VOILE MAGAZINE n°355 - Page 2 - 355 VOILE MAGAZINE • JUIN 2025 3 Les 38 pieds de notre essai vus par F. Van Malleghem. L ’EDITO Lebonheur, c’estmaintenant ‘avoue, mon bureau est un sacré bazar. Ce bric-à-brac de vieux papiers hérité de mes prédécesseurs à la barre de Voile Mag, et notamment de Rubi qui en a accumulé pas mal, leste depuis desdécenniesdevieillesarmoiresmétalliques dans l’indifférence générale. Et pourtant, il recèle des trésors ! A l’image de cette série de tirages d’excellente qualité sur laquelle j’ai mis la main par hasard. Des images qui nous viennent sans doute du début des années 60, mais pas celles de Beken en son jardin du Solent. Ici pas de yachts sous spi et big boy à la limite du départ au lof, pas d’équipages compétents et tendus vers la victoire ni d’orgueilleux skippers fumant la pipe à la barre. On serait plutôt sur la Côte d’Azur en compagnie de plaisanciers décontractés en costume de bain, sur des voiliers bien tenus mais sans prétention. J’aime particulièrement cette image sobrement légendée au dos « Saga II (F), M. Z. Weber » et portant le tampon d’un photographe domicilié à Monaco, un certain Bert Richner. La brise s’est levée dans l’après-midi et a peut-être surpris l’équipage, le bateau est un peu surtoilé, un peu vautré, mais ça n’inquiète pas plus que ça le couple hilare qui se tourne vers le photographe. C’est elle qui barre et ça ne doit pas être très pratique sous le vent, mais ça la fait marrer. L’image est très contrastée, on devine un soleil implacable mais ils ne songent même pas à protéger leur peau déjà bien tannée, de la même façon qu’ils se rient du mistral : les années 60 dans toute leur insouciance. Une capsule de bonheur arrachée à l’oubli et à la poussière de ma vieille armoire. Que sont-ils devenus ? Se souviennent-ils de ces jours bénis en regardant la mer derrière la baie vitrée d’un appartement de Nice ou d’Antibes ? Leurs enfants ont-ils entretenu et gardé ce cher Saga, ou l’ont-ils vendu à la première occasion ? Ou peut-être n’ont-ils pas eu d’enfant, peut-être s’étaient-ils rencontrés l’avant-veille de cette photo, et séparés à la fin des vacances ? D’ailleurs, qui me dit qu’ils ne sont pas frère et sœur ? Une photo comme celle-ci n’évoque pas qu’une histoire, elle les raconte toutes. Y compris la nôtre et celle des croisières de l’été qui vient… Au-delà de la nostalgie, il y a cette idée d’urgence du bonheur, cet art de savourer le présent comme a su le faire l’équipage de Saga II… Carpe diem, carpe horam, disait le poète ! François-Xavier de Crécy J VOILE MAGAZINE 9, allée Jean Prouvé 92587 CLICHY CEDEX voilemag@editions-lariviere.fr Vous pouvez joindre votre correspondant en composant le 01 41 40 suivi du n° indiqué Président du conseil de surveillance Patrick Casasnovas Présidente du directoire S. Casasnovas Directeur général Frédéric de Watrigant REDACTION Rédacteur en chef François-Xavier de Crécy 41 00 Rédacteur en chef adjoint Damien Bidaine 3292 Rédacteur Paul Gury 33 46 Secrétariat de rédaction Laurence Corroler Maquette Stéphane Machelart 33 43 Illustrations Laurent Hindryckx 56 60 Ont collaboré à ce numéro Adrien Dartig, Famille Baranger, Thibault Desplats, Jean-Marie Liot, Olivier Péretié, Inaniel Swims, François Trégouët, François Van Malleghem WWW.VOILEETMOTEUR.COM André-Bernard Vidie 56 36 Sherine Lefébure PUBLICITE Directeur de publicité Laurent Lallier 33 42 Chef de publicité Manon Pirotte 34 31 Assistante : Chloé Boudet 35 25 chloe.boudet@editions-lariviere.com e-mail : pubvoile@editions-lariviere.com SERVICE DES VENTES (réservé aux diffuseurs et dépositaires) Chef de produit, Emmanuelle Gay : 34 99 PROMOTION DES ABONNEMENTS Kahina Houist : 54 43 Abonnements et Vente Par Correspondance Tél. : 03 44 62 43 79. e-mail : abo.lariviere@ediis.fr Service abonnements, Voile Magazine, 45, avenue du Général Leclerc, 60643 Chantilly cedex TARIFS ABONNEMENTS France métropolitaine, 1 an, soit 12 n° + 1 hors série Equipement versions papier + numérique : 146,34 € Tarifs 2025, prélèvements mensuels : 6,95 € Autres pays et par avion, nous consulter au (33) 3 44 62 43 79 ou abo.lariviere@ediis.fr Directeur de la publication et responsable de la rédaction Patrick Casasnovas Impression : Imprimerie de Compiègne, ZAC de Mercières 60205 Compiègne Diffusion MLP « Papier issu de forêts gérées durablement. 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LUDOVIC FRUCHAUD JEAN-MARIE LIOT FRANCOIS VAN MALLEGHEM VOILE MAGAZINE • JUILLET 2025 5 SOMMAIRE N°355-JUILLET2025 ACTUS Les potins des pontons...........................................................................6 Course et régate La Généreuse.................................................................................................16 Les actus............................................................................................................20 Le journal du littoral..............................................................................24 Les lecteurs ont la parole..................................................................28 DESSINE-MOIUNBATEAU Vincent Lebailly..........................................................................................12 ZOOM Nordic Odyssey Balade écossaise................................................18 MATOS Tests équipement Veste Gill OS2 Offshore, Lunettes Vuarnet Ice 01 Cristal Blue Lynx................................30 ESSAIS Quelques bords à bord First 36 SE..........................................................................................................32 Dufour 48 ODSea+.....................................................................................36 100 milles à bord Excess 13.............................................................64 MAG Beryl Ouragan sur Cariacou...............................................................42 COMPARATIF Le match des 11 mètres Quatre bêtes de croisière.......................................................................48 DOSSIER Restaurations La passion du refit.................................................78 Semaine du Golfe Un rassemblement vintage unique au monde...................82 Paolo Bua Le First Class 8 dans la peau !.................................88 Refit Serpentaire Un Petit Dauphin flambant neuf........94 Refit Trimax 1050 Triple dose de bonheur.......................100 PARTIR RM 1080 555 milles, cap à l’ouest............................................106 aux îles d’Or 48.Le match des 11 m : volumes de rangement, ergonomie, un comparatif ultra-complet ! Le prochain numéro de Voile Magazine sortira en kiosque le 11 juillet 2025 Abonnez-vous, page 31 ou sur le site www.editions-lariviere.fr Retrouvez-nous sur THIBAULT DESPLATS FRANCOIS VAN MALLEGHEM 6 JUILLET 2025 • VOILE MAGAZINE ACTUS LESPOTINSDESPONTONS Grande nouvelle : Damien, le bateau mythique de Gérard Janichon et Jérôme Poncet, entièrement restauré et remis à l’eau pour le Grand Pavois 2020, va repartir en voyage. Dans le sillage de l’épopée racontée par Gérard Janichon dans les trois volumes de « Damien autour du monde », il va être prêté à trois jeunes – Capucine, Sacha et Mehdi –, un gars et deux filles, qui vont mettre le cap sur le Spitzberg dès cet été. Il repassera à La Rochelle au moment du Grand Pavois, Grand Pavois dont ils avaient marqué la première édition par leur arrivée en plein salon à flot, en septembre 1973. Puis il repartira vers l’Atlantique Sud à la rencontre de Jérôme Poncet qui, contrairement à son compère Gérard Janichon, a fini par s’installer aux Malouines où il est devenu éleveur de moutons… Une belle aventure en perspective et un projet qui donne finalement tout son sens à la restauration de Damien. Il est néanmoins peu probable que le nouvel équipage pousse sa navigation jusqu’en Antarctique, ou encore qu’il remonte l’Amazone comme l’avait fait l’ancien. Faute de temps, et aussi parce qu’un tel voyage sur un bateau en bois moulé d’à peine 10 m apparaît aujourd’hui totalement déraisonnable. Certes, Jérôme et Gérard l’ont fait entre 1969 et 1973, mais personne ne leur avait dit que c’était impossible… AVENTURE Très documenté et joliment mis en images par le dessinateur Garreta, ce récit de la Fastnet Race 1979 en bande dessinée est à mettre entre toutes les mains. Son scénariste Melchior a pris la peine de renouer les fils de quelques-unes des fortunes de mer qui ont émaillé cette terrible édition. Certes, il semble avoir privilégié celles qui finissaient bien – rappelons que l’ouragan qui a balayé la course cette année-là a quand même fait 15 morts. Mais les anecdotes qu’il rapporte ne manquent pas de sel et sont authentiques, le scénario a d’ailleurs été documenté et vérifié par Jacques Caraës, rentré indemne de la Fastnet 1979 avant de devenir coureur professionnel et directeur de course. 104 pages, 22,50 €, éditions Delcourt. On innove cette année pour l’enrôlement des équipiers du Voilier de l’année. Plus de mail, mais une billetterie gratuite accessible en flashant le QR code ci-dessus : votre candidature est ainsi prise en compte et nous ferons, comme chaque année, tout notre possible pour lui donner une réponse positive. Le nombre de places disponibles dépend du nombre de bateaux en lice et à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous n’en avons aucune idée ! Rappelons que le vote des lecteurs-essayeurs est pris en compte pour le Voilier de l’année (même valeur qu’une voix au jury) et pour le Prix des lecteurs. BD Fastnet79 EVENEMENT ParéspourleVoilier del’année2026? Lenouveau voyagedeDamien FRANCOIS VAN MALLEGHEM VOILE MAGAZINE • JUILLET 2025 7 Etant tombés sous le charme du J/40, élu Voilier de l’année 2025 en septembre dernier, on attend avec impatience la mise à l’eau du nouveau J/36. D’autant que ce dernier se positionne sur le même programme de croisière rapide, avec a priori les mêmes atouts : une élégance intemporelle, des performances au-dessus du lot et un toucher de barre unique. Sur les premières images, c’est un J au premier regard et la parenté avec le 40 ne fait aucun doute… Bientôt en essai, et on l’espère au Voilier de l’année. Une myriade de Little Ships a fait son entrée dans le port pour l’anniversaire de l’opération Dynamo qui avait mobilisé, entre le 26 mai et le 4 juin 1940, des centaines d’embarcations privées pour porter secours aux 300 000 soldats alliés encerclés dans la poche de Dunkerque. 85 ans après, ils ont repris la mer depuis Ramsgate, en Angleterre. Des petits bateaux rachetés par des passionnés et remis à neuf, aujourd’hui symboles de courage et de solidarité. Tous les cinq ans, l’association The Association of Dunkirk Little Ships, fondée en 1966, entretien ainsi la mémoire de cet épisode nautique de la Seconde Guerre mondiale. J/36 Un nouveau J bientôt à l’eau COMMEMORATION LesLittleShipsàDunkerque enbref… METEO Navimetrix est une nouvelle application multiplateforme imaginée par les créateurs de Sailgrib et de Weather4D. On y retrouve prévisions météorologiques, routage, connexion aux instruments de bord. DECES Nous nous avons été très touchés par la disparition de Stéphane Sohian, une figure marquante et attachante du nautisme, un marin expérimenté qui accompagnait depuis onze ans coureurs et plaisanciers dans leur usage des pilotes NKE. HORS-SERIE Mieux comprendre pour mieux acheter. Plus qu’un catalogue des nouveautés, les 242 pages de notre hors-série équipement vous guideront dans vos projets d’achats, de l’équipement personnel à l’électronique embarquée. PHILATELIE Le 15 juillet 2025, La Poste émet un timbre (2,10 €) sur les réserves naturelles dans le cadre du concours EUROMed 2025 portant sur les ressources en Méditerranée. Une création de Clara Debray. YACHT-CLUB DE FRANCE Catherine Chabaud a été élue Présidente du Yacht-Club de France. Elle succède à Philippe Héral, qui était en poste depuis 2018. C’est la première fois qu’une femme prend la tête de cette institution. PANNEAU SOLAIRE C’est un panneau qui s’accroche dans les filières, captant les rayons directs du soleil ainsi que ceux rebondissant sur la mer grâce à sa technologie biface. Il s’accroche rapidement et s’incline facilement pour optimiser la charge. Flinrail+ chez ITC Europe, 995 €. NAUTISTORE La célèbre boutique de vêtement de mer parisienne rouvre ses portes au 35, avenue de la Grande Armée dans le 16e arrondissement. Elle est désormais passée sous le pavillon des marques Helly Hansen et Musto. A bord de Damien, Gérard Janichon et Arnaud Boissières lors d’une rencontre orchestrée par Voile Magazine. LUDOVIC FRUCHAUD DR DR 8 JUILLET 2025 • VOILE MAGAZINE VELOS GONNEL Nésdans unchantierbois Ces vélos rochelais haut de gamme fabriqués à l’unité ont la particularité d’être en bois, mais aussi celle d’être nés au sein du chantier Despierre, sur le Plateau nautique. Ce chantier traditionnel a en effet hébergé les Ateliers Gonnel à leurs débuts, et s’ils se sont logés ailleurs depuis, il est resté dans leur ADN une part d’héritage et de savoir-faire maritime. Les cadres sont fabriqués en lamellé-collé, comme la barre ou la bôme d’un yacht classique, et font également appel à des renforts structurels en fibre de lin ou de carbone, selon les attentes du cycliste. Fondés par Benjamin Boissier, un ancien de Neel Trimarans, les Ateliers Gonnel ont récemment accueilli un nouvel actionnaire en la personne de François Gabart. Une étape qui devrait leur permettre de mieux faire connaître ces petits bijoux sur deux roues, notamment à l’international. Prix : à partir de 3 650 €. Rens. : www.lesateliers-gonnel.com. Nous avons été, comme tant d’autres, consternés et profondément attristés par l’accident tragique survenu à Arcachon le 21 mai dernier. En plein cours de voile, aux alentours de 16 heures, un petit bateau de pêche professionnel en aluminium traversait à grande vitesse la zone d’entraînement des Optimist du club local, le CVA. A 50 m du rivage, c’est-à-dire largement à l’intérieur de la zone des 300 m où la vitesse est limitée à 5 nœuds, il percutait et coulait un Optimist : le choc, très violent selon les témoins, ne laissait aucune chance au jeune Benjamin, 8 ans. Le marin professionnel, aussitôt mis en examen et placé en détention provisoire, a reconnu les faits, la vitesse excessive et la consommation de drogues déjà révélée par les premières analyses (cocaïne, THC). Les autres enfants, ainsi que les jeunes licenciés du club ayant assisté au drame, ont reçu le soutien d’une cellule d’aide psychologique… Comment une telle tragédie peut-elle se produire à un jet de caillou de la plage d’Arcachon ? Comment la vie d’un jeune marin, vrai passionné de voile et fan absolu du Vendée Globe, peut-elle être fauchée dans des conditions aussi absurdes ? On peut prendre toutes les mesures de sécurité qu’on veut, on ne peut rien contre l’inconscience de certains usagers de la mer et, disons-le, contre leur coupable connerie. La maman de Benjamin a demandé à Samantha Davies et Violette Dorange d’embarquer sur leur IMOCA un souvenir de Benjamin pour la Transat du Café L’Or, l’ex-Transat Jacques Vabre qui part cet automne. Elles ont évidemment accepté et c’est un beau geste, mais hélas le mal est fait. Et il est terrible. BENJAMIN, 8 ANS Unetragédie etdesquestions ACTUS LESPOTINS DES PONTONS Il navigue dans un brouillard patiemment entretenu par son capitaine. Un navire russe, mené par des « opposants au régime », pourtant largement soutenu par la presse de Poutine... Pour Bruxelles, le Shtandart doit être assujetti aux sanctions de l’Union européenne (interdiction d’entrer dans les ports de l’Union) et la France, à ce titre, fait preuve de laxisme. D’après une note interne révélée par L’Express, les services de renseignements français semblent euxmêmes intégrer le vieux gréement dans l’arsenal permettant à la Russie de mener une guerre hybride en France… Il n’empêche que le sulfureux Shtandart était à la Semaine du Golfe, « non invité », mais « bienvenu ». Toléré par le préfet maritime ? Oui et non. En fait, tant que le Shtandart n’entre pas dans un port, il n’est pas inquiété. Il a donc pu se faire admirer au mouillage pendant la Semaine du Golfe... Et susciter une fois de plus la polémique. POLEMIQUE Shtandart, le poil à gratter DR FRANCOIS VAN MALLEGHEM DR 10 JUILLET 2025 • VOILE MAGAZINE MANIFESTATION Durififi auxGlénan ROMAN Le capitaine égaré FORTUNE DE MER La fin d’un voyage Le projet des militants de Lever les voiles et Les soulèvements de la terre était de débarquer sur l’île du Loch, appartenant à Vincent Bolloré. Pourquoi ? Parce qu’il l’a confiée à un gardien qui n’est autre que Marc de Cacqueray-Valmenier, ancien chef du groupuscule néonazi Les Zouaves, condamné pour violences en marge d’un meeting d’Eric Zemmour… Sa présence aux Glénan a ulcéré les militants qui ont élargi leur manifestation à une tribune anti-Bolloré. Interdite par la préfecture, la flottille n’a finalement pas rallié les Glénan et s’est contentée de la plage du Cap Coz, en baie de La Forêt. Sous ce titre romanesque se dessine un roman historique inspiré d’un épisode réel, la livraison d’armes aux insurgés américains par d’anciens marins de la Royale française. Belle occasion de rappeler ce que la révolution et la nation américaines doivent à la France… Le héros lui-même, Pierre Landais, a bel et bien vécu, comme la quasi-totalité des personnages du roman. L’auteur, marin et sous-marinier de son état, s’emploie à réhabiliter ce vieux guerrier sinon égaré, oublié par l’Histoire… « On peut avoir vécu mille vies, rares sont les chemins de la postérité », écrit l’auteur en conclusion. On ne saurait mieux dire. Nous avons reçu son roman peu avant le bouclage et ne l’avons que parcouru, mais il semble bien ficelé et bien écrit. Ed. Paulsen, 384 p., 21 €. Bernard Moitessier aurait eu 100 ans le 10 avril. Belle occasion d’honorer la mémoire d’un homme dont les récits ont inspiré des centaines de marins en herbe. C’était un écrivain de talent. Parti de rien, il avait prouvé qu’on pouvait faire le tour du monde avec un voilier de fortune. Tout devenait possible pour la génération 68... Une soirée sera consacrée à sa personnalité et à ses voyages, en compagnie de sa dernière compagne Véronique Lerebours, le 19 juin prochain au Musée maritime de La Rochelle. ANNIVERSAIRE Moitessiersuperstar ACTUS LESPOTINS DES PONTONS LE DESSIN DU MOIS PAR DARTIG L’Outremer 45 de Charline Picon et sa famille a subi une importante voie d’eau après avoir heurté un OFNI à 70 milles au sud-ouest de l’île Ua Pou, dans le Pacifique. L’équipage a rapidement déclenché l’alerte avec la balise EPIRB et pris place dans le radeau avant d’être secouru après 12 heures de dérive par un autre Outremer 45. Contacté, le chantier qui a mis en œuvre les moyens pour retrouver le voilier à la dérive s’est dit rassuré du dénouement tout en précisant que « l’envahissement total de la coque suite à celui de la cale moteur est anormal. Il faudra voir si des modifications ont eu lieu. (…) Même si les deux coques se remplissent d’eau de mer, l’Outremer 45 ne coule pas. » Chantier et architecte sont formels : pont et cockpit affleurent toujours en surface et il vaut mieux rester à bord. Charline Picon et sa famille ont évacué dans le bib en emportant l’annexe. DR DR DESSINE-MOIUNBATEAU 12 JUILLET 2025 • VOILE MAGAZINE Il est encore jeune mais a déjà à son actif une belle collection de bateaux de voyage qui mettent l’accent sur le confort à la mer, la luminosité des grands vitrages et la sécurité de l’aluminium. Vincent Lebailly nous reçoit en tenue de chantier. Texte et illustrations : Inaniel Swims. VINCENTLEBAILLY «Certainspréfèrent naviguerausec…» IL FAIT GRIS et un vent glacial souffle de l’est. Je passe le port de plaisance du centre-ville de Caen avant de me diriger vers la zone industrielle. Travaux, déviations, routes défoncées, inondations et pavés glissants ; tout est glauque. Sur le bord de la route, deux carcasses de camionnettes calcinées, des tentes abandonnées. Dans l’air, l’odeur des usines pétrochimiques. L’impression d’être dans un Maigret. Bruno Cremer pourrait surgir du bistrot le Quai des Brumes que je ne serais pas surpris. Plus loin je passe devant l’Alcyone et ses deux turbo-voiles, l’ancien bateau de Cousteau, avant d’arriver au hangar du chantier V1D2 où je suis attendu. La porte s’ouvre sur une série de gros bateaux alignés sous des housses en plastique et sur le sourire chaleureux d’un homme plutôt élégant qui m’invite à le suivre. BIENTOT LAGRANDEBLEUE Ce jeune quarantenaire dynamique et souriant, c’est l’architecte naval Vincent Lebailly. Le café qu’il m’offre en préambule efface en une gorgée la tristesse de cette journée. Nous voilà entre les deux coques d’Epic, un catamaran de 40 pieds en composite en cours d’aménagement, le sien, celui qu’il est en train de construire pour partir en voyage avec sa femme Julie et ses deux enfants de 6 et 10 ans. Départ prévu au début de l’été et pour trois mois, direction la Méditerranée. « Compliqué pour moi d’arrêter complètement de bosser, alors il y aura Starlink à bord pour suivre certains dossiers », me dit l’architecte en me montrant une poutre installée à cet effet sur le portique arrière. L’été c’est bientôt, alors Vincent consacre tous ses week-ends et son temps libre à ce chantier. Aujourd’hui, Julie et lui sont aidés par deux de ses collègues de VLYD, le bureau d’architectes qu’il dirige : Nina Audouze (communication) et Thibault Maupeu (designer) sont venus mettre la main à la pâte et s’affairent sur les aménagements intérieurs dans une bonne odeur de résine et de sciure de contreplaqué. « C’est formateur pour toute l’équipe de se confronter à ce genre de chantier, au concret, et de sortir des écrans et des imageries 3D ». Les parents sont aussi sollicités et viennent régulièrement aider. Ce sont eux qui ont transmis le virus de la voile avec le Tiburon familial, petit voilier de chez Jouët dessiné par Collin dans les années 60. Ce petit biquille leur permet d’explorer les côtes de la Manche au large de Carteret où la famille, originaire de Flers (61), vient passer ses vacances. Tout le monde s’entasse là-dedans et avec les deux enfants, le voilier devient vite petit. Changement de monture pour un Macwester 28. Pour Vincent c’est une révélation, les quelques mètres de différence rendent le voilier vraiment habitable. De là vient la passion pour l’agencement intérieur, pour l’art de faire s’imbriquer intelligemment ces petits espaces tout en courbes… ce qu’il n’appelle pas encore design nautique. Les enfants grandissent, nouveau voilier, un Westerly Pentland, un ketch avec cabine arrière – et encore de nouveaux agencements à étudier. Bon élève, un bac S en poche, Vincent part donc à Southampton faire la prestigieuse école d’architecture navale dont sont sortis tant d’architectes et de grands marins. Yoann Richomme par exemple, avec qui il fera le Tour de France à la Voile sur un Mumm 30. Seule expérience de régatier de l’architecte, qui avoue que son intérêt porte principalement sur la croisière et les voiliers de voyage. En attendant, il suit de près le Vendée Globe et attend le retour de « P’tit Louis » – Louis Duc – qui a préparé son bateau dans le hangar voisin. Malgré tout, cette découverte du planing et de la glisse fait encore pétiller l’œil de celui qui était jusqu’alors habitué aux 5 nœuds, 6 les bons jours, des croisières familiales « et encore, quand on n’est pas au moteur. » En 2014, après le Westerly, la famille s’intéresse à un autre biquille, un Biloup 109, voilier conçu en collaboration avec un certain Vincent Lebailly. Sa société – VLYD –, il l’a montée en 2009, presque trop tôt, regrette-t-il. Après avoir Ogham 54 : lignes tendues, rouf vitré imposant, le concept du monomaran en une image. VOILE MAGAZINE • JUILLET 2025 13 14 JUILLET 2025 • VOILE MAGAZINE DESSINE-MOIUNBATEAU VINCENTLEBAILLY travaillé pour Pierre Frutschi, architecte et designer dont il apprécie le trait et avec qui il continuera de collaborer, il rentre chez Yacht Industrie, spécialisé dans les catamarans de luxe en aluminium. La boîte ferme, Vincent Lebailly décide de se lancer à son compte, accompagné rapidement de Dominik Lux, autre architecte, qui le rejoint en 2010. Ensemble ils travaillent sur des voiliers de série pour Wrighton et Garcia, sur des monocoques et catamarans « sur mesure » pour des particuliers. « On attache une grande importance à la relation avec le client, c’est un accompagnement sur le long terme et certains deviennent des amis, on suit leurs périples une fois le bateau mis à l’eau. » Les lignes de ces voiliers « sur mesures » sont caractéristiques, très tendues, les arêtes sont prononcées, les courbes sont dynamiques mais le rayon de courbure est très doux. UNPENCHANT POURL’ALUMINIUM Rien d’organique. Au départ cela était plus ou moins induit par le matériau, l’aluminium, pour des raisons mécaniques et de simplicité de mise en forme. Mais on retrouve ce trait sur tous les voiliers VLYD, quel que soit le matériau. Les roufs notamment, attirent l’œil, souvent très vitrés, remarquables et parfois imposants. Car l’autre aspect qui passionne l’architecte est la circulation entre les différents espaces et comment ils s’agencent entre eux. Vincent Lebailly rêve de bateaux de plain-pied où l’on ne descend pas « à la cave » pour accéder au carré « et dont l’ergonomie n’est ni traumatisée ni traumatisante ». Déjà, lors de la conception du Biloup 109, dont un des modèles était prévu pour ses parents, il ne voulait pas plus de trois marches entre le cockpit et le carré. « La troisième marche peut être fatale, me dit-il avec une pointe d’humour, et il faut penser aux personnes vieillissantes ou à mobilité réduite. » Pour créer ces plain-pied, les roufs font partie de la solution, comme le fait d’abaisser la hauteur du cockpit. De fait, cela oblige à retrouver du volume sur l’avant et je le questionne donc sur ce qu’il pense des étraves de type scow : « C’est intéressant mais j’aime les lignes tendues et les scows doivent être légers, moi je fais des bateaux de voyage, avec toute la charge et le confort que cela implique. » Plain-pied, espaces ouverts et lumineux, habitabilité, confort, des notions dont découlent le concept du monomaran que l’architecte aime à pousser dans ses retranchements. « Tout le monde n’a pas envie de se prendre des embruns plein la tronche, certains veulent naviguer au sec ! » Dans l’Ismeria 59, l’architecte a placé l’unique poste de barre à l’intérieur du bateau, comme dans une vedette. D’où ses références… Vincent Lebailly cite volontiers le Sense 50 de Bénéteau, dessiné par Berret/Racoupeau, un cabinet qui travaille aussi pour le chantier Garcia, mais aussi l’Atoll 43 dessiné par Philippe Briand pour Dufour. Ce dernier, sorti en 1998, possède une grande timonerie proche de celle des catamarans, une énorme casquette et fait encore débat dans les cafés du port. Les dessins de Lebailly sont à la croisée de ces deux bateaux et essayent d’aller plus loin, car en termes d’espace et d’agencement, il ne tient rien pour acquis. Il se permet même, sur l’Onarius 52, de placer le poste de pilotage au milieu du bateau, sous la bôme et… devant le carré placé dans le château arrière tel une Caravelle moderne. Mais un dernier nom d’architecte naval sort de notre conversation, un peu surprenant, celui de Michel Joubert. Pour sa simplicité et son côté low-tech car « il faut bien avouer, on veut des bateaux beaux comme des Ferrari mais qu’on va malmener comme des 4x4 ». Notez que chez VLYD, on ne dessine pas que des bateaux et on s’intéresse à tout ce qui flotte. Riche de l’idée que le voyage commence dès le moment où l’on pose le pied sur l’eau, une gamme de maisons flottantes a été développée. Venant d’une ville où le port de plaisance est à moitié vide et où les bras de l’Orne sont déserts, cela fait sens. « On vit un endroit où l’on subit l’eau plus que l’on ne fait avec. Sans même parler de montée des eaux, il nous faut réapprendre à vivre avec cet environnement. » C’est le même schéma de pensée qui est à la base de la création des Utopia, de jolies petites îles flottantes artificielles, modulables et arborées destinées à être mouillées au large des plages. Il faut dire que la longue côte du Calvados manque particulièrement d’îles ou de petites criques qui constituent bien souvent des buts de navigation, de balades en paddle ou en canoë. Grâce à ces Utopia, Vincent Lebailly aimerait rapprocher les locaux d’une mer qu’ils pratiquent au final assez peu, dans un geste de design poétique et moderne, et avec en tête l’idée que la première marche pour amener des gens vers le bateau c’est déjà de les emmener rêver à la plage. L’heure tourne, autour de nous l’équipe scie, ponce, sort d’un carton le tableau électrique qui devra bientôt être posé. Vincent, tout en me parlant, surveille du coin de l’œil ce qui se trame, je sens qu’il a envie de retourner mettre les mains dans la colle et qu’en ce moment, le bateau de ses rêves, c’est bien celui-là, son catamaran Juno 40. Pour ce qu’il représente, et surtout pour les horizons ensoleillés qu’il va bientôt lui ouvrir. MICHEL JOUBERT (1944-2016) Le Biloup familial… Hélas la reprise du chantier par un groupe de propriétaires n’a rien donné. Ancien marin de la Marchande, Michel Joubert s’est associé à Bernard Nivelt dans les années 70 pour créer un cabinet d’architecture navale. Ensemble, ils dessinent de tout du moment que ça flotte. Des 60 pieds pour la course au large, des bateaux à moteur, des voiliers de voyage comme la série des JNF (34 et 38 pieds) aux lignes tendues et au rouf spacieux et aussi le JNF 39, un fifty aux airs de monomaran actuel. Marin et voyageur, Michel Joubert a exploré pendant quinze ans la dureté des mers du Grand Nord, Ecosse, Norvège, Groenland, passage du Nord-Ouest sur son trawler de 16 m, Marguerite.
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