SOCIALTER n°54 - Page 6 - 54 Le jour où ma copine s’est pointée en face de moi et m’a dit « j’arrête la pilule », j’ai pensé qu’elle voulait passer au stérilet. J’avais rien pipé. J’avais 26 ans et pour moi la contraception, c’était une histoire de meufs. Jusqu’à ce qu’on me parle du « remonte-couilles toulousain ». Bobika est un homme contracepté depuis 2016. Il raconte son cheminement avec humour, sans lésiner sur les anecdotes farfelues, parfois touchantes et souvent édifiantes. Sans oublier ses rencontres avec des sociologues, médecins et féministes pour nous rappeler qu’au-delà d’une démarche personnelle, la contraception (masculine) reste avant tout un sujet de société. En numérique ou en papier, la journée commence toujours avec@matin_queljournal Rejoignez-nous sur Dans la même collection j’ai pensé qu’elle voulait passer au stérilet. J’avais rien pipé. J’avais 26 ans et pour moi Des essais dessinés pour parler écologie, féminisme et société ! © Bobika – Deloffre – Sabbah – Robert – Dupuy – Terreur Graphique / Mâtin ! 2022 Maltraitance animale Féminisme et société Transition écologique Plastique et surconsommation NOUVEL ALBUM NOUVEL ALBUM Le jour où ma copine s’est pointée en face de moi et m’a dit « j’arrête la pilule », j’ai pensé qu’elle voulait passer au stérilet. J’avais rien pipé. J’avais 26 ans et pour moi la contraception, c’était une histoire de meufs. Jusqu’à ce qu’on me parle ses rencontres avec des sociologues, Nouveauxfronts ’est dans l’air, et ça commence à sentirmauvais.Commelafumée d’un incendie voisin qui vient déposer ses cendres sur les perrons et ses lueurs de fin des temps dans le ciel de Gironde. C’est dans l’air, cette chaleur qui est venue nous tabasser non pas une fois, non pas deux fois, mais trois fois cet été, par vagues écrasantes qui ont grimé lesAlpesengrostasbrunâtreprivésdenévés, assoiffé nombre de villages, fauché les récoltes avant la moisson, rendu exsangues les centrales hydroélectriques et nucléaires. C’est dans l’air, aussi, ce virus qu’on feint d’oublier et que les écologues annonçaient depuis une décennie à force de voir les habitats naturels déchirés façon confettis. Et vous le sentez certainement dans l’air, ce parfum de rationnement, le froid qui va pénétrer les chaumières des démunis qui devront, humiliés une fois encore, choisir entre se chauffer à des coûts délirants ou acheter une nourriture hors de prix. Ça flaire l’angoisse à pleines narines. À raison : un pan du rideau se lève finalement sur ce à quoi vont ressembler nos conditions d’existence. Et ce n’est pas la chaleur ou le froid qui nous serrent les tripes, ni le manque ou l’excès, ni même l’incertitude ou les contraintes nouvelles, mais bien de sentir qu’à ce rythme, il ne faudra pas longtemps pour que la vie soit réduite à la survie. Alors quoi ? « L’anxiété ne permet pas d’avoir une action utile, je suis pour l’éco-lucidité. » Il a bien raison, notre président de la République, si seulement ce n’était pas là le comble du cynisme. Une fois n’est pas coutume, il tient les mêmes propos que des figures de la gauche radicale ! Ainsi de Frédéric Lordon, qui s’attaque au concept médiatique de l’éco-anxiété, cette « gelée tremblotante comme un flan industriel » : « Une anxiété, ou plutôt une angoisse, est une peur qui travaille sourdement de demeurer sans contour, de ne pouvoir accéder à des figures suffisamment nettes et adéquates pour monter une réaction appropriée. rédacteur en chef Philippe Vion-Dury L’anxiété, l’angoisse, viennent de pressentir un péril mais dont on ne sait pas exactement d’où il vient, quelles en sont les causes, donc a fortiori comment s’en défendre 1 . » On peut rester songeur, car même lorsqu’on se considère parfaitement lucide quant aux causes et aux agents de la catastrophe, on ne peut s’arracher totalement au sentiment d’angoisse qui nous saisit à intervalles réguliers. D’ailleurs, on voit mal pourquoi, pour reprendre les mots de la pédopsychiatre et sociologue Laelia Benoit dans nos colonnes, il faudrait choisir entre se changer soi-même et s’attaquer au grand capital. Mais passons : il est clair que l’anxiété ne peut être qu’un point de départ, certainement pas un point de chute. C’est le pressentiment sensé de l’imminence des catastrophes qui nous guettent, et pas la pathologie de jeunes urbains avec des problèmes de riches qu’il faudrait soigner. Mais au-delà du constat posé par Frédéric Lordon et d’autres, la question reste : comment ? Comment faire pour que l’angoisse accouche d’affects plus féconds, plus politiques, en mesure de changer radicalement de société… Il faut bien saisir deux choses : déjà que la bataille qui est dorénavant livrée n’oppose pas le camp des lucides au camp de ceux qui seraient dans le déni ; ensuite, qu’il est vital de comprendre contre qui et quoi on se bat – sinon on ne comprend rien du tout. Ce ne sont pas les sceptiques, espèce en voie de disparition, qui nous menacent, ou même les « relativistes », mais bien en premier lieu ceux qui protègent les intérêts économiques qui nous traînent vers l’abîme. Et puis il y a les autres, les idiots utiles, tout aussi nocifs bien malgré eux. Ceux qui veulent croire que tout peut continuer comme avant si seulement on verdit un peu tout ça, ceux qui veulent prendre l’avion vert trois fois par an, s’en remettre aux entreprises et aux collectivités pour amorcer la « transition », qui veulent la mobilité individuelle à l’hydrogène, la clim’ renouvelable et la quiétude d’une société de classes sans conflits de classes. Changer les comportements sans stigmatiser les riches – et euxmêmes au passage. Les nouveaux fronts qui s’ouvrent ne sont pas entre déni et lucidité, entre action et inaction, mais entre les tenants de deux ordres sociaux incompatibles. Et il est trop tard pour être calme – ou seulement angoissé. Éditorial 3Socialter n° 54 1FrédéricLordon,« Maintenantilvafalloirledire », LeMondediplomatique,30 novembre2021. Sommaire P.18 Dossier Êtes-vous éco-anxieux ? P.20 Éco-anxiété : un deuil par anticipation P.24 Laelia Benoit : « Ne vous laissez pas polluer par la négativité » P.28 Les bonnes fortunes de l’éco-anxiété P.31 La Sauron-anxiété P.32 « Si la tempête revient… » P.40 Paroles d’éco-anxieux P.44 De l’angoisse à la colère P.47 Épilogue OursP.6 Groupe famille La montée des eaux expliquée à mes parents P.8 Compose ta Climatorassuriste P.10 Kim Stanley Robinson « La science-fiction est le réalisme de notre époque » P.48 Grand reportage Estonie, la forêt a des yeux P.56 Enquête Landes, un jour sans pin ? P.62 Ressources critiques Sable : des crimes et des lits P.66 Commentaire de texte Leur sobriété et la nôtre P.70 Troisième nature Jardinières, un luxe hors-sol P.74 Salomé Saqué Les superprofits de la honte P.76 Plat de résistance L’arpentage, ce punk de la lecture P.80 L’effet pare-brise C’est beau une ville qui tolère ses ruines P.84 Au labo The Line, à la queue neuneu P.86 François Bégaudeau Pas besoin du fascisme P.88 À la sauce Alter À poils les tracteurs ! P.91 Livres et sorties P.96 Herbert Marcuse Refus et liberté Socialter bimestriel no 54 octobre — novembre 2022 Bureaux de la rédaction 5 passage Piver, 75011 Paris Directeur de la rédaction Olivier Cohen de Timary Rédacteur en chef Philippe Vion-Dury Réd. en chef adjoint Clément Quintard Rédaction redaction@socialter.fr Directrice artistique Marine Benz Responsable marketing et communication Ève Guiraud Assistant communication Antoine Polet Stagiaire journaliste Eva Cohen Correction/Editing Brigitte Pennaguer Solène Peynot Contributeurs pour ce numéro François Bégaudeau Barnabé Binctin Youness Bousenna Vincent Bresson Nicolas Celnik Eva Cohen Léa Dang Vincent Gautier Christelle Granja Sophie Kloetzli Isma Le Dantec Vincent Lucchese Damien Mestre Clément Quintard Victoire Radenne Salomé Saqué Philippe Vion-Dury Illustration de couverture Simon Bailly Illustrateurs pour ce numéro Benjo Bonito Miguel Bucana / Creasenso Uli Knörzer Vinnie Neuberg Bande dessinée Tienstiens Bandes détournées Photographes pour ce numéro Nicolas Celnik Cyrille Choupas Romain Meffre & Yves Marchand Aurélie Slonina Édition Socialter SAS Siège social 108 rue du Théâtre 75015 Paris RCS Paris 797 454 832 Directeur de la publication Olivier Cohen de Timary Principaux associés O.C.d.T., Fairway International Impression Léonce Deprez Z.I. de Ruitz 62620 Ruitz Distribution MLP Numéro ISSN 2270-6410 Numéro de commission paritaire : 1123 D 92060 Service des ventes réservé aux professionnels Abomarque - diffusion kiosque amandine@abomarque.fr 06.81.09.44.57 Publicité & Partenariats partenariat@socialter.fr Abonnements Socialter / Abomarque CS 60003 31242 L’Union Cedex 05.34.56.35.60 abonnement@socialter.fr Abonnement direct sur Internet www.socialter.fr Socialter est une marque déposée Imprimé en France Certification : PEFC 100% Ptot : 0.0078 kg/t 6 Octobre — Novembre 2022 en ligne maintenant Groupe famille Maman Coucou ma chérie, tu connais pas la dernière de ton père ? Maman Sérieusement, on court aucun risque nous, rassure-moi… ? Maman Je sais pas trop comment ça lui est venu, mais il s’est mis en tête que la baraque allait être engloutie par les eaux. Il a même demandé à un chef de rayon chez Leroy Merlin s’il était possible de mettre la maison sur pilotis… T’imagines la honte ? Moi Non, qu’est-ce qu’il a encore fait ? Moi Bon, désolée Maman, mais pour une fois je crois bien que Papa dit pas que des bêtises. Tiens, tu peux aller vérifier par toi-même, il y a une carte qui montre bien qu’une partie de Saint-Omer va être sous les eaux d’ici la fin du siècle... Moi Et sur toute la France, ça donne ça : Papa Puisque je te dis que j’ai entendu à la TV qu’on était menacés, même si on n’habite pas sur le littoral !!! C’est le Déluge La montée des eaux expliquée à mes parents Alors que Papa s’est subitement mis à flipper que notre maison puisse être un jour sumergée par la hausse du niveau des mers, Maman ne semble pas prendre la menace au sérieux. Elle a bien tort… texte Clément Quintard https://bit.ly/niveaudesmersfrance 7Socialter n° 54 Maman Ah ouais Brigitte et Daniel ils sont dans la panade aussi en Camargue !! Bon en attendant si c’est dans 100 ans on sera déjà tous morts… Papa Pas moi ! Je compte bien me faire cryogéniser Papa Bon d’ailleurs c’est à cause de la fonte des glaces aux pôles tout ce bazar j’imagine ? Papa Mais y a rien à faire contre ça ? Construire des digues, je sais pas... Papa Papa Chérie fais tes valises, on déménage à Chamonix ! Maman Bon, et j’imagine que t’as un petit truc pour nous remonter le moral là ? Papa Hof, un mètre, deux mètres, c’est pas si terrible en fait ? Je m’attendais à pire. Moi C’est ça ! Plus les températures moyennes sont élevées, plus la fonte de la calotte glaciaire s’accélère, ce qui entraîne une augmentation du niveau des mers qui pourrait atteindre un mètre d’ici la fin du siècle selon le Giec… D’autres organisations estiment que cette hausse pourrait même atteindre les 2 mètres... Moi Ben si Papa, c’est terrible… Rien qu’en France, 1,4 million de personnes sont exposées au risque de submersion marine. Des archipels entiers, comme les Maldives ou Tuvalu, risquent d’être rayés de la carte… Moi Oui, c’est malheureusement l’option privilégiée un peu partout dans le monde, faute de mettre en œuvre de vraies politiques qui nous permettraient de limiter le réchauffement climatique en dessous des 2 °C, et donc d’atténuer la hausse du niveau des mers…. Moi En Indonésie, on est actuellement en train de déplacer la capitale, Jakarta, sur une autre île. Non seulement la ville est exposée à la montée des eaux, mais en plus elle s’enfonce de 18 cm tous les ans à cause du pompage des eaux souterraines. Moi Ben désolée, pas vraiment. Je pourrais te dire qu’il y a pas mal d’incertitudes quand même sur toutes ces prévisions, notamment concernant l’effet des rétroactions sur le climat que pourraient entraîner la fonte d’une partie importante de la calotte glaciaire… Mais ça plaide pas du tout pour un scénario plus optimiste. En tout cas, si les glaces de l’Antarctique, qui représentent 90% de la calotte glaciaire mondiale, venaient à disparaître, le niveau des océans augmentera alors de… 57 mètres. Moi Ce n’est pas tout : certaines boucles de rétro action liées à l’augmentation des températures pourraient entraîner des emballements inexorables, comme pour le glacier Thwaites, en Antarctique, surnommé « le glacier de l’apocalypse ». Sa fonte pourrait entraîner une élévation de 3 mètres du niveau des eaux. Glacier Thwaites 0 200 400km Maman Eh ben voilà bravo on va encore bétonner dans tous les sens et massacrer les écosystèmes… 8 Compose ta climato-rassuriste SUR UN TON D’ÉVIDENCE, CALME ET SEREIN : En nous entendant geindre face à quelques petits degrés en plus cet été, les habitants de _______________________et de _____________________ont dû rire ! __________°C, n’est-ce pas leur quotidien ? L’homme n’a pas attendu l’invention d_ _____________ou d_ __________________ pour savoir que quand il fait très chaud, il faut éviter de s’habiller en noir. D’ailleurs, la semaine prochaine, on annonce ________°C à ________________ ! Bref, le climat, c’est compliqué : ce qui était __________________il y a _____millénaires est peut-être aujourd’hui un__________________ et inversement. Regardez le Croissant fertile ! Commençons donc par avoir un peu de bon sens quand la météo devient ___________, et hydratons nos ____________qui furent si nombreux à nous quitter lors de la canicule de 2003. Ensuite, l’humanité a prouvé qu’elle sait __________ aux conditions les plus extrêmes : les ______________, les ______________en témoignent. Enfin, n’en déplaise aux _______________du progrès, le réchauffement climatique n’est pas forcément un________________. Les Européens pourront bientôt cultiver des ________________, c’est plutôt une bonne nouvelle ça, non ? Bien sûr, il nous faudra parier sur les______________ technologiques, et la coopération ___________.L_ ____________l’a bien compris en investissant massivement dans les ______________climatisés. Il faut arrêter de faire peur aux gens ! ville d’Afrique subsaharienne ville d’Amérique centrale nombre entre 35 et 50 couvre-chef estival appareil électronique rafraîchissant nombre entre 10 et 15 ville du sud de la France écosystème verdoyant adjectif synonyme de « vieux » verbe peuple du désert événement pas cool fruit exotique micro-État du golfe Persique infrastructures sportives nom au pluriel adjectif métier du funéraire peuple du Grand Nord écosystème aride chiffre Octobre — Novembre 2022 Socialter n° 54 Octobre — Novembre 2022 Socialter n° 54 « La sciencefiction est le réalisme de notre époque » propos recueillis par Philippe Vion-Dury Rares sont les écrivains populaires qui abordent de front le système capitaliste, les grandes théories économiques et sociales, les utopies… et plus rares encore sont ceux qui s’intéressent à la catastrophe écologique et au futur proche qu’elle nous promet. L’Américain Kim Stanley Robinson, auteur prolifique et politique, célébré dans le monde entier pour sa trilogie sur Mars, est de ceux-là. Il a accordé un entretien à Socialter sur son dernier livre, The Ministry for the Future (Orbit, 2020), qui sera traduit en français l’année prochaine et s’est déjà taillé une renommée considérable. Écoterrorisme, géo-ingénierie, adaptation, radicalité… il revient sur les thèmes qui parcourent l’ouvrage et, plus largement, la littérature contemporaine. Kim Stanley Robinson 11 illustration Miguel Bucana — Creasenso
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