LES CAHIERS DE L'ECOLE PASTORALE n°134 - Page 3 - 134 1 Les Cahiers de l’École pastorale 134 (4/2024) Édito Fake news Erwan Cloarec Rédacteur en chef Les fake news auront rythmé la campagne des élections américaines, c’est un fait. À l’ère de la post-vérité, l’objectif dans le débat public ne semble plus tant être le fait de rechercher l’exactitude ou la justesse du propos, mais d’occuper le terrain. Occuper le terrain, non pluspourdirelavérité,maispour être LA personne qui se pose comme légitime pour proposer sa version de l’histoire. Et les analystes constatent que, dans cette guerre de désinformation, les stratégies visant à débunker les mensonges du camp adverse ne fonctionnent plus. Elles ne prennent plus. Elles apparaissent même comme des stratégies suspectes, porteuses de mensonge. Qu’il n’en soit pas ainsi au milieu de nous. Jacques Nussbaumer dans un article récent des Cahiers nous appelait à la sagesse. Il encourageait la pratique d’un doute méthodique, à distance du scepticisme radical qui “nourrit une crédulité vis-à-vis des thèses alternatives1 ”, comme à distance de la prétention à détenir et asséner des vérités fermes et définitives, au risque d’alimenter les clivages et de mettre en échec la recherche de la vérité commune. , p.1-3 1 Jacques NUSSBAUMER, “La sagesse chrétienne, victime collatérale des réseaux sociaux en crise d'infox ?”, Les Cahiers de l’École pastorale, n°129, janvier 2024. CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 1 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 1 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 2 Cette livraison des Cahiers voudrait aider, sous différents angles, à pratiquer la sagesse chrétienne, en quête d’un discernement juste. La contribution de votre serviteur sur la manière d’écouter la Bible comme Parole de Dieu donnée dans des paroles d’hommes – retranscription d’un dialogue vécu sur France Culture –, l’approche nuancée de Marjorie Legendre sur le thème sensible de l’accompagnement de la fin de vie, ainsi que la contribution de Laurent Descos sur la manière de préparer et vivre une assemblée générale d’Église délibérative saine nous engagent dans cette voie de sagesse. Que cet apprentissage contribue ainsi à faire de la communauté chrétienne une voix prophétique, elle qui, comme nous le rappelle Cédric Eugène dans “L’espérance de la gloire, pour nous et pour le monde”, est appelée comme monument du triomphe de Christ, à être une démonstration de cette espérance pour le monde d’aujourd’hui. . ERWAN CLOAREC CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 2 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 2 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 3 ÉDITO : FAKE NEWS CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 3 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 3 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 4 Les Cahiers de l’École pastorale Quelques abréviations que vous pourrez rencontrer dans ce numéro CNEF : Conseil national des évangéliques de France EPUdF : Église protestante unie de France FEEBF : Fédération des Églises évangéliques baptistes de France FLTE : Faculté libre de théologie évangélique (Vaux-sur-Seine) IBN : Institut biblique de Nogent-sur-Marne UEEL : Union des Églises évangéliques libres APEB : Assemblées protestantes évangéliques de Belgique ETF Louvain : Evangelical Theological Faculty de Louvain (Belgique) CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 4 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 4 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 5 Les Cahiers de l’École pastorale 134 (4/2024), p.5-22 Quel regard portons-nous sur l’Église, nos Églises ? Souvent fragiles, trop humaines, nous pourrions avoir tendance dans notre ministère à être découragés par ce que nous vivons, observons. Le présent article nous invite à regarder au-delà, plus loin, plus haut. Explorant la notion de souffrance et de joie dans la vocation chrétienne à travers la lettre de Paul aux Colossiens, et mettant l’accent sur la primauté du Christ comme créateur et rédempteur, ainsi que sur le rôle de l’Église en tant que corps du Christ, il nous invite à reconsidérer l’être et la vocation de l’Église : son appel à être une démonstration vivante de l’espérance de la gloire. Monument du triomphe de Christ, elle est l’incarnation de cette espérance d’un monde réconcilié, pacifié, harmonieux dans sa dépendance à Dieu. L’espérance de la gloire, pour nous et pour notre monde Cédric Eugène Doyen et professeur de NT à la FLTE CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 5 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 5 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 6 “Souffrances”, “détresses”, “peine”, voici trois mots qui n’aideront certainement pas à résoudre la fameuse “crise de la vocation”. Ce sont les mots que l’apôtre choisit dans sa lettre aux Colossiens pour décrire ce qu’il vit (Col 1.24-29). Bon… j’avoue avoir un peu noirci le tableau. En fait, il évoque des souffrances, mais en même temps il écrit “je me réjouis” (1.24) ; il mentionne des détresses mais, en même temps, il parle “d’annoncer la Parole jusqu’à sa plénitude” (1.25) – c’est-à-dire que la Parole soit proclamée sans qu’il ne manque rien – et d’amener tout humain “à l’état d’adulte” (1.29) – autrement dit, à un état où il ne lui manque rien en Christ. Il ne cache rien de la peine qu’il se donne, mais il fait, jour après jour, le même constat : “combattant par son action qui, avec puissance, est à l’œuvre en moi”. (1.29) Et au beau milieu de ce passage, l’apôtre s’écrie : “Christ en vous, l’espérance de la gloire”. (1.27) Certains diront probablement que l’apôtre a mené une existence tout en tension. Certainement. Mais son existence était surtout tendue vers Christ. D’où lui venait donc une telle force, celle de ses mots, celle qui se traduisait par sa détermination ? Lui venaitelle d’un trait de caractère ? Était-ce de l’optimisme ? N’était-ce rien d’autre qu’une tournure d’esprit qui le disposait à prendre les choses du bon côté, en négligeant leurs aspects fâcheux ? En parlant d’aspects fâcheux, il les a éprouvés dans sa chair, et à bien des reprises. Non ! Il ne les a ni cachés ni négligés ! Non ! Ce n’était pas juste une tournure d’esprit ! Non ! Paul n’était pas un candide optimiste : “tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles” ! Mais alors, d’où lui venait donc sa force ? Elle lui venait de ce qu’il savait désormais concernant Jésus, le Christ : “Christ en vous, l’espérance de la gloire”. Cette affirmation est si condensée qu’on en pressent la densité sans être certain d’en pouvoir tout bien mesurer. À vrai dire, ce cri ne surgit pas à n’importe quel moment de la lettre. CÉDRIC EUGÈNE CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 6 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 6 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 7 Ce que condense cette affirmation, c’est l’hymne qui l’a précédée en Colossiens 1.15-20, un hymne qui manifeste une perception très claire de la personne et de l’œuvre du Christ au sein de l’univers. Cette hymne se compose de deux strophes (1.15-16e et 1.18b-20) séparées par un court passage intermédiaire : 1.16f-18a. Relisons-le donc, puisque Paul nous y invite. LA PRIMAUTÉ DU FILS CRÉATEUR (1.15-16e) “Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute création ; car c’est en lui que toutes choses ont été créées dans les cieux et sur la terre, le visible et l’invisible, trônes, seigneuries, principats, autorités.” L’image du Dieu invisible Le point de départ de l’hymne est clair, c’est la relation du Fils avec Dieu le Père : “Il est l’image du Dieu invisible”. En qualifiant Dieu d’invisible, Paul fait écho aux textes de l’Ancien Testament. L’invisibilité de Dieu est présumée partout où des anges le représentent et communiquent sa volonté aux hommes (Gn 16.7-12 ; 22.11-12 ; Ex 3.2-6 ; 14.19-20). Elle constitue également l’arrière-plan des commandements interdisant la fabrication d’images de Dieu (Ex 20.4-6 ; Dt 5.8-10). Quelle image humaine pourrait représenter ce que l’œil de l’homme n’a jamais vu ? Mais en écrivant aux Colossiens, Paul s’adressait à des hommes et des femmes de culture hellénistique. Or, dans cette culture aussi, il était question de l’invisibilité de la divinité. Cette invisibilité impliquait L’ESPÉRANCE DE LA GLOIRE, POUR NOUS ET POUR NOTRE MONDE CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 7 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 7 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 8 nécessairement une question : “Comment connaître le dieu invisible puisqu’il nous demeure, de par son invisibilité, inaccessible ?” Le monde hellénistique de l’époque du Nouveau Testament répondait à cette question en se référant au concept d’“image” pensé par Platon quelques siècles plus tôt. Celui-ci avait réparti le monde entre le monde des idées – uniquement accessible à la cognition mentale –, et le monde des images – perceptible par les sens (vue, ouïe, etc.). La divinité se trouvait alors située dans le monde des idées. Pour Platon, le monde perceptible était une “image de la divinité”, il en était une émanation. Plus précisément, le principe qui donnait au monde visible son sens, sa cohésion et son ordre, reflétait quelque chose de la divinité invisible. Ce principe, les uns l’appelaient “Logos”, et les autres “Sagesse”. Or, ce que les uns appelaient “Logos” et les autres “Sagesse”, Paul le présente : Jésus-Christ est l’image de Dieu. Cette idée d’image, chez Paul, correspond à ce que l’on trouve dans l’Épître aux Hébreux : “le rayonnement de la gloire [de Dieu]” et “l’empreinte de sa personne” (Hé 1.3). Il ne s’agit donc plus de scruter la création pour espérer y découvrir le principe caché, mais de se tourner vers Jésus en qui sont tous les trésors de la Sagesse divine (Col 2.3). Parler de Jésus comme “image de Dieu”, c’est mettre en évidence son rôle de révélateur du Père. L’inaccessible devient désormais accessible, pour nous ; un chemin nouveau a été inauguré pour nous en et par Jésus-Christ. Ce n’est pas l’homme qui aurait percé un quelconque mystère, mais Dieu qui offre à l’humain de le connaître. C’est la préexistence – l’existence du Fils précède celle de la création – puis l’incarnation qui sont rappelées par l’apôtre dans cette première strophe. Le premier-né de toute la création Mais il ne faudrait pas que les Colossiens s’y trompent, ni nous d’ailleurs. Le Fils n’est pas image parce qu’il se confondrait avec CÉDRIC EUGÈNE CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 8 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 8 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 9 la création ou qu’il en ferait partie. Certes, Dieu se rend présent au monde par son image, le Fils, mais en même temps le Fils transcende toute création. Il en est, lui, le premier-né. Ici, Paul continue de présenter Jésus comme la Sagesse de Dieu en utilisant le langage du monde hellénistique, mais selon les concepts vétérotestamentaires. Dans la littérature de sagesse de l’Ancien Testament, la Sagesse de Dieu était considérée comme acquise/établie avant que quoi que ce soit ne soit créé (Pr 8.22-31). Elle a elle-même participé à la création ; elle en est même le “commencement”. Il ne s’agit pas de commencement comme de la première œuvre créée, mais du commencement comme principe de création. C’est à cause de la Sagesse et par elle que Dieu a créé. Dans le judaïsme du temps de Paul, on considérait même que la Sagesse partageait le trône de Dieu (Siracide 1.4 ; Sagesse de Salomon 9.4,91 ). Mais voilà le plus intéressant : elle était appelée “Fils premier-né” de la création2 . C’était une manière de souligner la primauté de la Sagesse sur tout le monde créé. L’expression “premier-né” vient des réalités sociales au sein des familles israélites. Ce sujet occupe une place importante dans l’Ancien Testament. Le fait d’être né comme premier enfant mâle d’une famille entraînait le privilège d’une bénédiction et d’une primauté en matière d’héritage. Mais, à mesure que l’on avance dans la lecture de l’Ancien Testament, on se rend compte d’un élargissement sémantique de l’expression “premier-né”. Le “premier-né” n’est plus nécessairement le premier né, mais celui qu’une parole de bénédiction établit comme tel. Ainsi, Jacob est né après son frère Ésaü, mais c’est bien lui qui reçoit, par la 1 Le Siracide et le livre de la Sagesse de Salomon ne font pas partie du canon des écrits inspirés. Ils sont simplement utiles pour se faire une idée de ce que l’on pensait dans le judaïsme pluriel du temps de Jésus et des apôtres. 2 C’était par exemple le cas pour Philon d’Alexandrie. L’ESPÉRANCE DE LA GLOIRE, POUR NOUS ET POUR NOTRE MONDE CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 9 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 9 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57 10 parole de bénédiction d’Isaac, son père, la primauté sur son frère (Gn 48.17-19). L’élargissement du sens de l’expression sera tel que l’on pourra utiliser l’expression “premier-né” simplement pour évoquer une primauté et un honneur. Ce vers quoi Proverbes 8.22-31 pointait, Paul le voit incarné en et par Jésus-Christ, lui, la manifestation parfaite de la Sagesse de Dieu. Celui dont nous savons qu’il a fait la fête avec les humains aux noces de Cana ; celui dont nous savons qu’il a pleuré à l’occasion du décès de Lazare ; celui dont nous lisons dans l’évangile de Jean que le disciple qui se savait tant aimé de Jésus avait posé sa tête sur sa poitrine… De celui-là, Paul nous dit qu’il transcende le monde créé : “car c’est en lui que tout a été créé dans les cieux et sur la terre, le visible et l’invisible, trônes, seigneuries, principats, autorités.” (1.16) Paul rend le lecteur attentif au fait que toute la réalité visible et invisible, terrestre et céleste, a été créée “en lui”. Il ne s’agit pas d’évoquer la primauté du Fils comme un rapport de force. Ce qui est placé sous nos yeux est un rapport de vie. En disant que tout a été créé “en lui”, Paul dit quelque chose du même ordre que ce que Jean affirme dans son évangile : “en lui était la vie” (Jn 1.4). D’une manière permanente, l’ensemble des êtres vivants puise sa vie dans le Fils. Toutes choses ont leur cohésion dans le Fils. Elles ont toutes été créées en lui comme en leur centre d’unité et de vie. Toutes les lois qui président au gouvernement de l’univers ont, par suite de cela, leur point de départ dans le Fils. Toute la création dépend de lui. CÉDRIC EUGÈNE CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 10 CAHIER N°134 interieurnéo essai.indd 10 17/12/2024 18:57 17/12/2024 18:57
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