59 Metamorphose - Page 13 - étoiles d'encre 59-60 : Métamorphose au contraire, ouvrir le champ des possibles, aussi bien dans les orientations futures que dans la façon de vivre, avec soi et avec les autres. Mais c’est bien finalement ce qui gêne les opposants, qui, dans les manifestations, brandissent des pancartes où, au-dessus d’une silhouette rose de petite fille fée et d’une silhouette bleue de petit garçon mousquetaire, on peut lire « Touche pas à mes stéréotypes » (tandis qu’une autre montre des enfants… menacés par un escargot, comme si la « théorie du genre » allait les rendre hermaphrodites…). Dans le brouhaha médiatique, les déclarations du ministre de l’Éducation Nationale, Vincent Peillon, ont alors été extrêmement maladroites. En effet, la position est de nier l’enseignement de la « théorie du genre », laissant ainsi supposer qu’elle pourrait exister. Il s’agit également de nier que l’homosexualité soit un sujet abordé en classe, et que cette question de la sexualité doive l’être auprès d’enfants. On voit bien le raisonnement: pour sauver la lutte contre les stéréotypes, et notamment leurs effets dans les orientations scolaires et professionnelles, thème le plus consensuel, sacrifions la lutte contre l’homophobie, alors que la violence des réactions montrait au contraire combien le sujet est vif, combien il est source d’ostracisme et de souffrances, et combien il est urgent et essentiel de travailler avec les enfants sur la tolérance et l’acceptation de la diversité et de la différence, que ces enfants deviennent hétérosexuels ou homosexuels. Toujours est-il qu’en juillet 2014, Benoît Hamon, successeur de Vincent Peillon, annonce la fin des ABCD de l’égalité… La nomination de Najat Vallaud Belkacem au Ministère de l'Education Nationale, en août 2014, a alors pour effet immédiat un retour des rumeurs et fantasmes sur le "genre". Espérons juste qu'elle remettra la question de l'éducation à l'égalité entre filles et garçons, hommes et femmes, et entre les garçons et les filles, quels que soient leurs apparences et leurs choix, au cœur des missions de l'Ecole. christine détrez 11métamorphoses 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page11 Mais qu’est-ce que le (s) genre (s)? Comment définir alors ce fameux concept de « genre »? Tout d’abord, précisons qu’il ne s’agit nullement d’une importation américaine: les études sur le genre existaient en France bien avant qu’elles ne prennent ce nom, et bien avant qu’on ne traduise le mot « gender » en ce sens. C’est justement pour éviter le contresens avec les sens de « genre » en grammaire (le genre et le nombre d’un nom) ou en études littéraires (les genres littéraires), qu’on préférait parler par exemple, en sociologie, de « rapports sociaux de sexe », expression qui avait également le mérite, dans une inspiration marxiste, de faire un parallèle entre les inégalités liées au sexe (homme/femme) et les inégalités liées à la classe sociale. Trois moments peuvent être distingués dans les définitions du mot « genre », et l’on comprend que, confronté au dernier moment de la définition et sans l’historique et l’évolution des pensées, on puisse être déstabilisé. C’est bien ce que souligne l’historienne Joan Scott, en premières lignes de son article « Genre, une catégorie utile d’analyse historique » (Cahiers du Grif, 1988 (1986): « Ceux qui se proposent de codifier les sens des mots luttent pour une cause perdue car les mots, comme les idées et les choses, sont faits pour signifier, ont une histoire ». (p. 125) Le premier moment pourrait être qualifié de « moment anthropologique », et désigne la prise de conscience, grâce à l’anthropologie, de la relativité de nos certitudes: c’est en effet souvent par le décentrement, et la comparaison avec ce qui se passe ailleurs que se dénaturalisent les évidences, et que se particularise ce qui semblait être l’universel. Margaret Mead fait vaciller cette fameuse « évidence du naturel », dans ses travaux des années trente, en montrant la variation des « caractères » masculins et féminins dans plusieurs tribus océaniennes. Chez les Arapeshs, douceur, altruisme, délicatesse, sont des valeurs communes aux hommes et aux femmes, alors que chez les Mundugumors, à l’inverse, la violence et l’individualisme sont de mise. Quant aux Chambulis, ils présentent 12 carte blanche étoiles d’encre 59-60 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page12 une forme d’inversion des « caractères » occidentaux, puisque les hommes y sont sensibles, et les femmes détiennent le pouvoir. Ainsi, plutôt que des caractères, des tempéraments, des « natures » féminine ou masculine, doit-on parler, selon Margaret Mead, de « rôles sexuels », qui ne sont pas induits par le sexe biologique, mais élaborés par les sociétés : « il nous est maintenant permis d’affirmer que les traits de caractère que nous qualifions de masculins ou de féminins sont pour un grand nombre d’entre eux, sinon en totalité, déterminés par le sexe d’une façon aussi superficielle que le sont les vêtements, les manières ou la coiffure qu’une époque assigne à l’un ou à l’autre sexe. Quand nous opposons le comportement typique de l’homme ou de la femme arapesh à celui, non moins typique, de l’homme ou de la femme mundugumor, l’un et l’autre apparaissent de toute évidence être le résultat d’un conditionnement social ». La deuxième étape voit l’apparition du mot « genre », dans les travaux de psychiatres et de sexologues américains. La distinction entre sexe et genre est formalisée par John Money et Robert Stoller à la fin des années cinquante, pour analyser ce qui à l’époque passe pour des « pathologies » de la sexuation, principalement le transsexualisme et l’hermaphrodisme: des patients qui se vivent comme appartenant au sexe opposé, et d’autres qui possèdent des caractéristiques des deux sexes. Dans un objectif de réassignation du sexe, entendue comme réparation des erreurs de la nature, ils séparent les aspects biologiques et les aspects sociaux du sexe, et notamment l’identification psychologique (genre), le but étant d’opérer les corps afin de remettre en adéquation le sexe (les organes) et le genre (l’identification psychologique). Les exemples d’échec de ces expérimentations (notamment celle menée sur les jumeaux Reimer par John Money) ont été mobilisés dans les débats récents comme des arguments démontrant les méfaits de la « théorie du genre », et comme preuves de la mégalomanie démiurgique de celles et ceux qui voudraient « corriger » ou « contrarier » la nature, christine détrez 13métamorphoses 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page13 la biologie ou Dieu, selon l’instance à laquelle on accorde légitimité et suprématie. Il y a là un grave contresens, puisque cette volonté de réassignation, de mise en concordance forcée des corps et des « âmes » est l’antithèse même de la définition du genre. Enfin, il revient aux historiens et aux sociologues d’avoir développé la définition du mot genre, en ajoutant à l’idée de construction (sociale, historique) du masculin et du féminin la notion de pouvoir. Non seulement la société élabore le masculin et le féminin, mais elle les organise dans un système hiérarchique. Mieux, c’est même ce système hiérarchique qui donne sa raison à la construction du masculin et du féminin. Au pluriel, « les genres » désignent ainsi les produits de ce travail d’élaboration et d’assignation (le masculin/le féminin), au singulier – le « système de genre » – il représente le système qui organise les places et les rôles, les rapports entre femmes et hommes, dans la vie privée comme dans la vie publique, de la naissance à la mort, dans les interactions les plus concrètes (qui fait quoi, qui gagne quoi, qui peut ou ne peut pas faire telle ou telle activité, aller dans tel ou tel endroit, etc.), comme dans les représentations les plus symboliques. L’anthropologue Françoise Héritier décrit ainsi « la valence différentielle des sexes », qui organise les sociétés selon la dichotomie hiérarchisée entre « masculin » et « féminin », auxquels vont être associés des espaces, mais aussi des attributs, des adjectifs, des propriétés... : d’un côté par exemple, le droit, le sec; le chaud, l’actif… et le masculin, de l’autre le courbe, le gauche, l’humide, le passif… féminin. Mais si dans une autre société, l’avantage symbolique est attribué par exemple à l’humide, au gauche, et au passif… alors l’attribution s’inverse au profit du masculin, le sec, le droit, l’actif (on parlera alors de désordre) étant du côté du féminin. Ainsi, contre un autre contresens qui imputerait aux études de genre le mépris des hommes, ou encore la guerre des sexes, le genre ne peut se penser que dans une perspective relationnelle, la 14 carte blanche étoiles d’encre 59-60 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page14 construction du masculin étant indissociable de celle du féminin. Si les premières études se consacraient d’abord aux femmes, dans la description et l’analyse des multiples inégalités qui les contraignent dans ce système de genre, plus récemment se sont développées les études consacrées aux « masculinités », aux façons dont la « domination masculine » pèse également sur les garçons et les hommes, et aux coûts (et coups) que doivent subir ceux qui y dérogent: la « masculinité hégémonique », comme obligation à la virilité, à l’excès, à l’alcool, à la vitesse, à la force, et dans sa composante sexuelle, à l’hétérosexualité conquérante, s’exerce sur les petits garçons dès le plus jeune âge, dans les interactions avec les adultes (parents, enseignants, entraîneurs de sport, etc.), mais aussi avec les pairs dans les cours de récréation, et dans la perpétuelle répétition des messages médiatiques. Laisser la place au courage et à l’imagination? On a entendu, dans les diverses accusations proférées à l’encontre des études de genre, que celles-ci s’emploieraient à nier les différences, résumées à l’évidence de la différence biologique entre « hommes » et « femmes », à remplacer les « lois » biologiques par l’arbitraire. Mais cette évidence d’une humanité divisée en deux parties « différentes et complémentaires » (puisque la nature est si bien faite…), là aussi, vacille suite aux recherches des dernières décennies: si la distinction entre les deux sexes est si évidente, pourquoi, par exemple, est-ce si difficile de classer certains-es athlètes, et pourquoi les fameux « tests de féminité » ne cessent-ils d’évoluer (Bohuon, 2012)? Que faire de celles et ceux qui ne rentrent pas dans ces deux cases, exclusives l’une de l’autre? Doiton les cacher, les opérer, les considérer comme les exceptions qui confirment la règle? Contre cette bi-catégorisation, au contraire, certains-es chercheurs-es avancent la diversité et la complexité des données biologiques qui permettent de déterminer le sexe d’un individu: les critères de détermination du « sexe » sont multiples, christine détrez 15métamorphoses 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page15 et peuvent se fonder sur l’anatomie (pénis/vagin), les gonades (testicules/ovaires), les hormones (testostérone/œstrogène), l’ADN (XX/XY). Or aucun de ces marqueurs ne permet de donner une définition sûre du sexe, et l’histoire des déterminations en montre le flou et les limites (Fausto-Sterling, 2012). La prise de parole publique des intersexes, et leurs revendications ont permis aussi de sortir de l’invisibilité et de rompre le silence autour des multiples opérations que subit, dès la naissance, un enfant intersexe, sans, le plus souvent, que ne soient même consultés ses parents. Si les données de détermination du sexe sont biologiques, le travail par lequel leur multiplicité et leur éventuelle non-concordance sont unifiées en un sexe « féminin » ou « masculin » est lui social. L’accusation se retourne alors comme un boomerang: c’est bien la crispation farouche sur la binarité qui nie les différences entre les individus, puisqu’elle rabat tout l’éventail des possibles aux deux grandes catégories que sont « l’Homme » et la « Femme », le « Mâle » et la « Femelle ». La dichotomie, si elle exclut d’emblée celles et ceux qui ne rentrent pas dans les cases, n’est guère plus confortable pour les autres: elle oblige en effet chacun-e des individus-es à se conformer à la définition de LA Femme et de L’Homme, sous peine de rappels à l’ordre, dont les petites blagues et sarcasmes sont une forme dont il ne faut pas sous-estimer la violence, justement parce qu’elle avance sous les oripeaux de l’anodin et de l’humour. Quant au vertige que l’on peut éprouver quand vacillent les certitudes, est-il le signe de leur véracité, ou tout simplement de leur profond ancrage dans notre système de pensée? On ne peut que souscrire ici encore aux propos de Christine Delphy, quand elle affirme que « pour connaître la réalité, et donc pouvoir éventuellement la changer, il faut abandonner ses certitudes, et accepter l’angoisse, temporaire, d’une incertitude accrue sur le monde; que le courage d’affronter l’inconnu est la condition de l’imagination et que la capacité d’imaginer un monde autre est un 16 carte blanche étoiles d’encre 59-60 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page16 élément essentiel de la démarche scientifique: qu’elle est indispensable à l’analyse du présent ». Laisser la chance au courage et à l’imagination, accepter de vaciller et de voir s’ébranler les systèmes de pensées aux fondations ancestrales: peut-être est-ce là la métamorphose nécessaire, et c’est à cela que nous invitent les textes suivants, qui chacun à sa façon, par le déplacement qu’il opère, nous fait franchir les frontières, qu’elles soient géographiques, ou entre des cases et catégories habituellement étanches. L’anthropologue Marie Goyon nous emmène tout d’abord dans les communautés amérindiennes anglophones du Canada, auprès des brodeuses en piquants de porc-épic. Cette technique de broderie, réservée aux femmes, se transmet traditionnellement de mère en fille. Mais le passage de toute une génération par les pensionnats l’a déculturée et la technique, pour beaucoup, s’est perdue. Ce sont alors les métamorphoses de la transmission, les chemins genrés de la mémoire qu’explore Marie Goyon. Elle montre également combien l’apprentissage de la broderie est apprentissage corps et âme: tête courbée sur son ouvrage, la jeune fille apprend l’attention, la patience, la réserve, qualités adaptées à la « femme bien ». Mais le détour par le motif mythologique de la femme double permet de montrer les possibilités de résistance et les marges offertes, même dans les dispositifs les plus contraignants, ainsi que les réappropriations politiques les plus contemporaines. C’est la métamorphose de Thomas Neuwirth qui est analysée dans le deuxième texte, que nous proposent Brigitte Esteve-Bellebeau, philosophe, et Arnaud Alessandrin, sociologue. Si ce nom est inconnu, celui de Conchita Wurst l’est sans doute moins, puisqu’elle est la gagnante de l’Eurovision: Thomas et Conchita ne font qu’une seule et même personne. De quoi Conchita Wurst est-elle donc le nom, s’interrogent alors les auteurs, et que nous dit des christine détrez 17métamorphoses 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page17 normes de genre, la difficulté pour les journalistes de la nommer, tantôt femme à barbe, tantôt travesti, homosexuel, ou tout simplement artiste… L’Eurovision étant un concours où chacun des pays participant vote, que nous dit la carte des votes? Enfin, le dernier texte, écrit par l’avocate tunisienne Dé Monstration, est un voyage dans un pays imaginaire… la belle et verte Cusinie, pays merveilleux si n’y étaient pas poursuivis-es celles et ceux qui dérogent à la règle en vigueur. Toute ressemblance avec un pays existant n’étant pas fortuite, et afin de ne pas gâcher la surprise de cette métamorphose géographique, le mieux est de laisser le lecteur et la lectrice découvrir de quoi il en retourne… Petite bibliographie pour poursuivre la réflexion: – un livre qui permet de faire le tour des questions du genre en quelques fiches: Alessandrin Arnaud, Esteve-Bellebeau Brigitte, Genre ! Éditions des Ailes sur un tracteur, 2014 – pour approfondir: les deux manuels les plus récents et les plus complets sur le genre: Bereni Laure, Chauvin Sébastien, Jaunait Alexandre, Revillard Anne, Introduction aux études de genre, De Boeck, 2012 Buscatto Marie, Sociologies du genre, Armand Colin, 2014 – Un livre de Christine Delphy regroupant plusieurs de ses articles essentiels : Delphy Christine, L’ennemi principal 2. Penser le genre, Paris, Syllepse, 2001 – Sur les tests de féminité des athlètes : Bohuon Anaïs, Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, Paris, Éditions iXe, 2012. – Sur les déterminations biologiques du sexe et les dernières recherches en biologie : Fausto-Sterling Anne, Corps en tout genre, Paris, La Découverte, 2012 (paru en 2000 aux États-Unis) 18 carte blanche étoiles d’encre 59-60 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page18 métamorphoses Filles-maîtres et femmes-masculines : métamorphoses, inventions et résistances dans l’Amérique contemporaine Marie Goyon Ce texte anthropologique s’appuie sur des recherches de terrain menées entre 2000 et 2005 auprès de communautés amérindiennes canadiennes contemporaines (Cree, Lakota et Assiniboine principalement, dans les provinces anglophones du centre du Canada: Alberta, Saskatchewan et Manitoba), notamment auprès de femmes autochtones. Leurs parcours interrogent les représentations de la féminité liées aux savoir-faire genrés, à partir d’un exemple spécifique, la broderie en piquants de porc-épic et ses modes de transmission contemporains. Victimes non seulement d’une domination masculine toujours très prégnante1, discriminées dans la loi fédérale (leur statut dans l’Indian Act2), les femmes autochtones sont aussi longtemps demeurées les parents pauvres de la littérature anthropologique sur ces aires culturelles. En effet, les sociétés des Plaines ont été généralement décrites comme des sociétés guerrières, dont la seule figure légitime et représentative était de fait le fier guerrier emplumé. À ce titre les femmes ont été quasiment ignorées des premiers explorateurs comme des chercheurs contemporains ou réduites à des descriptions de type « esclaves » ou « servantes ». 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page19 20 carte blanche étoiles d’encre 59-60 Pourtant, elles occupent aujourd’hui un rôle central non seulement dans le repositionnement des identités homme/femme au sein des sociétés amérindiennes, mais encore dans le cadre de la définition d’une identité amérindienne au sein de la société canadienne. Elles sont au cœur de multiples mécanismes que l’on pourrait qualifier de « résistance », entre filiation et émancipation. Ces mécanismes sont tout particulièrement observables dans les mutations des savoirfaire genrés comme l’utilisation stratégique de figures mythologiques afin de construire de nouvelles conceptions et usages du « féminin ». On peut ainsi rencontrer des filles-maitres, des autodidactes et des femmes « masculines », autant de figures illustrant la complexité et la variété des socialisations contemporaines par les savoir-faire, et des rôles sociaux qui en découlent et se métamorphosent. La « transmission » Les témoignages et l’épreuve du terrain amènent à questionner les processus de transmission de la mémoire dans des contextes aussi violents et délicats. Par exemple, quand les ouvrages d’histoire de l’art ou d’anthropologie portant sur la broderie en piquants de porcépic3 décrivaient soit une perte totale des savoirs, soit une transmission intergénérationnelle et sexuellement située se perpétuant harmonieusement à travers le temps, j’étais à l’inverse sans cesse confrontée à des configurations mobiles, à des modalités multiples de diffusion et d’acquisition des savoirs, transgressant et renouvelant la « tradition » : entre les sexes, entre les générations, dans l’interpénétration entre des circuits conventionnels d’apprentissage (cercle familial et tribal) et de nouveaux circuits de socialisation (cercle universitaire et muséal par exemple). Dans ce cadre, la socialisation des femmes par les savoir-faire genrés ne m’apparaissait plus seulement comme une mécanique de répétition et de « formatage » des habitus, mais bien aussi comme une construction dynamique, avec et malgré eux, c’est-à-dire consciente et inconsciente. 59 carte blanche.qxp_Mise en page 1 28/04/16 15:16 Page20
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