LE JOURNAL DU DIMANCHE n°4070 - Page 2 - 4070 LE JOURNAL DU DIMANCHE 2 DIMANCHE 12 JANVIER 2025 L’événement SÉBASTIEN LECORNU, MINISTRE DES ARMÉES ‘‘Après huit ans au gouvernement, ce ministère m’aura transformé’’ EXCLUSIF Jamais, en huit ans, ce discret mais très influent ministre du président de la République n’avait fendu l’armure. Il a choisi de le faire aujourd’hui dans les colonnes du JDD AMBITIONFruit d’un parcours électoral fulgurant, dans sa terre de l’Eure, il s’impose à 38 ans comme une figure politique incontournable pour les échéances à venir D ans le bureau du général de Gaulle, à l’hôtel de Brienne, à quelques mètres de l’ouvrage Louis XV sur lequel le grand homme travaillait, Sébastien Lecornu prend place autour d’unguéridonEmpireetsetient prêtàrépondreàlapremièregrandeinterviewpolitique depuis son arrivée aux Armées, à l’été 2022. Dans son dos, l’imposant buste de De Gaulle trône sur une colonne, vigie silencieuse que Lecornu convoque souvent lorsqu’il décline sa vision du monde ou de l’exercice du pouvoir. La bascule du cœur géopolitique international de la vieille Europe vers le Pacifique Nord, l’état de la menace terroriste avec l’apparition d’une filière russe qui a pesé sur l’organisation des JO de Paris, mais aussi l’épisode de sa non-nomination à Matignon, brisée en une matinée sous la contrainte d’un François Bayrou qui s’est imposé au président… Pour la première fois, Sébastien Lecornu, ministre depuis huit ans auprès d’Emmanuel Macron, s’affranchit de son statut de « collaborateur », voire « d’intime » du président pour se projeter vers l’avenir. Le président américain Donald Trump développe des visées expansionnistes, sur le canal de Panama et sur le Groenland. Quelle est la réaction du ministre français de la Défense sur ces sujets ? La France dispose d’un atout dans cette relation transatlantique : le président de la République a déjà travaillé par le passé avec Donald Trump. Le président américain nous a par ailleurs habitués à ce type de déclarations, mais cela ne se traduit pas systématiquement en actes. Souvenez-vous de la promesse de faire payer au Mexique le mur entre lesdeuxpays:iln’enn’ajamaispayéuncentime.La remiseencausedel’accordsurlenucléaireiranien n’a pas abouti à une nouvelle négociation. Pas plus qu’il n’y eut d’accord sur la question nucléaire avec laCoréeduNord.IlfautgarderlatêtefroideetanalyserlarhétoriqueprésidentielledeDonaldTrump avec la bonne distance. Il faudra donc s’intéresser aux décisions, plutôt qu’aux déclarations. Mais ces dernières ont le mérite d’obliger les européens à se questionnersurnotreréarmementetsurnotreplace auseindesalliances.Etilseraitsain,parailleurs,que certainesélitesfrançaisescessentdefairelamorale au peuple américain qui a voté souverainement. Nous n’avons pas d’autre choix que de travailler avecceluiqu’ilaélu,concentrons-nousdoncsurce quenousdevonsfairenous,FrançaisetEuropéens. Estimez-vous que nous sommes encore trop dépendants du bouclier américain ? La France a une place particulière en Europe, par son histoire et puisqu’elle est une puissance dotée de l’arme nucléaire, sans dépendance aux américains. Le Général de Gaulle l’avait voulu ainsi dès les années 1960 parce qu’il avait compris que les États-Unis ne prendraient jamais de risque vital pourlasécuritédel’Europe.Etlorsquesonministre Alain Peyrefitte lui faisait remarquer qu’ils avaient tout de même libéré la France, le général lui répondait que si les Américains avaient pris un risque énorme et sacrifié de très nombreux soldats, ils n’avaient pour autant jamais engagé leur existence vitale… D’ailleurs : pourrions-nous leur en tenir rigueur ? Ce récit historique n’a pas pris une ride. De ce point de vue, l’élection de Donald Trump peut être un réveil salutaire pour la plupart des capitales européennes qui semblaient ne pas voir que les préoccupations américaines, chez les Démocrates comme les Républicains d’ailleurs, sont avant tout tournées vers le Pacifique nord et la Chine… Êtes-vous pour autant aligné avec le président de la République lorsqu’il met en garde les ambassadeurs contre l’Internationale réactionnaire portée par Elon Musk ? Comme ministre des Armées et ardent défenseur denotresouverainetéstratégique,jesuispréoccupé par l’imbrication intime, pour la première fois, entre un intérêt privé majeur dans des domaines aussi importants que l’information et le spatial, et l’administration américaine. Cela pose des questions vertigineuses sur la tentation que pourraient avoir certains États européens de céder aux sirènes de SpaceX, au détriment du programme Ariane et donc de notre autonomie et de nos intérêts industriels. En tant que responsable politique, je ne peux pas laisser notre avenir se jouer dans des couloirs à Washington. Il n’en demeure pas moins que le réseau Starlink a été choisi par l’État pour secourir le réseau de communication à Mayotte… François Bayrou a eu raison de le faire. Dans une situation d’urgence, il faut être pragmatique. D’au - tant que nous devions recourir à des technologies dont on ne dispose pas encore. Mais cela doit nous inciter à investir sur des systèmes de communication capables de fonctionner en permanence, dans toutes les situations. On en revient à l’enjeu de maîtrise du spatial. C’est la raison pour laquelle nousorganiseronsaupremiersemestreunsommet sur le spatial militaire autour de l’ensemble des acteurs français du secteur. À Mayotte, si nous avions eu des capacités de lancement réactives et une constellation de satellites de télécommunications comme Iris2 , nous aurions pu déployer un réseau autonome. Nous avons collectivement failli ces dernières décennies dans ce domaine, aveuglés par une forme de prétention. Lorsque Elon Musk a lancé SpaceX sur le modèle d’engins spatiaux réutilisables, trop d’acteurs institutionnels établis ont décrété que ça ne fonctionnerait pas, et nous sommes restés prisonniers de nos vieux schémas. Cequenosstructuresontcruimpossibleouinutile, une entreprise privée y est parvenue. Nous avions pourtant la capacité industrielle et financière de le faire mais nous nous sommes endormis, par aversion aux risques, et même par arrogance. Il est temps de se réveiller. N’est-ce pas en contradiction avec le discours de la commission européenne lorsqu’elle annonce, sans que les États-Unis l’aient demandé, que 35% des commandes dans le secteur de l’armement sera réservé à l’étranger. L’agenda européen de soutien à l’industrie de défense va dans le bon sens mais en aucun cas il ne devra conduire à dépenser l’argent du contribuable européen pour acheter des armements hors de l’Union européenne. Ce serait une trahison de ce que nous avions imaginé et un contresens historique. Nous sommes confrontés à une forme de naïveté sur ces sujets de défense. A la fois sincère et coupable.D’uncôté,certainsaffirmentdebonnefoi qu’il faut à tout prix que l’Europe soit autonome en matièremilitaire.Maisquecelaneseferapasenun jour, et face à des opinions publiques effrayées par lamenacerusse,ilfautbienserésoudreàunephase transitoire pendant laquelle certains continueront à acheter des armes américaines. De l’autre, il y a ceuxquiaffichentunenaïvetécoupable,uneforme de renoncement qui les amène à dire : « Faisons comme avant, parce qu’on ne saura jamais faire face » à la menace russe sans le parapluie américain. Le président de la République porte une voix différente et nous avons fait bouger les premières lignes avec notre économie de guerre française, sans quoi l’Europe de la défense et de l’industrie militaire resterait à l’état de chimère. Mais il faut encore accélérer. INTERVIEW “Nous avons collectivement failli dans le domaine spatial’’ ANTHONY QUITTOT LE JOURNAL DU DIMANCHE DIMANCHE 12 JANVIER 2025 3 L’événement L’Union européenne s’est bâtie sur un idéal de paix, elle semble avoir du mal à se bâtir sur une économie de guerre… Il y a encore quelques années, cette même Commission européenne déployait, via la taxonomie, des entraves et des taxes conduisant à cadenasser les industries d’armement, estimant que produire des armes n’était pas le rôle de l’Europe. Trois ans plus tard, les mêmes veulent qu’on accélère la production d’armes : la révolution culturelle a eu lie u ! Le sujet clé désormais est de déterminer si nous sommes capables de faire en sorte que l’argent des contribuables européens finance des industries de défense européennes. On ne peut pas garantir notre souveraineté si l’on maintient des dispositifs tournés vers l’achat massif d’armes américaines, voire sud-coréennes. Pour la France, qui dispose d’un solide appareil industriel de défense, c’est une opportunité majeure : l’Europe est notre continent et pourtant nous y vendons peu d’armements, même si nos efforts commencent à payer... Si la Commission ne comprend pas ce raisonnement, mieux vaut qu’elle s’abstienne de toute initiative. Il vaut mieux ne rien faire, que faire mal. Le budget de la défense en France a été entravé par la censure. Sommes-nous suffisamment « armés » pour répondre au défi que vous venez de décrire? Nous sommes passés d’un peu plus de 32 milliards d’euros de budget annuel en 2017 pour les armées, à 50,5 milliards d’euros dans la copie que nous soumettons pour 2025. L’objectif étant d’atteindre 67,4 milliards en 2030, soit un doublement en un peu plus de dix ans. Cela permet d’organiser l’avenir, y compris pour les futurs présidents et ministres qui, après 2027, auront encore des décisions à prendre, notamment au regard des chocs technologiques à venir : cyber, spatial, fonds sous-marins, intelligence artificielle, quantique… Si nous faisions moins que ce qui est prévu par la programmation militaire actuelle, avec cette augmentation du budget des armées de 3,3 milliards d’euros pour 2025, il est évident que nous mettrions en danger notre réarmement, et donc la sécurité future du pays. De façon plus immédiate, quels secteurs d’armement sont sous tension pour maintenir la capacité opérationnelle de notre armée ? Le conflit en Ukraine nous rappelle qu’on a besoin de masse, c’est-à-dire de quantités. Le conflit au Proche-Orient illustre que nous avons aussi besoin de précision et de haute technologie. La dissuasion nucléaire, par les compétences technologiques et industrielles qu’elle mobilise, nous assure le meilleurniveautechnologiquedenosarmes.Notre enjeu, et cela concerne beaucoup de pays, ce sont les volumes de production de certains matériels, comme les munitions et les missiles complexes. À pluslongterme,nousallonsdevoirnousre-pencher sur l’aéronautique militaire : la maîtrise du ciel pour protéger notre sol, comme nous l’avons fait pendant les Jeux olympiques, ou notre capacité de projection vers les Outre-Mer ou en opérations extérieures, démontrent que l’aérien demeure un secteur clé. Enfin, nous sommes entrés dans l’ère des drones, en passant d’équipements aux dimensions d’un avion, allant aux petits drones tactiques du combattant, qui feront partie de l’équipement de base du soldat de demain. Le changement de régime en Syrie renvoie l’image d’un régime islamiste « light ». Est-ce de nature à vous rassurer ? Cela rappelle les premières heures du retour des Talibans en Afghanistan. En matière sécuritaire, il nous faut regarder nos propres intérêts. Ce qui est d’abord en jeu, c’est la lutte contre le terrorisme et le combat contre Daesh. Nous devons continuer d’empêcher des attentats projetés depuis le Proche et le Moyen Orient sur notre territoire, en ne permettant pas que se reconstituent des capacités à le faire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’armée française a encore mené des frappes ciblées contre des sites de Daesh en Syrie il y a de cela quelques jours. Le ministre des Armées Sébastien Lecornu, en poste depuis l’été 2022, a reçu le JDD dans son bureau, vendredi à Paris. LE JOURNAL DU DIMANCHE 4 DIMANCHE 12 JANVIER 2025 L’événement Ce que vous a reproché Jean-Luc Mélenchon sur X, vous reprochant de n’avoir pas informé les députés ni justifié l’intervention, évoquant « le bon vouloir du Prince »… Déclencher une polémique sur la lutte antiterroriste, laissant planer le doute sur le cadre constitutionnel d’emploi de nos armées, est inacceptable. Laisser entendre que le président de la République peut faire ce qu’il veut en matière de frappemilitaireestunmensonge.LeParlements’est exprimé par deux fois sur ce sujet : pour confirmer l’opération Chammal en Irak et pour confirmer l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien. Sur la lutte antiterroriste, quelles sont les menaces en provenance de Syrie? Outre le fait d’éviter la reconstitution de cellules djihadistes qui menaceraient la France, l’un des sujets qui nous occupe est l’imbrication du trafic de drogue et du terrorisme. L’un étant une source de financement de l’autre. Le produit sur lequel les groupes terroristes ont développé un trafic exponentiel dans cette zone est le Captagon : une drogue à forte valeur ajoutée qui a notamment été unesourcededevisespourleHezbollah,maisaussi pour le régime de Bachar al-Assad. L’autre point sensible est la dissémination des armes chimiques : imaginezsidemaindesgroupesterroristess’emparaient de telles armes. Des discussions diplomatiquessontencoursaveclenouveaugouvernement syrien à ce sujet. Si on élargit le spectre au Sahel, qu’en est-il de l’état de la menace terroriste à nos portes aujourd’hui ? Au Sahel, nous faisons face à une multitude de cellules terroristes, qui sont une menace croissante pour les pays de la zone, mais qui ont à ce stade peu de capacité de projection en Europe. En Syrie et en Irak, nous observons une résurgence de l’État islamique. Nos forces soutiennent les Irakiens pour les combattre, notamment par la formation de leurs forces spéciales. Nous vendons également des armes à l’Irak pour lui permettre de garantir sa souveraineté face aux terroristes, mais aussi aux milices chiites instrumentalisées par l’Iran. Enfin, une troisième zone de préoccupation s’est structurée ces dernières années : une filière russophone qui part de l’Asie centrale, notamment dans cette région historique du Khorassan entre l’Iran et l’Afghanistan, et qui va jusqu’aux Philippines, en passant par le Pakistan. Cette filière est particulièrement dynamique. Elle est à l’origine de l’attentat à Moscou du Crocus City Hall et d’un attentat très important à Kerman en Iran il y a un an. À l’heure actuelle, c’est cette branche qui a le plus de capacités à planifier un attentat projeté sur l’Europe. La DGSI et la DGSE ont été très engagées sur ce front, notamment pendant les Jeux olympiques. Par ailleurs, nous sommes confrontés à la bascule d’un système très centralisé sous le califat de Daesh, circonscrit à la Syrie et l’Irak, à une menace éclatée en plusieurs filières. Les modes de communication internes à ces mouvements relient des gens qui parfois ne se connaissent absolument pas, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. En termes de détection et d’entrave, cela exige un effort plus important des services de renseignements, notamment pour prévenir des dérives individuelles sur notre sol, ce qu’on appelle « menace endogène », et sa rencontre avec des « acteurs exogènes ». L’armée française est également engagée sur le front du narcotrafic, avec quels résultats ? Les flux internationaux se sont accrus parce qu’ils s’adossent à des stratégies étatiques, à des organisations criminelles très structurées, ou à d’organisations terroristes pour s’alimenter en cash. Que ce soit sur les mers, ou au Moyen-Orient, nos arméeslescombattentdeplusenplusefficacement. En 2024, la Marine a saisi 48,3 tonnes de drogues, soit vingt tonnes de plus depuis 2022. Nous avons réorienté nos forces armées sur cet enjeu. C’est également le cas pour la DGSE dont les effectifs dédiés à la lutte contre le narcotrafic – qui recoupe souvent le trafic humain de migrants -, ont été multipliés par deux depuis ma prise de fonction. Que vous inspire le climat de tensions avec l’Algérie qui maintient en détention Boualem Sansal et nous renvoie un influenceur algérien qui proférait des menaces sur notre sol ? Ce n’est pas acceptable. Nous ne pouvons plus tolérer que les attaques contre la France soient utilisées comme une rente de politique intérieure par une partie de la classe politique algérienne. Et avant tout je le regrette, car ce comportement entre en contradiction avec les intérêts d’Alger et nos propres intérêts sur le long terme. À commencer par la lutte contre le terrorisme, avec la pression terroriste venue du Sahel, oùpersonnen’areprisleflambeaude la lutte anti terroriste que portaient courageusement les armées françaises. Cette pressionremontesurl’Algérieetauraunimpactmajeur sur le plan migratoire, avec un continent africain dont la population va croître de façon exponentielle d’ici la fin du siècle. Sur le terrain militaire, du renseignement ou du contreterrorisme, nous avons besoin d’une bonne coordination entre Alger et Paris, comme entre Rabat et Paris. Ne laissons pas l’instrumentalisation du passé mettre en péril notre sécurité future. Au Liban, quel rôle a joué la France dans ce cessez-lefeu et est-ce que la FINUL en ressort grandie ? NotrecontingentauseindelaFINULaopérédefaçon remarquable et continue de le faire. J’ai une pensée particulièrepourlamaréchaledeslogis-cheffeFanny Claudin qui a perdu la vie à la tête de sa patrouille à l’automne dernier. Elle est morte pour la paix et pour la France. Aujourd’hui, le cessez-le-feu, fruit d’uneinitiativefranco-américaine,estfragile.Maisil fonctionne.Lemoindreincidentestsignaléetaussitôt « dégonflé ». On évite qu’il y ait un prétexte à l’escalade ou à une reprise du conflit. Nous en sommes à 400 signalements, ce qui signifie que le dispositif fonctionne.C’estfragile,maisefficace.Làencore,et “Au Liban, le cessez-le-feu est fragile mais il fonctionne’’ Pressenti pour Matignon, Sébastien Lecornu a finalement conservé son portefeuille... dans le gouvernement de François Bayrou. JUMEAU ALEXIS/ABACA STEPHANE LEMOUTON/BESTIMAGE LE JOURNAL DU DIMANCHE DIMANCHE 12 JANVIER 2025 5 L’événement quoi qu’en disent certains, la France est présente et joue un rôle unique. Sur les missions de l’armée française, la brigade Anne de Kiev formée sur notre sol s’est soldée par un grand nombre de désertions. Peut-on parler d’échec ? Les chiffres qui circulent sur les réseaux sociaux sont faux. L’état-major ukrainien est en train de les préciser. Pour ce qui nous concerne, nous avons formé une brigade dans un cadre adapté. Les autorités ukrainiennes, pour des besoins liés au front, ont disloqué cette brigade pour combler des manques. Ils restent souverains dans leur manièred’employerleursforces:n’oublionsjamais qu’ils sont en guerre. Mais de fait il y a eu de la perte en cohérence. Cela doit aussi faire réfléchir toutes celles et ceux qui réclament, sans vraiment réfléchir à son intérêt en matière de défense, au rétablissement du service militaire que nous avons connu dans le passé. Avec une armée de conscrits face à l’armée russe, l’Ukraine est confrontée à de la désertion. Ce n’est pas propre à la brigade Anne de Kiev. Cela nous rappelle que l’armée de métier, la professionnalisation, sont aujourd’hui incontournables. Nous en avons la démonstration. Vous avez signé une tribune sur la restriction du droit du sol à Mayotte. L’ancienne Première ministre Elisabeth Borne y est opposée. Quelle décision prendra le gouvernement ? Je ne vais pas répondre à la place du Premier ministre et des ministres concernés. Je suis empreint d’une profonde culture républicaine et je crois beaucoup à l’égalité dans la République. Mais j’ai été ministre des Outre-mer pendant deux ans, et mon expérience m’a convaincu de la nécessité d’adapter les dispositifs selon les territoires aussi bien pour des sujets économiques et sociaux, que pour des sujets de sécurité. Dans cet esprit, on ne peut pas faire l’économie d’un débat sur la question de l’adaptation du droit du sol à Mayotte. Parce qu’il n’y a que deux moyens de lutter contre l’immigration dans cet archipel : l’entrave, la détection et la surveillance d’une part, et l’attractivité qui stimule ces flux d’autre part. Mayotte est un territoire qui attire magnétiquement les différents flux de migrants, et l’accès à la nationalité en est un élément central. Ne soyons pas dogmatiques sur ce sujet, mais posons-le sereinement. Nous avons d’ailleurs déjà durci le droit du sol à Mayotte en 2018, le sujet n’est donc pas tabou ! L’enjeu budgétaire se représente avec l’impératif de résorber le déficit, tout en accordant des concessions aux oppositions pour éviter la censure. Quelle est votre ligne ? Nous ne préserverons pas notre souveraineté sans garantir notre capacité à produire de la richesse, et doncdelacroissance.C’estlaraisonpourlaquelleil fautfaireattentionànepasalourdirlafiscalité.C’est l’un des grands acquis de ces sept dernières années qui nous permet de rivaliser dans un monde fondamentalement«carnivore».LePIBparhabitantaux États-Unisapratiquementdoublédepuisquinzeans là où le nôtre, globalement, est resté stable. C’est le mêmeécartsurlaproductivité.Concernantledéficit, nous évoquions le budget de 50,5 milliards d’euros pourlesarméespour2025.Ehbienrappelonsquele coûtdesintérêtsdeladetteestestiméà55milliards en 2025 : on dépensera donc plus pour rembourser notre dette cette année que pour investir dans notre défense ! C’est un débat qu’il faudra aborder au Parlement dans l’immédiat, mais aussi lors de la prochaineélectionprésidentielle.Celaneserèglera pasfacilement,carcelaposelaquestiondesdépenses sociales-maladie,chômageetretraitenotamment-, quiconstituentlaplusgrandepartdenotredépense publique. Éric Lombard et Amélie de Montchalin en débattent avec les formations politiques, sous l’autoritédeFrançoisBayrou,pourexplorerlameilleurefaçonderépartirlacontrainte,enpartantd’un diagnosticchiffré.Jeregrettequelorsdesdernières campagnesélectorales,onaitpeuparlédeladette... Dans ce contexte, jugez-vous acceptable que l’on puisse geler ou amender la mise en œuvre de la réforme des retraites ? C’est l’urgence financière, et donc la survie du régime de retraite, qui a imposé la réforme de 2023. Sur les retraites, aucun débat n’a de sens si l’on fait abstraction du sujet de l’équilibre financier. C’est la pérennité du modèle par répartition qui en dépend, dans la durée. Or sur ce point, il y a un déni démagogique chez certaines formations politiques qui expliquent que le problème financier n’existe pas… Je crois en revanche le PS lucide sur cette question, sinon il n’aurait pas fait, pendant le quinquennat de François Hollande, la réforme Touraine qui a rajouté des annuités de cotisation pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. Après, comme toutes les réformes, elles doivent pouvoir être améliorées. Les questions liées aux retraites, comme sur le travail au global dans notre société, doivent faire l’objet d’un travail approfondi avec les partenaires sociaux. La stabilité politique peut avoir un coût néanmoins. Faut-il reculer de quelques pas sur les retraites pour la garantir ? Le Premier ministre fait sa déclaration de politique générale mardi, il y répondra. Le matin de la nomination de François Bayrou, le président de la République avait l’intention de vous confier Matignon. Il en avait pris l’engagement avec vous ? Par principe, je ne révèle jamais la teneur de mes échanges avec le président de la République. Diriez-vous que François Bayrou vous a « piqué » le poste de Premier ministre ? Je n’étais pas candidat à Matignon. Et visiblement, François Bayrou en avait très envie. Cela n’entame pas votre engagement, en tant que ministre ? Non. Après huit ans au gouvernement, ministre des Armées est la fonction que j’aurai occupée le plus longtemps. Ce ministère m’aura transformé, il me renvoie à un engagement personnel très profond, qui va au-delà de l’engagement politique classique. J’ai toujours aimé nos armées et les questions militaires, et le président de la République le savait, c’est pourquoi il m’y a nommé en 2022. Je le lui dois. Je fais partie de ces personnes à qui Emmanuel Macron aura inévitablement, si ce n’est changé leur vie, donné une opportunité unique de servir la France. C’est factuel. Certains l’oublient parfois. Or, il me semble que la loyauté est le gage d’un parcours cohérent. Personne ne souhaite confier des responsabilités à des gens qui ne sont pas fiables. La loyauté permet aussi de traverser les crises, et de mener en confiance les affaires de l’État. Comme le font les soldats. Après, cela ne veut pas dire qu’il faut se comporter en courtisan ou en collaborateur. J’ai été élu maire en 2014, président d’un département de 600 000 habitants à l’âge de 28 ans, avant d’être élu au Sénat. Ma vie électorale, je ne la dois qu’à mon engagement et aux électeurs de l’Eure, pas au parti Renaissance. Mais entre courtisanerie et félonie, il me semble qu’il y a un juste milieu et une éthique personnelle à défendre… Quel regard portez-vous sur le parcours de Gabriel Attal ? Je ne sais pas ce qu’il voudra faire à l’avenir. Mais, de cette nouvelle génération, il est incontestablement celui qui a le plus de talent et de volonté. Je pense qu’il doit rester lui-même, en n’écoutant pas celles et ceux qui lui disent qu’il faut absolument « tuer le père » pour réussir. Bruno Retailleau a plaidé pour votre nomination à Matignon. On évoque souvent le duo RetailleauDarmanin. Est-ce qu’il existe aussi un duo RetailleauLecornu ? Ma relation amicale et politique avec Bruno Retailleau est ancienne. Cela fait dix ans que nous nous connaissons et que nous entretenons une relation de grande confiance. Il est pour moi un homme à part dans notre vie politique, par sa très grande sincérité. Il incarne une forme d’ascétisme, et donc d’anti-cynisme. Pour dire les choses simplement : cela me plaît beaucoup. Cela attire le respect, y compris de celles et ceux qui ne partagent pas ses convictions. Se confronter à des personnalités attachées à des valeurs, à des idées, permet de revenir à un débat politique normal, qui ne repose pas sur la seule communication ou les polémiques. Cela fait du bien… De manière plus globale, il faut souligner que nous entretenons d’excellentes relations entre les quatre ministres du champ régalien, avec Gérald Darmanin, Bruno Retailleau et Jean-Noël Barrot. L’une des raisons pour lesquelles vous sembliez bien placé pour Matignon tenait au fait que vous ne fâchiez pas le Rassemblement national. Vous avez dîné avec Marine Le Pen à deux reprises. Entretenezvous toujours des liens avec les membres du Rassemblement national ? Pour commencer, rappelons cette évidence démocratique qu’une partie des bien-pensants a oublié : les ministres n’ont pas à « trier les députés », c’est au peuple français de le faire lors des élections législatives ! N’en déplaise à certains, en tant que ministre des Armées, je travaille et je continuerai detravailleravecl’ensembledesgroupespolitiques. Tout ceci a été monté en épingle. J’ai vu madame Le Pen deux fois comme présidente de groupe : en 2023 pour évoquer la loi de programmation militairequiétaitendébatauParlement,eten2024 pour parler de l’Ukraine et du Moyen-Orient. Le Rassemblement national est mon principal adversaire politique dans l’Eure, et je dois le combattre vigoureusementàchaqueélection,notammentaux côtés d’une partie de la gauche locale. PROPOS RECUEILLIS PAR JULES TORRES, NICOLAS CUOCO, GAUTHIER LE BRET, ANTONIN ANDRÉ ET GEOFFROY LEJEUNE “Ma vie électorale, je ne la dois pas à Renaissance’’ Le ministre des Armées a passé le réveillon du Nouvel An avec les soldats de la Finul au Liban. VERSLAGUERRE? SÉBASTIEN LECORNU PLON,288 PAGES 20 EUROS ABD RABBO AMMAR/ABACA LE JOURNAL DU DIMANCHE 6 DIMANCHE 12 JANVIER 2025 Les indiscrets SÉBASTIEN SORIANO/FIGAROPHOTO ; BLONDET ELIOT/ABACA ; DR ; RICHARD SHOTWELL/AP/SIPA ; DR ; MARIO TAMA/GETTY IMAGES/AFP Les indiscrets Le pari gagnant de CNews Principal changement de la grille de CNews en cette rentrée, l’émission « 100 % politique », désormais présentée par Gauthier Le Bret, a démarré sur les chapeaux de roues. Diffusée de 21 h à 23 h 30 du lundi au vendredi, la tranche animée par le journaliste de 29 ans est devenue leader des chaînes d’info, avec une progression d’audience de 15 % dès la première semaine et plus de 300 000 téléspectateurs le jeudi 9 janvier. Une belle performance pour ce nouveau rendez-vous politique. g Nos amis les lapins C’est ce qu’on appelle avoir le sens des priorités. À l’heure où les difficultés s’amoncellent pour le gouvernement, entre nécessité de faire passer un budget, menace de censure, colère des agriculteurs et défiance des Français, le sénateur LR du Val-d’Oise Arnaud Bazin songe avant tout au bien-être des animaux domestiques. Et pas n’importe lesquels ! Mardi, le vétérinaire de formation a déposé une proposition de loi visant à rendre obligatoires le contrôle des élevages de lapins de compagnie et leur identification. Un conseiller de la chambre haute ironise : « En même temps, ce sujet est d’une urgence brûlante… » g Bayrou signe et persiste Critiqué par une partie de la classe politique pour son tweet sur la mort de Jean-Marie Le Pen, saluant un « combattant », une « figure de la Ve République » et employé le terme « polémiques » pour évoquer le sulfureux passé du « menhir », le Premier ministre ne retire aucune ligne de son tweet. « François est un chrétien-démocrate. Chez lui, la mort est une chose sacrée. Inutile de chercher un sous-texte », balaie l’un de ses fidèles, affligé que certains y voient une manière d’amadouer le Rassemblement national pour éviter une censure. g L’ex-spin doctor d’Attal se réoriente dans le luxe Fidèle conseiller en communication de Gabriel Attal depuis 2018, Louis Jublin tourne la page politique pour s’aventurer dans le monde du luxe. Le doyen de la garde rapprochée de l’ancien Premier ministre rejoint Mazarine, groupe de communication et d’événementiel spécialisé dans le luxe, la mode et l’art. Il occupera un rôle clé auprès de son président et fondateur, Paul-Emmanuel Reiffers. g Bayrou ne veut pas jouer au flic C’est une petite révolution dans l’exercice du pouvoir : Matignon n’exige plus de relire les interviews de ses ministres. « S’il a constitué un gouvernement de poids lourds, ce n’est pas pour les marquer à la culotte », explique un lieutenant de François Bayrou. Ce faisant, le Premier ministre place aussi ses ministres face à leurs responsabilités : « S’ils merdent, ils seront seuls à assumer », prévient ce proche. Résultat, le week-end dernier, les poids lourds du gouvernement ont étalé leurs désaccords sur l’abrogation du droit du sol à Mayotte par médias interposés. g Aurore Bergé sur le terrain De retour au ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé entend marquer les esprits sur ce sujet crucial. Demain, à Creil (Oise), elle visitera le Carrefour de femmes, un lieu d’accueil pour les femmes en difficulté, et rencontrera la famille de Shaïna, poignardée et brûlée vive à 15 ans en 2019. Une visite pour réaffirmer sa détermination à lutter contre toutes les violences faites aux femmes. g Tous fans de Deschamps Depuis qu’on sait qu’il quittera son poste après la Coupe du monde 2026, les spéculations vont bon train sur l’avenir de Didier Deschamps.Même s’il assure en privé « ne pas y penser une seconde »,les autres s’en chargent pour lui. « Nasser al-Khelaïfi l’adore », souffle un habitué du Parc qui le verrait bien au PSG. L’ambitieux Paris FC de la famille Arnault,proche des Macron,pourrait également être tenté,Marseille ne l’a pas oublié et les pays du Golfe devraient lui dérouler le tapis rouge.g ÀSUIVRECETTESEMAINE BONNESEMAINE• ÉRIC TRAPPIER Changement dans la continuité pour le groupe Dassault. Cette semaine, le PDG de Dassault Aviation depuis 2013 a succédé à Charles Edelstenne à la tête du Groupe industriel Marcel Dassault (Gimd). La décision, actée il y a dix mois par la famille Dassault, marque une passation sans éclat mais symbolique. Artisan du succès des Rafale, vendus à près de 300 exemplaires à l’international, Trappier incarne l’avenir du groupe, tandis qu’Edelstennedevientprésidentd’honneur. EUROPE 1 La station bleue poursuit sa remontée spectaculaire. Dans la dernière vague d’audience, elle a attiré plus de 2,7 millions d’auditeurs chaque jour, soit 470 000 de plus en un an et 700 000 supplémentaires en deux ans, soit une hausse de 35 %. Les auditeurs restent aussi plus longtemps à l’écoute, avec une moyenne de 110 minutes par jour, en progression de 11 minutes sur un an. À l’approche de ses 70 ans, la station affiche son meilleur niveau depuis quatre ans. La matinale menée par Dimitri Pavlenko et Anissa Haddadi est en pleine forme, portée par l’interview politique de Sonia Mabrouk, tandis que l’interactivité, qu’elle soit incarnée par Pascal Praud ou Cyril Hanouna, continue de fidéliser un large public. MAUVAISESEMAINE• KAREN BASS La maire démocrate de Los Angeles fait face à une tempête de critiques poursagestiondesincendies qui ravagent la ville depuis le 7 janvier 2025. Alors que les flammes dévoraient la Cité des Anges, Karen Bass assistait à l’investiture du président ghanéen. Revenue tardivement mercredi après-midi, elle est accusée d’avoir minimisé l’ampleur des dégâts mais aussi d’avoir fait des coupes budgétaires significatives dans les dotations des pompiers. UBISOFT La tempête s’abat sur le fleuron du jeu vidéo français. Vendredi matin, l’action Ubisoft perdait jusqu’à 10 % à la Bourse de Paris, avant de limiter les dégâts à -7,87 %. En cause : le report au 20marsd’Assassin’sCreedShadows,untitre trèsattendu,etdesventesdécevantespour sonjeuStarWarsOutlaws.Enunan,Ubisoft a vu sa valeur fondre de près de 50 %. Face àcettecrise,Ubisoftpourraits’appuyersur l’actionnairechinoisTencentpourrebondir, avec le risque d’une perte de souveraineté dans un secteur culturel de masse. g LAPHOTODELASEMAINE Un hélicoptère déverse de l’eau pour tenter de stopper l’incendie qui ravage les collines d’Hollywood à Los Angeles, le 8 janvier dernier. Lundi13> Reprisedestravaux parlementaires.g RencontreentreFrançois Bayrouetleprésident dusyndicatmajoritaireFNSEA,Arnaud Rousseau,puisavecla présidentedelaCoordinationruraleVéronique LeFloc’h.g Dialogueà Genèveentrel’Iranetla France,l’Allemagneet leRoyaume-Unisurle programmenucléaire iranien.g 28e édition duFestivalinternationaldufilmdecomédie del’Alped’Huez,dont lejuryestprésidépar ElsaZylberstein. Mardi14> Discoursdepolitique généraledeFrançois BayroudevantleParlement,puisprobable dépôtd’unemotion decensureparLFI. g Ouvertureduprocès endestitutioncontre YoonSuk-yeoldevant laCourconstitutionnelledeCoréeduSud. g 29e championnatdu mondedehandballen Norvège,enCroatieet auDanemark. Mercredi15> Électionsprofessionnellesauxchambres d’agriculture.g Date limitederemiseau ministèredel’Intérieur parlesresponsables desforcesdel’ordrede chaquedépartement d’un«pland’action derestaurationde lasécuritéduquotidien».g Entréeen fonctiondunouveau présidentduMozambique,DanielChapo. g Diffusiondelasérie NetflixWithLove, Meghan,deMeghan Markle,consacréeàsa passionpourlacuisine. Jeudi16> Beauvaudespolices municipales:séance deconcertationdans leRhôneentreéluset syndicatsconcernant l’équipementetl’armementdespoliciers. Vendredi17> VisiteduprésidentiranienMassoudPezeshkianenRussie.g Entrée envigueurdelaDigital OperationalResilience Act(Dora),réglementationeuropéenne quidoitharmoniser lesdéfensesfaceaux menacesnumériques. g Jugementdedeux membresdesSoulèvementsdelaTerrepour nepass’êtreprésentés devantlacommission d’enquêteparlementairesurlamanifestationdeSainte-Soline finmars2023. g 50e anniversaire delapromulgation delaloiVeilsurl’IVG. Samedi18> Miseenservicede lastationVillejuif Gustave-Roussy surlaligne14du métro,dernière des huit stations de cette ligne prolongée en juin dernier.g Les Idoles, deChristopheHonoré, au théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris. Dimanche19> Fin des mesures de sanction de l’UE à l’encontre de six membres de l’organisation terroriste palestinienne Hamas.g Fabrice Luchini lit Victor Hugo au théâtre de la Porte SaintMartin.g Annonce des nominations pour les Oscars, à Los Angeles. 2024 UN RECORD DE MOBILISATION SUR MESOPINIONS PLUS D’1MILLION DE SIGNATURES CONTRE LA FERMETURE DE C8 ! VOUS AUSSI VOUS AVEZ UN COMBAT OU UNE CONVICTION ? MESOPINIONS C’EST : • une plateforme 100% française qui lutte pour la liberté d’expression • un accompagnement gratuit et personnalisé • une visibilité exceptionnelle Créez votre pétition sur MESOPINIONS dès aujourd’hui et faites entendre votre voix ! RENDEZ-VOUS SUR MESOPINIONS POUR SIGNER ET POUR CONTINUER LE COMBAT ! SCANNEZ-MOI ! LE JOURNAL DU DIMANCHE 8 DIMANCHE 12 JANVIER 2025 Actualité Déclaration de politique générale Emmanuel Macron à la baguette HARMONIE Échaudé par l’échec « Barnier à Matignon », le président joue de sa proximité avec Bayrou pour cadrer les concessions accordées à la gauche DISCIPLINE D’Édouard Philippe à Gabriel Attal, personne ne moufte plus, tous concentrés sur un seul objectif : STA-BI-LI-TÉ ! S ous l’ère Barnier, Emmanuel Macron avait laissé faire, ceinturé par ses conseillers et le cercle restreint de ses amis politiques. Avec François Bayrou à Matignon, le président a repris lesrênes.EtlePremierministrene s’en plaint pas. Les deux hommes échangentquotidiennementsurles négociations budgétaires, comme surladéclarationdepolitiquegénérale. Jeudi midi, ils se sont vus en tête-à-tête à l’Élysée. Le lendemainmatin,toujoursàl’Élysée,les ministres chargés du budget, Éric LombardetAméliedeMontchalin, les ont rejoints pour fixer le cadre des concessions acceptables en direction des socialistes, des communistes et des écologistes. En particulier sur la mise en œuvre de la réforme des retraites. Rassurer les grands patrons Selon nos informations, Emmanuel Macron a acté l’idée d’une mise entre parenthèse de la loi et la réouverture de négociations, en faisant peser sur la gauche la responsabilité de trouver une autre voie que la mesure d’âge, sans remettre en cause le fragile équilibre financier de la réforme. L’essentiel pour l’Élysée étant de préserver la politique « pro business » à l’œuvre depuis huit ans en touchant le moins possible à la fiscalité des entreprises. Toute la semaine, Emmanuel Macron a multiplié les initiatives pour faire baisserlapressionsursonPremier ministre, y compris en déployant des trésors de pédagogie dans les milieux d’affaires qui, du matin au soir depuis l’été, s’alarment de l’instabilité politique et du manque de visibilité. Devant une trentaine de grands patronsenpartancepourlesommet deDavos,leprésidentacalmétout le monde :« Tous les pays d’Europe sontgouvernéspardescoalitions,ce quivoussemblepérilleuxetanormal est en réalité la règle pour tous nos partenaires!»Unretouràlaréalité, et une promesse : « Il n’y aura pas de remise en cause de la politique de l’offre ! » Le contraste est saisissant avec la fin 2024 : terminé les alertessurlanécessitéd’infligerun traitement de cheval à l’économie française au risque de se fracasser sur le mur de la dette. « La priorité est à la stabilité politique, glisse un conseiller du président, quitte à lâcher un peu de lest sur l’ampleur de la réduction du déficit. » Pour le coup, toute la macronie est alignée. Y compris Édouard Philippe. Souvent donneur de leçons, le maire du Havre est sorti desaretraitepoursemouiller:«Je peux concevoir qu’il y a avantage et un intérêt pour le pays à conserver cette stabilité politique […] en assouplissant l’objectif initial de déficit pour cette année de 5 % à 5,4 % », a-t-il concédé. QuantàGabrielAttal,ilestpassé de la démonstration de muscles à l’échine courbée. « On a tous un peu pataugé sous Barnier, confie l’un de ses proches, il faut savoir tirer les enseignements de cette histoire », admettant du bout des lèvres que Gabriel Attal a sans doute commis des erreurs, et n’a pas été très aidant pour éviter la censure.Ouvertementmisenaccusation par l’ex-Premier ministre, il se montre nettement plus accommodant avec son successeur. Les deux hommes se sont vus jeudi matin, et contrairement à l’épisode précédent, le président du groupe Ensemble pour la République (EPR) n’a pas égrainé ses exigences. Ni sur les allègements de charges sur les bas salaires, ni surlesretraites.Enfindesemaine, Attalsefendd’unlongSMSadressé àsestroupes,danslequelilserallie à l’objectif premier de la« stabilité politique », quitte à faire preuve « d’ouverture pour discuter d’améliorations autour de la réforme des retraites, en respectant le cadre des finances publiques et le dynamisme del’économie».Letonestempreint d’humilité, à l’image de la conclusion :« Voilà l’état des informations dont nous disposons […]. J’ai proposé aux ministres concernés de venir en réunion de groupe mardi pour échanger avec nous, ce qu’ils ont accepté. » Comme un mantra que l’on se répète en boucle, les messagers d’Attal reprennent à l’envi le tube de la rentrée avec les députés EPR : « Discrétion, efficacité, ouverture », selon l’un des chefs de chœur. Réforme des retraites : les négociations ont repris François Bayrou : le portrait d’un littéraire appliqué et besogneux Un discours attendu Bardé d’airbags, le maire de Pau peut, « à la façon d’un artisan », selon ses proches, travailler à sa déclaration de politique générale. « Il s’est attelé à cette tâche dès le premier jour de sa nomination », fait-on savoir à Matignon. Ses conseillersdressentleportraitd’un littéraire appliqué, besogneux, qui pèse chaque mot, révise ses formules, « en se ménageant plusieurs moments par jour, entre deux rendez-vous,pourreprendrel’ouvrage». Le Premier ministre consulte ses proches,travailleavecunconseiller discours, « un trentenaire, au profil très littéraire », dont l’arrivée n’a pas encore été officialisée. Nourri de ses échanges avec les responsables politiques, les organisations syndicales et demain avec les agriculteurs, François Bayrou se sait attendu. En particulier par les députés PS, PCF et écologistes qui chercheront dans ses mots, sans trop les tordre, les arguments qui justifieront de ne pas voter la censure de La France insoumise.g ANTONINANDRÉ Emmanuel Macron et son Premier ministre François Bayrou assistent aux commémorations du 7 janvier 2025, dix ans après les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher. LUDOVIC MARIN/AFP LE JOURNAL DU DIMANCHE DIMANCHE 12 JANVIER 2025 9 Politique Antoine Vermorel-Marques député DR de la Loire « Le libre-échange ne doit pas être synonyme de cancer » ALIMENTATION Le député est à l’initiative d’une proposition de loi* visant à interdire l’importation de produits agricoles non conformes LaloiEGalimdu30octobre2018 prévoyaitdéjàl’interdiction deproduitsagricolesnerespectant paslesnormeseuropéennes. Unenouvelleloiest-ellevraiment indispensable? La loi EGalim est inopérante. Elle fait reposer la responsabilité sanitaire sur l’épicier du coin. Comme si le vendeur du Franprix pouvait contrôler la présence de pesticides dans les tomates de ses étals ! Avec Julien Dive, nous proposons donc de changer de braquet et de cibler les importateurs. Ce sont eux qui connaissent dans le détail la nature des produits qu’ils nous vendent. C’est à eux de garantir leur qualité sanitaire. S’ils importent n’importe quoi, alors ils doivent être soumis aux mêmes peines qu’un agriculteur français qui ne respecterait pas les normes : six mois de prison, 150 000 euros d’amende, plus 10 % de son chiffre d’affaires. Cette propositiondeloivisesimplement à remettre de la réciprocité dans nos échanges. Quelsproduitsciblez-vous enparticulier? Les exemples sont nombreux, ils font malheureusement souvent la une de nos journaux. Je pense notamment à la viande nourrie à la farine animale, aux céréales OGM d’Ukraine, mais aussi aux tomates du sud de la Méditerranée, traitées au dichloropropène, substance potentiellement cancérigène interdite depuis quinze ans en Europe ! D’aprèsunrapport duHautConseilpourleclimatparu enjanvier2024,laFrance importe20%desonalimentation. Existe-t-iluneestimation précisedelapartdeproduits agricolesnonconformes? Selon un rapport du Sénat, 10 % à 25 % des produits importés ne respectentpasnosnormessociales et environnementales. Cela représente un manque à gagner de dix milliards d’euros pour l’agriculture française. Nous demandons à nos agriculteurs d’être les plus vertueux de la planète et nous sommes un pays passoire qui ne regarde pas ce qu’il importe. C’est profondément injuste. Avec LaurentWauquiez,nousvoulonslutter contre cette concurrence déloyale qui met à mal nos agriculteurs. Ne craignez-vous pas que la pénalisation des importations en provenance d’autres pays entraîne en retour des mesures de rétorsion ? Il ne s’agit pas de droits de douane. Mais simplement que les produits importésrespectentnosstandards Parti socialiste « Le gouvernement doit nous aider à l’aider » NON-CENSURE François Bayrou parie sur la mansuétude de socialistes qui ont revu leurs exigences à la baisse, rétifs à l’idée d’assumer le chaos et pressés de couper la laisse avec Mélenchon Cemardi7janvier,enfind’aprèsmidi, le triumvirat socialiste – Olivier Faure, Boris Vallaud et le sénateur Patrick Kanner – est reçu au ministère de la Santé, avenue Duquesne. Face à eux, pas moins de cinq ministres. CatherineVautrin,hôtedeslieux, AméliedeMontchalin(Comptes publics), Astrid Panosyan-Bouvet (Travail et Emploi), Yannick Neuder(SantéetAccèsauxsoins) et Charlotte Parmentier-Lecocq (déléguée à l’Autonomie et au Handicap).Rarementgouvernement macronien n’aura déployé tant de déférence à l’endroit de ses opposants socialistes. À l’ordre du jour, la recherche de compromis acceptables sur le projet de loi de finances de la Sécurité sociale, texte sur lequel le précédent cabinet gouvernemental chut. Il y a urgence : la santéaccuseundéficitautourde quinzemilliardsd’eurosen2024. Sans mesures de redressement, l’ardoise pourrait atteindre les vingt-cinqmilliardsd’euroscette année.Voilàpourl’exercicecomptable.L’enjeupolitique,lui,relève delasurviepourlegouvernement Bayrou. Au point que ce format « ministériel » entre la Santé et Bercyarythmélasemaine,quasi quotidiennement, comme pour envelopper les chefs socialistes, écologistesetcommunistes,dont leministreÉricLombardadécrété qu’ilyavaitdavantageànégocier avec eux qu’avec le RN, rappelant ainsi la funeste aventure de l’équipe précédente. Une reddition nécessaire Au sortir de la réunion au ministère de la Santé, Charlotte Parmentier-Lecocq n’est pas très optimiste. « J’ai l’impression qu’ilsbluffent»,glisse-t-elleàses collègues. Les atermoiements et changements de pied incessants dessocialistesontdequoisusciter laméfiance.Hostileàtoutarrangement avant la trêve des confiseurs, le PS a fini par infléchir sa position. Le Premier secrétaire n’y perdra pas la face : devant micros et caméras, il fait monter les enchères, brandit la menace d’une censure en l’absence de «concessionsremarquables»oude «gestessignificatifs»del’exécutif. Unefaçond’habillerlareddition: tous les acteurs de ce jeu de rôle ont bien saisi que l’intérêt supérieurdessocialistesestdésormais de ne pas voter la censure. Une majorité des parlementaires socialistes ne le souhaite pas. L’épisode précédent a suffisamment déstabilisé le paysage politique,etsansdouteunepartie de leur électorat. C’est l’analyse pointue à laquelle l’un des plus proches de François Bayrou en est arrivé, après avoir suivi de boutenboutlesnégociations.Cet ancien député, fin connaisseur de la geste socialiste, est catégorique : le PS n’appuiera pas sur lebouton,niaprèsladéclaration depolitiquegénérale,nienmars lors du vote du projet de loi de finances. La date limite de vote du budget étant fixée au 30 juin. « Si nous ne parvenons pas à le faire passer d’ici là, ils porteront la responsabilité du chaos budgétaire », prévient-il. Une bascule dans laquelle le risque de perdre des voix pourrait se payer cash aux municipales à venir et lors des échéances de 2027. « Une analyse de stratège en chambre, balaieundirigeantduPS.SiBayrou tombe, c’est Macron qui sera missouspression.Sionneveutpas en arriver à de telles extrémités, il faut que le gouvernement nous aide à l’aider. » Une menace en formed’invocationquitémoigne par ailleurs d’une sorte de point de non-retour dans la rupture avec Mélenchon. S’ils rentrent in fine à la maison du Nouveau Frontpopulaire,ceseracouverts de plumes et de goudron. Jean-Luc Mélenchon a d’ailleursluiaussiintégréladéfection duPSetsansdoutedel’ensemble des partis de l’ex-gauche plurielle.Passantdansl’échelledela menace, de la colère à l’outrance àl’endroitdesesalliésaccusésde «forfaiture»etde«servilité».«Le programmeduNFP,c’estlaretraite à 60 ans, pas à 62 ans ! » s’agace undéputéinsoumis,enréférence aux négociations en cours sur la mèredesbatailles.Outrelesmesurettesréclaméesparlessocialistes pour ne pas censurer, la suspension de la réforme des retraites demeure le nœud gordien des négociationsbudgétaires,etdonc del’issuedelaréponseàladéclaration de politique générale du Premier ministre. À la différence des Insoumis, arc-boutés sur l’abrogation pure etsimpledelaréforme,lePS,par lavoixdesonchefdefileauSénat, PatrickKanner,aentrouvertlundi la porte à une « modification ou une évolution » du texte. En un mois, les socialistes ont sérieusement revu leurs exigences à la baisse…Unesimple suspensionde l’applicationdelamesured’âgeà 64anspouruneduréedesixmois, le temps de renégocier le texte, rassasieraitleurpetitappétit.Dans l’entourage de François Bayrou, les optimistes raisonnés y voient un signe encourageant : « Les lignes bougent, reste à trouver la formule idoine qui satisfasse des deuxcôtésdelabarrière»,souffle un proche du maire de Pau. g VICTOR-ISAACANNE etnosnormes.Lelibre-échangene doit pas être synonyme de cancer. Unetellemesurenerisque-t-elle pasd’avoirunimpactàlahausse sur le prix des produits agricoles commercialisésenFrance ? Si les Français savaient que des produits sur les rayons étrangers contiennent des substances cancérigènes, ils ne les achèteraient pas ! Ce n’est pas un enjeu de prix, c’est une question de santé individuelle et la santé des Français n’est pas à vendre. Lamiseenœuvredecette interdiction semble compliquée d’unpointdevueopérationnel… Ilyadeuxans,plusieurspayseuropéenscommelaPologneoulaRoumanieontinterditl’importationde céréales ukrainiennes contenant des pesticides interdits dans l’UE. Nos voisins pourraient le faire et pasnous?Lavérité,c’estquedepuis des décennies, l’administration française s’intéresse davantage à nos agriculteurs qu’à nos importateurs. Il faut inverser la tendance et contrôler nos frontières. L’accordMercosuraremis laquestiondesproduitsimportés aucentredudébat.Pensez-vous, commeEmmanuelMacron, que« la messe n’est pas dite »? Je l’espère. Cet accord signerait la miseàmortdenombreuxélevages français. Grâce à Michel Barnier, l’Assembléenationaleaeuàdébattre duMercosuretavotémassivement contre. Je connais l’engagement d’AnnieGenevardetceluidesesprédécesseurs comme Marc Fesneau. Nous ne devons pas attendre pour nous protéger. En vingt ans, nos importations de viande ont été multipliées par quatre.g PROPOSRECUEILLIS PARVICTOR-ISAACANNE *Textedébattule6février surlanichedugroupeDR. Olivier Faure réclame des concessions de la part de l’exécutif INTERVIEW De gauche à droite, les députés Boris Vallaud et Olivier Faure, le sénateur Patrick Kanner, le 6 janvier au ministère de l’Économie. ABDULLAH FIRAS/ABACA DR LE JOURNAL DU DIMANCHE 10 DIMANCHE 12 JANVIER 2025 Actualité Politique Jean-Marie Le Pen DISPARITION Le clan Le Pen s’est réuni hier à La Trinité pour un dernier hommage au patriarche qui laisse derrière lui une vie de combats et d’aventures equiem aeternam dona eis, Domine : et lux perpetua luceat eis. C’est dans cette petite égliseSaint-Joseph de La Trinité-surMer où il fut baptisé voilà quatre-vingt-seize ans, que Jean-Marie Le Pen a reçu un dernier hommage des siens, hier après-midi. Un enterrement dans la plus stricte intimité familiale, sous haute protection policière, pour prévenir les manifestations de ceux qui, jusque dans la mort, voulaientpoursuivredeleurhaine le fondateur du Front national. Ces menaces n’ont pourtant pas dissuadé des centaines de personnes de venir se regrouper dans les rues étroites de cette cité morbihannaise pour, par leur seule présence discrète et silencieuse, témoigner de leur reconnaissance à l’égard de Jean-Marie Le Pen, celui qu’ils appelaient affectueusement le « Menhir ». Des voisins, des amis, des curieux, des sympathisants du FN, des adhérents du RN. Certains venus d’Ajaccio. D’autres de Paris. D’ailleurs. De France. Ils étaient là, la gorge nouée, le regard embué de larmes, lorsque Marine Le Pen, accompagnée de Pierrette, sa mère, de ses enfants, s’enestalléed’unpaslentrejoindre l’église depuis la ferme familiale. Là encore, tandis que les binious succédant au glas emmenèrent le cortège jusqu’au cimetière où Jean-MarieLePen,conformément à ses instructions, allait rejoindre, dans le caveau familial, son père et sa mère, « poussière redevenue poussière ». Pourquoi ? Pourquoi étaient-ils sinombreux?Pourquoiavaient-ils fait le déplacement ?« Parce que je nepouvaispasnepasêtrelà»,glisse ce quadra qui s’était fait une promesse : celle d’être présent à l’enterrement de Jean-Marie Le Pen. Lesexplicationssontlapidaires.De l’ordred’uneévidencequisegarde demotsetquelesautresnepeuvent pas comprendre. Les « autres » ? Cette gauche qui a dansé place de la République à Paris mardi soir à l’annonce de la mort de Le Pen. Les journalistes, aussi, qui se sont acharnés à faire de Jean-Marie Le Pen un diable, « le diable de la République »… et continuent d’entretenir sa légende noire. Sa mort, Jean-Marie Le Pen s’y était préparé. Il craignait moins le jugement des hommes que celui deDieu. S’ils’étaitfâchédelongue date avec le clergé après que les aumôniers de sa pension à Vannes avaientinventélamortbrutaledesa mère pour le contraindre à quitter sonlycée,ilentretenaitdepuistoujoursunefoid’enfant.Avantchaque électionprésidentielle,Jean-Marie LePendemandaitàThierryLégier, son garde du corps, de le conduire rue du Bac pour allumer un cierge dans la chapelle de la Médaille Miraculeuse. Comme s’il croyait obstinément à un coup de pouce duCiel.IlinvoquaitlaViergepour qu’elle intercède pour lui. Il savait qu’ilenauraitbesoin.L’abbéLaguérieluiavaitadministréennovembre lesdernierssacrements.Avecl’âge, chaque jour qui passait le rapprochait de cette échéance et de cette grande confrontation. Danssonrépertoire,c’étaitautant de numéros qui sonnaient désormais dans le vide. Des vieux compagnons de route qui avaient eu le malheur de casser leur pipe avant lui. C’étaient les Pierre Sergent et autres Roger Holeindre, des historiques du Front national, qui avaient pris part à nombre de ses combats.Ilyavaitaussilescopains de presque toujours : les Bretons qui, comme Éric Tabarly, avaient navigué avec lui à bord du Général Cambronne, un langoustier qu’il avait acquis en 1961, le chanteur Alain Barrière, originaire comme luideLaTrinité-sur-Mer;ceuxde la Corpo de droit, avec qui il avait fait les quatre cents coups dans le quartier latin, jusqu’à montrer son derrière : « Le Pen, c’était un foutla-merde magnifique ! », confiera un jour Claude Chabrol à Bernard Pivot, qui devait s’étouffer de cet aveud’amitiéancienne.Parmieux, le giscardien Jacques Dominati. «Tum’asprésentélepetitprésident d’un grand pays. Laisse-moi te présenter le grand président d’un petit parti », glissera-t-il à Jean-Marie Le Chevalier, qui deviendra l’un des notables du FN, allant jusqu’à ravir la mairie de Toulon. Tous ne partageaient pas ses idées, ses combats, ses obsessions. Mais Dieu qu’ils avaient pu rire ensemble ! Il y avait aussi les anciens de l’Indo, Hélie de SaintMarc,sonpremiercommandantde compagnie,etAlainDelon,biensûr. L’acteur, en dépit de ses succès, de sagloiremondiale,nedevaitjamais craindre de s’afficher à ses côtés. «Jel’embrasseraijusqu’àlamorts’il lefaut!»Autantdenomsqu’ilavait dû, avec le temps, biffer d’un trait noir. À force, Jean-Marie Le Pen s’était presque convaincu qu’il était immortel. La nature l’avait doté d’une constitution solide. Il ne manquait jamais une occasion de montrer qu’il tenait la forme. Au sortir d’une interview dans la matinale d’Europe 1, il met au défi Jean-Pierre Elkabbach de réaliser autantdepompesquelui.Ilaalors 82 ans. Il s’isole dans le bureau du journaliste, tombe la veste et, en brasdechemise,tractionnecomme un jeune homme. De l’énergie à revendre. Il y avait bien quelques alertes, ponctuées de courts séjours à l’hôpital. Il ressortait l’œil rieur, prêt à pousser la chansonnette, à déclamer des vers et sabrer le champagne. Comme pour oublier qu’ilétaittoujoursunpeuplusseul. S’ilavaitperducesdernièresannées nombre de ses amis, ce n’était pas moinsvraidesesadversaires.Politiques notamment. À commencer par François Mitterrand et Raymond Barre. Le centriste s’était toujours forcé de le tenir à distance. « On ne déjeune pas avec le diable, même avec une très longue cuillère. » Jacques Chirac, lui, avait sollicité l’aide du président du Front nationalpourtenterdesefaireélire en 1988. Des rendez-vous secrets pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle,quis’étaientconclus sur un échec et le constat que ces deuxdroitesétaientdésormaisirréconciliables. Le piège imaginé par François Mitterrand fonctionnait à merveille. Le cordon sanitaire se révélaitunediguesolideetpermettait à Jacques Chirac de refuser à Jean-Marie Le Pen, plus de vingt ans plus tard, le traditionnel débat qui devait l’opposer à celui qui s’était qualifié à la surprise généraleausecondtourdelaprésidentielle de 2002. Jean-Marie Le Pen n’ajamaisépargnéJacquesChirac. Ilenavaitfaitsonmeilleurennemi. « Cet homme de droite qui fait une politique de gauche », ce « cocu pathétique », cette « girouette qui marche aux sondages ». Face au jugement de l’Histoire R Marine, MarieCaroline et Yann Le Pen, avec leur mère Pierrette et Marion Maréchal avancent en tête du cortège funéraire de Jean-Marie Le Pen, hier, à La Trinité-sur-Mer. ALAIN ROBERT/SIPA « Jean-Marie Le Pen, c’était un fout-la-merde magnifique ! » ClaudeChabrol LE JOURNAL DU DIMANCHE DIMANCHE 12 JANVIER 2025 11 Actualité Politique En 2019, pourtant, il se garde de le poursuivre de sa rancœur. De mortuis nil nisi bonum. Enfin, presque. À défaut d’en dire du bien, Jean-Marie Le Pen n’en dit pas de mal.« Mort, même l’ennemi a droit au respect », se contentet-il de tweeter. Derrière cette retenue presque inhabituelle, le vieil homme sait que son heure approche et qu’un jour viendra où lui aussi sera rappelé au Père. Depuisquelquesannées,ilcherche à mettre de l’ordre dans sa vie. À l’occasion de son 90e anniversaire, il réunit plus de 300 convives sur les hauteurs de Saint-Cloud, dans sonmanoirdeMontretout.Cen’est pas seulement une soirée d’adieu public, c’est un grand pardon. Il a convié Marie-Caroline, sa fille aînée, avec qui il était brouillé depuis la tentative de « puputsch » deBrunoMégreten1998.Elleavait eu le malheur de suivre celui qui était alors le numéro 2 du FN. « Le destin des dauphins est parfois de s’échouer », dira plus tard Bruno Gollnisch,fidèlelieutenantdeJeanMarieLePen.MarineLePen,quele fondateur du FN lui avait préférée pourluisuccéderavantquesafille nedécidedel’excluredesonpropre partiaprèsuneénièmeprovocation dans Rivarol, est également de la fête. Jean-Marie Le Pen veut se réconcilieraveclessiens.Ils’affiche avec ses trois filles. Comme pour signifier qu’il en a fini avec la politique. Qu’il n’est plus qu’un père et un grand-père, à la tête d’une dynastie dont il peut être fier. Ils’imaginaitqueMarineLePen pouvait l’emporter un jour. Il est finalement mort à l’âge de 96 ans, mardi 7 janvier. Dix ans jour pour jour après l’attentat islamique qui avait décimé la rédaction de Charlie Hebdo. Ce jour-là, nous étions avec lui au téléphone quand nous avionsapprispresqueendirectque les frères Coulibaly avaient abattu Charb, Cabu et Wolinski. Il n’avait pasversédelarmes.«Desennemis», avait-ilditdelarédactiondeCharlie Hebdo. « Ils méritaient bien un gros seau de merde sur la tête, mais pas une rafale. » Il n’était pas comme tous « ces charlots » (sic). « Je suis d’humeur Charles Martel », avaitil conclu son appel. L’immigration sauvage,l’islamisationdelaFrance, le mondialisme qui participait à la disparition de la France auront été parmi ses combats principaux. Autantdecrisd’alarmequiseseront perdusdanslegrandbruitdespolémiquesqu’ilaurafaitnaîtreetdont Jean-Marie Le Pen jurait qu’elles étaient pourtant nécessaires. « On m’accusedefairedesdérapages,mais au ski, c’est comme cela qu’on progresse », se justifiait-il. La presse se fera fort de ne retenirquesescondamnations,comme pour mieux occulter une vie de combats et d’aventures qui épouse le XXe siècle. Celle d’un gamin qui veuts’engagerdanslaRésistance.Il a 16 ans quand il veut rejoindre les FFI. Le colonel Henri de La Vaissièrel’endissuade. «Tuespupillede la Nation : songe à ta mère ! » Gaulliste sous Pétain, pétainiste sous deGaulle,enconcluronthâtivement certains.Jean-MarieLePennepardonne pas au Général son alliance aveclescommunistes,pasplusque son abandon de l’Algérie française. Éludéputéà27ansdanslegroupe dePierrePoujade,ilquittelesbancs de l’Assemblée pour aller se battre. « L’armée sera la seule période de sa vie où il aura accepté de recevoir des ordres », note Lorrain de SaintAffrique,sondernieraidedecamp. LafindelaIVe Républiquemarquele débutdesonpurgatoire.Ilparticipe bien à la campagne présidentielle de Jean-Louis Tixier-Vignancour, maisseconvaincqu’ilauraitmieux fait de brûler la politesse à l’avocat pénalisteetseprésenterlui-même. «Monseulregret»,nousconfiera-t-il voilà quelques mois. La création du Front national en 1972 marque le début de son retoursurledevantdelascènepolitique. Il ne la quittera plus jamais. Ses talents d’orateur, sa culture autant que ses provocations font lesdélicesdelatélévision.François Mitterrand, qui connaît ce grand fauve, se fait fort de l’imposer sur leservicepublic.Cesera«L’Heure de vérité » en 1984. Le début d’une résistible ascension politique. Le président du FN fait le plein de téléspectateurs. Les bourgeois se donnent des frissons en votant LePenaupremiertourdesélections, mais hésitent au second. La droite goûte peu ses mauvaises manières et le tient à distance. Jean-Marie LePenseritdeleurfrilosité.Ilpréemptel’immigrationdontilfaitson cheval de bataille. Certains,jusquedanssonentourage, doutent de sa volonté de conquérirlepouvoir.BrunoMégret, numéro2duFN,enragedevoirses effortspourcrédibiliserlepartiêtre anéantisparlesexcèsdeJean-Marie LePen.Illoueenmars1998unsalon duCrillonpourmettreenscèneson pré-gouvernement,sortedeshadow cabinetàlasauceLePen.Unaboyeur l’annonce en grande pompe. JeanClaude Martinez se prête au jeu et soumetunordredujour.Lescadres n’y voient qu’un grand théâtre. Ce seralascission.Ilneresteautourde lui qu’une poignée de fidèles. Les médias l’agonisent, l’enterrent. Il défait Lionel Jospin quatre ans plus tard et se hisse au second tour de la présidentielle un soir d’avril 2002, comme un démenti à tous ceux qui pensaient que ses provocations lui seraient fatales, sans pour autant faire la démonstration que sa stratégie bruyante et tapageuse lui permettrait un jour de prétendre à l’Élysée. Cette « quinzaine anti-Le Pen », selon le mot de Philippe Muray, ce « grand théâtre de l’antifascisme », comme le confiera plus tard Lionel Jospin aumicrod’AlainFinkielkraut,aura eu raison de lui. Le combat continue,maisilneseraplusqu’illusoire. Comme s’il n’avait plus tout à fait la flamme, comme si un autre que lui devait reprendre le flambeau. Nicolas Sarkozy s’y essaie en 2007. Il s’affranchit d’un certain nombre depréventionsdeladroite,marche surlesplates-bandesdeJean-Marie Le Pen. Avec 10,44 % des suffrages exprimés, cette élection marque un coup d’arrêt à la progression continue du fondateur du FN. Et ouvre lentement la voie à un passage de témoin. Marine Le Pen lui succède en 2011. Elle l’exclut avec fracas en 2015, pour tenter d’effacer la marque de ses provocations, à l’instar de sa déclaration sur « les chambresàgaz,détaildel’histoirede la Seconde Guerre mondiale ». La présidente du RN tue le politique. Mais non pas le père. « Je ne me le pardonnerai jamais », confiet-ellepourtantauJDNewsdansun entretien qu’elle a réservé à notre magazine(enkiosquemercrediprochain). L’œil était dans la tombe et regardait Marine. g RAPHAËL STAINVILLE Il loue un salon du Crillon et met en scène son shadow cabinet Jean-Marie Le Pen en meeting à Marseille, entre les deux tours de la présidentielle, le 2 mai 2002. LIONEL CIRONNEAU/AP/SIPA
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