MARINE ET OCÉANS n°285 - Page 5 - 285 3 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 EDITORIAL LA FILIÈRE MARITIME AU SERVICE DE LA SOUVERAINETÉ, DE L’AUTONOMIE ET DE LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE © ENSM COMPAN Anne-Charlotte - © HAROPA PORT | Marin David - © CEPS - © AdobeStock - © Zéphyr & Borée - © Thalos contact@cluster-maritime.fr - www.cluster-maritime.fr Delapolitiquedepuissance On l’aime ou on le déteste mais beaucoup l’attendent (avec une sincère impatience ou au tournant). C’est «l’effet Trump» dans ce monde plus que volatile qui est le nôtre où chacun sent passer le vent des boulets et s’inquiète de l’étincelle qui mettrait le feu au baril planétaire… En priant, pour les uns, en espérant, pour les autres, que «cela tienne» jusqu’au 20 janvier date à laquelle le 47ème président des Etats-Unis entamera son second mandat à la tête de la première puissance mondiale, et mettra en œuvre, d’abord en Ukraine puis au Proche et au Moyen orient, sa podisposer d’un budget pour les armées à hauteur de 3% du PIB, le pays pourrait peiner à tenir la ligne des 2% de la dernière Loi de programmationmilitaire2024-2030adoptéeenjuillet2023. Certains, minoritaires et discrets parce que le sujetestsensible,évoqueraientmêmedanslesallées feutrées du pouvoir, l’idée de l’abandon d’un successeur au porte-avions CharlesdeGaulle(voir page 28) pour lequel l’État a lancé la construction des deux chaufferies nucléaires en avril 2024 et dont la commande doit être officiellement passée en 2025… Dix milliards d’économie quand ce litique de la «paix par la force». Parce que la paix reste, pour lui, pour les affaires, globalement meilleure que la guerre et parce que, surtout, l’Amérique doit avoir les mains libres dans le Pacifique face à la Chine. Dans l’ensemble que nous consacrons dans ce numéro aux effets du retour de Donald Trump à la Maison blanche, l’amiral James Foggo, président du Centre de stratégie maritime, rappelle le compte à rebours installé, dans son bureau, par l’amiral Lisa Franchetti : la cheffe d’état-major de la marine américaine est en effet bien décidée à mettre l’US Navy au rendez-vous de la grande ambition chinoise de disposer en 2027, pour le centième anniversaire de l’armée populaire de libération, d’une armée moderne prête au combat. Parce que la Marine américaine sera, de fait, aux premières loges d’une éventuelle confrontation avec la Chine et parce qu’une marine puissante sera peut-être aussi le meilleur moyen de l’éviter… Le rendez-vous n’est pourtant pas encore assuré à l’heure où la Chine poursuit la montée en force de sa marine qui, à défaut de la valoir en tonnage, aligne déjà aujourd’hui plus de bâtiments que la marine américaine. «Le président Trump, explique l’amiral Foggo (lire p. 18), abiencomprislanécessitédedisposerd'unemarine puissante et a approuvé lors de son premier mandat le projet de construction d'une flotte de 355 bâtiments. Mais pour diverses raisons,laMarinen'apasétéenmesured'atteindrecetobjectif». «Après 30 années de négligence et de culture du rendement au détriment de l'efficacité, complète Brent Sadler, chercheur principal à la Heritage foundation (lire p.26), la marine américaine et l'industrie qui la soutient se sont atrophiées à un point devenu critique.» C’est pourquoi conclut Samuel Byers , analyste au Centre de stratégie maritime (lire p.24), «une deuxième administration Trump devra se concentrer sur la reconstruction de la puissance maritime américaine». Pour chacun d’eux, les Etats-Unis doivent impérativement retrouver leur puissance navale, dans toutes ses composantes, seule garantie de la puissance, tout court. Et en France ? Les dernières décennies de dérive budgétaire commencent à produire leurs effets délétères. Alors qu’il faudrait, pour faire face aux menaces qui obscurcissent l’horizon, sont 200 milliards, soit 5 milliards par an, qui ont été dépensés ces quarante dernières années pour la Politique de la ville1 . Avec le succès que l’on sait… On serait là plus proche du déclassement que de la politique de puissance. «Depuis 40 ans, résume l’économiste Marc Touati (lire page 41), les dirigeants politiques français n’ont pas eu le courage d’assainir les finances publiques. En agissant de la sorte, ils ont affaibli la défense française.» La France a pourtant de formidables atouts : une marine océanique présente sur toutes les mers du monde, polyvalente et éminemment disponible d’abord –Le Charles de Gaulle a appareillé en novembre dernier pour une mission2 qui le mènera pendant 4 mois jusque dans l’indopacifique. Dans quelle profession (même si on parle ici de vocation) les personnels d’une entreprise acceptent-ils, de nos jours, de quitter leur famille aussi longtemps…–, une industrie de défense à la pointe des dernières technologies ensuite, comme l’explique Philippe Missoffe, délégué général du GICAN3 , pour qui «la France occupe toujours une position stratégique sur le marché mondial du naval de défense» (lire p.30), une formidable capacité d’innovation mise en œuvre notamment par l’Agence de l’innovation de défense (lire p.34), une économie maritime dynamique (lire p. 42, 46 et 48), et surtout, des hommes et des femmes au plus haut niveau dans tous les domaines du maritime jusque dans l’exploration des grands fonds dont la France a fait une priorité stratégique et où elle excelle comme le montre la formidable aventure de la société (franco-britannique) Deep Ocean Search, recueil de pépites d’excellence françaises (lire p. 60). La politique de puissance d’un pays est une question de vision et de volonté autant que de moyens. Espérons que la France, pays continental, doté du deuxième domaine maritime mondial, saura en retrouver le chemin. Par Bertrand de Lesquen Directeur de la publication © DR 1 - Source : Assemblée nationale, Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût et les résultats de la politique de la ville, n° 4140, déposée le mercredi 5 mai 2021. 2 - Clemenceau 2025. 3 - GICAN, Groupement des activités de construction et activités navales, www.gican.asso.fr 4 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 5 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 SOMMAIRE EDITORIAL 3 Bertrand de Lesquen De la politique de puissance INTERNATIONAL CHINE Francis Vallat L’Océan, la planète, la Chine et… nous ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 ÉTATS-UNIS Gérald Olivier Le monde selon Trump, épisode 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Entretien avec l’Amiral James G. Foggo «Le président Trump a compris la nécessité de disposer d'une marine puissante forte de 355 bâtiments.» . . . . . . . 18 Samuel Byers Rendre à la Marine sa grandeur . . . . . . . . . . . 22 Brent D. Sadler L’urgence d’un programme maritime américain pour 2025 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 FRANCE - DÉFENSE - INDUSTRIE 28 Entretien avec Philippe Missoffe «La France occupe toujours une position stratégique sur le marché mondial du naval de défense.» . . . . . . . . . . . 30 Entretien avec Patrick Aufort «Les 10 milliards d’euros consacrés par la France à l’innovation de défense représentent un effort considérable.» . . . . 34 Entretien avec Marc Touati «Notre dette publique nuit de facto à notre souveraineté.» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 ÉCONOMIE Nathalie Mercier-Perrin Économie de la mer, la force du collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Entretien avec Marie-Noëlle Tiné-Dyèvre «La mixité des compétences et expertises, sert le développement de notre économie maritime.» . . . . . . . . . . . . . . . 44 Entretien avec Alexandre Luczkiewicz «Fort d'une première saison particulièrement réussie, nous avons lancé une saison 2 de l’Index Blue Tech dédié aux startups du maritime.» . . . . . . . . . 46 Aurélien Duchêne GTT Strategic Ventures, investir dans un monde durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Entretien avec Myrto Tripathi «Le nucléaire est la seule énergie bas carbone capable de remplacer les énergies fossiles à l'échelle..» . . . . . . . . . . . . . 50 Entretien avec Jean-Michel Germa «D’après l’AIE, les énergies éolienne et photovoltaïque sont aujourd’hui plus compétitives que l'énergie nucléaire.» . . . 52 Frédéric Fontaine Energy Observer, l’aventure continue ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 LA CHRONIQUE DE COLOMBAN 58 Colomban Monnier Découvrir les secrets de l'Océan EXPLORATION GRANDS FONDS MARINS 60 Grand entretien avec Nicolas Vincent Deep Ocean Search, l’expertise "majuscule" des grandes profondeurs AVENTURE - INNOVATION 68 Erwan Jauffroy Voler jusqu’en Corse sans voile et sans moteur ! PORTRAIT DE PHOTOGRAPHE THOMAS GOISQUE 70 Matthieu Falcone Thomas Goisque, entre terre et mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Sylvain Tesson «La vibration antique du rapport de l’homme à la mer» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78 Arnaud de La Grange En Mer de Chine avec le «Crabe» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80 Bertrand de Miollis Des voyages extraordinaires . . . . . . . . . . . . . . 82 Philibert Humm De la glaise picarde au Commandant Birot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 LIVRES Entretien avec Maxime Blondeau «Notre conscience du territoire est en pleine mutation.» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86 LA SÉLECTION DE M&O . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 LE SAVIEZ-VOUS ? 90 Marine & Océans Décembre 2024 Photo © US Navy MARINE & OCÉANS revue trimestrielle éditée par la Société Nouvelle des Editions Marine & Océans SAS - 14, rue Beffroy, 92 200 Neuilly sur Seine Adresse courrier : 243 Bd Saint-Germain, 75007 Paris. Tel : +33 1 44 50 16 50 - Fax : +33 1 44 50 10 28 marine-oceans@orange.fr. Directeur de la publication, Président SNEMO SAS : Bertrand de Lesquen Président du Comité éditorial et de la Stratégie : Francis Vallat Président du Conseil de surveillance : Frédéric Fontaine Secrétariat de rédaction-maquette : Isabelle Le Corre Relecture des textes : CF (H) Pascal Cognet Traductions : (EV1 R) Patrick Prieur Site internet : www.marine-oceans.com Commission paritaire n° 0325 T 86639. ISSN : 2262 – 2012 Impression : Imprimerie de Compiègne. FrancisVallat L'Océan,laplanète, laChineetnous... Nathalie Mercier-Perrin Economiemaritime: laforceducollectif Trump2 MaketheNavy great again DeepOceanSearch, l'expertise"majuscule"des grandesprofondeurs DeepOceanSearch, Nathalie Mercier-Perrin FrancisVallat © DR © DR © © NATIONAL GEOGRAPHIC / FALKLAND MARITIME HERITAGE TRUST. DÉCEMBRE 2024 © U.S. NAVY 6 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 7 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 1 - Étudier l’histoire maritime de l’Antiquité à nos jours, telle a été l’ambition du projet Océanides. Mené sous la direction scientifique de Christian Buchet, Océanides a réuni 260 chercheurs, issus de 40 pays, dont le travail a permis de donner une vision nouvelle des océans, de réévaluer leur importance dans l’histoire de nos civilisations et d’éclairer notre avenir. Ce travailuniqueaétéregroupéenquatrevolumespubliésauxéditionsBoydell & Brewer. Pour en savoir plus, lire la Brève Marine n°199 - mars 2017 - du Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM). 2 - Le rapport est, peu ou prou, de 4,5 millions de tonnes pour l’US Navy contreplusde1,5millionsdetonnespourlamarinechinoise,ladifférence étant principalement faite par les porte-avions, 11 pour l’US Navy –dont le plus grand du monde, le USS Gérald Ford, 333 mètres, plus de 100 000 tonnes–, contre 3 pour la Marine chinoise. 3 - Le nom donné par les Chinois à l’université à destination de l’étranger est OceanUniversityofChina(OUC). Revenant d’un déplacement en Chine au début 2019, j'avais rappelé dans ces colonnes les chiffres colossaux du développement des flottes militaires chinoises de surface et sous-marine, en mentionnant que leur croissance vertigineuse soulevait d’inquiétantes questions. D’autant que se télescopent des opinions contradictoires, entre d’un côté la volonté chinoise affichée de ne pas renoncer au multilatéralisme ou au dialogue, et de l’autre, par exemple, la «gesticulation» militaire toujours aussi active en mer de Chine (transformation de récifs en îles artificielles équipées de ports et de pistes d’aviation), et fondée apparemment sur une analyse détachée du droit international («Cettemerestànous,elle ne s’appelle pas Mer de Chine par hasard !»). J'avais évoqué l'analyse selon laquelle cette marine militaire puissantecorrespond"légitimement",entoutcassanssurprise à l’aune de l’Histoire, à la puissance économique majeure (la deuxième du monde aujourd’hui !) qu’est devenue la Chine. Puissance dont l’une des clefs est précisément l’activité commerciale maritime, alliée à la conviction sans cesse affirmée du gouvernement chinois que la mer est aussi bien l’avenir de la terre que du pays lui-même. Avec naturellement la stratégie qui en découle dans tous les domaines : développement de la marinemarchandeetdesportsdecommercechinois,ambition et réalisation des nouvelles routes de la soie, achats de ports et de réseaux logistiques terrestres étrangers, protection militaire desgrandesroutesmaritimesindispensablesauximportations demineraisetd’hydrocarburesetauxexportationsdeproduits finis. Et finalement validation d’un constat, repris en boucle par différents observateurs : «La sécurisation des flux maritimes est vitalepourlaChineetc’estpourcetteraisonquesesforcesnavales ont commencé à se déployer, à participer aux opérations de lutte contre la piraterie, puis maintenu et accru leur présence en océan Indien». Selon cette analyse, il s’agirait d’une évolution «naturelle», conforme à la marche logique et toujours observée des grandespuissancesquellesqu’ellessoient(voirlelienconstant fait par l’étude Océanides1 entre prospérité et puissance militaire pendant cinq siècles, dont l’Angleterre au XIXème siècle, et surtout les Etats-Unis au XXème siècle, l’US Navy représentant encore en tonnage près de trois fois la flotte chinoise2 ). Et comment ne pas se référer à l’Histoire de la Chine impériale du XIème «longue marche» à caractère nettement hégémonique, en s’appuyant sur son immense poids intrinsèque, ses énormes moyens et son organisation politico-économique centralisée, armes redoutables lui promettant de devenir le leader futur d'un monde au multilatéralisme irrésistiblement déséquilibré. Une analyse confortée, il y a plus de cinq ans, par la réunion, au magnifique Centre international de conférences de Qingdao, des Chefs d’État des pays membres de la SCO (Shangai Cooperation Organization) ou encore la réception de la quasi-totalité des chefs d’État africains à Pékin, et plus récemment, en octobre dernier, par l’engagement fort du pays à la réunion de Kazan (dite des BRICS), une réunion, sur le territoire russe, dépassant largement le cadre des dits BRICS (32 pays présents, trente autres intéressés par une coopération). Certains Instituts réputés ont même parlé de l’affirmation progressive d’une sorte de club des "puissances non occidentales", voire d’une méfiance à l’égard de nos démocraties fatiguées, considérées comme indécentes et donneuses de leçons alors qu’elles sont prises en étau entre leurs valeurs fondatrices et leur remise au XVème siècles, en rappelant qu’avant de se replier sur le «Milieu», la Chine fut la plus grande nation maritime du monde (en fait jusqu’à ce que les derniers empereurs Ming ordonnent le repli). On pense aux énormes flottes chinoises, celles du fameuxamiralZhengHe,parexemple,protégeant(déjà!)lecommercedesproduitsmanufacturéschinois–porcelaine,soieries, quincailleries de fer et de cuivre– vendus dans toute l’Asie et jusqu’aux confins de l’Afrique. Les flottes allaient alors jusqu’à mille navires (il y en eut même une de trois mille !) transportant couramment de trente à cent mille hommes : équipages, soldats, ingénieurs, interprètes, embarqués sur des centaines de jonques de 140 mètres de long, des navires de tous types et même des cuirassés. Il est d’ailleurs notable que, dès l’an 1010, les Chinois avaient inventé la boussole, et conçu des navires à caissons étanches (près de neuf siècles avant l’Occident…). Et puis il y a l'autre analyse, bien différente ! Celle qui souligne que les Chinois sont maintenant systématiquement actifs dans le monde entier, qu’ils ont accordé et accordent partout de multiples financements à toutes sortes d’acteurs maritimes, dans la logistique et les ports on le sait, mais aussi dans l’océanographie, la pêche, l’aquaculture, tandis qu’ils envoient en zone polaire des brise-glaces nucléaires etc... Tout ceci prouvant à l’envi que la Chine aurait commencé une deuxième en cause sociétale (wokisme, cancel culture, anachronismes, post-vérité, incivisme, violences…). D’autres, tel l’Institut de relationsinternationaleset stratégiques(IRIS), parlent même de l’entrée «dans une phase qui durera» : celle de «l’ignorance de l’Occident», démontrée pas les distances que le «Sud global» a prises sur l’Ukraine par exemple. C’est fort de ces interrogations fondamentales que je suis revenu à Qingdao, réinvité par la grande et prestigieuse Université océanique de Chine (OUC)3 avec laquelle un dialogue remarquablement ouvert et constructif existe depuis des années, entre autres avec l’équipe de Jacques Rougerie autour du projet SeaOrbiter. Qingdao est la capitale historique maritime du pays, mais elle est aussi, et surtout, un moderne épicentre et l’un des bras armés de la volonté chinoise de faire, si possible en coopération avec le reste du monde, un spectaculaire deuxième «bond en avant» fondé sur le maritime. L’occasion était trop belle d’échanger encore, in situ, avec des responsables chinois compétents et des scientifiques éminents, appréciés personnellement au fil des années et engagés, aussi sincèrement que nous, dans la connaissance et la protection de l’Océan. En outre, il s’agissait pour moi de continuer prudemment à m’informer, à nourrir ma réflexion, si possible sans duperie ni naïveté, sur les conséquences de l’inéluctable déplacement du barycentre du monde vers l’Asie, et en particulier Pékin. Avec toujours la sauvegarde de la mer et des fonds marins dans mon viseur ! «Qingdao est au cœur du deuxième "bond en avant", fondé sur le maritime, que veut faire la Chine.» Francis Vallat Qingdao, dans la province de Shandong, troisième port à conteneurs du pays et quatrième mondial. Pilier du maritime chinois. © DR L’Océan,laplanète, laChineet…nous! © FABRICE CHORT Par Francis Vallat de l’Académie de Marine, Fondateur et président d’honneur des clusters maritimes français et européen INTERNATIONAL CHINE 8 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 9 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 4 - Source France Diplomatie – www.diplomatie.gouv.fr Au-delà des très importants aspects géopolitiques, il importe en effet de prendre la mesure d’autres facettes majeures du développement maritime chinois, certes porteuses d’un accroissement de l’influence de la Chine, mais aussi et surtout déterminantes pour l’avenir des mers et donc de la planète. Je pense, par exemple, à la récente croissance qualitative et quantitative de la flotte de navires scientifiques, dont on parle peu mais qui est tout aussi impressionnante que celle de la flotte militaire. Avec pour résultat que la Chine est devenue le numéro 1 mondial de ce secteur crucial, aussi bien en termes de nombre de navires (environ 70) que de laboratoires embarqués, avec des dizaines d’unités de même gabarit que notre Pourquoi Pas ? de l’Ifremer, mais aussi des prototypes opérationnels (apparemment destinés à être dupliqués en nombre) vraiment impressionnants. Parmi les navires de recherche océanographiques chinois, je citerais par exemple le Tansuo-1, équipé de 10 laboratoires permanents et de deux laboratoires amovibles pour étudier les sciences abyssales (biologie, écologie et géologie)4 , ainsi que d’un sous-marin embarqué, le Fendouzhe, capable d’explorer les fonds jusqu’à plus de 10000 mètres, ou encore le Zhu Hai Yun, livré en 2023, le premier navire de recherche scientifique, porte-drones, contrôlé à distance et pouvant naviguer de manière autonome en eaux libres, ce qui ouvre des perspectives encore difficiles à évaluer aujourd’hui. En notant au surplus cette particularité que beaucoup de ces navires font partie des infrastructures dont disposent les universités maritimes à l’instar du Dong Fang Hong 3 (5600 tonnes, 104 mètres de long, 600 m2 de laboratoires) rattaché à l’OUC et visité à Qingdao en compagnie de scientifiques venus de tous les continents. le qualitatif semble encore être à la hauteur de l’inimaginable quantitatif. En très résumé, l’Université océanique de Chine est une galaxie composée, entre autres, de facultés, d’une vingtaine de collèges, d’instituts de recherche, de centres d’ingénierie, d’une Académie internationale de très haut niveau et d’entitésparticulièrescommeuncentredeformationcommun avec l’Autoritéinternationaledesfondsmarins… Cet ensemble, rassemblant plus de 37000 étudiants, dont 3800 doctorants et de nombreux grands talents étrangers, constitue un fleuron parfaitement intégré à Qingdao, grosse ville moyenne de 10 millions d’habitants, capitale de la province de Shandong, jumelée avec près de 70 villes dans le monde, dont Marseille bientôt, mais surtout cité extraordinairement vivante, avec un front de mer de 40 kilomètres joliment aménagé et verdoyant, bordé aussi bien de gratte-ciels ou d’immeubles modernes à l’architecture séduisante que de maisons anciennes soigneusement entretenues. Le plus impressionnant est probablement que ce modèle d’universités maritimes, articulé sur le lien Université-Municipalité-Province, existe et se développe, apparemment avec le même dynamisme, dans bien d’autres provinces chinoises. Je n’ai pu en faire l’inventaire complet, mais je peux citer celles sur lesquelles j’ai essayé de me documenter : Hainan, Guangdong-Shenzhen-Zhongshan, Shanghai, Jiangsu-Wuxi (apparemment 4000 personnes dédiées à la seule connaissance des grands fonds marins), Zhejiang-Zoushan etc… Oui, l’engagement océanique chinois est impressionnant, voire incroyable ! A l’image de cette annonce, faite fin novembre 2024, dans le journal chinois South China Morning Post, de la capacité qu’aurait désormais le pays à poser des câbles de fibre optique à 11000 mètres de profondeur avec un engin, le Haiwei GD11000, développé notamment par l’Université maritime de Dalian. Un pas en avant incroyable tant sur le plan de la recherche que sur le plan stratégique… le record précédent des Américains, 6600 mètres, étant littéralement pulvérisé. Exploit auquel s’ajoute celui de l’Université Jiao Tong de Shanghai qui a fait plonger, en juillet 2024, le Kaituo2, un engin de 14 tonnes (pour une charge utile de plusieurs centaines de kilos), à plus de 4000 mètres, un succès et un tournant décisifs pour l’exploration, mais aussi une avancée vers l’exploitation5 , soulignant l’importance des débats en cours sur le code minier international à l’Autorité internationale des fonds marins. Autreobservation,peut-êtreinquiétanteàcertainségards:l’efficacité assez admirable de cet engagement océanique chinois s’appuie sur une volonté politique qui passe par une organisation «politico-administrative», certes plus que critiquable sur le plan de la respiration démocratique telle qu’elle est conçue «cheznous»,maisdontlacohérenceestredoutable.Apparemment, à tous les niveaux, le parti communiste veille au grain pour les démarches vers le gouvernement central (à l’amont des décisions importantes) puis pour l’application des décisions prises (à l’aval des dites décisions). Il ne s’agit là que d’une impression,maisj’aitrèsbiensenti–commelescollègueseuroLE CENTENAIRE DE L’UNIVERSITÉ OCÉANIQUE DE CHINE L’objectif concret et affiché de cette nouvelle visite en Chine était multiple. Outre échanger sur l’avenir du vaisseau SeaOrbiter auquel nos interlocuteurs scientifiques croient plus que jamais, il s’agissait de participer à la célébration solennelle du centenaire de l’Université océanique de Chine, d’intervenir dans la grande conférence internationale réunissant une cinquantaine de pays, dont le Royaume Uni (l’Ecosse était là) et des pays de l’Union européenne, représentés à un très haut niveau scientifique et travaillant à se rapprocher sur les étapes à franchir pour garantir le futur de l’Océan, avec pour unique slogan «Pas de frontières pour protéger l’Océan». Ce qui fut fait bien sûr. Pour ma part, j’ai pu dire librement et fortement mes convictions, y compris sur le moratoire conditionnel pour les grands fonds marins. L’organisation de la conférence a été formidable, aussi aimable et délicate qu’efficace, coordonnée par un monde éducatif dont la (re)découverte «cinq ans après» fut réellement impressionnante. Avec toujours les gigantesques universités, dédiées aux enjeux sous-marins et océaniques, où «La croissance de la flotte scientifique de la Chine est tout aussi impressionnante que celle de sa flotte militaire.» Francis Vallat «L'Université océanique de Chine, 37000 étudiants dont 3800 doctorants et de nombreux grands talents étrangers, est un fleuron parfaitement intégré à Qingdao.» Francis Vallat © DR © DR 5 - A l’heure actuelle la Norvège, le Canada, la Belgique, le Japon et d’autres pays, dont la Chine donc, travaillent activement cette possibilité qui rend plus actuelle la définition des contraintes de protection l’environnement. Novembre 2024, célébration solennelle du Centenaire de l’UniversitéocéaniquedeChineàQingdao. FrancisVallat lors de la conférence internationale sur l'Océan organisée à Qingdao pour le Centenaire de l'UniversitéocéaniquedeChine. INTERNATIONAL CHINE 10 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 11 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 péens avec qui j’ai échangé– la très forte attente de l’Université océanique de Chine des décisions du pouvoir central concernantlesmoyens(financiersetautres)nécessairesàlapoursuite et au développement de son action, et surtout l’optimisme et la résolution qui ont suivi l’annonce de l’arbitrage favorable, matérialisé par la lecture d’un message explicite du Président XI Jinping à l’occasion du centième anniversaire de l’Université : «Le président XI Jinping a encouragé la communauté de l'OUCàprendrelecentenairecommeunnouveaupointdedépart et à faire progresser le développement technologique. Il a exhorté l'universitéàseconcentrerdavantagesurlarechercheoriginaleet pionnièreafinderéaliserdespercéesdansledomainedelascience maritime… et à former davantage de talents exceptionnels avec un engagement fort dans le domaine maritime... Nous espérons quel'universitécontribueradavantageàfairedelaChineunpays leader en matière d'éducation et un pays maritime fort». Je crois pouvoir dire que nous avons littéralement vécu la joie et l’optimisme de tous les échelons concernés, à l’idée de disposer de moyens significativement accrus pour aller plus fort et plus vite, sans que soit exprimé aucun doute sur l’effectivité de leur mise à disposition. Le plus intriguant est que cette organisation hiérarchisée laisse apparemment, pour la mise en œuvre et l’exécution, de réelles marges de manœuvre aux professionnels compétents. Elle ne semble pas priver les responsables maritimes et scientifiques de leur liberté de choix dans leur domaine d’action ni de leur liberté d’avancer de manière réfléchie, exclusivement avec des «partenaires» –mot répété à l’envi– de premier choix. C’est dans cet esprit que nos interlocuteurs scientifiques maritimes, coordonnés par le réputé professeur Hongda Shi, et par ailleurs fervents supporters des travaux de la Fondation Jacques Rougerie6 , ont décidé depuis plusieurs années de participer à l’aventure SeaOrbiter, en s’engageant, fermement et de manière importante, au moins pendant les quatre ou cinq premières années de sa future exploitation, à une utilisation partielle de ce vaisseau destiné à devenir la première Station océanique internationale. Un pari raisonnable démontrant encore la volonté chinoise de s’associer de manière opiniâtre à toute initiative vraiment novatrice permettant de mieux connaître les écosystèmes marins. La Chine, à l’évidence, est devenue incontournable, alors que nous ne le sommes pas, ou plus. Mais surtout, j’insiste encore et encore, sur l’incroyable dimension du défi maritime que la Chine d’aujourd’hui lance effectivement au monde comme à elle-même, sur les moyens énormes qu’elle se donne –en particulier à Qingdao– pour avancer. Et ce quelles que soient les réponses que nous faisons ou que nous ferons à ses offres de service ou de coopération ! J’ajoute que, sensible aux doutes exprimés régulièrement sur lavolontéréelledelaChinedeprotégerlaplanète,scepticisme qui serait justifié par l’insuffisance de ses investissements dans l’amélioration de son mix de production énergétique (et dont UN AUTRE MONDE Surunplanplusgénéral,quelquesimpressionssontdevenues certitudes au cours de ce nouveau séjour à Qingdao : l’incroyable énergie des Chinois, perceptible lors de toutes les réunions auxquelles j’ai participé, le dynamisme méthodique et ouvert de leur approche, l’intensité de leur écoute, la volonté d’échanger sans tabou, avec à la clé beaucoup d’amabilité, de délicatesse (tout cela pouvant, certes, être dictée par la diplomatie mais…). Par ailleurs, j’ai à nouveau eu le sentiment très fort d’être vraiment dans un autre monde, plus grand, plus vivant, plus optimiste, plus…tout ! Démesuré parfois, mais sans pourtant être déshumanisé. Un monde en permanente évolution, à la fois fascinant et foisonnant, étalant une richesse étonnante (et pas seulement dans le grand et luxueux quartier international !). Un monde où la population m’a paru affairée mais aussi détendue et amicale, impression ressentie lors de joggings impromptus dans des quartiers populaires gais et colorés. Un monde qu’il serait imbécile d’ignorer ou de sous-estimer, vis-à-vis duquel la vigilance est bien sûr de mise mais duquel il est important de se faire entendre. D’autant que la Chine ne cesse d’affirmer son souhait de partage (dans le domaine de la recherche océanique en tout cas) et son souci de tout faire pour sauvegarder la planète. Rien, dès lors, ne justifierait de lui opposer un refus qui serait offensant et le moyen le plus sûr d’insulter l’avenir. Nous sommes face à un acteur mondial dont il ne faut évidemment jamais oublier le régime politique et les ambitions, mais qui objectivement «interpelle» et avec qui nous avons toutes les raisons d’accepter d’échanger s’il nous le propose… lapreuveseraitlamultiplicationdesesmines de charbon), j’ai voulu approfondir le sujet. J’ai découvert qu’au premier semestre 2024 la Chine a augmenté de 102 GW sa capacité de production d’énergie solaire (+31%) et de 26 GW sa capacité d’énergie éolienne (+12%). Au premier trimestre, elle a baissé de 80% ses autorisations pour les capacités charbonnières. En fait, tout confondu, elle a augmenté ses capacités d’énergies renouvelables «dans des proportions record» (134,5 GW !)7 . Peut-on, dès lors, raisonnablement continuer à dire, malgré la nécessité subsistante du charbon (bien plus importante que pour l’Allemagne avant le désarmement de son nucléaire), que la Chine n’est pas à l’avant-garde mondiale de l’augmentation de la production d’énergies propres ? Dans ce domaine, comme dans celui de la protection de l’Océan, il serait malhonnête de nier, et donc d’ignorer, les efforts vertueux colossaux du plus grand pays du monde. Sans angélisme aucun sur ce qui nous oppose vraiment, il serait probablement coupable de ne pas «l’accompagner» quand c’est possible, ne serait-ce que pour faire entendre notre partition dans cet élan maritime que nul ne pourra arrêter, et pour affirmer nos intérêts et le rôle que nous pouvons jouer. Ceci surtout à l’ère du retour de l’America First de Donald Trump d’un côté, et de la fragilisation d’un multilatéralisme pourtant nécessaire de l’autre ! Selon un proverbe chinois que m’a autrefois cité un Chinois de Singapour, «la France est la Chine de l’Europe et la Chine est la France de l’Asie…». Même si cela se référait plus à la cuisine, aux femmes et à la culture qu’à l’économie, et même si l’on se doit d’être avisé et précautionneux, cela vaut peut-être le coup de miser sur un dialogue vrai, «pour voir» et peut-être même pour beaucoup plus… «Nos interlocuteurs scientifiques maritimes, coordonnés par le réputé professeur Hongda Shi, ont décidé depuis plusieurs années de participer à l’aventure SeaOrbiter.» Francis Vallat «Nous devons faire entendre notre partition dans cet élan maritime de la Chine pour affirmer le rôle que nous pouvons jouer.» Francis Vallat 6 - Le nom de la Fondation Jacques Rougerie a été donné à un très beau centre de formation à Qingdao. 7 - Source GlobalEnergyMonitoretEnergyandCleanAir. L'équipeduprojetfrançaisSeaOrbiterdestinéàlamiseenœuvre de la première Station océanique internationale. De gauche à droite : Ariel Fuchs, Francis Vallat, Yan Chen, Jacques Rougerie, son initiateur, et le Professeur Hongda Shi, coordinateur de l'Université océanique de Chine pour le projet. L'architecte océanographe Jacques Rougerie, à l'initiative du projet de station océanique internationale Sea Orbiter (en arrière-plan), sur le site d'un centre de formation à Qingdao baptisé «Fondation Jacques Rougerie». © DR © DR © DR INTERNATIONAL CHINE 12 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 13 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 INTERNATIONAL ÉTATS-UNIS MaketheNavygreatagain Quelle politique étrangère va mener Donald Trump ? Avec quels alliés et quels effets pour l'Europe et pour la France ? Quelle place le 47ème président des Etats-Unis va-t-il donner à l'US Navy et plus largement au maritime lors de son second mandat ? Marine & Océans donne la parole à des spécialistes de la politique et de la défense des Etats-Unis pour qui la sécurité du pays et du monde passe nécessairement par le retour de la puissance navale américaine. Novembre 2024, océan Atlantique. Le plus grand porte-avions du monde, l'USS Gerald R. Ford (CVN 78), en formation avec les destroyers lance-missiles de la classe Arleigh Burke, USS Winston Churchill (DDG 81), USS Mitscher (DDG 57), USS Mahan (DDG 72), USS Bainbridge (DDG 96) et USS Forrest Sherman (DDG 98). © U.S. NAVY 14 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 15 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 A partir du 20 janvier prochain, les Etats-Unis seront à nouveau dirigés par Donald Trump. Comme de 2017 à 2020. Le milliardaire de l’immobilier newyorkais, devenu vedette de la télévision américaine, auteur de best-sellers internationaux, et élu président une première fois en novembre 2016, a été très largementélule5novembredernierpourunnouveaumandat. C’est la première fois depuis 1892 qu’un président des EtatsUnis est appelé à effectuer deux mandats non consécutifs. Le premier mandat de Trump fut à la fois prometteur et chaotique. Prometteur par une croissance économique globale retrouvée, et l’ébauche d’une paix au Proche Orient (les accords d’Abraham signés en août 2020). Chaotique par la méthode, Trump n’étant ni un politique, ni un diplomate, et ne s’embarrassantpasdedéférerauxrèglesprotocolairesd’usagevis-à-vis de ses pairs, dirigeants de nations économiquement et stratégiquement moindres que les Etats-Unis. Surtout son mandat futmarqué,danssadernièreannée,parl’épidémiedecovid-19, le fameux «virus chinois», qui fit des millions de morts et obligea l’économie mondiale à mettre un genou à terre. Que faut-il attendre du retour du «Donald» ? Le monde de 2025 n’est pas celui de 2020. Trump avait laissé une planète en paix. Il retrouve un monde marqué par deux conflits tragiques et contagieux : une guerre en Ukraine et un conflit relancé au Proche Orient. Il retrouve une puissance chinoise plus déterminée que jamais à réaliser son objectif avoué de réintégrer l’île deTaïwandanssongiron.IlretrouveuneEuropefragmentéeet fragilisée, par le conflit ukrainien, par ses dissonances internes, par ses tiraillements sociaux issus d’une invasion migratoire trop longtemps ignorée et par une croissance économique trop faible pour répondre aux attentes de ses populations. Il retrouve une Afrique toujours endettée et empêtrée dans ses conflits locaux, une croissance démographique incontrôlée et une pauvreté endémique. Il retrouve des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), plus ambitieux que jamais, portésparleurcroissanceéconomiqueetlaconvictionquel’heure est à un monde multipolaire et des puissances régionales. UKRAINE, «LA PAIX EN 24 HEURES Pour savoir à quoi s’attendre, voici un tour d’horizon des priorités de la nouvelle administration Trump, en matière de relations internationales. Le premier dossier auquel s’attellera Donald Trump est la guerre en Ukraine. Il a promis de «faire la paix en 24 heures». Il n’y parviendra pas. Ce qu’il obtiendra pour s’opposer aux désidératas de Washington. Après trois ans de guerre, il a aussi compris que l’Ukraine ne peut pas gagner militairement. Quant à Vladimir Poutine, Trump entend le convaincre en lui faisant comprendre qu’un refus de négocier exposerait son pays à des sanctions accrues et à l’étranglement de son économie. Actuellement, la Russie consacre 30% de son budget à la défense, c’est-à-dire à la guerre en Ukraine. Un niveau ahurissant et intenable… Trump ne forcera pas Poutine à négocier, il lui offrira l’occasion d’éviter l’effondrement de son économie, et de sortir vainqueur, au moins aux yeux du peuple russe. PACIFIER LE PROCHE ORIENT Le deuxième dossier prioritaire sera le Proche Orient. C’est un dossier complexe qui inclut la recherche d’une paix à Gaza et au Liban ainsi que d’une solution à la question palestinienne. C’est un dossier qui demande de pratiquer «le billard diplomatique à trois bandes» à savoir, s’adresser aussi à la principale puissance régionale déstabilisatrice, l’Iran. L’urgence sera la libération des otages toujours détenus par le Hamas, près d’une centaine, capturés lors du pogrom du 7 octobre 2023, dont sept de nationalité américaine. Dans un message publié début décembre sur Truth Social, son réseau social, Donald Trump a exigé leur libération «avant mon investiture». Promettant qu’en cas contraire «les responsables de ces atrocités paieront unprixd’enfer.»Danslemêmetemps,DonaldTrumpanommé Mike Huckabee, ancien gouverneur de l’Arkansas et chrétien fondamentaliste, ambassadeur à Jérusalem. Huckabee a effecpeut-être en 24 heures est un cesser le feu et l’ouverture de négociations. Cela fera, au moins, taire les armes et laissera la place au dialogue. Il ne faut jamais prendre les propos de Donald Trump au pied de la lettre. Chez lui, l’excès et l’hyperbole servent à capter l’attention de ses interlocuteurs. «Faire la paix en 24 heures» cela signifie trois choses : un, que c’est un engagement sérieux de sa part ; deux, que la paix est possible ; trois, qu’il a un plan ! Ce plan a été détaillé durant la campagne électorale américaine. Il passe par le gel des positions sur le terrain et des concessions territoriales de la part de l’Ukraine en échange de garantie de sécurités apportées par les Etats-Unis et l’Europe. La Crimée restera russe (elle l’était jusqu’en 1954). Une partie du Donbass deviendra province autonome, voire sera rattachée à la Russie. Une zone démilitarisée sera créée aux frontières nord et est de l’Ukraine pour prévenir toute nouvelle invasion russe. Une adhésion à l’Otan sera repoussée de vingt ans au moins, au profit d’une neutralité temporaire. Un processus d’adhésion à l’Union européenne pourra être engagée et les Etats-Unis et l’Europe financeront la reconstruction du pays. Ce sont les grandes lignes du futur traité de paix. Elles pourront évoluer et les détails viendront plus tard. C’est le général Keith Kellog, ancien conseiller à la sécurité nationale qui a été nommé émissaire spécial en Ukraine et en Russie pour gérer ce dossier. Sa mission sera d’amener les deux camps à la table des négociations. Volodymyr Zelenski, le président ukrainien, ne pourra pas refuser. Il dépend trop de l’aide américaine tué de nombreux séjours en Israël et par sa foi protestante, partage de nombreuses affinités avec le peuple juif. Trump a aussi nommé un émissaire spécial au Proche Orient en la personne de Steven Witkoff. Witkoff n’est pas un diplomate, mais un magnat de l’immobilier. En revanche il est juif, connaît très bien Israël et Benjamin Netanyahu, le Premier ministre. L’intention de Donald Trump est de laisser Netanyahu «finir le travail», c’est-à-dire venir à bout du Hamas et du Hezbollah. Au contraire de l’administration Biden, qui a freiné l’action des forces de défense israéliennes en ralentissant l’acheminement d’armes et de munitions, Donald Trump donnera à Israël tous les moyens nécessaires pour éliminer totalement les foyers terroristes de la région. Dans le même temps, Donald Trump ouvrira une ligne de communication avec Téhéran pour leur faire cesser tout assistance au Hamas et au Hezbollah, ainsi que pour convaincre le régime d’abandonner son projet d’acquisition de l’arme nucléaire. Trump aspire à pacifier le Proche Orient. Pas à une confrontationouverteavecl’Iran.Maisilestprêtàutiliserlamenaced’une confrontationpourimposerunchangementdecomportement de ses adversaires. Il n’a pas non plus l’intention de renverser le régimeislamiquedeTéhéran.Ilatropdénoncélescoupstordus de la CIA par le passé pour se lancer dans un tel aventurisme. En revanche, il entend remettre les diables de Téhéran dans leur boite. En mai 2018, Donald Trump avait claqué la porte du «JCPOA - Joint Comprehensive Plan of Action», un accord sur le nucléaire iranien conclu entre l’administration Obama, l’Iran et les Européens. Cet accord était pour lui la porte ouverte à *Journalistefranco-américain,auteurdenombreuxouvragessurl'Amérique dont Sur la route de la Maison Blanche (Editions Jean Picollec) et CoverUp,leclanBiden,l'Amériqueetl'Etatprofond (Editions Konfident). LemondeselonTrump, épisode2 © DR Par Gérald Olivier* «Le monde de 2025 n’est pas celui de 2020. Trump avait laissé une planète en paix. Il retrouve un monde marqué par deux conflits tragiques et contagieux.» Gérald Olivier © PUBLIC DOMAIN SOURCED / ACCESS RIGHTS FROM TED SMALL / ALAMY STOCK PHOTO Novembre 2018. Le Président Donald J. Trump en communication avec des personnels des armées depuis sa résidence de Mar-a-Lago, parfois présentée comme la «Maison blanche d'hiver», à Palm Beach, en Floride. INTERNATIONAL ÉTATS-UNIS 16 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 17 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 l’acquisition d’une bombe atomique par l’Iran, éventualité qu’il rejette catégoriquement. Donald Trump va réitérer sa position à l’égard du régime de Téhéran. Il va l’étayer de sanctions économiquesrenforcéesetyajouterdesmenacesprécises,àsavoir des actions ciblées contre les personnalités du régime, comme ce fut le cas en 2020 contre le général Soleimani. Dans le même temps, il fera miroiter la possibilité d’une levée de toutes les sanctions et la réintégration de l’Iran dans l’économie régionalesilerégimerenoncedéfinitivementàdéstabiliserlarégion comme il le fait depuis son avènement en 1979. DES COLLABORATEURS LOYAUX Pour mener à bien cette politique, Donald Trump s’est entouré de collaborateurs loyaux, dont la plupart partagent sa vision d’une «paix par la force» (peacethrustrength), un slogan vieux comme le monde, remis au goût du jour par Ronald Reagan à la conclusion de la guerre froide. Le secrétaire d’État désigné (Ndlr, le ministre des affaires étrangères) est Marco Rubio, sénateur de Floride, ancien candidat à la présidence chez les Républicains, américain d’origine cubaine, anti-communiste pur jus et un partisan d’une Amérique forte. Il pourrait tourner son regard vers l’Amérique latine, notamment le Venezuela, ruiné par l’expérience chaviste. Au Pentagone, le département de la Défense, Trump a nommé Peter Hegseth, un ancien Marine de 44 ans, dont la mission sera de faire le ménage à l’intérieur de l’armée pour en éliminer le «wokisme» que les administrations Obama et Biden ont laissé s’infiltrer. Hegseth arrive sans expérience à un tel poste, ce qui indique que Donald Trump entend exercer tout seul le rôle de commandant en chef des armées, que la Constitution lui réserve. Comme conseiller à la sécurité nationale, Trump a désigné Mike Waltz, ancien élu de Floride qui s’est fait un nom au Congrès par son intransigeance vis-àvis de la Chine. Ce choix est une claire indication des priorités du président et de son attitude face au grand rival chinois dans ce que certains appellent déjà une «nouvelle guerre froide». A la CIA, Trump a désigné John Ratcliffe, déjà en charge du renseignement durant son premier mandat. Ratcliffe est un homme d’expérience et de bon sens, dévoué à la cause d’America First. A la direction du renseignement, Donald Trump a nommé Tulsi Gabbard, une ancienne de la Garde nationale de 43 ans, transfuge du parti démocrate, représentante de Hawaï et candidate démocrate à la Maison Blanche en 2020. Gabbard est une «non-interventionniste» qui a vigoureusement critiqué l’engagement des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan. Comme Trump. Elle s’est aussi ouvertement opposée au «complexe militaro-industriel» et au lobby des «faucons» à Washington. Comme ambassadeur à l’Onu, Donald Trump a choisi Elise Stefanik, une jeune représentante de New York, passée par l’université d’Harvard, totalement acquise à la cause America First. Sa mission sera de rappeler aux tenants d’un gouvernement mondial qu’il faut avoir les moyens de ses propos si on veut s’asseoir à la table des grands… En clair les Etats-Unis entendent être respectés au sein de cette enceinte dont ils financent à eux seul un quart du budget. Enfin notons que l’outil diplomatique le plus apprécié par Donald Trump, après les tarifs douaniers, est l’imprévisibilité. Maintenir son interlocuteur dans l’incertitude quant à la nature du prochain coup que l’on jouera, est essentiel pour l’inciter à la prudence. C’est un principe reconnu de «l’art de la négociation», où Trump estime exceller. La politique étrangère de l’administration «Trump 2.0» réservera inévitablement des surprises. CHINE, UN COMBAT SUR LE LONG TERME Au-delà de ces deux questions qui devront être résolues rapidement, Trump s’engagera face à la Chine dans un combat sur le long terme. La Chine communiste de Pékin est le rival principal des Etats-Unis pour l’hégémonie globale. Un rival particulier, car en dépit d’une opposition d’idéologies et de systèmes, –capitalisme contre communisme, démocratie contre autoritarisme– les deux pays sont étroitement imbriqués sur le plan commercial. La Chine est le troisième partenaire des EtatsUnis, après le Canada et le Mexique. Sans Pékin les rayons des grandes surfaces américaines, les Walmart et autres Target, seraient sinon vides, du moins achalandés de produits beaucoup plus couteux. Le déficit commercial américain avec la Chine est de presque 400 milliards de dollars par an. Un gouffre. Les Etats-Unis exportent pour moins de 200 milliards et importent pour près de 600 milliards. Dans un premier temps, Donald Trump s’attachera à résorber ce déficit par la mise en place de tarifs douaniers. Il l’a dit et répété : le mot «tarif» est pour lui «le plus joli mot du dictionnaire». L’objectif est triple : faire entrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, protéger les industries américaines contre une concurrence déloyale, et inciter les autorités de Pékin à équilibrer les termes des échanges. Car au-delà du déficit, les relations commerciales entre les deux pays sont marquées par des inégalités que Trump entend corriger : respect de la propriété intellectuelle, fin des transferts de technologie, ouverture du marché chinois, etc. Il y a beaucoup à faire. Sur ce dossier Trump bénéficiera de l’appui du Congrès. Toute la classe politique américaine est unie par une hostilité au comportement chinois, à l’exception sans doute des membres de la famille Biden, Joe inclus. Sur la question de Taïwan, les Américains sont divisés. Les foudres de guerre («faucons») veulent un engagement ferme à protéger l’île. Les autres, dont Donald Trump, sont favorables à une simple assistance militaire. Trump invitera les dirigeants taïwanais à renforcer leur défense via l’achat de matériel américain. L’idée de doter Taïwan d’un dôme anti-missile identique àcelui dont bénéficie Israël, est une possibilité. Dans le même temps, Trump cherchera aussi à protéger l’industrie des semi-conducteurs américains face à la mainmise des Taiwanais sur ce secteur. Plus que la question d’une chine réunifiée, c’est la perspective de voir tomber l’industrie des «puces» taiwanaises, qui représente 60% du marché mondial, sous le contrôle de Pékin qui sera de nature à inciter les Etats-Unis à intervenir pour bloquer tout réunification. EUROPE, MÉFIANCE ET EXIGENCE Vis-à-vis de l’Europe, Donald Trump tiendra vraisemblablement un langage comparable, à savoir les Etats-Unis continueront à vous défendre à condition que vous en fassiez plus pour assurer votre propre protection et que vous sachiez témoigner votre gratitude envers l’Amérique. Donald Trump considère que les Européens sont des alliés ingrats, voire empreints de duplicité. Lors de son premier mandat, il s’en était pris ouvertement à l’Allemagne d’Angela Merkel en soulignant que les Etats-Unis protégeaient le pays contre la Russie, dans le cadre de l’Otan, mais que les Allemands se fournissaient en énergie, et notamment en gaz naturel, auprès de la Russie, l’ennemi potentiel contre lequel les Etats-Unis était supposé les protéger. Alors que les Etats-Unis sont eux même producteurs et exportateurs de gaz naturel… Il y avait là un paradoxe, voire un abus qui ne passait pas. Sans parler des risques stratégiques d’une telle dépendance vis-à-vis de Moscou. Sa vision n’a pas changé. Et les événements ont montré qu’il avait vu juste… Donald Trump va donc plus que jamais conditionner l’aide militaire américaine à l’achat de matériel militaire américain et à une meilleure coopération économique, notamment en matière d’énergie. Pour ce dernier point l’Europe et en particulier l’Allemagne auront tout à y gagner. La menace d'une sortie de l'Otan a déjà été brandie même si son exécution ne semble pas réaliste. L’Otan, pour Donald Trump, est une monnaie d’échange, un bargaining chip comme disent les Américains. Au nom de la poursuite du leadership américain dans cette organisation, Donald Trump entend obtenir des baisses de tarifs sur les exportations américaines en Europe. Il entend négocier pays par pays. Il peut aussi demander aux pays européens de s’aligner sur les Etats-Unis dans une approche moins conciliante avec la Chine. Donald Trump n’aime pas l’Union européenne. Ses dirigeants sont pour lui des bureaucrates non élus qui passent l’essentiel de leur temps à concocter des réglementations qui sont autant de freins aux activités économiques et à la croissance. Il cherchera à ouvrir le marché européen aux produits américains, en brandissant la menace de tarifs douaniers sur les exportations européennes aux EtatsUnis. Il est plus que probable qu’en matière de communications digitales, Donald Trump, soutenu par Elon Musk (X), Mark Zuckeberg (Facebook) et même désormais Jeff Bezos (Amazon), s’oppose aux limites et contrôles que Bruxelles souhaiterait introduire dans ce secteur. «La menace d'une sortie de l'Otan a déjà été brandie même si son exécution ne semble pas réaliste.» Gérald Olivier «L’outil diplomatique le plus apprécié par Donald Trump, après les tarifs douaniers, est l’imprévisibilité. La politique étrangère de l’administration «Trump 2.0» réservera inévitablement des surprises.» Gérald Olivier Décembre 2018. Visioconférence le jour de Noël, depuis le bureau ovale, avec des militaires stationnés dans différents endroits du monde pour les remercier de leur service à la nation. «Donald Trump entend exercer tout seul le rôle de commandant en chef des armées, que la Constitution lui réserve.» Gérald Olivier © PUBLIC DOMAIN SOURCED / ACCESS RIGHTS FROM 2020 IMAGES / ALAMY STOCK PHOTO INTERNATIONAL ÉTATS-UNIS 18 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 19 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 INTERNATIONAL ÉTATS-UNIS Quel sera la place de la mer et celle de la Navy dans la politique étrangère du nouveau président ? L'Amérique est une nation insulaire. Les pères fondateurs de la Constitution américaine ont codifié la nécessité de «maintenir» une marine et de «lever» une armée de terre pour répondre aux besoins de sécurité de la nation. Au cours de son premier mandat, le président Trump a bien compris la nécessité de disposer d'une marine puissante et a approuvé le projet de construction d'une flotte de 355 bâtiments. Mais pour diverses raisons, notamment l'impact à long terme du Covid, la hausse de l'inflation, les pénuries sur le marché du travail et les problèmes liés à la chaîne d'approvisionnement, la Marine Bien que le nombre de bâtiments de la Marine américaine ait été ramené à 300, chaque jour l’Amérique dispose toujours d’environ 100 navires de guerre en mer. Ce qui n’a d’ailleurs pas été sans poser de problèmes quant à la disponibilité opérationnelle et à la modernisation de la force, en raison des déploiements plus longs et de la pression exercée sur nos chantiers navals pour qu'ils travaillent davantage et avec des ressources limitées. Par exemple, au moins deux des déploiements du groupe aéronaval au Moyen-Orient (USS Gerald R. Ford et USS Dwight D. Eisenhower) ont vu leur mission prolongée de sept à neuf mois en mer ! On peut donc se demander si les déploiements plus longs ont eu un impact sur les performances de nos navires en mer ou sur la fidélisation de nos marins. En ce qui concerne les performances, les capacités de combat de nos navires déployés en mer Rouge restent sans équivalent. Nous avons maintenu une présence continue dans la région peu après l'attaque du Hamas contre Israël. Les destroyers de la Marine américaine ont abattu des centaines de missiles balistiques ou de croisière et de drones dirigés contre des navires marchands ou des navires de guerre et contre l'État d'Israël. Je suis toutefois préoccupé par le fait que, si les performances tactiques de nos navires ont été tout simplement superbes, la stratégie de l'administration actuelle en Mer Rouge a échoué. Je parle là d’un échec politique et NON militaire, résultat de notre réticence à frapper durement à la source du problème. L’accès au détroit de Bab-el-Mandeb vers le canal de Suez est très risqué Quelles seront, selon vous, les priorités stratégiques de Donald Trump ? Je suis convaincu que le président élu Trump s'attachera à rendre l'Amérique plus forte, tant sur le plan économique que sur le plan militaire. Le monde compte sur le dollar américain en tant que monnaie stable. Or, il n'y a pas de stabilité économiquesanssécuriténationalepourgarantirquelesinstitutions gouvernementales, les banques et les frontières –terrestres et maritimes– restent sûres. En près de 44 ans de service, je n'ai jamais vu autant de menaces se profiler pour l'Amérique et ses alliés. Cela dit, les dépenses militaires américaines ont atteint le niveau record de 1000 milliards de dollars, contribuant ainsi à la dette nationale des États-Unis, qui représente une menace importante en soi. Les dépenses doivent être maîtrisées, et les Américains peuvent donc s'attendre à des coupes discrétionnaires dans les dépenses intérieures, voire à une diminution de certaines opérations extérieures, en particulier dans la région indopacifique. Les alliés et les partenaires devront faire davantage. Ce n'est pas une surprise puisqu’au cours de son premier mandat, le président Trump a fait pression sur les alliés de l'OTAN pour qu'ils respectent leur engagement de 2% vis-à-vis de l'Alliance. Cela a eu un effet positif sur les contributions des alliés et sur la capacité de l'OTAN à investir dans l'avenir. Le secrétaire général Jens Stoltenberg a défendu les membres de l'Alliance qui ont atteint les 2% et a encouragé les autres à suivre. Je présume que le président Trump remettra sur le tapis la question du partage du fardeau en 2025, mais cette fois, la contribution de 2% du PIB ne sera qu'un plancher. Les pays seront encouragés à faire plus encore sous la prochaine administration Trump. Comme nous venons de l’apprendre, en réponse à la menace de droits de douane, la Chine a restreint les exportations de gallium, de germanium et d'antimoine, autant de matériaux à usage dual, civil et militaire. Par conséquent, je suppose que l'un des objectifs de la prochaine administration Trump sera de reconstruire et de fortifier la base industrielle américaine, en limitant la dépendance des États-Unis aux influences extérieures dans le secteur manufacturier, en mettant l’accent sur la construction navale. Dans quel état se trouve l'US Navy à l’ouverture du second mandat de Donald Trump ? La Marine américaine remplit parfaitement sa mission de projection de puissance. Au cours de l'année écoulée, quatre groupes aéronavals ont été déployés en Méditerranée orientale ou au Moyen-Orient en réponse à la guerre entre Israël et le Hamas et au conflit prolongé entre l'Axe de la résistance (Hamas, Hezbollah, Houthis, Iran) et les alliés occidentaux en mer Rouge et dans le Moyen-Orient au sens large. En outre, deux des groupes aéronavals ont été rapidement redéployés du Pacifique vers le Moyen-Orient, soulignant ainsi la capacité exceptionnelle de la Marine à réagir rapidement en cas de crise. On a coutume de dire qu'en cas de crise affectant la sécurité nationale des États-Unis ou nos intérêts quelque part dans le monde, la première question que pose un président américain est : «Où sont les porte-avions ?» n'a pas été en mesure d'atteindre cet objectif. Quatre ans après son dernier passage dans le bureau ovale, le président Trump voudra probablement savoir pourquoi la marine n'a pas atteint cet objectif. Et il découvrira, à mon avis, comme beaucoup d'autres que moi l'ont écrit, que la base industrielle de l'Amérique a été externalisée au cours des quarante dernières années, pendant la période d'aspiration à la «mondialisation». © U.S. NAVY «Le président Trump a compris la nécessité de disposer d'une marine puissante forte de 355 bâtiments.» © DR Propos recueillis par Bertrand de Lesquen Entretien avec l’Amiral James G. Foggo, Président du Centre de stratégie maritime* * L’amiral (2S) James G. Foggo a commandé le SNA USS Oklahoma City, l'escadron de sous-marins 6 à Norfolk, en Virginie, le groupe de sous-marins 8, les sous-marins alliés du Sud, la 6e flotte des États-Unis, les forces de frappe et de soutien alliées de l'OTAN, les forces navales en Europe, les forces navales en Afrique et le commandement des forces interarmées alliées (OTAN), tous basés à Naples, en Italie. Diplômé de l'Académie navale des États-Unis (1981), il est titulaire d’un master en administration publique de l'université de Harvard et d’un diplôme d'études approfondies en défense et études stratégiques de l'université de Strasbourg. Parlant couramment français, l’amiral Foggo est notamment membre de l’Académie américaine de diplomatie. En savoir + : Le site du Centre de stratégie maritime: https://centerformaritimestrategy.org/ et de la Navy League : https://www.navyleague.org/ «Bien que le nombre de bâtiments de la Marine américaine ait été ramené à 300, chaque jour l’Amérique dispose toujours d’environ 100 navires de guerre en mer.» Amiral James G. Foggo Novembre 2024. L’USS Minnesota (SSN 783), sous-marin nucléaire d'attaque de la classe Virginia, arrive à la base navale américaine de Guam. Premier SNA de cette classe à y être déployé, il rejoint les quatre SNA de la classe Los Angeles déjà positionnés dans le Pacifique. 20 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 21 MARINE & OCEANS - DECEMBRE 2024 INTERNATIONAL ÉTATS-UNIS De mon point de vue, le CNO a identifié un ensemble pertinent d'objectifs, mais leur réalisation demandera du temps, de la persévérance et énormément de ressources. La bonne nouvelle est que le premier secrétaire nommé par le président élu Trump a été le futur secrétaire à la marine, M. John Phelan. Ce dernier est par ailleurs un homme d'affaires aguerri. En ce sens, son expertise sera bien utile au Pentagone pour assister la Marine dans la réalisation des sept objectifs énoncés précédemment. L'amiral Lisa Franchetti a appelé à ce que la Navy soit pleinement opérationnelle à l'horizon 2027 dans la perspective d'une possible confrontation avec la Chine. Cependant, de nombreux observateurs considèrent que la Marine, et plus largement l'armée américaine, est surclassée par la détermination et la rapidité de Pékin à développer sa marine et son armée. Qu'en pensez-vous ? La stratégie de l'amiral Lisa Franchetti pour relever les défis de la région indopacifique est solide. Invitée principale, début décembre 2024, de la conférence annuelle de mon Think tank le Centre de Stratégie maritime, elle a confié avoir installé dans son bureau un calendrier décomptant précisément les jours jusqu’au 1er janvier 2027, date à laquelle le président chinois Xi a ordonné à l’Armée populaire de libération et à la marine d’être prêtes à la guerre. Le NAVPLAN 2024 vise à relever le niveau de préparation de notre flotte et à disposer de davantage de «joueurs» (Ndlr, de soldats) préparés sur le terrain…, de plateformes opérationnelles avec les capacités, les armes et le soutien requis, et de personnes ayant l’état d’esprit, les compétences, les outils et la formation appropriés. Le CNO entend y parvenir en activant les secteurs clés que nous devons faire progresser d'ici à 2027, comme la capacité à atteindre un niveau de préparation au combat de 80% , l'intéaufaitdescapacitésmilitairesdesÉtats-UnisetdelaChine,tout conflit entre ces deux puissances serait dévastateur pour le monde et l'économie mondiale. Je ne pense pas que la guerre soit inévitable. Cependant, pour éviter une confrontation avec la Chine, l'Amérique et ses alliés doivent rester forts dans tous les aspects de la puissance diplomatique, informationnelle, militaire ou économique (DIME). En outre, le dialogue doit se poursuivre entre dirigeants chinois et américains. Le président Joe Biden a eu plus de temps de contact avec le président Xi quen’importequelautreprésident,depuisqu’ilsonttousdeux été vice-président et vice-premier ministre avant d'assumer les plus hautes responsabilités dans leurs pays respectifs. La règle est claire : il faut poursuivre le dialogue ! Comment analysez-vous la relation franco-américaine, tant nationale que navale, et à quoi pourrait-elle ressembler sous le mandat de Donald Trump ? La relationfranco-américaine,nationaleetnavale,estextrêmement forte de mon point de vue. Le président Macron a entretenu de bonnes relations avec le président Joe Biden. Même si le président élu Trump et le président Macron ne sont pas d'accord sur tout, ils ont une histoire commune et je crois que chacun comprend l'autre. En outre, dans un geste de bonne volonté, le président Macron a invité le président élu Trump à assister à la cérémonie d'ouverture officielle de la cathédrale Notre-Dame. Une démarche très habile de la part du président de la République. Un peu de diplomatie ne saurait faire de tort à personne ! Côté Marine, nos relations ne pourraient pas être meilleures.Jesuisfrancophone,j'aifaitmesétudesàl'université Robert Schuman de Strasbourg et je parle le français. Au cours demacarrière,j'aipucomptersurlacollaborationdenombreux officiers de marine français de renom dans le cadre d'opérations et d'exercices réels impliquant nos deux marines. Je citerai parmi eux le contre-amiral Cédric Chetaille, le vice-amiral d'escadreChristianCanova,levice-amirald'escadreEricChaperon, le vice-amiral d'escadre Yves Joly, le vice-amiral d'escadre Charles Henri Du Che, et l'amiral Christophe Prazuck. J'ai par ailleurs rencontré l'amiral Pierre Vandier, l'actuel responsable du Commandement Suprême Allié Transformation (SAC-T) à Norfolk, en Virginie, que je considère comme l'un des meilleurs stratèges qu'il m'ait été donné de rencontrer. J'ai eu l'occasion de remettre au vice-amiral Chaperon une citation tardive de l'USNavypoursondéploiementavecleporte-avionsCharlesde Gaulle, lors d'une mission dans le Golfe Arabique, alors même que pas un porte-avions américain n'était présent. En outre, lors des frappes contre ISIS depuis la Méditerranée orientale, le vice-amiral Charles Henri Du Che et moi-même avons assuré à tour de rôle la défense collective du porte-avions français ou des porte-avions américains en Méditerranée orientale. En définitive,jepensequeleplusgrandavantagequenousayonsen Occident,cesontnosamisetnosalliés.Nousdevonscontinuer à travailler ensemble dans ce but et, soyez-en sûr, la relation entrelesmarinesfrançaiseetaméricaineestunparfaitexemple de cette coopération. pour les navires marchands et de nombreuses grandes compagnies maritimes, comme Maersk, choisissent de passer par le cap de Bonne-Espérance, augmentant ainsi le temps de traversée et le coût en carburant, qui est ensuite répercuté sur le consommateur. Pendant ce temps, les Houthis ont acquis une certaine notoriété et continuent de servir les intérêts de la République islamique d'Iran. Bien qu'il y ait de nombreuses priorités concurrentes, je suis convaincu que la mise hors d'état de nuire de l'Axe de la Résistance figurera en bonne place sur l'agenda de la future administration Trump. QuellessontlesambitionsdelaMarineaméricaineetquels sont les principaux programmes prioritaires engagés ? L'amiral Lisa Franchetti, chef d'État-major de la Marine (Chief of Naval Operations - CNO), a récemment dévoilé son Plan de Navigation 20241 , qui met l'accent sur le soutien aux combattants, à la conduite des opérations de guerre et à la fondation2 qui les soutient. Le CNO a par ailleurs annoncé un plan en sept objectifs fondamentaux pour la préparation de la flotte dans le cadre du Projet 33, en référence au fait que Franchetti soit le 33e CNO. Ces objectifs sont les suivants : – Préparer la force en mettant fin aux retards dans la maintenance des navires, des sous-marins et des aéronefs. – Développer les systèmes robotiques et autonomes et les intégrer rapidement au plus grand nombre de platesformes. – Créer les centres de commandement dont nos flottes ont besoin pour gagner sur un champ de bataille dispersé – Recruter et fidéliser selon les besoins pour disposer de davantage de soldats sur le terrain. – Offrir une qualité de service à la hauteur des sacrifices consentis par nos marins. – S'entrainer sur le terrain et virtuellement pour être préparé aux différentes formes de combat que nous prévoyons. – Restaurer l'infrastructure essentielle au soutien et à la projection du combat depuis la côte. gration opérationnelle des systèmes robotiques et autonomes ou encore la restauration des infrastructures vitales pour optimiser la capacité de la Marine à atténuer le risque de conflit dans la région indopacifique. Les responsables des forces navales de la région indopacifique expliquent souvent que leur objectif est de faire en sorte que lorsqu'il se réveille chaque jour et qu'il examine une carte de la région indopacifique, le président Xi Jing Ping se dise : «Non, le jour n'est pas encore venu...». La mise en œuvre de NAVPLAN 2024 et du Projet 33 contribuera à la réalisation de cet objectif. CetteconfrontationentrelesEtats-UnisetlaChinesemble déjà programmée... Peut-on l'éviter ? Cette question me rappelle l'un de mes anciens professeurs, le Dr Graham Allison, de la John F. Kennedy School of Government de l'université de Harvard. Dans son livre intitulé «Destiné à la guerre : les États-Unis et la Chine peuvent-ils éviter le piège de Thucydide», Graham Allison a popularisé cette théorie. Le piège de Thucydide survient lorsqu'une puissance émergente défie une puissance hégémonique existante, conduisant à une guerre inéluctable. Dans le livre d'Allison, les deux belligérants sont les États-Unis et la Chine. Pour la plupart des observateurs «Les alliés et les partenaires des Etats-Unis vont devoir faire davantage.» Amiral James G. Foggo «En cas de crise affectant la sécurité nationale des États-Unis ou nos intérêts quelque part dans le monde, la première question que pose un président américain est : "Où sont les porte-avions ?"» Amiral James G. Foggo 1 - Ce plan est axé sur deux objectifs stratégiques : l'état de préparation à un conflit avec la République populaire de Chine d'ici 2027 et le renforcement de l'avantage à long terme. Il vise à atteindre ces objectifs par deux moyens principaux : la mise en œuvre de sept objectifs du «Projet 33» (lire ci-dessus) et l'expansion de l'écosystème de la conduite de la guerre. Source US Navy. 2 - «L'amiral Lisa Franchetti désigne à travers ce terme l'ensemble des infrastructures et des acteurs nécessaires au soutien de la Marine en opération. Cela comprend donc les bases aux États-Unis ou à l'étranger, les chantiers navals pour la maintenance, la logistique... sans oublier, bien sûr, les familles qui tiennent les foyers lorsque les marins sont en mer. Cette métaphore évoque les fondations d'un bâtiment ou d'une maison. On ne peut pas, en effet, faire fonctionner une flotte sans une base solide.» Amiral (2S) James Foggo. © U.S. NAVY Octobre 2024. Le porte-avions de la classe Nimitz USS Harry S. Truman (CVN 75) lors d'un ravitaillement à la mer avec le navire de soutien USNS Arctic (T-AOE 8).
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