premieres pages de Dinet - Page 6 - premières pages de Etienne Dinet ou le regain de la peinture orientaliste de Naïma Rachdi 10 Les œuvres orientalistes d’Étienne Dinet (1861-1929) illustrent parfaite- ment cette évolution : après avoir souffert un temps de la disgrâce qui marqua l’art orientaliste tardif, elles profitent aujourd’hui d’une véritable réhabilitation. Afin de comprendre les raisons pour lesquelles ces tableaux se vendent et s’exposent actuellement avec autant de succès, il faut, d’un côté, s’interroger sur l’identité et les motivations des clients qui les achètent et, de l’autre, essayer de comprendre la particula- rité d’un peintre orientaliste comme Dinet et de son parcours d’homme et d’artiste. DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 10 11 Étienne Dinet : un peintre français en Algérie Représenter « l’Orient » méditer- ranéen quand on est un peintre français classique et, de surcroît, durant la période coloniale, signifie- t-il forcément l’enfermer dans une vision exotique et réductrice, voire méprisante et impérialiste ? Certains l’ont affirmé avec force, mais l’aven- ture orientaliste ne peut être réduite à une simple motivation politique ou à un certain goût pour l’exotisme. Certes, la pensée moderne a remis en cause la pensée coloniale et avec elle les images et les idées qu’elle véhicu- lait et qui contredisaient la réalité complexe de l’Orient. Mais beaucoup d’orientalistes aspiraient véritable- ment à sauver de l’oubli un patri- DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 11 12 moine condamné à disparaître en le peignant pour la postérité ou simple- ment par goût et par intérêt pour des pays et des cultures qu’ils décou- vraient. Mais quelles que soient les motivations de ces peintres voya- geurs, la fin de la période coloniale a sonné le glas de ce type de peinture et seuls les peintres orientalistes éminem- ment connus ou qui ont su se renou- veler se sont assuré un succès et une célébrité durables. Pourtant, nous ne consacrons pas ce travail à l’un d’eux mais bien à Étienne Dinet, un peintre orienta- liste tardif, très controversé, auquel on a reproché d’avoir tourné le dos aux innovations picturales de son époque et d’avoir, en revanche, tou- jours eu une confiance illimitée en la supériorité de son « métier » et en l’importance du « sujet ». Mais, c’est peut-être aussi pour ces raisons, et grâce à son entêtement qu’il s’assure DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 12 13 aujourd’hui cette résurrection. Ce qui le desservit auprès des critiques d’art occidentaux, lui vaut actuelle- ment son succès auprès d’une clien- tèle arabe qu’il aurait peut-être lais- sée indifférente s’il s’était écarté de son sujet orientaliste et de sa tech- nique classique, car elle le choisit pour les raisons mêmes qui ont causé un temps sa disgrâce. Étienne Dinet était un jeune pein- tre de 23 ans quand il a découvert l’Algérie pour la première fois en 1883. Lui, qui préférait la peinture en plein air et les sujets empruntés à la réalité, apprécia particulièrement la lumière de ce pays. En France, il s’était essayé à plusieurs sujets, dont le portrait, les nus, les scènes reli- gieuses, les paysages ruraux, etc., mais c’est l’Algérie qui lui offrit sa véritable passion artistique. Il y revint ensuite plusieurs fois avant de s’installer à Bou-Saâda « la bienheu- DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 13 1. Préface de Léonce Bénédite, à Tableaux de la vie Arabe, Paris, Piazza, 1928, page 16. 2. Sliman Ben Ibrahim n’écrivait pas en français, sa collaboration avec É. Dinet consistait à l’assister dans son travail de peintre et à le conseiller sur les questions de culture arabo-islamique et ses « com- mentaires » étaient donc oraux. Léonce Bénédite parle ainsi de lui : « Votre compagnon de route, votre ami, disons notre ami, Sliman Ben Ibrahim, a été le trait d’union entre la race arabe et vous. Ce mozabite, croyant, religieux, rigoureux observateur de la sainte loi, a démêlé par la lucidité de sa foi ce qu’il y avait de prévention et d’erreurs dans l’inter- prétation habituelle des prescriptions du Koran », É. Dinet, « préface », Tableaux de la vie Arabe, op.cit., page 19. reuse », là, où il trouva ses « deux Ors », « l’or des sables et l’or du soleil » 1. Il avait l’ambition de pein- dre l’âme d’un peuple et il s’investit dans cette « mission » au fur et à mesure qu’il s’imprégna de l’esprit et de la culture de ce pays. Son appren- tissage de la langue arabe à l’École des Langues Orientales à Paris ainsi que son amitié avec Sliman Ben Ibra- him 2, qui collabora à la plupart de ses livres, l’y aidèrent beaucoup. Dinet exposait régulièrement dans le salon de la Société des peintres orienta- 14 DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 14 listes français (1893) dont il était mem- bre ainsi que dans celui de la Société nationale des Beaux-Arts. Il ne manqua pas de clients, même vers la fin de sa vie et après la mort, en 1925, de Léonce Bénédite, le conservateur du musée du Luxembourg, son ami et soutien dans le monde artistique français. Après la mort de Dinet en 1929 (quelques mois après son pèle- rinage à la Mecque), sa peinture était toujours recherchée mais essentielle- ment par les amateurs français d’Al- gérie qui lui restèrent fidèles. Son nom sombra ensuite dans l’oubli et ses toiles perdirent beaucoup de leur valeur car à cette époque, en Europe, les peintures orientalistes n’avaient plus la cote. L’art moderne battait son plein et les peintures orienta- listes étaient considérées au mieux comme kitsch, au pire comme les vestiges d’un passé colonial. 15 DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 15 Mais, en 1969, quarante ans après sa mort, l’Algérie alors indépen- dante, lui rendit hommage, amorçant ainsi sa résurrection. L’œuvre et le personnage furent réhabilités grâce aux efforts du gouvernement pour en faire « une fierté nationale ». On fit même reproduire certaines de ses œuvres sur les timbres postaux, c’est dire l’importance symbolique confé- rée à ces tableaux qui devenaient d’une certaine manière « l’image » de l’Algérie. François Pouillon explique comment cette consécration avait surtout un but idéologique, dans la mesure où elle faisait partie de tout un ensemble d’entreprises menées par l’Algérie dans le but d’asseoir son autorité politique en affirmant son identité culturelle 3. Mais le choix de Dinet par les instances culturelles algériennes s’explique aussi par le fait 3. À ce propos voir le chapitre : « L’invention d’un maître de la peinture algérienne » dans F. Pouillon, « Les Deux vies d’Étienne Dinet, » Paris, Balland, 1997, pages 19-33 16 DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 16 que l’Algérie ne possédait pas de patrimoine iconographique arabe. De par sa conversion et son adoption du mode de vie autochtone, il devenait en quelque sorte un peintre « arabo- musulman ». En outre, un certain nombre d’œuvres de Dinet offraient une représentation typique et plutôt valorisante du pays et de sa religion. D’un autre côté, ses peintures ne faisaient pas référence à la colonisa- tion, à l’instar de la plupart des tableaux orientalistes non propagan- distes qui s’efforçaient de représen- ter l’Orient tel qu’il était avant la pré- sence occidentale. Cela s’explique par le fait que la plupart des peintres orientalistes cherchaient à sauvegar- der l’image d’un Orient « authen- tique ». Les tableaux de Dinet cor- respondent donc à l’image « épurée » d’une Algérie arabo-musulmane où la présence française est gommée, et que le jeune gouvernement algérien 17 DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 17 voulait privilégier en ce début de l’ère de l’indépendance. Cette recon- naissance ne fit pas monter sa cote en France, mais sa réputation de peintre orientaliste français musul- man était consacrée en Algérie. Les pays du Golfe par exemple, conscients aujourd’hui que la pros- périté économique va de pair avec la promotion de la culture et de l’art et aspirant à constituer un patrimoine en adéquation avec leur identité socioculturelle, recherchent les tableaux orientalistes et notamment ceux de Dinet. Ceux-ci ayant l’avan- tage de représenter un aspect de la vie dans le monde arabo-musulman. Grâce à son parcours particulier de peintre français ayant vécu l’expé- rience arabo-musulmane de l’inté- rieur, Dinet bénéficie d’une position privilégiée auprès des instances cul- turelles, du public et des collection- neurs arabes. 18 DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 18 19 Le fait qu’il représente dans un grand nombre de ses tableaux, de façon réaliste, toute une palette de personnages, son classicisme même, sa personnalité, sa maîtrise de la langue arabe, sa conversion à l’islam, son intérêt pour l’histoire et la cul- ture arabo-musulmane, son adoption d’un nom arabe, tout cela a fait de lui un personnage conforme à l’idée qu’on peut se faire d’un Occidental qui a compris « l’Orient » qu’il peignait et dont il aurait adopté les valeurs. Jeanne Dinet-Rollince explique la conversion de son frère et son adop- tion d’un mode de vie si opposé à celui de sa famille, comme étant l’ex- pression de la quête d’une âme « ina- paisée ». Après son rejet de l’ensei- gnement chrétien que lui imposait sa mère, Dinet : « […] a un immense besoin de croire ; son âme ardente a besoin d’être rassasiée, l’Infini du Désert l’attire, lui donnant l’impres- sion qu’à l’exemple des nomades, qui incarnent ses aspirations sociales de DINET:Mise en page 1 23/08/2011 16:40 Page 19
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