ART PRESS n°528 - Page 8 - 528 JANVIER 2025 Mensuel bilingue paraissant le 25 de chaque mois Is published monthly 8, rue François-Villon, 75015 Paris Tél (33) 1 53 68 65 65 (de 9h30 à 13h) www.artpress.com * e-mail: initiale du prénom.nom@artpress.fr Comité de direction: Catherine Francblin, Guy Georges Daniel Gervis, Jacques Henric, Jean-Pierre de Kerraoul Catherine Millet, Myriam Salomon SARL artpress: Siège social 1, rue Robert Bichet 59440 Avesnes-sur-Helpe Gérant-directeur de la publication: J.-P. de Kerraoul* Directrice de la rédaction: Catherine Millet* Rédacteur en chef adjoint: Étienne Hatt* Conseiller: Myriam Salomon* Coordinatrice éditoriale et digital manager: Aurélie Cavanna* Assistante de direction: Mariia Rybalchenko* Système graphique: Roger Tallon (†2011) Maquette/système graphique: Magdalena Recordon, Frédéric Rey Traduction: Sauf mention contraire, Léon Marmor avec l’assistance de DeepL Collaborations: C.Catsaros, C.Le Gac (architecture) J.Henric, Ph.Forest (littérature), J.Aumont F.Lauterjung, J.-J.Manzanera, D.Païni (cinéma) A.Bureaud, D.Moulon (nouvelles techs), J.Bécourt J.Caux, M.Donnadieu, L.Goumarre, C.Kihm F.Macherez, L.Perez Correspondances: Bordeaux: D.Arnaudet Marseille: R. Mathieu, Rennes: J.-M.Huitorel Barcelone: A.Le Génissel, Berlin: T.de Ruyter Bruxelles: B.Marcelis, Hong Kong: C.Ha Thuc New York: E.Heartney, F.Joseph-Lowery, R.Storr Publicité/Advertising: Katia Mesbah /publicite@artpress.fr (33) 1 53 68 65 82 Agenda: Christel Brunet* Diffusion/Partenariats: Camille Chatelain* (33) 1 53 68 65 78 Abonnements/Subscriptions orders: (33) 3 27 61 30 82 (Alice Langella) serviceabonnements@artpress.fr France métropolitaine 73€/Autres pays 89€ Impression: Rotimpres (Espagne) Origine papier: Couché demi-mat 90gr UPM star Silk pâte mécanique: Finlande Contact distribution: Cauris Media (01 40 47 65 91) Dépôt légal du 4e trimestre 2024 CPPAP 0429K84708 ISSN 0245-5676 (imprimé) - ISSN 2777-2306 (en ligne) RCS Valenciennes 318 025 715 Couv.: Benoît Piéron. Cairn (détail). 2024. Vue de l’exposition Étoiles ou Tempêtes, Magasin CNAC, Grenoble, 2024. (© Magasin CNAC; Court. l’artiste et Sultana, Paris; Ph. Grégory Copitet) © ADAGP, Paris, 2024-25, pour les œuvres de ses membres 528 ÉDITO 5 S’engager à s’engager Committing to Commitment Étienne Hatt INTRODUCING 6 Boris Labbé Aurélie Cavanna CHRONIQUES / COLUMNS 11 La lumière, cet outil tactique Light as Tactical Tool Paul Ardenne 15 Œuvre-clé Key Work Hilma af Klint, les Dix plus grands: N°7, l’Âge adulte,1907 Anne Bertrand 18 L’art en pochette Record Sleeve Art Jeanne Lee & TTT et A.R. Penck Philippe Ducat HOMMAGES 20 Éric Rondepierre, Louis Cane Jacques Henric et Catherine Millet ACTUALITÉS / SPOTLIGHTS 22 Le Grand Palais au fil de Chiharu Shiota Following Chiharu Shiota’s Thread Michela d’Ecclesiis 25 Le Bal: les enquêtes de Laia Abril The Investigations of Laia Abril Marc Donnadieu 28 Théâtre de Chaillot: dans les yeux des chats In the Eyes of Cats Emmanuel Daydé DOSSIERS 30 GRANDE INTERVIEW Georges Didi-Huberman, exposer les commotions Exposing Commotions Interview par Annabelle Gugnon 40 LA FORÊT AU PRISME DE LA PHOTOGRAPHIE, ET RÉCIPROQUEMENT THE FOREST THROUGH THE PRISM OF PHOTOGRAPHY, AND VICE VERSA 42 Quand la photographie pense la forêt When Photography Thinks the Forest Danièle Méaux 50 L’administration d’un bien commun Administering a Common Good Danièle Méaux 52 Foyers de résistance Focal Points of Resistance Danièle Méaux MONDE DE L’ART / ART WORLD 54 L’exposition d’artistes femmes comme provocation The Exhibition of Women Artists as Provocation Interview de Dorothée Dupuis par Étienne Hatt 60 Collectionner l’architecture Collecting Architecture Christophe Le Gac 67 EXPOSITIONS / REVIEWS Helen Frankenthaler Arcangelo Sassolino Benoît Piéron Raphaëlle Peria Patrick Tosani L’Âge atomique Josephsohn, vu par Albert Oehlen Omar Ba Carole Benzaken On Kawara Trans*Galactique 82 AGENDA 85 LIVRES Michel Foucault, les dialogues Giorgio Agamben, maintenant, toujours Maël Renouard, toute la mémoire du monde Julia Kristeva, «corps français» H.P . Lovecraft, tentative d’exorcisme Rivarol, Pierre Lafargue, rivaroliana et remarques Vladimir Maïakovski, arpenteur révolutionnaire Caspar Henderson, tendre l’oreille Perrine Le Querrec, Nijinski en mouvement Monica Vitti, folies et refuges Marco Ferreri, hémorragie du sens Ian Gibson, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Dalí 96 Comptes rendus 98 LE FEUILLETON DE JACQUES HENRIC André Schlesser À VENIR, ARTPRESS N°529, FÉVRIER 2025 Interview Barthélémy Toguo Peinture panafricaine à Bozar Karim Kal à la fondation HCB Tardes de soledad d’Albert Serra Peinture de l’insoutenable: Gerhard Richter, Jérôme Zonder, Miriam Cahn, Stéphane Pencréac’h Sur la piste du cacao asiatique... PLUS, SUR ARTPRESS.COM À découvrir sur notre site, la série «Art & Sport», des échos au numéro, nos Flashbacks en archives, Chefs-d’œuvre du moment, Points de vue, ainsi que nos reviews spectacle vivant et expositions... 5 Chères lectrices, chers lecteurs, il ne vous aura pas échappé qu’artpress ne réalise jamais d’études de lectorat. C’est que nous ne croyons pas en l’existence de lecteurs-types aux attentes précises desquels il faudrait répondre, pas plus que nous cherchons à parler d’un peu de tout afin qu’un maximum d’entre vous y trouve un peu quelque chose. Nous faisons simplement à fond ce qui nous semble bon, bien et juste de faire. Et nous le faisons en lien étroit avec nos collaborateurs et collaboratrices, réguliers ou occasionnels, jeunes disposant d’un œil neuf ou spécialistes aguerris, mais toujours singuliers, qui, par leurs propositions, contribuent à définir notre ligne. Ce qui ne signifie pas que nous ne sommes pas à votre écoute. Nous considérons avec attention vos observations, qu’elles soient positives ou négatives, qu’elles s’expriment sur l’adresse redaction@artpress.fr ou de vive voix. Ainsi, lors du dernier salon Paris Photo, l’un d’entre vous, se faisant l’écho de ce que nous entendons souvent et pointant un article à la fois engagé et circonspect, publié dans notre numéro 525 d’octobre dernier, sur la mode actuelle de la peinture en France, nous disait qu’artpress était la seule revue qui faisait encore de la critique d’art. Un tel compliment nous oblige: notre première bonne résolution pour cette nouvelle année sera de préserver cet esprit critique qui est la seule attitude permettant d’évoluer dans un monde de l’art dominé par une communication qui nous abreuve d’un prêt-à-penser mainstream et un marché si puissant qu’il peut transformer une œuvre maligne visant à se moquer de lui – par exemple, une simple banane scotchée au mur – en un chef-d’œuvre sonnant et trébuchant. Bien sûr, la critique d’art a beaucoup évolué depuis ses origines. Elle a renoncé à sa position de surplomb au profit de l’accompagnement de la création, voire du compagnonnage amical avec les artistes et les lieux. À l’évaluation, elle préfère l’explicitation des œuvres, quand elle ne s’en tient pas à leur seule description. Mais, ce faisant, elle participe au relativisme ambiant alors que ce dont nous avons besoin, peut-être aujourd’hui encore plus qu’hier, ce sont des prises de position qui affirment des critères et assument des valeurs. Car choisir de parler d’une exposition – d’un livre, d’un film, d’un spectacle – ne suffit pas. Il faut expliquer pourquoi on le fait. De même, plutôt que de se taire, il faut dire pourquoi une exposition nous a déçu ou, pire, soulève des problèmes. Comme cette parole critique ne peut jamais aussi bien s’exprimer que dans les comptes rendus d’exposition, nous veillerons à vous proposer chaque mois un cahier de comptes rendus étoffé comprenant des textes de longueurs variables, plus longs que de coutume quand les expositions l’imposent, comme, dans ce numéro, les deux pages consacrées à la très belle exposition d’un seul artiste, Hans Josephsohn, au Musée d’art moderne de Paris. Cet exemple en témoigne, nous avons sans doute trop tendance à privilégier l’actualité parisienne, aux dépens des événements à l’étranger ou dans le reste de la France. Nous voulons y remédier. De même, nous souhaitons accorder une pleine place à des articles portant moins sur la création que sur le milieu, ses acteurs et ses enjeux comme, encore dans ce numéro, ces sujets sur les expositions d’artistes femmes et le marché de l’architecture de collection. Voilà quelques-unes de nos bonnes résolutions pour cette années 2025 que nous vous souhaitons la meilleure et à nos côtés. Étienne Hatt ÉDITO ——— Dear readers, it will not have escaped your attention that artpress never carries out readership research. That’s because we don’t believe in the existence of reader-types with precise expectations that need to be met, any more than we try to talk about a little bit of everything so that as many of you as possible find a little bit of something. We’re simply doing what we think is right, good and just. And we do this in close collaboration with our regular and occasional contributors, from young people with a fresh eye to seasoned specialists, all of whom help to define our approach. But that doesn’t mean we don’t listen to you.We pay close attention to your comments, whether they are positive or negative, and whether they are expressed through redaction@artpress.fr or in person. For example, at the last Paris Photo fair, one of you, echoing what we often hear and pointing to an article that was both committed and circumspect, published in our issue 525 last October, on the current trend of painting in France, told us that artpress was the only magazine still doing art criticism. Such a compliment obliges us: our first good resolution for this NewYear will be to keep this critical spirit, which is the only attitude that allows us to evolve in an art world dominated by a communication that feeds us with mainstream ready-thought and a market so powerful that it can transform a clever work of art designed to mock it—for example, a single banana taped to the wall—into a stumbling masterpiece. Of course, art criticism has come a long way since its origins. It has given up its overhanging position in favour of accompanying the creative process, or even working as a friendly companion with artists and venues. It prefers to explain works of art rather than evaluate them, or even just describe them. But in doing so, it contributes to the prevailing relativism, whereas what we need, today perhaps even more than yesterday, are positions that affirm criteria and assume values. Choosing to talk about an exhibition—a book, a film, a show—is not enough. We have to explain why we’re doing so. Similarly, rather than remaining silent, we need to say why an exhibition has disappointed us or, worse still, raised problems. As this kind of criticism can never be expressed as well as it is in exhibition reviews, we’re going to make sure that each month we offer you a full review section with texts of varying lengths, longer than usual when exhibitions make it necessary, like the two pages in this issue devoted to the very fine exhibition of a single artist, Hans Josephsohn, at the Musée d’Art Moderne de Paris. As this example shows, we undoubtedly have too much of a tendency to focus on Parisian events, at the expense of those abroad or in the rest of France. We want to change that. Similarly, we’d like to give more space to articles that focus less on the creative process and more on the art world, its players and the issues at stake, such as this issue’s articles on exhibitions by women artists and the market for collectible architecture. These are just a few of our good resolutions for the year 2025, which we hope will be the very best for you—and with us. S’engager à s’engager Committing to Commitment 7 artpress 528 INTRODUCING Ito Meikyū. 2024. Installation immersive et interactive, casque VR headset.15-20 min. (© Sacrebleu Productions) Ito Meikyū / Fil d’errance. Vue de l’exposition installation view Drawing Lab, Paris, 2024-25. (© Prod. Drawing Lab; © Ph. Nicolas Brasseur) PRÉCIPITÉ IMPRÉVU Mais le milieu de l’animation était, lui aussi, trop étroit et fermé. «Un cinéaste d’animation est cantonné à un certain style.» Et le public est restreint. Nouvelles technologies, formes installatives et collaborations s’imposent donc comme de nouveaux terrains de jeu. Au titre descollaborations,citonslecompositeurDaniele Ghisi, récurrent dans les génériques de ses films, et le chorégraphe Angelin Preljocaj pour lequel il réalise la scénographie vidéo du Lac des Cygnes (animation numérique et images trouvées, 2020), dont Boris Labbé tire l’installation en diptyque le Lac (2021), adaptée non plus à la scène mais au musée. Car ses œuvres se font aussi métamorphes que ses figures. Le court-métrage la Chute peut par exemple prendre la forme d’un concert audiovisuel ou d’une installation vidéo. L ’artiste a aussi investi l’espace public: mouvements d’eau et d’oiseaux projetés sur l’église de la MadeleineàAix-en-Provence(animationnumérique, 2021); et sur la gare de Lille (2023), un universcristallinco-crééavecdesimagescette fois générées par intelligence artificielle (IA). Ainsi, nombreuses sont chez lui les expérimentations technologiques, autre «héritage» du cinéma d’animation. Boris Labbé fait en effet partie de cette génération qui n’a pas connu la pellicule: un dessin réalisé sur papier (à titre d’exemple, 3500 pour la Chute) est aussitôt scanné, quand il n’est pas directement composé en numérique. De ce fait, questionner la création par ordinateur est incontournable: comment jouer avec la matière du pixel, ou avec l’IA. Il a trouvé cette technologie étonnante: la machine apprend vite et fait parfois mieux que lui, mais elle n’est qu’arithmétique et dépourvue de sensibilité. Reste à donner du sens au «chaos» des images générées. L ’artiste compare l’usage de l’IA à une caméra posée en forêt, qui capturera un animal ou pas: «80% du temps, ce n’est pas intéressant, 20% du temps, il se passe quelque chose, une sorte d’hallucination, un précipité imprévu, comme en chimie.» Pour Glass House (2023), vidéo mêlant photomontages, vidéos, effets spéciaux, 3D et IA, il a généré des images pendant 7-8 mois. À la fois film et scénographie de concert, c’est d’ailleurs son œuvre la plus complexe et radicale, entre références à une nouvelle d’Evgueni Zamiatine, au projet éponyme (1926-1930), jamais réalisé, de Sergueï Eisenstein, et condensé de ses propres idées. Boris Labbé n’a pas non plus manqué de lucidité, vous vous en doutez, lorsqu’il s’est confrontéàlaréalitévirtuelle(VR).Ils’estmême montréremarquabled’habilité.Audébut,ilétait dubitatif. C’est son producteur, Sacrebleu, qui l’a encouragé, et sa curiosité l’a emporté. L ’intéressait notamment l’expérience solitaire qu’implique la VR, telle la lecture d’un livre, à l’inverse du cinéma, expérience collective d’images dont le public est extérieur. La VR nousplongeaucontraireàl’intérieurdudessin. Au Drawing Lab et à Chroniques, aux cotés de dessins papier et objets (sortes de paravents et de métier à tisser), l’installation en VR Ito Meikyū (2024, grand prixVeniceVirtual Reality à la Mostra) se visite sans bouger. Sur fond noir,desscènesanimées,àl’encreetaquarelle, sedétachentencouleur.Plusoumoinsproches, on s’y déplace en fixant du regard les cercles blancs, semés un peu partout par Boris Labbé, qui nous «téléportent» d’une scène à une autre, d’un point de vue à un autre. L ’univers s’inspire du Japon où l’artiste a voyagé : littérature (le Dit du Genji de MurasakiShikibu, les Notes de chevets de Sei Shonagon), technique picturale traditionnelle du fukinuki yatai (toit enlevé) représentant un bâtiment sans plafond vu d’en haut, et avec elles, ces architectures tour à tour cachant (le jour) et révélant (la nuit) les intérieurs, entre exhibitionnisme et voyeurisme. Ito (fil) Meikyū (labyrinthe) esquisse ainsi la trame d’une vie entre ombre et lumière: violence d’une agression, espoir d’une naissance, joie d’une fête foraine. DufaitdelaVRetdumodede«déplacement», onfaitparfoisbrutalement(etinvolontairement) irruption au beau milieu de l’intimité des personnages,effetdonnanticitoutesapertinence à cette technologie. Même chose lorsqu’elle nous emmène dans une salle de cinéma, presque«dans»l’écran,lalumièreduprojecteur en plein visage, ou au cœur d’une immense spiraleascendante,particulièrementcrayonnée. Ces lignes et ces traits aussi tracés, c’est une nouveauté. La spirale, en revanche, est un «motif-signature»: peu de temps avant la fin, elle emporte quasi toutes les figures de ses films. Pour lui, c’est une manière de casser laboucleetd’ensortir:selonDeleuze,philosophe qu’il a beaucoup lu, une «ligne de fuite». Dans ItoMeikyū,c’estledessinquisedéploiesoudain en une grande inspiration.■ 1 Voir le compte rendu de la biennale par Dominique Moulon sur notre site. 2 Voir «Le cinéma d’animation, tout public», artpress 2, n°50, 2019. qui déferlent, fondent en sables mouvants ou mutent en osier tressé, en mélangeant animation numérique et images satellites – visuels trouvés désormais conviés dans sa pratique. Mais il ne perd pas pour autant son rapport au papier, où s’invite également la couleur. Dessiné à l’aquarelle puis composé sur ordinateur, Kyrielle (2011, prix spécial du jury à Annecy), un de ses premiers films, est ainsi petit à petit envahi de figures colorées vives, sortes de métamorphes entre grenouille, être humain et pâte à modeler enchaînant joyeusement les acrobaties, avant de se retirer de la surface blanche de l’écran. On retrouve cette espièglerie dans le réjouissant Rhizome (2015, prix André Martin à Annecy) où de petites billes jaillissent de l’écran «fendu», puis se transforment en éléments minéraux, végétaux et animaux, proliférant et rebondissant sur un son de grelot. L ’aquarelle est cette fois noir et blanc, excepté l’acmé du film relevé de couleur: «moteur narratif» – le rouge ne raconte pas la même chose que le bleu – et point de repère dans ces «paysages» cycliques. Même usage de la couleur dans la Chute (2018, sélection Semaine de la critique de Cannes), son film le plus connu. Muant entre autres de l’homme à la fleur, des personnages s’y affairent en boucle jusqu’à une chute des anges faisant dérailler leur univers surTerre – ou quand tout dégringole et que la vie disparaît, une des «angoisses modernes» habitant le travail de Boris Labbé, également empreint de gravité. ■ Le Drawing Lab semblait fait pour Boris Labbé. Cet espace parisien dédié au dessin contemporain «sous toutes ses formes», notamment lorsqu’il «sort de la feuille», tient avec lui toutes ses promesses. En France, c’est la première fois que l’artiste bénéficie d’une exposition dans un lieu étiqueté «art contemporain» – si l’on omet ses apparitions, dont une cette année, à la biennale Chroniques (Aix, Marseille et Avignon [1]), catégorisée «art numérique». Étrangement, Boris Labbé est aussi connu qu’inconnu. Connu, il l’est du milieu du cinéma d’animation (2), mais dans le milieu de l’art contemporain, beaucoup ignoraient jusque-là son existence. Il faut dire BORIS LABBÉ Aurélie Cavanna Au Drawing Lab (11 oct. 2024-5 janv. 2025) à Paris, et à la Friche la Belle de Mai (biennale Chroniques, 7 nov. 2024-15 janv. 2025) à Marseille, Boris Labbé présente Ito Meikyū, nouveau projet entre cinéma d’animation, réalité virtuelle et installation. Portrait d’un artiste à part. que l’artiste, qui se décrit comme un «cas à part», a un parcours singulier. Étudiant aux Beaux-Arts, il est d’abord passionné de dessin plutôt classique pour son rapport à la matière et au papier. Il travaille alors surtout en noir et blanc, l’encre de Chine, le poudré du fusain, les clairs-obscurs. Mais il n’est pas féru de lignes ou de tracés qui, chez lui, s’effacent au profit des textures. Le seul dessin était cependant trop étroit à son goût. Boris Labbé «migre» donc, selon ses termes, en école de cinéma d’animation, à la fois pour «faire bouger sa pratique» et «explorer autre chose». «Animer, c’est donner vie», comme il dit. Et avec l’animation vient le rapport au temps. Naissance, mort et renaissance, Éros et Thanatos, ainsi que cycle, palingénésie ou éternel retour deviennent omniprésents dans son travail, avec la part d’illusionnisme inhérente au médium – Méliès est une de ses références. À quoi ressemblent ses créations? L ’artiste évoque des «films-paysages» inspirés du cinéma expérimental (Tango [1981] de Zbigniew Rybczyński ou Canon [1964] de Norman McLaren pour sa pratique de la répétition, Bill Viola), influence qui le place aussi «à part» dans le milieu du cinéma d’animation. Peu narratifs, en effet, ses films font grouiller cette matière, vivante et élastique, qu’il aime tant. Elle est reine dans Orogenesis (2016, prix spécial du jury au festival de Zagreb) où tout l’écran semble ondoyer en textures qu’on aurait envie de toucher. Boris Labbé y rêve la naissance de montagnes as opposed to cinema, which is a collective experience of images where the audience is an outsider. VR, on the other hand, takes us inside the drawing. At the Drawing Lab and Chroniques, alongside paper drawings and objects(screensandlooms),theVRinstallation Ito Meikyū (2024, winner of theVeniceVirtual Reality prize at the Mostra) can be visited without moving. On a black background, animated scenes in ink and watercolour stand out in colour. As you move through them, staringatthewhitecirclesscatteredeverywhere by Boris Labbé, you are “teleported” from one scene to another, from one point of view to another.The universe is inspired by Japan, where the artist has travelled: literature (MurasakiShikibu’sTheTaleofGenji,SeiShonagon’s The Pillow Book), the traditional pictorialtechniqueoffukinukiyatai(roofremoved)representingabuildingwithoutaceiling seen from above, and with them, these architecturesalternatelyhiding(byday)andrevealing (by night) interiors, between exhibitionism andvoyeurism.Ito(thread)Meikyū(labyrinth) thus sketches out the framework of a life between light and shadow: the violence of an attack, the hope of a birth, the joy of a funfair. The use ofVR and the“moving” mode means that we are sometimes suddenly (and unintentionally) thrust into the very midst of the characters’ intimacy, an effect that gives this technology its full relevance. It’s the same when we’re brought into a cinema, almost “into” the screen, with the projector’s light in our faces, or into the heart of an immense upward spiral, particularly pencilled. These lines and strokes are a novelty.The spiral, on installation. The artist has also invested in public spaces: movements of water and birds projected onto the Madeleine church in Aixen-Provence(digitalanimation,2021);andon Lille station (2023), a crystalline universe cocreated with images this time generated by artificial intelligence (AI). He has also experimentedextensivelywithtechnology,another “legacy”ofanimatedfilm.BorisLabbébelongs to a generation that has never seen film reels: a drawing made on paper (for example, 3,500 for La Chute) is immediately scanned, if not directlycomposeddigitally.Questioningcomputer creation is therefore essential: how to play with the material of the pixel, or with AI. He found this technology astonishing: the machine learns quickly and sometimes does better than he does, but it is only arithmetic and devoid of sensitivity. What remains is to make sense of the “chaos” of the images generated.The artist compares the use of AI to a camera set up in a forest, which may or may not capture an animal:“80% of the time, it’snotinteresting;20%ofthetime,something happens,akindofhallucination,anunforeseen precipitate,likeinchemistry. ”ForGlassHouse (2023), a video combining photomontages, videos,specialeffects,3DandAI,hegenerated images over a period of 7-8 months. Part film, partconcertscenography,itishismostcomplex and radical work, with references to a short storybyYevgenyZamiatin,toSergeiEisenstein’s eponymousproject(1926-1930),neverrealised, and a condensation of his own ideas. As you can imagine, Boris Labbé was no slouch when it came to virtual reality (VR). He was even remarkably skilful. At first, he was dubious. It was his producer, Sacrebleu, who encouraged him, and his curiosity won out. He was particularly interested in the solitary experienceinvolvedinVR,likereadingabook, Kyrielle. 2011. Animation aquarelle sur papier, composition sur ordinateur watercolour on paper animation, computer composition.10 min the other hand, is a“signature motif”: shortly before the end, it sweeps away almost all the figures in his films. For him, it’s a way of breakingtheloopandgettingoutofit:according to Deleuze, a philosopher he has read a lot, it’s a“convergence line. ” In Ito Meikyū, it’s the drawing that suddenly unfolds into a great inspiration. n 1 See Dominique Moulon’s review of the biennale on our website. 2 See “Le cinéma d’animation, tout public, ” artpress 2, n°50, 2019. Boris Labbé Né en born in 1987 à in Lannemezan Vit et travaille dans le Sud-Ouest de la France lives and works in South West of France Formation Education: 2008-2011 École des métiers du cinéma d’animation 2005-08 École supérieure d’art et de céramique,Tarbes Résidences (sélection) Residencies: 2022 Villa Médicis, Rome 2019 Cinémathèque québécoise, Montréal 2018 Tenjinyama Art Studio, Sapporo 2013 HEAR, Strasbourg 2011-12 Casa Velázquez, Madrid Projections (sélection) Screenings: 2024 CINEMANIA, Montréal; Beyond the Frame, Tokyo; Festival Courant3D, Angoulême; ART*VR, Prague; Venice Immersive, Mostra, Venise 2023 Cinémathèque française, Paris 2020 VIDÉOFORMES, Clermont-Ferrand 2019 Ars Electronica Festival, Linz; Festival international du film d’animation d’Annecy; Animafest Zagreb 2018 Semaine de la critique du Festival de Cannes Expositions personnelles (sélection) Solo shows: 2024 Ito Meikyū, Drawing Lab, Paris; Chroniques, Aix-Marseille-Avignon; M+, Hong Kong 2022 Monade, Cinémathèque québécoise, Montréal 2022 L’Éternel Retour, LUX Scène nationale, Valence 2020 Forum des images, Galerie Miyu, Paris 8 artpress 528 INTRODUCING (2018, Critics’ Week selection at Cannes), his best-known film. Changing from man to flower, among other things, the characters bustle about in a loop until the angels fall, derailing their universe on Earth—or when everything comes tumbling down and life disappears, one of the “modern anxieties” inhabiting Boris Labbé’s work, which is also imbued with gravity. UNFORESEEN PRECIPITATE But the animation world was also too narrow andclosed.“Ananimationfilmmakerisconfined toacertainstyle. ”Andtheaudienceislimited. Newtechnologies,installationformsandcollaborationsareemergingasanewplayground. His collaborations include the composer Daniele Ghisi, a recurring theme in his films, and the choreographer Angelin Preljocaj, for whom he created the video set design for Swan Lake (digital animation and found images,2020),fromwhichBorisLabbécreated thediptychinstallationLeLac(2021),adapted not for the stage but for the museum. For his works are as metamorphosed as his figures. Theshortfilm LaChute,forexample,cantake the form of an audiovisual concert or a video Drawn in watercolour and then composed on the computer, Kyrielle (2011, Special Jury Prize at Annecy), one of his first films, is gradually invaded by brightly coloured figures, a kind of metamorphosis between frog, human being and modelling clay, joyfully performing acrobatics before retreating from the white surface of the screen. The same playfulness is to be found in the delightful Rhizome (2015, winner of the André Martin prize at Annecy), in which little marbles burst out of the “split” screen, then transform into mineral, vegetable and animal elements, proliferating and bouncing to the sound of a bell.The watercolour is black and white this time, except for the climax of the film, which is in colour: a “narrative engine”—red does not tell the same story as blue—and a point of reference in these cyclical “landscapes. ” Colour is used in the same way in La Chute ——— At the Drawing Lab (October 11th, 2024 —January 5th, 2025) in Paris, and at the Friche la Belle de Mai (Chroniques, November 7th, 2024—January 15th, 2025) in Marseille, Boris Labbé presents Ito Meikyū, a new project combining animated film, installation, virtual reality. Portrait of an artist in a class of his own. The Drawing Lab seemed made for Boris Labbé. This Parisian space, dedicated to contemporary drawing “in all its forms, ” particularly when it “gets off the page, ” has lived up to all its promises. In France, this is the first time the artist has had an exhibition in a venue labelled “contemporary art”—if we exclude his appearances, including one this year at the Chroniques biennale (Aix, Marseille and Avignon [1]), which is categorised as “digital art. ” Strangely enough, Boris Labbé is as well known as he is unknown. He is well known in the world of animated film (2), but in the world of contemporary art, many people were unaware of his existence until now. It has to be said that the artist, who describes himself as a “special case, ” has had an unusual career. As a student at the Beaux-Arts, he started out with a passion for classical drawing, because of its relationship with matter and paper. He worked mainly in black and white, using Indian ink, powdered charcoal and chiaroscuro. But he was not keen on lines or tracings, which, for him, were replaced by textures. Drawing alone, however, was too narrow for his taste. So Boris Labbé “migrated, ” as he puts it, to animation school, both to “change his practice” and “explore something else. ” As he says, “animation is about giving life. ” And with animation comes a relationship with time. Birth, death and rebirth, Eros and Thanatos, as well as cycle, palingenesis and eternal return are omnipresent in his work, with the illusion inherent in the medium— Méliès is one of his references. What do his creations look like?The artist refers to “landscape films” inspired by experimental cinema (Zbigniew Rybczyński’s Tango [1981] or Norman McLaren’s Canon [1964] for its use of repetition, BillViola), an influence that also sets him “apart” in the world of animated film. With little narrative, his films are teeming with the living, elastic material he loves so much. It is king in Orogenesis (2016, Special Jury Prize at the Zagreb Festival), where the whole screen seems to undulate in textures that you just want to touch. In it, Boris Labbé dreams of the birth of mountains that break into the air, melt into quicksand or mutate into woven wicker, mixing digital animation and satellite images—visuals that have become an integral part of his practice. But he has not lost his relationship with paper, where colour is also invited. De haut en bas from top: Glass House. 2023. Animation numérique, images générées par IA, found footage digital animation, AI-generated images. 40 min. Orogenesis. 2016. Animation numérique, images satellites digital animation, satellite imagery.7 min 52. (Cette double page this spread: © Boris Labbé) artpress 528 11 intervielllw COLUMN ■ «Lumière», dit le dictionnaire: «1, ce par quoi les choses sont éclairées; synonyme : clarté ; 2, source de lumière, point lumineux». Les fêtes de fin d’année aidant, moment par excellence des illuminations nocturnes, il n’est pas malvenu de se pencher sur le sort que nous imposons à la lumière. Plus exactement, comment nous exploitons cette dernière à des fins diverses, affiner notre vue et mieux voir quand il fait sombre mais aussi rendre l’environnement mirobolant, qu’il s’agisse des spectacles, des messages publicitaires et des villes à Noël, et toujours à notre avantage. La lumière? Cette radiation d’ondes nanométriques imprimant œil et cerveau est la servante de notre besoin d’éclairage et de lumens et, au moins autant, de nos réquisits et de nos sensibilités. Cet automne-hiver parisien, de façon opportune, se montre riche en occasions de méditer le rapport insistant que nous entretenons avec la lumière, versant arts visuels. À tout seigneur tout honneur, commençons par l’exposition que le Petit Palais, jusqu’au 23 février 2025, consacre à José de Ribera, peintre baroque espagnol du 17e siècle, émule du Caravage et maître du clair-obscur. Vulgarisateur du «ténébrisme» (le mouvement tenebroso, qui connaîtra un franc succès), Ribera ne peint le visible qu’à toutes fins de le contrebalancer par le noir, comme si la lumière naissait de l’ombre et inversement. C’est l’esprit qui guide la facture de son tableau consacré à saint André: l’apôtre, torse nu et peau claire, tout à la fois baigne dans l’ombre et s’extrait d’elle, englué dans celle-ci et libéré de son emprise. Cette apparition singulière ménage le mystère mais se montre diserte, à bon escient. André est le premier des apôtres à rencontrer le Christ. Apparaître sous l’espèce d’un corps de lumière surgi de la nuit, voilà qui invoque métaphoriquement l’annonce du salut qu’incarne cette clarté advenant pour vaincre l’ère sombre, maudite, de la damnation originelle. Autre exposition mettant la lumière au cœur de notre perception, Pixels, au Grand Palais Immersif-Bastille (jusqu’au 6 avril 2025), en propose une modulation parfois monumentaux, sont des compositions abstraites répétitives, à l’apparence uniforme, aplats de matière peinte déposée en all over, et représentent des paysages ou, plus souvent encore, des effets de maelström et de nuée. Leur qualité: faire surgir la lumière de façon douce, presque par capillarité optique, le clairy «montant» dans le noir comme l’eau d’une source, depuis le fond. Contemplation obligée. La lumière prend pour l’occasion le temps de se laisser saisir et n’en est que plus influente, plus séminale. LE LUMINEUX COMME LANGAGE Ces différents usages artistiques de la lumière écrivent, chacun à leur manière, une esthétique, comprendre, une stratégie des ressentis et de leur mise en forme plastique et sensorielle. Avec, dans chaque cas, un sens spécifique à y raccrocher. Que sous-entend José de Ribera? Dieu est lumière, comme le clamait au 12e siècle l’abbé Suger, concepteur de l’architecture dite, plus tard, « gothique », forte de sa croisée d’ogives, de ses arcs-boutants et de l’absence de murs, remplaçables par des vitraux. Miguel Chevalier? L ’âge conjugué de l’électricité et du numérique crée une nouvelle civilisation visuelle ne nous laissant plus de repos, où la forme n’est ellemême qu’à sans cesse se reconfigurer et muter, à l’image de l’évolution frénétique de notre monde. Evi Keller? Dans l’esprit de Maître Eckhart, elle suggère l’illusion d’être que prodiguerait le seul mouvement, auquel il s’agit de préférer l’apatheia, l’Abgeschiedenheit, ce détachement médité aux vertus psychologiques apaisantes: «L ’homme qui se tient en tout détachement, écrivait ainsi le mystique rhénan, se trouve tellement ravi dans l’éternité que plus aucune chose éphémère ne saurait résolument divergente, plus spectaculaire. Miguel Chevalier y déploie tout l’éventail de son opus electronicus, fait de projections surtout, où prolifère en format XXL et en mouvement tout ce que la culture informatique a su produire d’effets visuels depuis l’op art puis l’art fractal, avec l’aide, pour certaines créations, de l’intelligence artificielle. Déformations optiques, mappings mouvants et lignes qui se distordent sans fin, moires subtiles, effets plastiques décomposant notre image corporelle nés de l’interaction avec le spectateur…, la lumière vibre, jamais posée ni apaisée, elle nous entraîne dans sa puissance d’artifice au fil d’un opéra pulsatif, éblouissant et hypnotique. Rien à voir, on en conviendra, avec les propositions, mutiques celleslà, parées de silence, d’une Evi Keller (galerie Jeanne Bucher Jaeger, jusqu’au 18 janvier 2025), artiste allemande dont l’œuvre entier, essentiellement de la peinture, ne connaît qu’un seul titre, Matièrelumière. Les tableaux d’Evi Keller, L’ÉPOQUE paul ardenne LA LUMIÈRE, CET OUTIL TACTIQUE LIGHT AS A TACTICAL TOOL JamesTurrell. At One. Vue de l’exposition installation view Galerie Gagosian, Le Bourget, 2024-25. (© JamesTurrell; Court. l’artiste et Gagosian; Ph.Thomas Lannes) artpress 528 CHRONIQUE 12 l’émouvoir [...]. Le détachement conduit l’homme à la pureté.» L ’histoire de l’art est une histoire de la gestion de la lumière, et celle de l’art du dernier siècle plus encore, avec l’électricité et la machine moderne. László Moholy-Nagy et son Modulateur espace-lumière (1930); le GRAV et ses jeux publics, en pleine rue, recourant à des flashs d’appareil photo; Natacha Mercier et ses «nocturnisations», assombrissement systématique, couche après couche de peinture, d’images photographiques claires; Gary Hill et ses Tiny Deaths jouant sur la poésie de l’éclair et la persistance rétinienne; ou JamesTurrell encore, dont la galerie Gogosian, au Bourget, offre jusqu’à l’été 2025 un panel pénétrant de ses installations lumineuses, boîtes et autres projections en milieu sombre – Turrell, ce maître d’une lumière qui se révèle paradoxale parce qu’immatérielle autant que dense. Cette histoire, celle du lumineux comme discours tactique, continue, non homogène, porte plus loin que le simple jeu de formes et d’effets, tout en nous éclairant sur la plasticité de la pensée humaine et, partant, de nos représentations.n — — — The dictionary defines“light” as“1, that by which things are illuminated; synonym: clarity; 2, source of light, luminous point. ”With the festive season upon us, the perfect time for night-time illuminations, it’s not a bad idea to take a look at what we do with light. To be more precise, how we use light for a variety of purposes, from sharpening our eyesight and making it easier to see when it’s perception, Pixels, at the Grand Palais Immersif-Bastille (until April 6th, 2025), offers a resolutely divergent, more spectacular modulation. Miguel Chevalier deploys the full range of his opus electronicus, made up above all of projections, in which proliferate in XXL format and in movement everything that computer culture has been able to produce in the way of visual effects since op art and then fractal art, with the help, for certain creations, of artificial intelligence. Optical deformations, moving mappings and endlessly distorting lines, subtle moire, plastic effects that break down our body image and are born of interaction with the spectator... Light vibrates, never still or at rest, drawing us into its power of artifice in the course of a pulsating, dazzling and hypnotic opera. It’s a far cry from the mute and silent works of Evi Keller (Galerie Jeanne Bucher Jaeger, until January 18th, 2025), a German artist whose entire oeuvre, essentially paintings, has only one title, Matière-lumière. Evi Keller’s paintings, some of them monumental, are repetitive abstract compositions, uniform in appearance, flat areas of painted matter laid down in all over, and depict landscapes or, more often still, maelstrom and cloud effects.The quality of these works is that they allow light to emerge gently, almost by dark, to making our surroundings shine, whether in the form of shows, advertising or Christmas towns and cities, and always to our advantage. What is light?This radiation of nanometric waves impressing the eye and the brain is the servant of our need for lighting and lumens and, at least as much, of our requirements and our sensibilities. This autumn/winter in Paris is a timely opportunity to reflect on our insistent relationship with light in the visual arts. Let’s start with the exhibition at the Petit Palais, which runs until February 23, 2025, devoted to José de Ribera, the 17th-century Spanish Baroque painter, emulator of Caravaggio and master of chiaroscuro. A populariser of “tenebrism” (the tenebroso movement, which was to be hugely successful), Ribera painted the visible only to counterbalance it with black, as if light were born of shadow and vice versa. This is the spirit that guides the style of his painting dedicated to Saint Andrew: the apostle, bare-chested and fair-skinned, is both immersed in the shadow and emerging from it, engulfed in it and freed from its grip.This singular apparition spares no effort to preserve the mystery, but is also loquacious, wisely. Andrew is the first of the apostles to meet Christ. Appearing in the form of a body of light emerging from the night, he metaphorically invokes the proclamation of salvation embodied in the light that overcomes the dark, cursed era of original damnation.Another exhibition that puts light at the heart of our optical capillarity, with the light “rising” from the background into the darkness like water from a spring. Contemplation is compulsory. On this occasion, the light takes the time to be captured, making it all the more influential, all the more seminal. LIGHT AS LANGUAGE These different artistic uses of light, each in their own way, write an aesthetic, a strategy of sensations and their plastic and sensory shaping. With, in each case, a specific meaning to attach to it. What is José de Ribera implying? God is light, as was proclaimed in the 12th century by Abbot Suger, the designer of what would later be known as “Gothic” architecture, with its ribbed ceilings, flying buttresses and absence of walls, which could be replaced by stained glass windows. Miguel Chevalier? The combined age of electricity and digital technology is creating a new visual civilisation that leaves us no time to rest, where form itself is constantly reconfiguring and mutating, reflecting the frenetic evolution of our world. Evi Keller? In the mind of Meister Eckhart, it suggests the illusion of being provided by movement alone, to which we should prefer apatheia, Abgeschiedenheit, this meditated detachment with soothing psychological virtues: “The man who stands in complete detachment, ” wrote the Rhenish mystic, “finds himself so delighted in eternity that nothing ephemeral can move him any more [...]. Detachment leads man to purity. ” The history of art is a history of the management of light, and the art of the last century even more so, with electricity and the modern machine. László Moholy-Nagy and his Light Space Modulator (1930), the GRAV and its public street games using camera flashes, Natacha Mercier and her “nocturnisations, ” systematic darkening, layer after layer of paint, of clear photographic images, Gary Hill and his Tiny Deaths, which play on the poetry of lightning and persistence of vision, and JamesTurrell, whose light installations, boxes and other projections in a dark environment are on show at the Gogosian gallery in Le Bourget until summer 2025.Turrell is a master of light that is paradoxical because it is both immaterial and dense. This story, the story of light as a tactical, continuous, non-homogeneous discourse, goes further than the simple interplay of forms and effects, and sheds light on the plasticity of human thought and, by extension, of our representations.n Evi Keller. ORIGINES. Vue de l’exposition installation view Galerie Jeanne Bucher Jaeger, Marais, Paris, 2024-25. (© Evi Keller; Court. Jeanne Bucher Jaeger, Paris-Lisbonne) artpress 528 15 intervielllw COLUMN ŒUVRE-CLÉ anne bertrand Hilma af Klint. Les Dix plus grands: N°7, L’Âge adulte. 1907 . Extrait de la série from the series Sans titre, Groupe IV. Tempera sur papier marouflé sur toile on paper mounted on canvas. 329 x 239 cm. (Court.The Hilma af Klint Foundation, Stockholm, HaK 108; ©The Hilma af Klint Foundation. Bilbao 2024) EXULTER SELON EXULTATION ACCORDING TO HILMA AF KLINT ■ D’octobre à novembre 1907 , Hilma af Klint, âgée de quarante-cinq ans, peint en quarante jours, sur le sol de son atelier de Stockholm, à la tempera sur papier ensuite marouflé sur toile, et avec l’aide d’une assistante, les Dix plus grands de ses tableaux: 329 x 239 cm chaque. Le projet de cet ensemble, sans précédent dans son œuvre et qui n’aura pas d’équivalent par la suite, lui a été dicté par un esprit nommé Amaliel, pour évoquer les phases de l’évolution humaine. PIONNIÈRE DE L’ABSTRACTION Depuis le 18 octobre 2024 et jusqu’au 2 février 2025, le Guggenheim Bilbao présente une rétrospective consacrée à l’artiste suédoise (1862-1944), variation sur celle de 2018-19 à New York, où ses 600000 visiteurs en firent l’exposition la plus vue depuis la création du musée. La quasi-totalité de l’œuvre, dessins et peintures, ainsi que les carnets d’Hilma af Klint, appartiennent toujours à la fondation portant son nom, établie en 1972 par son neveu Erik, héritier de l’artiste. L ’historienne de l’art et critique allemande Julia Voss a écrit la première biographie d’Hilma af Klint, parue en 2020, et, consultant ses archives, rétabli certains faits essentiels (oui, son œuvre a été exposée de son vivant, même si peu; non, elle n’est pas restée toute sa vie en Suède, mais a voyagé, notamment en Italie). Cet ouvrage et d’autres publications – dont les catalogues d’exposition du Guggenheim NewYork, en anglais, et du Guggenheim Bilbao, en espagnol – permettent de suivre le parcours de l’artiste et de comprendre ses inspirations, notamment scientifiques, comme ses aspirations spirituelles. Il est clair, pour qui voit ses œuvres, que l’ésotérisme y est omniprésent, artpress 528 CHRONIQUE 16 et pour qui connaît le contexte dans lequel elles ont été réalisées, que l’artiste a fait le choix de s’éloigner de la seule figuration pour aller vers ce que l’on ne nomme pas encore l’abstraction – même si l’on peut aussi voir dans certaines peintures, au début du siècle, un écho du Jugendstil. Issue d’une famille aisée (son père est directeur de l’Académie militaire de Stockholm), elle reçoit une éducation qui n’exclut pas les disciplines scientifiques, dont la biologie et les mathématiques, puis étudie l’art à l’Académie royale de Stockholm, dont elle sort diplômée en 1888, afin de pratiquer une activité de peintre professionnelle, produisant paysages et portraits. Intéressée par le spiritisme depuis son adolescence, elle participe en 1896 à la création d’un groupe d’artistes femmes, appelé De Fem (Les Cinq), qui, lors de séances, invoquent les esprits de l’au-delà et créent sous leur direction des dessins automatiques. Hilma af Klint est l’une des élues chargées de réaliser les Peintures pour le Temple, séries successives traitant d’une unité originelle brisée en une dualité (bien/mal, homme/femme, matière/esprit) qu’il convient de réunir et de symboles divers – Chaos primordial (1906-07), Éros (1907), l’Étoile à sept branches (1908), puis Arbre de la connaissance (1913-15), le Cygne, la Colombe et Retables (1915) ou Parsifal (1916). De 1917 à 1920, elle produit des œuvres géométriques, dont l’ensemble l’Atome (1917), et une série d’aquarelles figurant les forces spirituelles de la nature, auxquelles elle consacre aussi un manuscrit de 2000 pages.Théosophe depuis 1904, elle a rencontré Rudolph Steiner en 1908 et l’a invité à visiter son atelier deux ans plus tard, avant de devenir anthroposophe en 1920. Elle n’est cependant guère reconnue par ses pairs, malgré une exposition de ses Peintures pour le Temple à Londres, sous l’égide de la Société anthroposophique anglaise, en 1928. PEINDRE POUR LE FUTUR Un an avant sa mort, elle dit «n’avoir pas su se faire comprendre » et demande que son œuvre ne soit pas exposée avant vingt ans. En 1986, elle fait partie des artistes réunis au Los Angeles County Museum of Art, dans The Spiritual in Art: Abstract Painting 1890-1985, avec Kandinsky, Mondrian et Malevitch. Elle est aujourd’hui considérée comme la « pionnière de l’abstraction » en Europe, ayant devancé ses pairs (auxquels on peut ajouter Kupka et Delaunay), puisque la date reconnue pour l’invention de l’abstraction a longtemps été 1912. En 2013, une rétrospective itinérante a lieu d’abord au Moderna Museet à artist’s heir. The German art historian and critic Julia Voss wrote the first biography of Hilma af Klint, published in 2020, and, consulting her archives, re-established certain essential facts (yes, her work was exhibited during her lifetime, albeit rarely; no, she did not stay in Sweden all her life, but travelled, notably to Italy). This book and other publications—including the exhibition catalogues for the Guggenheim NewYork, in English, and the Guggenheim Bilbao, in Spanish— make it possible to follow the artist’s career and understand her inspirations, particularly scientific, as well as her spiritual aspirations. A PIONEER OF ABSTRACTION It is clear to anyone who sees her worksthatesotericismisomnipresent, and to anyone who is familiar with thecontextinwhichtheywereproduced, that the artist chose to move away from figuration and towards what was not yet known as abstraction—even if some of her paintings at the turn of the century can also be seen as echoes of the Jugendstil. Born into a wealthy family (her father was director of the Stockholm Military Academy), she received an education that did not exclude scientific disciplines, including biology and mathematics, and then studied art at the Royal Academy of Stockholm, from which she graduated in 1888, in order to work as a professional painter, producing landscapes and portraits. Interested in spiritualism since her adolescence, in 1896 she helped to found a group of women artists called De Fem (The Five) who, during seances, invoked spirits of the beyond and created automatic drawings under their direction. Hilma af Klint was one of those chosen to create the Paintings for the Temple, successive series dealing with an original unity broken into a duality (good/evil, man/woman, matter/spirit) that had to be reunited and various symbols—Primordial Chaos (1906-07), Eros (1907), The Seven-Pointed Star (1908), then Tree of Knowledge (1913-15), The Swan, The Dove and Altarpieces (1915) or Parsifal (1916). From 1917 to 1920, she produced geometric works, including the ensemble The Atom (1917), and a series of watercolours depicting the spiritual forces of nature, to which she also dedicated a 2,000-page manuscript. A theosophist since 1904, she met Rudolph Steiner in 1908 and invited him to visit her studio two years later, before becoming an anthroposophist in 1920. She received little recognition from her peers, however, despite an exhibition of Stockholm, puis à Hambourg, Berlin, Malaga, Humlebaek, Helsinki, Tallin, enfin Oslo, en 2015-16, année d’une autre exposition à la Serpentine Gallery de Londres. Mais l’artiste a été peu montrée en France, où certaines œuvres figurent actuellement dans l’Âge atomique au Musée d’art moderne de Paris. Les Dix plus grands sont à part. Loin de la symétrie et de l’équilibre des compositions, de l’ordre souverain lisible dans le cercle, la pyramide ou le carré, le dégradé régulier des tons, loin de l’exécution impeccable des aquarelles, la plupart des œuvres, de format plus modeste, manifestant une volonté de maîtrise. Face à eux qui déploient un autre, vaste monde, on ne peut qu’être attiré, s’y plonger. Ce qui éblouit dans l’Âge adulte, outre l’ambition, l’énergie, c’est l’épanouissement que la peinture exprime. Ce mauve un peu gris, ce jaune intense, acide, ce vert profond, ce bleu ciel, ce rouge vif, ce rose tendre, et le noir, le blanc, l’orange brûlé… toute la palette renvoie aux neuf autres peintures, toutes jouant, deux à deux, d’une dominante. Couleurs, formes et motifs allient feuilles et volutes, amibes et bulles, ovales et nuages, nervures et pointillés, cernes et signes, graphie et spirales. C’est tonique, complexe, mobile. «Derrière la forme, écrit l’artiste, il y a la vie.» Et une liberté, une aisance, un souffle. Car le jamais vu tient aussi à la foi en l’avenir que cette peinture mystérieuse affirme. Ce moment dans l’œuvre d’Hilma af Klint est celui d’un dépassement de soi et de son art, aujourd’hui partageable. Il y a là plus qu’une exaltation: une exultation sans pareille.n — — — From October to November 1907, Hilma af Klint, aged forty-five, painted TheTen Largest of her paintings (329 x 239 cm each) in tempera on paper, then mounted on canvas, on the floor of her studio in Stockholm, over a period of forty days, with the help of an assistant.The project for this unprecedented body of work, which was to have no subsequent equivalent, was dictated to her by a spirit called Amaliel, to evoke the phases of human evolution. From October 18th, 2024 to February 2nd, 2025, the Guggenheim Bilbao will be presenting a retrospective devoted to the Swedish artist (18621944),avariationonthe2018-19exhibition in New York, whose 600,000 visitors made it the most popular exhibition since the museum was founded.AlmostallofHilmaafKlint’s work,drawingsandpaintings,aswell as her notebooks, still belong to the foundation bearing her name, set up in 1972 by her nephew Erik, the her Paintings for theTemple in London,undertheauspicesoftheEnglish Anthroposophical Society, in 1928. A year before her death, she said that she had“failed to make herself understood” and asked that her work not be exhibited for another twenty years. In 1986, she was one of the artists featured at the Los Angeles County Museum of Art in The Spiritual inArt:Abstract Painting 1890-1985, along with Kandinsky, Mondrian and Malevitch. She is now considered the “pioneer of abstraction” in Europe, having outstripped her peers (to whom we can add Kupka and Delaunay), since the recognised date for the invention of abstraction has long been 1912. In 2013, a travelling retrospective was held, first at the Moderna Museet in Stockholm, then in Hamburg, Berlin, Malaga, Humlebaek, Helsinki, Tallin and finally Oslo in 2015-16, the year of another exhibition at the Serpentine Gallery in London. But the artist has rarely been shown in France, where some of her works are currently featured in The Atomic Age at the Musée d’art moderne in Paris. PAINTING FOR THE FUTURE TheTen Largest are quite different. Far from the symmetry and balance of the compositions, from the sovereign order visible in the circle, the pyramid or the square, the regular gradation of tones, far from the impeccable execution of the watercolours, most of the works, of more modest format, show a desire for mastery. Faced with them, unfolding another, vast world, you can’t help but be drawn in and immerse yourself. What dazzles in Adulthood, apart from the ambition and energy, is the blossoming that the painting expresses. This slightly grey mauve, this intense, acid yellow, this deep green, this sky blue, this bright red, this tender pink, and the black, the white, the burnt orange... the whole palette refers to the nine other paintings, all playing, two by two, with a dominant. Colours, shapes and motifs combine leaves and volutes, amoebas and bubbles, ovals and clouds, veins and dotted lines, rings and signs, graphs and spirals. It’s invigorating, complex and mobile. “Behind the form, writes the artist, is life itself. ” And a freedom, an ease, a breath. For the unseen is also due to the faith in the future that this mysterious painting affirms. This moment in Hilma af Klint’s work is one of surpassing oneself and one’s art, which can now be shared. It’s more than an exaltation: it’s an unparalleled exultation.n 18 artpress 528 CHRONIQUE practised scat (rhythmic improvised onomatopoeia) in an intense, unostentatious, sometimes twilight style. And it is without competition that she embodies the voice of free jazz. In the 1960s and 1970s, she recorded with the best of the genre: Archie Shepp, Anthony Braxton, Marion Brown, Enrico Rava, Andrew Cyrille, Jimmy Lyons, Sam Rivers, Sunny Murray... Her legendary first album was The Newest Sound Around, in 1961, with pianist Ran Blake. A nugget. In 1967 , she married German multi-instrumentalist Gunter Hampel and appeared on his many albums. She even provided the vocal part for John Cage’s Apartment House 1776 in 1976 (1). The artist A.R. Penck is best known for his pictorial works—an adulterous cross between German expressionism, cave paintings and the graphic studies of Picasso’s Demoiselles d’Avignon (TheYoung Ladies of Avignon, 1907). He was also a fine musician (piano and drums). In 1959, his first studio was also a place to play music. 1976, first jazz concert in Dresden. 1978, meeting with guitarist-bassist FrankWollny. They recorded their first LP in 1968: Afrika Paranoia. 1980, Penck, harassed by the Stasi, obtains a visa to scène free jazz: Frank Wright, Denis Charles, Frank Lowe, Butch Morris, William Parker et… Jeanne Lee. Chacun enregistre sur le label de Penck qui illustre toutes les pochettes de leurs albums: une quarantaine environ (sans compter les CD qui sont bannis de cette chronique «sectaire»). Le LP de Jeanne Lee, un des meilleurs, est aussi un de ses must have. Racé, de haute voltige vocale mais sans démonstration de virtuosité, il réunit Clarence Sharpe au sax alto, Frank Wollny à la basse, Denis Charles à la batterie et A.R. Penck aux claviers. On notera le portrait en ombre de Jeanne Lee qui escalade à l’horizontale les montagnes glacées. C’est ainsi qu’en hommage au géographe Albrecht Penck, spécialiste de la période glaciaire, RalphWinkler devient A.R. Penck.n 1 Composition pour le bicentenaire des États-Unis réunissant 4 chanteurs solistes représentant chacun une tradition religieuse: protestante, séfarade, amérindienne et africaine-américaine. — — — Singer Jeanne Lee (1939-2000), an exact contemporary of A.R. Penck, represents the very best of modern vocal jazz. From the outset, she n La chanteuse Jeanne Lee (19392000), exacte contemporaine d’A.R. Penck, représente ce qu’il y a de mieux dans le jazz vocal moderne. Dès le début, elle l’a pratiqué en scat (onomatopées improvisées rythmiques) dans un style dépouillé intense, sans ostentation, parfois crépusculaire. Et c’est sans concurrence qu’elle incarne la voix du free jazz. Dans les années 1960-1970, elle enregistre en effet avec les meilleurs du genre : Archie Shepp, Anthony Braxton, Marion Brown, Enrico Rava, Andrew Cyrille, Jimmy Lyons, Sam Rivers, Sunny Murray… Mythique, son premier album est The Newest Sound Around, en 1961, avec le pianiste Ran Blake. Une pépite. En 1967 , elle épouse le multi-instrumentiste allemand Gunter Hampel et apparaît sur ses nombreux albums. Elle assure même la partie vocale consacrée au negro-spiritual dans Apartment House 1776 de John Cage en 1976 (1). L’artiste A.R. Penck, lui, est surtout connu pour ses œuvres plastiques pictographiques – croisement adultérin entre l’expressionnisme allemand, les peintures pariétales et les études graphiques des Demoiselles d’ Avignon (1907) de Picasso. C’est aussi un fin musicien (piano et batterie). En 1959, son premier atelier est aussi un lieu où l’on joue. 1976, premier concert de jazz à Dresde. 1978, rencontre avec le guitariste-bassiste Frank Wollny. Ils enregistrent en 1968 leur premier LP: Afrika Paranoia. 1980, Penck, miné par la Stasi qui le harcèle, obtient un visa pour quitter la RDA et passer à l’Ouest. En 1983, avec Frank Wollny et Heinz Wollny, il forme le groupeTTT (TripleTripTouch) à Hackney London East End. Il tourne en Europe, puis aux États-Unis où il rencontre la ARTENPOCHETTE philippe ducat JEANNE LEE & TTT Don’t Freeze Yourself to Death Over There in Those Mountains, c.1984 Label dirigé et produit par A.R. Penck (sans appellation) Pressage allemand original (500 exs) A.R. PENCK (Allemagne, 1939-Suisse, 2017) Illustration de la pochette cover art leave the GDR and cross into the West. In 1983, with Frank Wollny and Heinz Wollny, he formed the groupTTT (TripleTripTouch) in Hackney London East End. He toured Europe, then the United States, where he met the free jazz scene: Frank Wright, Denis Charles, Frank Lowe, Butch Morris,William Parker and... Jeanne Lee. Each of them recorded on Penck’s label, which illustrated all their album covers: around forty of them (not counting the CDs, which are banned from this “sectarian” review). Jeanne Lee’s LP , one of her best, is also one of her must have. Racy, high-voiced but not virtuosic, it features Clarence Sharpe on alto sax, Frank Wollny on bass, Denis Charles on drums and A.R. Penck on keyboards. Of particular note is the shadowy portrait of Jeanne Lee climbing the icy mountains horizontally. In homage to the geographer Albrecht Penck, a specialist in the ice age, Ralph Winkler becomes A.R. Penck.n 1 Composition for the bicentenary of the United States, bringing together 4 solo singers, each representing a religious tradition: Protestant, Sephardic, Amerindian and African-American. artpress 528 HOMMAGES 20 Éric Rondepierre. 2021. (Ph. DR) ÉRIC RONDEPIERRE Éric Rondepierre est mort le 2 novembre 2024, il avait 74 ans. Il a été un des artistes et écrivains les plus présents dans artpress. Pendant plus de trente ans, nous avons suivi l’évolution de son œuvre, dont il va falloir à partir d’aujourd’hui mesurer l’ampleur, l’absolue originalité. Nous avons été les premiers à en pressentir et annoncer l’impressionnante aventure. C’était en décembre 1991, Dominique Païni commentait sur deux pages de la revue les séries de « photogrammes cibachromés » d’Éric. Il s‘agissait alors d’images, bientôt l’écrit allait prendre la relève, l’image continuant néanmoins d’y jouer son rôle. En avril 2005, Éric Rondepierre publie un roman au Seuil, la Nuit cinéma, où la fiction se confronte à des séries d’images exposées dans des galeries, notamment dans celles d’Isabelle Gounod et du Château de Jau que dirigeait Sabine Dauré. Il évoque longuement dans un entretien avec Évence Verdier le pourquoi et le comment de cet étrange roman. Quinze ans plus tard, Étienne Hatt retrouve Éric Rondepierre à la faveur d’une exposition de ses nouvelles photographies à la Maison européenne de la photographie et dans quelques galeries. Certaines images, note Étienne Hatt, ont un caractère nettement autobiographique, occasion pour lui de signaler, comme nous l’avons fait souvent dans artpress, qu’on ne peut rien comprendre à l’œuvre d’Éric si on oublie que son enfance fut une enfance terriblement blessée (renvoyons, à ce sujet, au beau texte de Pierre Guyotat qui la révéla dans une préface à une monographie sur son ami publiée en 2003 aux éditions Léo Scheer). C’est de toute évidence cette précoce expérience de l’enlèvement et de l’enfermement, il avait 11 ans et ne sortit de sa détention qu’en 1968, qui amena Éric à s’intéresser à une maison dite de correction, en vérité une vraie prison en plein Paris, « la Petite Roquette». Il en raconte l’histoire dans son livre la Maison cruelle (Mettray, 2022). Dans l’entretien publié à cette occasion, sous le titre «La prison de la honte», il trace un tableau effrayant des conditions dans lesquelles ont vécu les enfants incarcérés (orphelins, petits délinquants). Mais ce serait donner une fausse image de l’homme – qui fut aussi, rappelons-le, comédien, danseur, performeur, pédagogue – et de son œuvre, en les situant sous le seul signe de la tragédie. Deux livres en 2024, Exit (Marest) et le biennommé Facéties (Tinbad) ont dévoilé une autre face de la personnalité d’Éric: le farceur, le provocateur, le fouteur de désordre, aussi profond dans ses dingueries que dans ses analyses du mal. Pour preuve le superbe entretien que nous avons publié de lui dans le numéro 520 d’artpress, «La résistance au sérieux». Mort Éric Rondepierre? Deux livres de lui à paraître en font d’ores et déjà douter, et à charge aux critiques, historiens de l’art et de la littérature, directeurs de musées et de galeries, de le prouver à l’envi en donnant à son œuvre la plus grande visibilité. Pourquoi ne pas envisager très vite une grande rétrospective de son travail photographique? LOUIS CANE Louis Cane, né en 1943 à Beaulieusur-Mer et décédé brutalement le 3 novembre, avait été très présent dans artpress dès les tout premiers numéros, non seulement parce que nous soutenions l’œuvre de celui qui était l’un des membres les plus actifs, et offensif!, de Support-Surface, mais aussi parce que, engagé de toutes les façons possibles, il nous confiait souvent des articles, ainsi, en 1975, un beau texte sur Robert Ryman. À l’occasion de son exposition au Centre Pompidou en 1977 – il était le premier alors jeune artiste auquel le musée confiait ce qui s’appelait «les galeries contemporaines» –, nous avions publié une photographie qui le montrait dans l’atelier, les vêtements maculés, une cagoule sur la tête et un masque attaché au cou qui lui servaient à se protéger des émanations de la couleur, un pied dans la toile au sol, allant de l’avant. Image qui le révélait comme il fut toute sa vie, immergé dans la peinture, et entier, dynamique, énergique. En Mai 68, il avait été l’un de ceux qui avaient mis en place l’atelier populaire de l’École des arts décoratifs de Paris, plus tard Marc Devade et lui furent les principaux artisans de la revue Peinture-Cahiers théoriques. Il fallait être résolu pour, en 1969, en pleine période «conceptuelle», exposer dans une galerie très avant-gardiste, Givaudan, des toiles entièrement couvertes au tampon par la déclaration: «LOUIS CANE ARTISTE PEINTRE». Il fallait du courage et de l’indépendance pour, champion d’une abstraction radicale, invité à exposer dans les principaux musées d’Europe, réintroduire à ce moment-là des éléments venus de la peinture de la Renaissance. Ensuite, Cane n’a cessé de se confronter à l’histoire, de la symétrie des représentations de saint Côme et saint Damien aux scènes de bataille façon Uccello ou scènes de guerre façon Picasso. En 1994, à l’Orangerie, c’est sa version des Nymphéas qu’il proposait. Il y a juste un an, une exposition à la galerie Virginie Louvet reprenait le thème, mais décliné de façon expérimentale sur des supports et avec des matières inédites. Entre abstraction et figuration, Louis Cane était libre, porté par «la couleur et son excès qui vient flamber les formes», pour reprendre les mots de Marcelin Pleynet dans un article qu’il lui consacra, paru dans artpress en 1973. ■ Jacques Henric Catherine Millet En 2024, la Toussaint aura été particulièrement sombre pour artpress qui a vu mourir deux très vieux amis. Louis Cane.1990. (© Ph. Bettina Rheims)
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