Premieres pages de EE 51 Rachida Azdaou - Page 3 - "étoiles d'encre""N 51-52" "Algérie 50 ans" Premieres pages de EE 51 Rachida Azdaou © Mémoire 10, 70 x 100 cm, 2010 La longue nuit Rachida Azdaou Ce que je sais de la guerre d’Algérie, du colonialisme, ce sont mes parents qui me l’ont appris, transmis. Des bribes d’émotions, beaucoup de pudeur et du courage. Mon grand père maternel Kherif Amar fut assassiné, abattu d’une balle dans la tête devant son restaurant à Belcourt. Ce ne sont pas les français qui l’ont arraché à sa femme et à ses huit enfants. Non, ce sont des algériens à qu’il a refusé de donner plus d’argent, au nom de la révolution. Plus loin à 260 km d’Alger à Lekrar village natal de ma mère des femmes ont creusé sous les arbres un profond trou pour cacher la machine à coudre, une Singer qui a servi à fabriquer des bérets et des drapeaux pour les moudjahidine. Mon oncle, le frère aîné de ma mère, était au maquis. 147 Entre Lekrar et Tegrourine, dans une cave, des femmes et des hommes ont été dénudés, frappés, affamés, électrocutés. C’est aussi les vieilles femmes, les petits enfants, qui s’asseyaient sur les jeunes filles pour tenter de les cacher des militaires et leur éviter la grande humiliation, le viol. C’est surtout ma grand’mère battue avec une violence qui l’a laissée vivante mais paralysée pendant des mois dans un mutisme insoutenable comme sa douleur. C’est aussi mon grand’père paternel suspendu par les pieds, nu, exposé, aux yeux des villageois. Le fondateur du village, la tête du clan ! Et mon père, jeune enfant, qui bravait les militaires et les barbelés et tous les pièges à rats, ce que nous étions pour eux, pour nourrir son père avec du pain moisi, rassis. C’est aussi Akli torturé traîné dans les ruelles escarpées du village sous les yeux de Hand’aâmi son père et de sa mère enceinte qui fut cachée par les femmes pour lui éviter d’être battue. Le bombardement d’un village de pauvres, Tegrourine qui a coûté la vie à plusieurs pauvres paysans dont ma tante Feroudja et son jeune enfant Mohand. Mon père ne s’est jamais remis de cette perte. UNE ARTISTE À ÉTOILES D’ENCRE 148 © Mémoire 1, 70 x 100 cm, 2010 © Mémoire 4, 70 x 100 cm, 2010 C’est aussi le frère de mon père que j’ai découvert à 20 ans. Il s’est jeté du 3ème étage. Il est rentré au pays cassé, brisé, la mort avait déjà embrassé ses entrailles. Pourquoi ? Comment ? C’est mon père amené sur une civière de branche de bois, inconscient, torturé avec des braises introduites à l’intérieur de sa chemise. Il avait le dos brûlé, ensanglanté. La guerre des Arabes contre les Kabyles, me dit ma mère ; c’est quoi cette guerre et pourquoi j’en parle là ! Peut-être parce que la guerre n’a pas cessé vraiment, la douleur aussi et le silence qui l’accompagne persiste. Oh ! mon père la douleur, elle l’a accompagné jusqu’aux dernières minutes de sa vie. Oui la guerre, celle des milliers d’algériennes et d’algériens qui ont souffert en silence sans jamais rien demander. Voila pourquoi j’ai eu envie de faire partie de ce projet. Pour donner la parole à Kherif Amar, à tous les Azdaou, Ahmed, Akli, Ferrodja et son fils Mohand, Azdaou Mohamed et Renoun Wardia, à mon père Azdaou Amar et ma mère Kherif Zahia. RACHIDA AZDAOU 151 La guerre est toujours présente dans les yeux mélancoliques de ma mère, dans les questionnements existentialistes de ma grand’mère, dans les larmes de mon père quittant cette vie, dans notre incapacité à trouver le bonheur, une issue positive au vécu de nos grands-parents, à la douleur de nos parents. Ceux à qui l’Algérie n’a offert ni moins ni plus de liberté, ni une place dorée sur le paradis terrestre, ni une voiture, ni une licence. Ceux-là ont dû creuser les croûtes de leurs blessures pour trouver une issue, une raison plus forte que l’oubli, nous peutêtre, moi, une suite pas muette. Espérant un jour avoir le courage d’écrire leurs histoires. UNE ARTISTE À ÉTOILES D’ENCRE 152 © Mémoire 05, 01, 07, 09, 70 x 100 cm, 2010
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