GUERRES ET HISTOIRE n°84 - Page 4 - 84 QUAND LA FRANCE TENTE D’ÉVOQUER LA GUERRE D’ALGÉRIE, ÇA NE SE PASSE JAMAIS COMME PRÉVU ! Quand, à l’occasion du décès d’un célèbre photographe, l’État unit un maire ambitieux, une historienne rigoureuse et un artiste visionnaire en vue d’ériger un mémorial dédié aux victimes de la guerre d’Algérie alors qu’ils ne sont d’accord sur rien... Quand s’y ajoutent diverses communautés et mémoires collectives, des associations, des partis politiques, des réseaux sociaux… On se dit que le mémorial va devenir cauchemar. Pourtant, de petits creux en gouffres infranchissables, nos Trous de Mémoires n’ont jamais été aussi pleins de nous. © JUNCKER / LE LOMBARD 2025 Guerres&Histoire No 84 • 3 ACTUALITÉS 4 Entretien Guderian, prophète d’une illusion 6 Actualités de l’histoire militaire 10 La vigie L’Armée rouge et la mobilisation des civils 12 Résonances Pour quelques arpents de neige? LES HOMMES 44 Le soldat oublié Boyer le Cruel, le champion de la loi du sabre 48 Le témoin Ramon Josa: «J’avais le MiG dans le viseur de mon Crusader» 56 Archéologie Des armures aux balistes: les reconstituteurs ressuscitent des technologies disparues PORTFOLIO 62 Jimmy Hare: soleil levant sur l’Asie OPÉRATIONS 72 Guerres et campagnes Indonésie: la première guerre d’indépendance perdue par l’Occident 80 Rapport de bataille Camaret, 18 juin 1694: Vauban sauve Brest en personne BOULONS ET BOUTONS 86 Artefact La masse d’armes d’Henri II: casse-tête tape-à-l’œil CE QU’ON EN PENSE 88 Vos questions, nos réponses 92 Livres 96 Wargames 98 BD SOMMAIRE G&H NO 84 56 44 DOSSIER 1945: COMMENT LA GUERRE A BOULEVERSÉ L’ART MILITAIRE 16 Combattre: les ruptures technologiques révolutionnent la tactique 24 Éther: la révolution électronique 30 Logistique: l’invention de la guerre mondialisée 36 Les opérations dilatent le temps et l’espace 42 Un héritage mal digéré Guerres&Histoire No 84 • 3 Recevez Guerres&Histoire chez vous: le bulletin d’abonnement se trouve p. 55. Abonnement par téléphone au 0146484788ou par Internet sur www.kiosquemag.com. Ce numéro comporte sur tout ou partie de sa diffusion: Encart REDER LIRIADE APPELÉS EN ALGÉRIE posé sur la quatrième de couverture. Crédits couverture: GetArchive – © Collection Ramon Josa – Photo12 – Photo12/Alamy. Crédits sommaire: GetArchive – © Collection Maxime Petitjean – SVV Giraudeau – RMN/Musée de l’Armée. 86 4 • Guerres&Histoire No 84 G&H: Pourquoi avez-vous entrepris cette biographie de Guderian? JeanLopez:Ilfaudraitplutôts’étonner de l’absence de biographie en français de l’homme qui a crucifié la France en 1940!Lesseulshistorienss’yétantvraimentintéresséssontdesAnglo-Saxons, mais à une ou deux exceptions, ils ont trop fait confiance aux Souvenirs d’un soldat, l’autobiographie de Guderian parue en 1950, monument de mauvaise foi, d’omissions et de mensonges. J’ajoute qu’il m’est également apparu possible de faire le récit complet de son existence,c’est-à-direderegarderavant et après la décennie 1935-1945. De quelles sources vous êtes-vous servipourabordercesdeuxpériodes, l’avant et l’après? J’ai épluché l’énorme correspondance que Guderian a entretenue avec son épouse Margarete: 3000 pages dans lesquelles il se livre sans fard et sans craintedelacensure,puisqueceslettres sont acheminées par des circuits personnels, sans contrôle postal. J’ai donc pu le suivre à la trace dans ses jeunes années,marquéesparlarudeéducation reçue dans une école de cadets, sa formationdanslecorpstrèsparticulierdes Jäger (les «chasseurs») puis durant la Première Guerre mondiale, qui l’a vu passer des transmissions au renseignement puis à la logistique. Vous levez un lièvre sur sa conduite en 1919… J’airegardédeprèssonactiondurantson détachementenCourlande(actuelleLettonie).Ilm’estapparucommeunofficier de la droite extrême, un homme en perditiondanslemaelstromd’après-guerre et… un mutin qui n’aurait pas hésité à troquer son uniforme allemand pour endosser celui de l’armée russe! Vous vous attardez sur sa contribution réelle à l’éclosion des divisions panzers. C’est normal, puisque c’est principalement à ce titre que Guderian est entré dans l’histoire. Alors, Guderian est-il ou n’est-il pas le père des panzers? Surleplanintellectuel,non.Surleplan pratique, oui, au moins à moitié. Le précurseur, le modèle, le grand expérimentateur, c’est le Royal Tank Corps britannique, dont les revues techniques allemandes que j’ai dépouillées dissèquent les manœuvres avec passion jusqu’au début des années 1930. En Allemagne même et en Autriche, d’autres ont, avant Guderian, imaginé la division panzer, parfois même dans le détail. J’ai scruté toutes les fonctions qu’il a tenues depuis 1922 pour comprendre où, quand et avec qui son action a pu se faire sentir. Où? Dans un minuscule bureau de l’inspection des transports motorisés. Quand ? Pas avant 1928 et surtout après 1931. Avec qui ? Avec Oswald Lutz, son chef, son mentor, legénéral aveclequel il forme un duo indissoluble, mais que l’on a oublié. On est loin de l’idée qu’il a été le prophète solitaire des panzers! Ça, c’est l’histoire qu’il a racontée dans ses mémoires, en marchant allègrement sur ses anciens collègues. Guderianétaitlegenred’hommesquisavent se faire aimer, qui savent emmener, mais qui ont également le don de se créer des ennemis. On dirait qu’il en a besoin pour fonctionner! Une boule d’énergieetd’agressivité!Sabêtenoire est le général Beck, chef de l’état-major de l’armée de Terre de 1933 à 1938. Guderian l’a accusé d’avoir tout fait pour bloquer l’éclosion de la division panzer.Riendeplusfaux!Beckestsans aucun doute un des plus grands chefs militaires allemands du XXe siècle, et il a rendu bien des services à Guderian. J’ai tenté de faire comprendre les différences de points de vue entre les deux hommes. Beck est un manager général quialachargeécrasantedereconstruire l’arméedeTerretoutensurveillantHitler et Göring du coin de l’œil. Guderian ne voit pas plus loin que ses divisions panzers, et il agit souvent comme un petit chef de bureau vindicatif qui débine ses supérieurs et qui mène un flirt très poussé avec le nazisme. Quel est son rapport à Hitler? Il l’admire sincèrement, et sa femme encore plus que lui. Il applaudit ses initiatives les plus risquées et, dans les affairesquinesententpasbon–laNuit des longs couteaux ou la démission de Fritsch sous l’accusation d’homosexualité, par exemple –, il lui trouve des excuses. Il est, de loin, l’officier de son grade qui voit le plus souvent le Führer en tête à tête. Lequel, ayant deviné sa vanité, le roule dans la farine plus d’une fois, mais assure également sa carrière. Joue-t-il vraiment le premier rôle durant les campagnes de Pologne et de France? En Pologne, certainement pas. Il agit dans un secteur secondaire. Le bourreau des Polonais est plutôt Hoepner, qui pousse ses panzers en huit jours jusqu’à Varsovie. En revanche, Guderian a le chic pour obtenir des retours d’expérience poussés et pour corriger tout ce qui peut l’être. Il l’avait déjà fait après sa chevauchée vers Vienne durantl’Anschluss.Soitditenpassant, Churchillacolportédesragotsendécrivant cette affaire dans ses Mémoires comme une piteuse équipée: en réalité, c’est une opération de saisie quasi parfaite et d’une étonnante modernité. EnPologne,cequisauteauxyeuxc’est, d’unepart,l’absencecomplètedecoordinationaveclaLuftwaffe,d’autrepart la faible allonge de la logistique. EtenFrance,Guderianjouebienlerôle principal? Principal, mais pas unique. Son indiscipline et son égocentrisme ont joué à fond dans le sens de la victoire. Ce sera le contraire en URSS. Que voulez-vous dire? JouerensoloenFrancefaceàunGamelin, sur de bonnes routes, par beau temps, sur 250 kilomètres et durant dix jours est une chose. Garder le même comportement indiscipliné et égoïste Dans une biographie novatrice, Jean Lopez jette une lumière crue sur Guderian. Celui qui se présentera après-guerre comme un technicien apolitique a été un grand admirateur d’Hitler, qui a su le flatter… et le corrompre! PAR ARTHUR LABAUME GUDERIAN, PROPHÈTE D’UNE ILLUSION «Durant la campagne de France, l’indiscipline et l’égocentrisme de Guderian ont joué à fond dans la victoire. Ce sera le contraire en URSS.» ACTUALITÉS ENTRETIEN Directeur de la rédaction de Guerres & Histoire, JEAN LOPEZ est l’auteur de nombreux ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. BRIDGEMAN IMAGES Guerres&Histoire No 84 • 5 pas les besoins prioritaires de l’infanterie et de l’artillerie. De ce point de vue, il porte des œillères épaisses. Il atteint le sommet de sa carrière en devenantchefdel’état-majorgénéral de l’armée de Terre. Sil’onveut.Iln’auraitjamaisdûaccepter ce poste en trompe-l’œil, qui va lui faire avaler des couleuvres par dizaines et l’amener à tremper dans de vilaines affaires, la répression de l’insurrection de Varsovie au premier chef. Il n’a pas bronché en voyant, à partir de juillet 1944, le niveau des pertes humaines s’accroître puis s’envoler durant l’hiver. Il est l’un des responsables du terrible bain de sang que connaît la Wehrmacht à cette période: il y a autant de soldatstuésdurantsonmandatàlatête de l’OKH, c’est-à-dire sur le seul front de l’Est, que durant la période 19391943 sur tous les fronts! Que devient-il après-guerre? Les camps, les prisons, le tribunal de Nuremberg… Il est accusé? Niaccusénicondamné.J’expliquecommentetpourquoiils’entirealorsqu’ily avait de quoi l’envoyer à l’ombre pour quelques années. Certains de ses collègues,quin’avaientpaseusesresponsabilités, s’en sont moins bien tirés. Les Américains lui ont-ils sauvé la mise? Ilsyontcontribué,c’estcertain;cependant d’autres facteurs ont joué sur les juges de Nuremberg. Les Américains ont tenté de lui soutirer l’expérience qu’ilavaitaccumuléependantlaguerre contrel’Arméerouge.Ilsontétédéçus. Guderian n’a pas beaucoup collaboré avec eux, tout simplement parce que sa haine pour le général Halder l’en a empêché. C’est dire le tempérament du bonhomme! Guderian est l’un des hommes clés de la Seconde Guerre mondiale, vrai ou faux? Vrai, si l’on compte les hommes clés sur les doigts de quatre mains. Son actionestsansaucundouteplusimportantequecelledeRommel,maispasde Manstein et encore moins d’un Joukov ou d’un Vassilevski. En revanche, et si l’on regarde l’avant-guerre, on ne peut lui ôter d’avoir, en 1935, porté sur les fonts baptismaux la première division panzer,deluiavoirinsuffléunespritde corps étonnant, une volonté de vaincre durable. Guderian montre assez d’aspects peu reluisants – notamment sur les questions d’argent – pour ne pas lui reconnaîtreune fougue extraordinaire. Il a été le prophète et l’incarnation des panzers, au point d’ailleurs de s’aveugler sur la force réelle de l’Allemagne, qui n’avait pas les moyens de jouer dans la cour des grands. De ce point de vue, il peut être considéré comme le prophète d’une illusion. surdescheminsinterminablesetcalamiteux,dansunecampagnedesixmoissur 1000kilomètresetfaceàunearméequi se bat, c’en est une autre. Durant l’opération Barbarossa, Guderian a joué à la foislerôled’accélérateur–maispasplus quelestroisautreschefsdegroupespanzers – et de frein. Il se fiche de savoir ce qu’il advient de l’infanterie qui se traîne loin derrière lui. J’ai utilisé sur ce point le journal de son pilote personnel, qui montre un fanfaron passant son temps à casser du sucre sur le dos de ses collègues fantassins. PuisHitlerlecongédiequandçatourne maldevantMoscou.Etaprès? Il connaît une vraie dépression, aggravée par l’épuisement. L’opération Barbarossa a été un épisode d’une intensité inouïe qui a ruiné la santé de milliers d’officiers de la Wehrmacht, et de l’Armée rouge bien sûr. 1942 est une annéeperduepourGuderian.PuisHitler lerepêchedansunrôled’organisationen lepropulsantàlatêted’unesuper-inspectiondestroupesblindées.Ils’estdémené comme un beau diable pour assurer la survie et la modernisation de ses divisions panzers. Mais il s’est souvent trompé,notammentennereconnaissant JEAN LOPEZ, HEINZ GUDERIAN, LE MAÎTRE DES PANZERS, Perrin, 592 p., 25 € Dans cette biographie appuyée sur une montagne de sources primaires, on va de surprise en surprise. Qui aurait imaginé Guderian en quasi-planqué durant la Grande Guerre puis en mutin juste après? Mais aussi en amoureux fou de sa Gretel d’épouse, dont la correspondance scande l’ouvrage? La part que Guderian a prise dans la création des divisions panzers est enfin éclaircie: elle demeure majeure malgré les bémols accumulés ces dernières années, notamment par l’historiographie anglo-saxonne. L’ouvrage a également le mérite d’inscrire Guderian dans la culture militaire allemande — il en est un produit chimiquement pur — et de dresser des comparaisons avec les autres grands chefs des formations panzers. Ne ratez pas le chapitre où on le voit avec son épouse s’emparer d’un grand domaine aux dépens d’une famille polonaise! Fricoter avec le nazisme pouvait rapporter gros et pas seulement sur le plan professionnel. Une biographie décapante qui se dévore, littéralement. Arthur Labaume fou de sa Gretel d’épouse, dont la correspondance scande Monté dans un half-track de commandement Sd.Kfz. 251 Funk, Guderian dirige en septembre 1941 la bataille de Batouryn (à 180 kilomètres au nordest de Kiev, en Ukraine actuelle). Le cadre métallique au-dessus de sa tête est une antenne radio tubulaire. 6 • Guerres&Histoire No 84 RIJKSMUSEUM VOOR OUDHEDEN 2024 CC0 1.0 (X2) – DR – ECPAD La découverte, le 7 mars, d’une bombe de la Seconde Guerre de 500 kilos lors de travaux sur une voie ferrée à Saint-Denis a causé des perturbations majeures du trafic dans le nord de Paris. Environ 500 trains ont été impactés. Des archéologues britanniques affirment avoir retrouvé à Bosham (West Sussex) la capitale d’Harold, dernier roi anglo-saxon d’Angleterre défait par Guillaume de Normandie. Représenté sur la tapisserie de Bayeux, le site exact était perdu. Le 11 février, l’Inrap a annoncé la découverte, en décembre, à La Flotte (île de Ré), de cinqtombesdel’époquecarolingienne(finVIIIe -Xe siècle)suggérantuneprésence nordique non expliquée, même si le communiqué rappelle que les chroniques médiévales mentionnent des raids vikings dans la région. Pour la seconde année EN BREF L’EX-FORT BRAGG REDEVIENT FORT BRAGG… OU PRESQUE En guerre contre ce qu’il nomme le «wokisme», le nouveau secrétaire d’État américain à la Défense, Pete Hegseth, a ordonné le 11 février de rendre son nom à Fort Bragg. Installée en Caroline du Nord, la plus grande base de l’US Army sur le territoire américain avait été rebaptisée Fort Liberty en 2023 sous l’administration Biden, parce que le général Braxton Bragg (1817-1876) était un officier de l’armée confédérée (au bilan militaire d’ailleurs contrasté). Histoire de ne pas tout à fait se renier, l’Army a obéi au ministre, mais en honorant un homonyme: Roland Bragg (1923-1999). Ce para de la 17e division aéroportée a reçu la Silver Star (troisième par ordre de valeur, derrière la Medal of Honor et la Distinguished Service Cross) dans les Ardennes pour avoir évacué sous le feu ennemi quatre blessés à bord d’une ambulance allemande capturée. LADATE ILYA100ANS… Le 13 avril 1925, Abdelkrim, président de la République des tribus du Rif victorieuses des Espagnols à Anoual en 1921, lance ses miliciens contre les troupes d’Hubert Lyautey stationnées sur la rivière Ouergha, frontalière du protectorat français dans le nord-ouest du Maroc. Maîtres de la guérilla, les Rifains débordent les bataillons de tirailleurs égrenés dans la région. Bien que son effectif de 20000 hommes, bien équipés et appuyés par l’aviation, soit à peu près égal à celui des attaquants, Lyautey est contraint à un humiliant repli au mois de juin. Après avoir abandonné un matériel militaire considérable, il est limogé au profit du général Naulin. La situation est stabilisée en juillet par l’envoi de renforts. Tandis qu’Abdelkrim refuse le statut d’autonomie qu’on lui propose, Paris signe le 25 juillet un accord de coopération militaire avec Madrid. À l’automne, Pétain organise la contreattaque et la république du Rif est écrasée en 1926. ACTUALITÉS LE STEELPAN REMPLACE LES CARAVELLES SUR LES ARMES DE TRINITÉ-ET-TOBAGO Adiós et bon vent! Les trois caravelles castillanes qui ornaient le blason de Trinité-et-Tobago font désormais place à un symbole plus pacifique: le steelpan, instrument à percussion emblématique de la petite république des Caraïbes. Ainsi en a décidé début février le parlement local, désireux d’en finir avec les derniers vestiges de la colonisation. Il en reste cependant un qui sera difficile à éliminer: c’est Christophe Colomb, débarqué en 1498 des trois navires désormais proscrits, qui a baptisé du nom de «Trinidad» la première des deux îles. Ce trésor appartenait à un conquérant romain de (Grande-)Bretagne Les 404 pièces d’or et d’argent découvertes par des amateurs de détection à Bunnik (près d’Utrecht, Pays-Bas) en 2023 auraient été enterrées (et perdues…) par un soldat romain revenant d’outre-Manche. L’analyse montre que 44 d’entre elles portent le nom du roi breton Cunobelinos (le Cymbeline de Shakespeare, voir médaillon), ennemi juré des envahisseurs mort en 43 apr. J.-C. La pièce la plus récente est cependant un aureus frappé en 47 à l’effigie de l’empereur Claude. Selon toute vraisemblance, ce magot équivalent à onze ans de solde pour un légionnaire aurait récompensé un vétéran de la campagne de «pacification» menée par Aulus Plautius de 43 à 47. OHAZAR POUR G&H Guerres&Histoire No 84 • 7 consécutive, la statue du capitaine Cook à Sydney a été barbouillée de peinture rouge le 24 janvier, deux jours avant l’anniversaire de son arrivée sur place en 1788. Les Aborigènes refusent de célébrer le 26 janvier, considéré comme le «jour de l’invasion». Une étude de génétique établit des analogies entre de l’ADN humaindesVe -VIe sièclesretrouvédanslebassindesCarpathesetceluidesélites de l’empire des Xiongnu, centré sur la Mongolie et disparu au Ier siècle. Cet indice confirmeraitquelesHunsseraientenpartie,commeonlesoupçonnait,originaires du nord de la Chine. Des archéologues péruviens ont confirmé en janvier la découverte d’un immense réseau souterrain sous l’ex-métropole inca de Cuzco. Les couloirs, dont l’usage reste mystérieux, relieraient le temple du Soleil et une PremièreFrançaisenomméegénéral, ValérieAndréestdécédéeà102ans Textes: Pierre Grumberg L égende de la guerre d’Indochine, pionnière des évacuations sanitaires en hélicoptère et symbole de la féminisation des armées, Valérie André s’est éteinte le 21 janvier à 102 ans, après une carrière placée sous le triple signe du caducée, du rotor et des étoiles de général – les premières accordées à une Française. Née le 21 avril 1922 à Strasbourg (BasRhin), Valérie André se passionne pour l’aviation et tente même de rejoindre l’armée de l’Air quand la guerre éclate en 1939. Recalée en raison de son sexe, elle prend malgré tout des coursdepilotage.En1940,ellepoursuitàParis des études de médecine, en cachette des occupants qui traquent les étudiants alsaciens pour les envoyer en Allemagne. Médecin, brevetée parachutiste et pilote à la Libération, elle intéresse une armée en manque de personnel grâce à cette triple qualification. Engagée comme capitaineauServicedesantédesarmées(SSA), elle est envoyée en 1948 en Indochine. Si elle n’accomplit qu’un seul saut (au secours d’un malade dans un poste isolé du Laos), elle se spécialise en neurochirurgie. Elle s’intéresse en parallèle aux évacuations sanitaires (ou «evasan») par voilures tournantes expérimentées depuis avril 1950 par le capitaine Alexis Santini (qu’elle épousera en 1963). Valérie André obtient alors le droit de passer son brevet de pilote d’hélicoptère. D’avril 1952 à son départ d’Indochine en avril 1954, juste avant Diên Biên Phu, «Madame Ventilateur» accomplit pour l’armée de l’Air 129 missions (parfois sous le feu) sur Hiller 360 (ci-dessus) et évacue 165 blessés – faits d’armes qui lui valent la Légion d’honneur et cinq palmes à sa croix de guerre. De retour en France, Valérie André assure le suivi des soins au Centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge (Essonne), puis part à sa demande en Algérie en 1959, où elle encadre les services médicaux de diverses bases aériennes et accumule 350 missions, sur Sikorsky H-34 et Alouette II. Après le conflit, elle exerce des postes d’encadrement, notamment comme médecin-chef de la base aérienne de Villacoublay (Yvelines). Colonel en 1970, elle reçoit en avril 1976 les deux étoiles de médecin général et le commandement médical des 4e puis 2e régions aériennes. Sa carrière militaire s’achève en 1981 avec quelque 4200 heures de vol et les trois étoiles de médecin général inspecteur. En retraite, Valérie André embrasse une autre lutte, celle du féminisme. Nommée en 1982 par Charles Hernu à la présidence de la Commission d’étude prospective de la femme militaire, elle joue un rôle déterminant pour l’intégration de ses consœurs – non sans réticences de la part du commandement. Aujourd’hui, les femmes représentent 17% des forces françaises, contre environ 13 % de moyenne dans l’OTAN (17,5% pour les États-Unis). Depuis 1995, elles ont le droit de piloter des avions de chasse et, depuis 2022, de patrouiller à bord des sous-marins nucléaires. Reste que la bonne moyenne française tient beaucoup au SSA, féminisé à 62,1%, contre 11,4% à l’armée de Terre. Enfin, si le ratio atteint 25 % dans l’armée de l’Air, il tombe à 17% pour les officiers et 10 % pour le personnel navigant. Madame Ventilateur a ouvert la voie, mais il reste du chemin à parcourir. n 8 • Guerres&Histoire No 84 ACTUALITÉS citadelle située à 1,75 km. S’ils sont fous ces Romains, c’est peut-être à cause de leurgoûtpourleplomb.L’extractionminièremassivedecemétallourdàl’époque impériale, dont le Desert Research Institute (Nevada) a retrouvé les traces dans des glaces arctiques, aurait coûté deux à trois points de QI aux populations européennes. L’association Assalam pour la protection du patrimoine maritime a déclaré, le 14 février à Dakhla (Sahara occidental), la localisation préliminaire de neuf navires marchands victimes des U-Boote dans les eaux sud-marocaines durant la Première Guerre mondiale. En février, la marine brésilienne a localisé au large de Rio l’épave du Vital de Oliveira. Le torpillage de ce transport par l’U-861, le 19 juin 1944, avait fait 99 morts, la pire catastrophe navale enregistrée par le LePKKcesse lefeuaprès 40ansdeguerre aveclaTurquie EN BREF DELIL SOULEIMAN/AFP – ILLUSTRATION DE LUCA KIS – KLAUDIA RADECKA/NURPHOTO VIA AFP LA «ROUTE DES GALÈRES» DE CHARLES XII RÉÉMERGE DU SOL SUÉDOIS Ouverte à l’automne 1718, la légendaire Galärvägen (la «route des Galères») a permis à Charles XII de Suède de faire passer par voie de terre douze navires pour prendre à revers les défenses de la forteresse de Fredriksten, porte d’entrée de la Norvège convoitée. Étrangement, la trace de ce pharaonique chantier de 25 kilomètres parti de la base suédoise de Strömstad vers les eaux d’Iddefjord s’est perdue… jusqu’à ce que l’équipe de l’archéologue suédois Erich Nau (Institut de recherche norvégien de l’héritage culturel, ou NIKU) la retrouve en testant un nouveau type de géoradar. Les images du sous-sol ont révélé une chaussée d’environ huit mètres de largeur, bordée de rondins destinés à stabiliser le sol pour tracter, à l’aide de 1000 chevaux, des navires de 30 tonnes. Cet exploit d’ingénierie n’a pas porté bonheur à Charles XII, tué le 11 décembre en assiégeant Fredriksten. Des souterrains dessinés par Vinci retrouvés sous le palais des Sforza Au service du duc de Milan Ludovic Sforza en 1494, Léonard de Vinci a laissé des croquis suggérant la présence de souterrains mystérieux qui auraient entouré le palais reconstruit après 1450 dans la métropole lombarde. Pour en avoir le cœur net, une équipe réunissant des chercheurs de l’École polytechnique de Milan, des ingénieurs de Codevintec (une société spécialisée dans les technologies de détection) et les conservateurs du Castello Sforzesco ont scanné les sous-sols et les abords de la forteresse au géoradar, un appareil capable de sonder les solides pour y déceler des cavités. Bonne pioche, annoncée le 15 janvier: l’étude a révélé un réseau insoupçonné de couloirs, probablement destinés à favoriser la circulation de troupes – mais pas seulement: un passage de plus de 700 mètres mène à l’église Santa Maria delle Grazie qui abrite, outre la fameuse fresque de la Cène par Léonard, le tombeau de Béatrice d’Este, l’épouse adorée de Ludovic morte en 1497. R épondant à l’appel lancé par son leader Abdullah Öcalan en prison, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a déclaré le 1er mars un cessez-le-feu unilatéral, mettant provisoirement fin à la guerre qui durait depuis 1984. Opposant Ankara au bras armé des indépendantistes kurdes basés dans le nord de l’Irak et dans le nord-est de la Syrie, le conflit a fait plus de 40000 morts. Accueillie favorablement en Turquie par le gouvernement de Tayyip Erdogan et par le parti d’opposition pro-kurde DEM (ex-HDP), cette trêve ne signifie pas encore la paix, de précédents efforts de rapprochement entrepris en 20092011 et 2013-2015 ayant échoué. Le PKK demande maintenant la «liberté physique» pour Öcalan, condamné à vie en 1999, de façon à lui permettre de mener à bien un désarmement. Reste à savoir s’il sera entendu. Le vice-président turc Cevdet Yilmaz a exigé pour sa part une dissolution du mouvement «sans négociation» préalable. n Guerres&Histoire No 84 • 9 Brésil pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Caire a annoncé la découverte en2022delatombedupharaonThoutmosisII(reg.v.1492-1479av.J.-C.),connu pour avoir maté une rébellion en Haute-Nubie. C’est la première sépulture royale découverte en Égypte depuis celle de Toutankhamon en 1922. Selon Helen Gittos, professeure d’histoire médiévale à Oxford, les guerriers anglo-saxons enterrés vers 575 à Sutton Hoo (Suffolk) et dont les magnifiques équipements font la gloire du British Museum auraient combattu pour le compte de Byzance. L’âge de fer aurait commencé dans l’État indien méridional du Tamil Nadu, où des objets de ce métal ont été datés de la période allant de 3345 à 3259 av. J.-C., soit 1000 ans au moins avant les plus anciens échantillons connus. Textes: Pierre Grumberg DES FEMMES COMBATTAIENT-ELLES AVEC LES ENVAHISSEURS MAGYARS? En travaillant sur les ossements d’une tombe du Xe siècle découverte dans les années 1980 à Sárrétudvari (à 165 kilomètres à l’est de Budapest, en Hongrie), l’équipe de l’archéologue Balázs Tihanyi (université de Szeged) a découvert avec étonnement que le supposé guerrier magyar inhumé avec arc, carquois et flèches était une guerrière. Les terribles cavaliers venus de l’est de l’Oural pour s’installer sur le Danube vers l’an 830 auraient donc (peut-être) compté des femmes dans leurs rangs, comme avant eux les Sarmates et autres Avars sortis des steppes orientales. Les archéologues restent prudents: les armes ne font pas nécessairement le guerrier. LECHIFFRE 176 C’estlenombredebombesdécouvertesdepuis le14janviersousuneairepourenfantsàWooler (Northumberland,aunorddel’Angleterre)lors detravauxd’agrandissement.Constituéd’enginsde 4,5kilosvouésàl’entraînementmaiscontenanttout demêmedesexplosifs,lestockauraitpuêtreoublié parlaHomeGuard(lamilicepopulairebritannique) quiauraitoccupéleslieuxpendantladernièreguerre. La Bombe tricolore n’a pas causé la vague radioactive de 2022 Contrairement à ce qui avait été suggéré à l’époque, les essais nucléaires français menés en 1960 et 1961 en actuelle Algérie ne sont pour rien dans la vague de radioactivité (jugée inoffensive) qui a frappé l’Europe en mars 2022. Une étude internationale publiée le 31 janvier dans la revue Science Advances montre en fait que les ratios de plutonium retrouvés dans 53 échantillons prélevés en Europe proviennent des bombes A testées à l’air libre dans les années 1950 et 1960 par les ÉtatsUnis et l’URSS. Transportés dans la haute atmosphère, les éléments radioactifs produits par ces essais ont contaminé toute la planète – dont le Sahara, d’où ils sont repartis il y a trois ans sur les ailes d’Éole… OHAZAR POUR G&H PologneetUkrainecoopèrentpouréclaircir lesmassacresdeVolhynie Kyiv et Varsovie ont annoncé le 10 janvier la signature d’un accord visant à exhumer les premières victimes polonaises du massacre de Volhynie. Dans cette ex-province orientale de la Pologne de 1939 aujourd’hui ukrainienne, les opérations de «nettoyage ethnique» perpétrées de 1942 à 1944 par les nationalistes de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, l’UPA, ont coûté la vie à environ 90000 civils polonais (et à quelque 10000 Ukrainiens tués en représailles). La question des exhumations avait empoisonné les relations entre les deux pays depuis le début de l’ère soviétique (ci-dessous, une manifestation en Pologne), jusqu’à ce que le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le Premier ministre polonais Donald Tusk, plus souple que ses prédécesseurs nationalistes, parviennent à s’entendre. Une équipe de recherche mixte devrait démarrer les fouilles dès le mois d’avril. 10 • Guerres&Histoire No 84 D aniel Fitzgerald Giblin, Assistant Professor au Collège militaire de la Citadelle (Caroline du Sud), a pu accéder aux archives de l’oblast (province) de Koursk, en Russie centrale, et en a tiréunarticleparudansle Journal of Military History1 . Il a centré sa recherche sur la période de février à mai 1943, c’est-à-dire entre la libération de la ville de Koursk (8 février) et avant le déclenchement de la gigantesque bataille du même nom (5-15 juillet). Il s’estintéresséauxrapportsentrel’Armée rougeetlesautoritéslocales. Trois enseignements Durant le mois de février, tandis que l’Armée rouge libère la quasi-totalité de l’oblast, l’autorité civile soviétique se réinstalle dans la province qui vient deconnaîtredix-huitmoisd’occupation allemande et un mois de combats en retraite de la Wehrmacht. En quelques semaines, l’administration d’avantguerre est restaurée, depuis le comité d’oblast (obkom) jusqu’aux comités régissantkolkhozes,sovkhozesetMTS (stations de tracteurs et de machines) en passant par la hiérarchie propre aux 28 districts locaux (ou raïons). Selon son habitude, dès son arrivée dansl’oblast,l’Arméerougel’incorpore dans ses services arrière, dans la zone dite «préfrontale». L’administration militaire des deux Fronts («Centre» et «Voronej») installés dans le saillant de Koursk doit, selon la loi, donner ses ordres non pas directement, mais par l’intermédiaire des autorités civiles – qu’elles soient celles de l’État ou du Parti –, lesquelles sont tenues d’obéir dufaitdel’étatdeguerre.Giblinmontre trois choses importantes. La première: l’Armée rouge ne peut fonctionner sans cette mobilisation complète de la populationcivilequivitsursesarrièresimmédiats. La deuxième: si l’administration locale se montre de bonne volonté, elle résisteparfoisauxdemandes,etlesincidents sont nombreux, car elle est ellemême soumise aux injonctions contradictoires de Moscou. La troisième: malgrélasituationeffroyabledelapopulation,l’arméeexigeetobtientunniveau de coopération probablement unique parmi les belligérants de la Seconde Guerre mondiale. La première urgence est de rétablir le réseau routier, car les têtes de ligne ferroviairessontencoresituéesde60à250 kilomètres à l’est de l’oblast, distance parcourue jour et nuit par des colonnes de camions et de charrettes. À l’ouest, cette tâche incomberait aux unités américainesoubritanniquesdugénieroutier, équipées des matériels les plus lourds. Rien de tout cela dans l’Armée rouge: cette dernière place 80% de ses soldats sur le front (contre 20 à 40% au sein de l’US Army); elle n’a que très peu de bulldozers,degruesetderouleauxcompresseurs,pasdescrapersnidecamions à affecter aux chantiers. Chaque localité, aussi petite soit-elle, reçoit donc la responsabilité de reconstruire avec ses moyensuneportionderoute,ycompris les ponts, presque tous détruits. Aucun habitant convoqué pour ces travaux ne peut s’y soustraire sous peine d’être déféré devant le tribunal militaire. Mobilisation tous azimuts Jour et nuit, les civils bouchent les ornières, déblaient la neige, enfoncent des rondins dans la boue lors du dégel et charrient des tonnes de matériaux. Sachant que, sur le million d’habitants qui restent dans l’oblast (trois millions avant-guerre),presquetousleshommes entre 18 et 55 ans ont disparu (mobilisés, tués, prisonniers…), ces travaux d’une dureté extrême incombent aux femmes, aux vieillards et aux adolescents. Là où les Allemands ont laissé derrière eux un paysage lunaire, les civilslesplusrobustessontintégrésaux immensesfilesdesoldatsqui,tellesdes fourmis,parfoissur30kilomètres,font circuler de main en main des sacs de 50 kilos de fournitures, tissés et cousus par les femmes les plus âgées. Les services sanitaires de l’Armée rouge sont toujours insuffisants. Aussi l’oblastdoit-ilfournirlocaux,literie,bandages,nourriture–laplusriche:beurre, œufs, lait, viande – et chauffage aux Un historien américain a étudié ce qui s’est passé dans le saillant de Koursk, avant la célèbre bataille de l’été 1943. Ses cheveux se sont dressés sur la tête: l’Armée rouge y a mis les civils soviétiques à contribution comme aucune autre armée, du moins en Europe, n’aurait pu le faire. L’ARMÉE ROUGE ET LA MOBILISATION DES CIVILS ACTUALITÉS LA VIGIE BRIDGEMAN IMAGES En guise de préparation militaire, les jeunes de 16 ans sont formés en «bataillons de destruction» qui recherchent de nuit espions, saboteurs, déserteurs et bandits… PAR JEAN LOPEZ Guerres&Histoire No 84 • 11 espions, saboteurs, déserteurs et bandits. Les anciens partisans trop vieux pourl’Arméerougesontaffectésàlasurveillance du déminage assuré par… des soldatshandicapésetdescivilsformésen deux heures. Après que 60 civils ont été déchiquetés, le commandant du Front duCentreacceptedeleuradjoindreune brigade de sapeurs. Dans les villes, les jeunes filles réinstallent le système de défense passive: abris, stocks de sable, occultation, lutte anti-incendie… La faim, partout C’est dans le domaine alimentaire que se produisent les incidents les plus graves. L’URSS en guerre est en permanence au bord de la famine. En matière de transports, la priorité absolue est accordéeauxmunitionsetaucarburant, pas aux vivres. Résultat: les soldats ont toujours faim. De plus, l’armée considèrelesstocksdenourriturecommedes «trophées»quiluireviennent.Maisl’autorité civile interdit aux kolkhoziens de livrer les stocks destinés aux semences, d’autant plus que Moscou la bombarde de directives pour que la moisson 1943 soit la plus opulente possible. Il en va de même pour les rares chevaux laissés parlesAllemands,lescamionsetmême les machines à écrire! Les vaches sont défenduescontrelesassautsdelatroupe, d’autant plus qu’il n’y a plus qu’elles pour tirer les charrues. Le commandement du Front de Voronej permet à ses hommes de constituer des patrouilles qui écument les raïons à la recherche de grainetdefarine.Confrontéeàlanécessité de maintenir un apport calorique minimal pour la population et sachant que les très nombreux orphelinats ont priorité alimentaire, l’oblast réplique en exigeant que chaque escouade produise un document de réquisition signé du commandant. En avril et en mai, il lui faut néanmoins nourrir, à 90% pour la viande et 85% pour les légumes, pas moins d’un million de soldats, soit autant que la population civile! Moscou est contrainte d’annuler toutes les livraisons obligatoires que les kolkhozes lui devaient avant-guerre. À des dizaines de reprises, des bandes de soldatsaffamésetproduisantdefauxordres affrontent les paysans, eux-mêmes victimes de famine: les menaces, les coups defeuetlesbagarresconduisentparfois aux meurtres. Villageois fossoyeurs Une des pires tâches dont l’Armée rouge se décharge sur la population est la collecte des cadavres. Les villageois sont réquisitionnés pour déterrer les dépouilles allemandes, les brûleroulesenterrerailleurs.Mêmechose pourlestuéssoviétiques,dontlesfosses doivent être ouvertes, les corps identifiés, transportés et réenterrés loin des sources et des cours d’eau. En mai, ce seront 20000 corps humains et 12000 carcassesdechevauxquiaurontététraités. Car, avec l’arrivée du printemps, l’épidémie guette, d’autant plus que le réseau d’eau potable et d’égouts est hors service dans les espaces urbains et que le ramassage des ordures ne se fait plus, faute de véhicules. Les villes et les bourgs vivent dans la puanteur des excréments, les eaux sont contaminées,letyphusapparaît.Cettefois,l’Armée rouge, parce qu’elle est elle-même menacée, prend les choses en main et consacre médecins et unités de décontamination aux besoins civils. Dans ce chaos, au milieu de cette misère inhumaine, l’autorité civile arrive pourtant, tant bien que mal, à satisfaire les besoins de l’Armée rouge. L’auteurdel’articlenedonnepaslecoût humain de ces premiers mois de libération. Il souligne en revanche que, sur le front de l’Est, la ligne entre «front» et «arrière» n’existe plus. «La mobilisation des civils répond à la définition la plus rigoureuse du concept de guerre totale que l’on peut rencontrer au XXe siècle. […] La population s’est trouvée en fait incorporée dans une vaste organisation paramilitaire.». ■ dizaines d’hôpitaux de campagne. Le NKVDperquisitionnechezleshabitants dénoncés comme détenant un nombre anormal de couvertures. Le Komsomol (lesJeunessescommunistes)sertdevidepots,aideauxpremierssoins,distraitles blessés et les malades. Leministèredel’Intérieur,àMoscou, se préoccupe de récupérer ce qu’il appelle les «trophées», dont la définition dépasse les biens de nature militaire, même si la volonté d’empêcher les citoyens de conserver des armes est toujours présente. Des dizaines de compagnies et de bataillons «de trophée», tous civils, sillonnent l’oblast à la recherche d’armes, de munitions, de véhicules, d’uniformes, de rations, d’épaves en tous genres (dont on extrait le métal). Un réseau de collecte aboutissant à une gare est mis en place. L’administration intervient pour que les militaires forment un minimum les jeunes gens affectés à ces tâches dangereuses, qui dans aucune autre armée ne sont du ressort des civils. Giblin ne donnepasdechiffres,maisonpeutimaginer les pertes subies par ces mains inexpertes qui déterrent, transportent et stockent obus, mines, fusées, grenades, explosifs… Comme si cela ne suffisait pas, en guisedepréparationmilitaire,lesjeunes de 16 ans sont formés en «bataillons de destruction» qui recherchent de nuit Des femmes déblaient les débris qui jonchent les voies ferrées de Stalingrad, après la fin de la bataille. Les vêtements légers suggèrent que la photo, non datée, est prise au printemps 1943. 1 Daniel Fitzgerald Giblin, “Seeds of Victory: Satisfying the Needs of the Red Army and the Soviet State During the Formation of the Kursk Salient, February-May 1943”, The Journal of Military History, Volume 84, nº 4, October 2020, p. 1157-1188.
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