mon grand-père, dans le contexte de la guerre, ça semble très compliqué. Je suis moi-même le produit de monmilieu.Maismongrand-pères’estforgéunpseudonymepour donneràsesdescendantslachancedes’inventeruneautrehistoire. De nous fabriquer un destin moins dominé par les événements extérieurs. Dans ma démarche d’écriture, je cherche à défaire un certain nombre de fictions. Cela me permet d’assumer à mon tour ce pseudonyme. Et ça m’épargne d’avoir à en choisir un. Vous vous êtes posé la question? V.S.Oui,aumomentd’écrireLe Consentement,jemesuisdemandé si je serais capable d’assumer ce récit sous mon identité réelle. Très vite, je me suis dit que me dissimuler derrière un nom d’emprunt n’auraitaucunsens,alorsquelebutétaitjustementdemettreaujour desvéritéscachées.Aujourd’hui,gardermonnom,symboliquement, c’est aussi une façon de réaliser le souhait de mon grand-père qui nous a légué un nom vierge, sans passé, pour que nous inventions autrechose,unautredestin.Cequemonpèren’apasréussiàfaire. Enquêter sur votre nom, c’est une chose, mais pourquoi fallait-il en passer par l’écriture de ce livre, avec ses récits gigognes, et ces petites fictions par lesquelles vous racontez la vie de votre grand-père telle que vous l’imaginez alors? lll Hitler en octobre 1938 en République tchèque, pays d’origine du grand-père de Vanessa Springora, qui a fait partie des forces de sécurité du IIIe Reich. LIRE MAGAZINE • FÉVRIER 2025 • 9 HEINRICH HOFFMANN/PUBLIEK DOMEIN V.S.C’estvrai,j’auraispugardercetteenquêtepourmoi.Peut-êtreque jenesaispasfaireautrementqu’explorermonidentitéparl’écriture. Je le découvre en même temps que vous. C’est ce qui constitue ma démarchelittéraire,toutsimplement.Etpuisj’aibeaucouplucetype delivres– LesDisparusdeDanielMendelsohn,RetouràLemberg, dePhilippeSands.Bienqu’auxantipodesdumienparleursujet,ils m’ontnécessairementinfluencée.J’aiaussibeaucouplul’autofiction des années 1990, les œuvres de Christine Angot, d’Annie Ernaux, d’Hervé Guibert. Cette démarche de sociologie, d’anthropologie ou d’archéologie de soi m’est familière. J’ai fait parfois de petites incursions dans la fiction avec ce livre, plus pour moi-même, mais en ne cachant jamais au lecteur que ce sont des récits recomposés et orientés par ma propre subjectivité, bien qu’ils soient nourris d’éléments factuels. D’autant qu’à la fin vous apprenez quelque chose sur votre grand-père qui semble dynamiter tout ce que vous avez envisagé. V.S. Oui et ça m’a beaucoup amusée: cette version, je ne l’avais pas du tout vue venir! Cela me rappelle la biographie de Kafka de Reiner Stach. Dans la préface, il raconte à quel point il est difficile d’écrirelabiographied’unabsent,mêmequandilyaénormément dedocumentation:c’estcommevoirunebichepasserfugitivement dans une forêt. Au début, j’ai voulu aller au bout de cette enquête pourrecomposerdefaçonexhaustivelatrajectoiredemongrandpère – et, en effet, j’ai reconstitué une grande partie de sa vie. Mais leschoseslesplusimportantes– s’ilatuédesespropresmains,s’il a été un tortionnaire ou un criminel –, je ne peux pas les dire. Je peux dire que, pour le moins, il a été un complice. Contraint ou séduit, il a fait partie des forces de sécurité du IIIe Reich et il a été trèsprochedupirepuisqu’ilfréquentaitcecentreoùontétéformés les policiers qui participeraient à la Shoah par balles. J’ignore s’il a eu des remords. Je sais juste qu’il a conservé cet antisémitisme jusqu’à la fin de ses jours. Dans votre enquête, vous vous rendez à Zábreh, en République tchèque, où vous accomplissez un vœu de votre grand-père: celui de retrouver sa famille, dont il était séparé par le rideau de fer. Cela a dû être un moment très fort? V.S. Oui, ça a été une grande satisfaction et une joie pour moi. Malheureusement, la cousine de mon père, Irena, est morte un an après ces retrouvailles, mais je suis aujourd’hui en contact avec son frère, qui est assez âgé, et sa petite-fille, qui ne savait rien de cette histoire familiale. J’espère que le livre sera traduit en tchèque ou en anglais pour qu’elle ait la possibilité de le lire: c’est aussi son héritage.Jesuistrèsémuedecelien.J’aitoujoursressenti,chezmon grand-père, la mélancolie d’être coupé de son pays, de sa famille, satristessedenepasavoirpuallerauxobsèquesdesamère,deson frère, de son père, de ne pas avoir vu grandir ses neveux et nièces. Et le moment où j’ai fumé cette cigarette en silence sur la tombe de sa famille était un intant de recueillement important. C’était comme le mener, lui, devant cette tombe. Cette réunion de notre famille était incroyable. Mais nous ne portons plus le même nom. Eux s’appellent Springer, et moi Springora. Revenons à l’appartement: lorsque vous trouvez un baromètre à l’effigie de Pétain, une photo de Hitler et que vous vous dites: « C’était donc ça? » On apprend plus tard dans votre livre que la réalité est bien plus complexe que « ça ». En ce sens, ne montre-t-il pas que la réalité déjoue toujours les idées que l’on peut se faire à son sujet? V.S. Pour moi, il est très important d’affirmer que je ne détiens aucune vérité. Dans une période aussi trouble et aussi complexe que la Seconde Guerre mondiale, plusieurs récits coexistent; et il faut l’accepter. Ce qui vaut pour nous n’est pas raconté de la même manière ailleurs. Pour les Allemands, la Seconde Guerre mondiale arrive après la chute de l’Empire austro-hongrois, la défaite de la Première Guerre mondiale, le traité de Versailles, la réparation impossible qui laisse le pays exsangue, l’humiliation, la crise économique… Ce récit qui faisait d’eux, à leurs yeux, des victimes, les a fait basculer dans la barbarie. Je ne cherche pas du toutàjustifierleschoixdemongrand-père,maisàmelesexpliquer. Quand on veut comprendre l’Histoire, il est nécessaire de savoir que plusieurs récits coexistent. C’est pourquoi mon livre a ce côté kaléidoscopique,oùlaréalitéesttoujoursmouvante,insaisissable. Parcequesionchangeunpeudepointdevue,onperçoitleschoses différemment.Pourmongrand-père,devoirmodifiersonnom,qui était devenu un stigmate à la Libération, à cause de sa consonance allemande,alorsquedepuis1938ilétaitducôtédesdominants,est assez ironique. Par ailleurs, dans une vie, on a le droit d’évoluer et je lui laisse la possibilité d’avoir eu des remords. Ce qui est intéressant, c’est aussi les conséquences différentes de ces mensonges sur votre père et sur votre oncle qui, lui, a décidé de s’alléger en ne sachant rien. Est-ce que vous n’avez pas tenté d’ouvrir une troisième voie, et de vous alléger de ce passé, non pas en l’ignorant mais en le connaissant? V.S. D’abord,ilestplusfaciledefairecegenrederecherchesquand ils’agitdesongrand-père,etpasdesonpère.Lespersonnesautour de moi qui sont confrontées à un secret de famille qui les touche directementn’arriventpasàsoulevercettechapedeplomb.Cequi m’intéresse, c’est de briser la chaîne du silence. C’est le fil rouge entre Le Consentement et Patronyme. Je sais qu’il y a quelque chose de mortifère dans ce silence. J’en ai vu les effets sur mon père. Mon oncle a lui choisi de s’éloigner géographiquement, de se désintéresser de cette histoire, mais j’ai malgré tout senti chez lui une curiosité enfouie, une douleur, et peut-être le regret de ne pas Ville de Zábreh, dans l’ancienne région des Sudètes, où l’autrice s’est rendue pour son enquête familiale. LE GRAND ENTRETIEN l VANESSA SPRINGORA 10 • LIRE MAGAZINE • FÉVRIER 2025 JOFRE/WIKIPÉDIA avoirfaitcesrecherchesdesoncôté.Ils’est finalement beaucoup amusé en m’aidant dansmonenquêteets’estpassionnépour mes découvertes. On peut aussi briser le silence de façon collective. J’espère que cette histoire fait écho à des situations universelles:celledusecretdefamille,du défautdetransmission,maisaussicellede lacollaboration,deceschoixquipeuvent nousplacerdumauvaiscôtédel’histoire, et dont on devra porter la responsabilité tout au long de son existence. Cela renvoie à ce moment du livre où vous vous intéressez à ce passage d’Un roman russe, d’Emmanuel Carrère qui « se demande (sans y croire) si prétendre que chacun peut être amené à choisir le mauvais camp “par hasard ou par ignorance” est une position de droite, pour ne pas dire une position de collabo ». V.S. J’ai lu très récemment Aurais-je été résistant ou bourreau ?, de Pierre Bayard. Il explique au contraire, comme le dit l’historien américain Christopher Browning, que le bourreau est la figure la plus banale qui soit. Il est très facile de devenir bourreau. Ce qui rend un homme capable de devenir un héros, de s’extirperdesaculture,desonidentité,de son appartenance et d’arriver à résister à cesinjonctionsmassivesendisantnon,ça,c’estbienplusmystérieux. Ce n’est pas une question de droite et de gauche. Et puis il y a des histoirespluscomplexesqueça.CelledeMitterrand,parexemple, qui a eu la Francisque, qui fut à la tête d’un réseau de résistance, et est resté ami avec Bousquet… Ce qui peut sembler contradictoire, mais ne l’est pas forcément. Oui, parce que comme vous le montrez dans le livre, contrairement aux existences mises en scène dans les fictions traditionnelles, qui ont un sens, une destination, nos vies sont infiniment moins cohérentes… V.S. CelamefaitpenseràunephrasedeViriginiaWoolfdansL’Art du roman, où elle explique que le roman, fondé sur la structure du mythe,doitfaireévoluerunpersonnaged’unpointAàunpointB, luifairerencontreruncertainnombred’antagonistesetqu’ilaitété transforméentrelesdeux.Woolfconstatequelaréalitén’estjamais comme cela, et elle cherche à inventer une forme romanesque qui soit plus proche du vrai. Elle nous dit qu’aucune trajectoire de vie n’est aussi linéaire que ce qu’on lit dans les romans, et c’est ce que j’ai essayé de faire avec ce livre. Mais nous avons beau savoir cela, lorsque nous pensons à l’existence des autres, nous refusons souvent de lui prêter ce que nous trouvons à la nôtre. Comme si nous voulions y plaquer le schéma du roman… V.S. C’est ce que je raconte avec l’histoire de ce meuble où j’ai voulu classer l’existence de mon père et celle de mon grand-père dans des tiroirs bien séparés, alors que leurs vies étaient si intriquées. Le travail du romancier est de rendre plus lisibles les existences, pas de leur donner une forme simplifiée: depuis le xxe siècle, on sait très bien que c’est une illusion, que le hérossoussaformemythiquen’existepas. Et en même temps, le mythe m’intéresse beaucoup. Le nom que l’on porte est déjà ledébutd’unefiction,unesorted’ouvroir potentiel de littérature: quelle histoire raconte-t-il? Quelle histoire cache-t-il? La Genèse, c’est d’abord une histoire de généalogie et de noms. Votre enquête aurait pu continuer encore longtemps. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’interrompre? V.S. À un moment donné, il faut savoir s’arrêter,sinononentredansuneformede névrose. Encore aujourd’hui, alors que le livreexiste,jemeretiensparfoisdecontinuer mes recherches. J’ai le secret espoir que cette enquête puisse se poursuivre, qu’untémoinviennemedire:« J’aiconnu votre grand-père. » Ce texte est aussi une bouteilleàlamer.Maisilfautsavoirpasser àautrechose.Etpuis,commejeleraconte, ilyavaitchezlesnazisetsouslerégimestalinienlamêmevolontéde détruirelespreuvesdeleurscrimes.Lorsdemesrecherches,j’aiété troubléequ’onmerépondesystématiquement:« Lesarchivesontété détruites. » Ce que je cherche – la preuve de crimes qu’a peut-être commismongrand-père– adefortsrisquesd’avoirétéeffacé.Pour ne pas basculer dans la même folie obsessionnelle que mon père, sous une autre forme, j’ai compris qu’il fallait que je me protège et que je mette fin à cette enquête. Mais il n’est pas impossible qu’à tête reposée je reprenne un jour mes recherches… N’étiez-vous pas aussi parvenue au bout de ce jeu de piste constitué des preuves laissées par votre grand-père? V.S. Oui,j’espère.J’aieulesentimentd’êtrearrivéeaubout,même si c’est illusoire. Je reste la petite fille qui adorait son grand-père et j’ai encore envie de le sauver, envie qu’on vienne me confirmer la théorie selon laquelle il aurait fait libérer un wagon de Tziganes. Peut-êtrel’a-t-ilfait.Peut-êtrequelaraisondesadésertion,c’estqu’il a rejoint la Résistance. Mais avec ce que j’ai pu reconstituer, je vois bienqu’ilaunefacesombre.Surlelivre,ilyaunbandeauimprimé rectoverso,avecunephotoassezsolairedemongrand-père,telque je l’ai connu dans les années 1970. Et au dos, cette fameuse photo de lui en tenue d’escrime, prise au moment de son adhésion au NSDAP, à la fin des années 1930, où son regard est sombre et dur, très déterminé et très angoissant. Il y a le reflet du côté obscur de cette époque, dans ce regard-là. Ce n’est évidemment pas du tout le souvenir que j’ai de lui. n ProposrecueillisparAlexisBrocas Photos: Stéphanie Lacombe pour Lire Magazine Virginia Woolf. «Jenecherche pasdutoutà justifierleschoix demongrandpère,maisàme lesexpliquer» Dans Des hommes ordinaires, l’historien spécialiste de la Shoah Christopher Browning tente de comprendre la figure du bourreau. LIRE MAGAZINE • FÉVRIER 2025 • 11 DR OUI je désire bénéficier de votre offre spéciale : 1 an d’abonnement à LIRE MAGAZINE (10 numéros) + PATRONYME pour 49€ seulement au lieu de 101 € LIRE MAGAZINE EST ÉDITÉ PAR EMC2 SAS AU CAPITAL DE 499 400 € 15, RUE DE LA FONTAINE AU ROI, 75011 PARIS Nom :.............................................................................................................. Prénom :.................................................................................................... Adresse :................................................................................................... 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