Premieres pages de Fanon - Page 3 - premières pages du livre frantz fanon, l'importun de Christiane Chaulet Achour médecin atypique avait eu l'outrecuidance de lui adresser une lettre condamnant la condition faite aux populations colonisées. La pensée de Frantz Fanon a toujours été trahie aussi bien par ses détracteurs que par ses lauda- teurs, qui commémoraient la perte de ce " grand militant de la cause algérienne, malheureusement prématurément disparu " à condition d'occulter ses enseignements et ses prémonitions. Il faut dire que ses analyses des effets dévas- tateurs de la colonisation, avant tout sur les co- lonisés mais également sur les colonisateurs, ont toujours eu quelque chose de dérangeant parce qu'elles étaient nouvelles, insolites, jamais réper- toriées nulle part, mais surtout parce qu'elles pro- venaient : d'un observateur privilégié des ravages du colonialisme sur la personnalité : un psychia- tre martiniquais en pays colonisé ; 9 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 9 d'un intellectuel militant de la décolo- nisation qui n'était pas issu du sérail des " spé- cialistes " de l'étude du phénomène colonial : so- ciologues, historiens, économistes ou autres po- litologues. Même s'il a été au bout de lui-même dans tous ses engagements, sa vie a été trop brève pour lui permettre de féconder sa réflexion et de pour- suivre son œuvre à la lumière des situations nou- velles créées par les indépendances et leur in- scription dans la domination sans concessions du néo-libéralisme local et mondial. Dans le court essai qui va suivre, Christiane Chaulet Achour montre, à travers deux exemples choisis parmi d'autres - les femmes algériennes dans la résistance et les œuvres littéraires et la po- sition des intellectuels dans les pays sous domi- nation - à la fois la pertinence des analyses de Fanon 10 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 10 et les raisons de leur occultation par les élites post- coloniales de tous bords, trop empressées de gommer les contradictions douloureuses de nations à édifier sur de nouvelles bases mais res- suscitant ou recréant des mythes parfois aussi as- servissants que ceux de leurs prédécesseurs. Ecrit dans une langue simple, chaleureuse, proche des non spécialistes, pas "jargonesque" du tout, ce texte de Christiane " est le reflet de sa vie et de son expérience " et, l'intérêt qui en ressort, pour " une édition novatrice de femmes ", est tout à fait dans le ton de ce que nous aimons offrir à la connaissance de nos lecteurs. Si l'émotion de Christiane y perce bien souvent, il n'est dénué ni de rigueur ni d'objectivité. C'est un texte riche, passionnant et passionné qui nous rappelle fort à propos que les débats d'hier sont toujours ceux d'aujourd'hui. Behja Traversac 11 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 11 À Alice Cherki « Honneur et respect » ! Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 13 AVANT PROPOS Alger, Août 2004 Après une assez longue période d’oubli ou de mise à l’écart, Frantz Fanon et son œuvre refont surface. Des colloques « périphériques » – par rapport aux « centres consacrés » de la culture et de la pensée… – ont eu lieu de 1982 à 1987 (à Fort-de-France et son Mémorial en 1982, à Brazzaville en 1984, à Alger en 1987)1 et des « Cercles » ont été créés à Fort de France et à Paris. Ces espaces ont contribué et contri- buent encore à la transmission de son action et de ses écrits. Toutefois, après ce purgatoire - éclairé par ces manifestations dont toutes ont affiché une complicité militante critique en même temps 15 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 15 que scientifique et mémorielle - un mouvement plus profond de reprise semble se dessiner dont je verrai volontiers le témoin essentiel dans l’ou- vrage d’Alice Cherki, Frantz Fanon, portrait, édité au Seuil en 20002 Par ailleurs, les éditions La Découverte ont pris l’initiative de rééditer son œuvre, toute son œuvre… même L’An V de la Révolution algérienne, le texte mal-aimé des édi- teurs depuis sa sortie chez Maspero en 1959. La dernière œuvre, d’une richesse considérable, qui ne doit pas oblitérer les écrits antérieurs, repa- raît ainsi avec la préface de Jean-Paul Sartre et une introduction éclairante d’Alice Cherki et devient la réédition de référence de ce texte majeur du Tiers-Monde. À Alger, au 9ème Salon International du Livre du 8 au 18 septembre 2004, l’hommage central est dédié à Frantz Fanon – comme il l’é- tait l’année dernière à Mohammed Dib – avec une journée d’études consacrée à l’œuvre et à 16 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 16 l’homme et surtout à une édition en arabe et une réédition en français. Ces signes de retour vers cet intellectuel, en ces temps de remise au pas violente des « dam- nés de la terre », sont encourageants. Le signe le plus tangible est bien la mise à la disposition des œuvres puisque chaque lecteur peut retourner au texte même et ne pas se contenter d’une vague idée de la personnalité de cet homme, mort à 36 ans, et des propos tenus sur ce qui serait sa prédilection pour la violence, son lyris- me romantique d’une autre époque ou son idéa- lisme désuet. Comme le déclarait Elo Dacy en ouverture du « Colloque F. Fanon » à Brazzaville : « Car autant qu’il interpelle, Fanon implique en permanence et oblige, où que l’on se trouve, au questionnement individuel et collectif. » 17 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 17 « […] Puisse cet humanisme généreux dont Frantz Fanon était le chantre fougueux, triompher un jour et demeurer à jamais ! » L’essai qui suit, synthèse de conférences diverses données en Martinique et en Algérie entre 1982 et 2000, et en partie d’enseignements dispensés en Algérie puis en France, de 1976 à 2004, veut apporter sa contribution à la lecture de cette œuvre, avec enthousiasme mais sans hagiographie et dans les limites de mes spécialités. 18 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 18 Quelques précisions préliminaires me semblent nécessaires pour dire de quel lieu je parle : celui d’une Algérienne d’aujourd’hui, trop jeune pour avoir participé à la lutte de libération mais au bon âge pour avoir été nourrie, à l’Université d’Alger et dans l’ambiance intellectuelle des premières années de l’indépendance, par les textes de F. Fanon. Algérienne d’aujourd’hui ayant participé au mou- vement associatif féminin et à la création de groupes d’écriture et de réflexion sur les femmes et continuant à croire à la vertu de la lecture et à la force des idées même dans les moments de ré- gression les plus visibles. La lecture des œuvres de Fanon n’est pas pour moi visite de musée ou 19 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 19 nostalgie commémorative, elle est active, c’est-à- dire liée à la construction d’une mémoire, à l’é- criture d’une histoire littéraire et à une actuali- té.3 Algérienne minoritaire enfin, puisque « d’o- rigine » européenne selon la formule consacrée et convaincue par les propos de Fanon qui concluent « Racisme et culture » : « La culture spasmée et rigide de l’occupant, libé- rée, s’ouvre enfin à la culture du peuple devenu réellement frère. Les deux cultures peuvent s’af- fronter, s’enrichir […] L’universalité réside dans cette décision de prise en charge du relativisme réciproque de cultures différentes une fois exclu irréversiblement le statut colonial. » Je n’ai pas connu Fanon. Je l’ai à peine aper- çu dans l’appartement familial du centre d’Alger, celui d’Alexandre Chaulet, mon père, où il resta quelques heures avec sa famille avant de prendre l’avion, en janvier 1957, après sa let- 20 Fanon déf_Fanon déf.qxd 04/12/2011 01:01 Page 20
Premieres pages de Fanon - Page 3
Premieres pages de Fanon - Page 4
viapresse