DELIT DE REVE - Page 22 - Pour Croire à un nouveau monde ou les citoyens seront respectés 22 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. La gravité des faits, souligna-t-il, nécessitait l’ouverture d’une information judiciaire pour atteinte à la sûreté de l’état. Il prit congé sans oublier de nous rappeler les interdictions formulées. Le journal se termina aussitôt, remplacé sans plus de préambule par les publicités qui provoquèrent de notre part l’extinction immédiate du récepteur. La déception retardait pour l’instant les commentaires, L’incompréhension entre le gouvernement et notre représentation était évidente. - Regardez, dit le chauffeur. » Il avait réussi en manipulant le canal des chaînes à capter une émission régionale privée. Le reportage proposé avait une toute autre teneur que celui de l’antenne publique. Il débutait aux premiers instants du mouvement général, au nord de Paris. A l'avant du cortège on vit très nettement l’infiltration soudaine d’une bande de casseurs. La suite fut identique à ce qui s’était produit de notre côté : vandalisme, heurts, violence. Tout était semblable. Dans l’objectivité de ces images, on constata, sans aucun doute possible, que ces éléments perturbateurs avaient disparu brusquement dès l’apparition des forces de l’ordre. Notre soi-disant responsabilité n’était pas si évidente. Le déroulement exact des événements à travers ce reportage nous démontrait qu’il n’y avait pas eu d’affrontement réel. Seuls les policiers usaient de leurs prérogatives légales avec tout l’arsenal propre à leur mission de dispersion. En face d’eux, des gens totalement pacifiques qui faisaient tout pour échapper à cette pluie de coups. Le journaliste précisait que ces scènes s’étaient déroulées tout autour de Paris avec plus ou moins d’intensité selon le secteur. Mais le résultat, la finalité de notre grand rassemblement, était parfaitement traduit par ses images. Comment devions-nous interpréter cela ? Cela a-t-il un intérêt aujourd’hui ? Ces images télévisées ainsi que nos tristes souvenirs s’imprimèrent pour longtemps dans nos mémoires. Le téléphone mobile de l’autocar permit à chacun de rassurer sa famille. À notre arrivée à Bordeaux, une importante foule nous attendait : des parents, des enfants, des amis venaient chercher des nouvelles d’un proche. L’anxiété, la détresse de ces gens ne sachant pas vers qui se rapprocher pour être rassurés était pesante. Le silence du trajet continuait ici. Une gêne, un poids énorme au fond des cœurs empêchaient tout dialogue. Pierre était parti chercher la voiture. Les bus et leurs chauffeurs étaient repartis. Nous avions attendu avec d’autres organisateurs la fin de ce rassemblement. Nous nous séparâmes sans grands discours. 23 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Dès le lendemain, le gouvernement créa une commission familiale permettant d’obtenir des nouvelles rapides pour qui le désirerait. Le bilan définitif s’alourdit, ce qui incita le Ministre de la Justice à ordonner la libération de toutes les personnes arrêtées. Il prit la parole en ces termes : - L’enquête sur les circonstances de la mort des fonctionnaires de police se poursuit activement. De tels actes ne peuvent rester impunis ! Cette libération ne suspendra pas pour autant les procédures en cours. L’amertume des dernières heures vécues n’avait en rien diminué notre volonté, notre détermination. * 24 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. CHAPITRE IV Hors pays. 25 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Au cours des années précédant ce deux Février 2006, bien d’autres manifestations eurent lieu, bravant à chaque fois l’interdiction que ne manquait pas de nous rappeler le porte-parole du gouvernement. D’autres heurts inévitables se produisirent, d’autres vies furent perdues, d’autres blessures marquèrent à jamais nos mouvements. Mais petit à petit, nos actions devinrent totalement pacifiques. Il est vrai que nous ne quittions plus la ceinture du périphérique. Nos défilés tournaient autour de cette ville devenue inaccessible et il n’était pas question pour nous de forcer les barrages des gardes mobiles installés à toutes les portes de la « Cité des Gouvernants ». La situation économique de ces deux dernières années fut marquée par une période de stagnation : aucune régression, aucune évolution. Fort de ce résultat, le gouvernement voyait là un signe évident de relance. Cependant, notre quotidien ne s’améliorait pas. Notre but était inchangé, nous venions en quelque sorte leur rappeler notre existence. Nous montions à Paris prendre des nouvelles, comme si les moyens de communication faisaient défaut dans ce siècle dit « évolué ». La situation nationale n’avait rien à envier au reste de la Communauté. L’union Européenne n’était pas une réussite. Des seize membres la composant fin 1997, il n’en restait plus que dix à la suite du retrait sans concession et sans complaisance des pays du nord de l’Europe. Nous en restions au stade de l’ouverture des frontières pour la libre circulation des produits. Quoiqu’il en soit, les dix partenaires demeuraient de fervents adeptes de l’union. Les perpétuels changements de régime politique retardaient sa construction. La seule uniformité constatée résidait dans le contexte socio-économique des dix états. En effet, à quelques variantes près, le taux des fléaux sociaux était le même. La catastrophe humanitaire de la fin du deuxième millénaire dans l’ancienne Yougoslavie se poursuivait en ce début de nouveau millénaire provoquant l’extension du conflit aux pays frontaliers. Tchèques et Russes ne cachaient plus leur soutien aux Serbes. Dans certaines régions, leur participation active se manifestait par une aide matérielle et humaine. La Pologne, la Bulgarie et la Roumanie soutenaient les Bosniaques, du moins le supposions-nous... Cette guerre aux raisons non définies, avait des conséquences désastreuses sur la population civile. Ce sujet brûlant d’actualité, si proche de nos frontières, alimentait régulièrement nos discussions. 26 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Nous avions dîné chez Luc ce soir-là, et nous venions de suivre une émission spéciale sur ce conflit. Notre discussion se porta tout naturellement sur ce sujet. Nous pensions sincèrement que les guerres devaient être disputées par les spécialistes, ceux qui les provoquaient et non par les populations. Ce sont toujours ces derniers qui en souffrent et non les responsables des conflits. Dans ces soirées, nous discutions de tout. Il nous arrivait de nous chamailler mais le plus souvent c’était par simple jeu. Au-delà de l’Europe, chaque continent montrait une totale disparité dans ses conditions socio-économiques. Les pays d’Asie, (Inde, Bangladesh, Pakistan, parmi les plus connus), maintenaient leurs populations dans la misère. Au quotidien, le spirituel était leur meilleur allié ! La Chine, surnommée pays mystérieux par les journalistes, dispensait de rares informations qui ne permettaient pas d’en établir une analyse cohérente. Le Japon par contre, avait ouvert depuis longtemps ses frontières au monde occidental, La récession économique l’avait frappée de plein fouet car cette ouverture n’avait pas encore produit d’effets positifs. Il vivait pour l’instant de ses immenses ressources financières. Comme chez nous le chômage devenait une calamité, son taux avait doublé en l’espace de trois ans et rien ne semblait pouvoir le stopper. Cette nouvelle population inactive bénéficiait de tous les avantages financiers nécessaires à leur situation précaire. Le formidable essor de leur pays auquel ils avaient largement contribué leur était justement rendu. C’est pourquoi, contrairement aux pays Européens, aucun mouvement de société n’existait. L’équilibre social était préservé. Tous les petits états situés à la pointe du continent Américain, y compris les îles environnantes, avaient été annexés et se trouvaient maintenant sous tutelle des États-Unis d’Amérique. Le capitalisme avait momentanément l’avantage d’abolir ces régimes de dictature militarisée. La démocratie mise en place dans ces états redonnait leur dignité à certaines populations. Prenons l’exemple de la Havane : le plein essor de cet état ne fut possible qu’après la chute du régime idéologiquement révolutionnaire. Ce changement attira plusieurs groupes d’affaires et permit le développement actuel. Un de nos amis, Gérard, célibataire intraitable, faisait partie de notre cercle. Un an avant son départ pour Cuba, il était présent à tous nos repas et à toutes nos sorties. Aujourd’hui, il était de retour pour deux mois de vacances. 27 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Le lendemain soir, il arriva à la maison les bras chargés de cadeaux. Chacun eu droit à un petit souvenir. Après le repas, nous prime place au salon. Nous avions dix mille questions à lui poser car il représentait une part de rêve qui manquait dans notre pays. Gérard était ingénieur pour une entreprise de travaux publics spécialisée dans les réseaux routiers. Il prévoyait que son chantier durerait encore environ quatre ans et il se considérait privilégié à la vue de notre situation nationale. Cuba était en plein essor dans pratiquement tous les secteurs d'activité. La population retrouvait une certaine dignité car la misère passée régressait. Elle ne connaissait pas les méfaits des régimes démocratiques et capitalistes. Nous ne pouvions que souhaiter qu'elle ne les découvre le plus tard possible. La soirée se termina sur notre sempiternelle partie de tarot, heureusement personne ne travaillait le lendemain. La situation internationale ne faisait pas vraiment partie de nos principales préoccupations, mais notre attention était sans cesse sollicitée par les nombreux reportages que les chaînes publiques nous imposaient quotidiennement. Il s’agissait sûrement de nous faire comprendre que, par rapport à certains pays, nous n’avions pas à nous plaindre. Ils souhaitaient nous faire oublier nos propres vicissitudes. Conscients de notre propre sort, nous n’étions pas insensibles aux images, notamment celles d’Afrique. Depuis que l’ingérence militaire avait disparu de ce continent, il était livré à lui-même et, chaque année, des milliers de personnes mouraient à cause de la famine, des maladies, des exterminations ethniques ou des conditions climatiques. Seules les associations caritatives dénonçaient ces catastrophes. Sans l’aide des grandes puissances leurs missions, leurs actions n’obtenaient pas de résultats probants. Tout n’était pas noir de par le monde, les pays Islamique s’étaient dépassionnés et avait instauré une nouvelle forme de démocratie. Le tarissement pétrolifère des Émirats Arabes Unifiés n’avait en rien entaché ce que beaucoup d’observateurs appelaient et décrivaient comme un miracle économique. Rien ne semblait pouvoir le déstabiliser. Nous aurions pu prendre exemple sur eux car ils avaient su gérer leurs ressources. Ils avaient su anticiper l'avenir. . L'Amérique aurait très bien pu également servir d'exemple à l'Europe car sa situation économique et sociale était bien meilleure que la nôtre. C'est vrai que les ghettos existaient mais le taux de misère était insignifiant et ceci grâce à son changement radical de politique intérieure. 28 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Quant au continent d’Amérique du Sud, il faisait rarement l’objet de nos discussions parce que, comme pour la Chine, nous avions peu de renseignements le concernant. Son économie était basée uniquement sur les trafics en tout genre, avec une mention spéciale pour celui de la drogue. Je ne vois pas en quoi nous aurions pu y puiser un quelconque modèle de culture. Ce sommaire tour d’horizon international confortait les dires de nos dirigeants. Ils invoquaient la crise que traversait le monde afin de justifier, d’excuser la nôtre. Sans être des économistes avertis, n’aurions-nous pas pu la prévenir, l’éviter ? Ce deux février 2006 n’aurait jamais existé. 29 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. CHAPITRE V Le jour J 30 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Le 2 Février au matin, notre arrivée près de la capitale se déroula sans problème particulier. Seul le nombre accru de participants et de véhicules provoqua davantage d’encombrement, mais rien d’insoluble. Après deux ans de déplacements, nous commencions à être parfaitement rodés. Nos emplacements étaient devenus habituels, nos parkings n’étaient plus improvisés. Le nombre de bus à notre disposition demeurait insuffisant. Quelques groupes avaient utilisé leurs voitures particulières pour suivre le mouvement. Les voitures de police maintenaient leur position sur les ponts enjambant l’autoroute. Mais depuis le dernier péage, contrairement aux autres fois, nous apercevions des groupes de militaires de part et d’autre de la route. Plus nous approchions de notre destination, plus leur nombre venait augmenter les forces de police. Sous étions intrigués non pas inquiets car nos allers étaient toujours euphoriques. Les militaires ne nous perturbaient pas. Dès que nos véhicules furent garés, plusieurs hélicoptères nous survolèrent à basse altitude. Était-ce par esprit dissuasif ? Pourtant, nous avions prouvé que nous n’étions pas des éléments incontrôlables. Les violences passées avaient eu raison de tout sentiment de vengeance ou de rébellion de notre part. Mène s’il y avait eu des dérapages lors des toutes premières manifestations, notre mot d’ordre pacifique n’avait absolument pas varié. Ce sage comportement n’était pas dû à une quelconque soumission face aux éléments armés de l’état. Nous étions simplement déterminés à rester plusieurs jours sur place. La présence armée n’engendra que peu de commentaires. - Il va y avoir plus de flics que de représentants, dit Luc. Chacun des quatre organisateurs de notre bus contrôla l’état de marche de son micro amplificateur, sans oublier de prendre la petite batterie de rechange, l’autonomie était importante mais mieux valait prévoir. L’organisation générale avait été programmée grâce aux réunions télévisées et communales. Cette pratique courante et efficace consolidait de jour en jour notre cohésion. Nous étions arrivés économiquement et socialement à un point de nonretour, sans aucune certitude d’avenir. 31 Copyright Claude Ballion 1995 – cballion3@gmail.com – copie SGDL. Nous étions là pour prouver cette formidable entente de la part de tous les Français. Le peuple tout entier ne s’était pas déplacé, mais il était solidaire de nos mouvements et aussi mobilisé que nous-mêmes. Le pays ne fonctionnerait pas tant que nous resterions à la capitale. Le gouvernement contribua, malgré lui, à cette union populaire. La seule initiative que nous approuvions résidait en l’abolition pure et simple des partis politiques ou de toute organisation similaire. « L’opération mains propres » qu’il déclencha fin 1999 démontra que le fondement de nos institutions, de notre société était atteint d’une gangrène corruptrice. Aucune des couches sociales ne fut épargnée, tant dans la vie civile que dans la vie politique. Cette corruption drainait tous les maux qui lui étaient propres : trafics d’influence, détournements de fonds, soutiens ou abus de biens sociaux, ainsi que les nombreux crimes commis en son nom. Cela eut pour effet de mettre sur le devant de la scène un ensemble de personnes jusqu’alors insoupçonnables. Plusieurs membres du gouvernement en place, initiateurs de cette mesure populiste, furent mis en examen. Les principaux instigateurs se trouvaient dans les hautes fonctions de l’état-major des partis politiques et chez les grands patrons de tous secteurs. Ces maux étaient incontestablement enracinés dans cette autorité légale. Les autres, pris dans cet engrenage, la subissaient à des degrés différents. Obligés et consentants, ils savaient cependant en tirer parti dans un intérêt personnel. Ils maîtrisaient complètement cette pyramide corruptrice. Cette épuration dura presque deux ans ; la machine s’emballa-t-elle ? Assistionsnous publiquement à un grand règlement de compte au seul nom du pouvoir ? Quoiqu’il en soit, pour nous, seul le résultat comptait. Comment dans un tel contexte, devant ce choix politique des dirigeants, ne pas faire confiance à ce gouvernement capable de telles décisions ? Comment ne pas croire en ces personnages, en nos représentants, si désireux de gouverner proprement ? Une loi interdisant les partis fut proposée et soumis au vote. Dans un pays démocratique ce ne pouvait être qu’un non-sens, qu’une absurdité. C’était pourtant par référendum, par la voix du peuple que cette loi fut instaurée. L’importance des affaires, le nombre des personnes impliquées, déterminèrent notre décision. Selon les chiffres, elle fut adoptée à quatre-vingt-onze pour cents de l’électorat. Cet appel au peuple en vue d’un tel changement constitutionnel, n'est-il pas des plus démocratiques ?
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