Lire un extrait de Into Wine - Page 1 - Lire un extrait du livre "Into Wine", d'Olivier Magny OLIVIER MAGNY INTO WINE Une invitation au plaisir INÉDIT 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 5206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 5 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 Introduction « Le jargon masque toujours l’ignorance. » J’avais dix-huit ans lorsqu’un professeur lança cette phrase à la classe. Elle m’avait interpellé car je ne la comprenais pas, de ces phrases qui résonnent en vous parce que, au-delà du phrasé, elles vous dépassent. Le jargon pour moi était connaissance, il en était même le témoignage le plus cinglant. Il m’aura fallu quelques années pour que ces mots commencent à faire sens. Quelques rencontres surtout. Grâce à mon métier de sommelier, j’ai eu la chance de fréquenter des personnes exceptionnelles. C’est amusant comme les gens brillants utilisent souvent des mots simples, délaissant de bon cœur les froideurs du langage technique. À leur contact, leur discipline devient passionnante, abordable, comme si nous aussi, nous pouvions faire ce qu’ils font – écrire une symphonie, explorer le génome ou créer un grand vin. Cela fait maintenant une dizaine d’années que le vin est devenu mon métier. Et à bien y repenser, ce qui m’a sans doute poussé à me lancer dans cette aventure, c’est le jargon qui lui 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 11206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 11 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 est propre. J’aime le vin passionnément, mais j’abhorre son jargon. Les experts et leur langage me rendent fou. Car les mots triés, choisis pour parler de vin, érigent les barrières mêmes qu’ils prétendent anéantir. C’est le triomphe du verbe sur l’émotion, du petit-bourgeois sur l’artiste, de l’expert sur le copain1… Cependant, de tous les termes obscurs que le monde du vin a enfantés, il en est un dont je suis amoureux, un dont la langue française a eu l’élégance d’accoucher, le bébé, en somme, dans cette eau de bain jargonneuse : le terroir. Définir le terroir est une occupation récurrente des professionnels du vin. Pour beaucoup, le terroir, c’est le sol. Le sol qui nourrit la vigne et définit ainsi le style des raisins et donc du vin produit à cet endroit-là. D’autres préfèrent une définition plus large2, certains lui adjoignent même une composante humaine3. Il existe autant d’approches, de définitions et d’opinions en la matière qu’il existe de professionnels. Ce même flou règne hors des métiers du vin : chaque Français, buveur ou non, a une connaissance aussi instinctive qu’incertaine du mot terroir. En découle un usage fourre-tout, le « terroir » servi alors à toutes les sauces : produits du terroir, cuisine du terroir, accent du ter1. Voyez, je ne suis toujours pas calmé ! 2. Ajoutant à la composante « sol » les autres éléments qui concourent à la singularité du raisin produit à cet endroit : structure et composition du sous-sol, macro et microclimat, humidité, topographie, exposition… 3. Le terroir, c’est aussi le producteur. 12 INTO WINE 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 12206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 12 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 roir… En somme, en France, le terroir : on voit l’idée ! Pour expliquer ce concept, j’aime faire goûter deux vins. Faits par le même vigneron, avec le même cépage4, sur le même domaine, la même année5. Deux verres. Entre ces deux verres, un monde de différences. Et croyez-moi, que vous soyez novice ou expert, ces différences vous sauteront au palais. Le terroir, c’est la possibilité de ces différences, c’est le potentiel dont découle toute singularité authentique. Demandez à un collectionneur ce qui fait que cette grande bouteille est si merveilleuse : le terroir. Pourquoi votre ami vigneron s’emballet-il pour cette petite parcelle sur la colline ? Le terroir. Pourquoi la Bourgogne ou le Piémont sont-ils des régions viticoles si grandioses ? Le terroir. Le terroir est un aphrodisiaque pour les amoureux du vin. Il est la clef de leur plaisir, titillant leur intellect autant que leurs papilles. Mais ceux-là n’ont au fond sur les autres qu’un peu d’avance – plus de bons vins dégustés au compteur généralement. Leur amour pour le terroir est du même ressort que celui de cet ami qui depuis des années veut vous faire découvrir sa région ou son pays. Je suis un amoureux du terroir. J’en voudrais dans mon verre, mais aussi dans mon assiette, 4. Le cépage est le type de raisin. 5. Et avec une vinification comparable, j’y reviendrai. UNE INVITATION AU PLAISIR 13 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 13206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 13 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 dans les films que je regarde, dans les phrases que j’entends ou les lieux que je découvre… Pour moi, le terroir est un chemin qui mène au bonheur. C’est le sujet de ce livre. Se bricoler un chemin délibérément plus tortueux et certainement plus riche vers une vie plus heureuse. 14 INTO WINE 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 14206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 14 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 Première partie Les premières marches… 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 15206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 15 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 1 « Trouve-toi un vrai boulot » « Pour arriver, il faut mettre de l’eau dans son vin, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de vin. » Jules RENARD, Journal Choisir sa voie Chaque jour, l’on me demande comment je me suis lancé dans le monde du vin. Ma mère, quant à elle, s’interroge toujours sur le pourquoi : à quel moment a-t-elle raté son affaire ? Quelle mouche a bien pu piquer son fils ? J’étais en effet un bon garçon et elle n’avait aucune raison de douter que son fils devînt un jour un homme respectable, encravaté s’entend. Étudiant dans une grande école, je pus observer de près la vie salariée. Là où certains voient défiler leur passé, j’eus pour ma part droit à mon futur. Il ne me convenait pas. Je me mis alors à réfléchir à la vie que je souhaitais mener. Le point d’ancrage de ma réflexion était de ne pas contri206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 17206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 17 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 buer à enlaidir encore davantage notre monde – cela peut paraître idiot, mais ça limite. J’ai donc choisi le vin. Pour sa beauté, ses mystères et pour toutes les invitations qu’il dévoile. C’est comme ça que tout a commencé : un garçon bien élevé, un rien idéaliste, avec comme une envie d’éviter le piège des chemins trop bien tracés. Unefoismadécisionprise,ilnemefallut pas longtemps pour comprendre que mon joli diplôme6 ne me serait pas d’une grande utilité. J’avais besoin de compétences, de connaissances, de contacts ; je n’avais rien de cela. Je fis alors ce que font ceux qui partent de tout en bas, je me retroussai les manches et me mis à étudier le vin avec voracité, à déguster bien plus que de raison, à apprendre et à apprendre encore. Au bout de quelques mois, je lançai une petite société dont le métier était de vendre du vin. Je décidai de l’appeler Ô Chateau. J’allais le soir chez des gens, en tentant de leur vendre quelques bouteilles. J’étais nul et détestais ce que je faisais. Baragouinant un peu d’anglais, je me dis que pour occuper mes journées, je pouvais peut-être partager ma passion dans la langue de Shakespeare. Quelques semaines plus tard, un couple venu d’Irlande s’inscrivit à une dégustation. Elle devait durer deux heures. Elle en dura cinq. Je m’étais régalé et mes clients aussi. À peine créé, Ô Chateau venait déjà de renaître. 6. Les anglicistes apprécieront les initiales ironiques de l’expression « business school ». 18 INTO WINE 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 18206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 18 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 Débuts brouillons « Ne juge pas chaque jour à la récolte que tu fais mais aux graines que tu sèmes. » Robert Louis STEVENSON Dire que mes débuts dans le monde du vin furent brouillons est un doux euphémisme. Ô Chateau avait pour QG l’appartement familial, certes truffé de qualités ; épicentre du monde du vin n’en était toutefois pas une. J’étais tout seul. J’organisais mes dégustations dans deux restaurants parisiens, entre le service du midi et celui du soir. Ma journée type alors ? Passer chez le boulanger, transporter dans le métro mes caisses de vin et mes baguettes, faire ma mise en place, débarrasser après la dégustation, rentrer chez moi, faire mes comptes, seulement pour m’apercevoir que je n’avais pas gagné un sou. Un vrai génie des affaires ! Au bout de quelques mois, il m’apparut avantageux de trouver un lieu de vie qui soit aussi un lieu pour organiser mes dégustations. J’emménageai donc dans un loft, qu’avec cette imagination mordante propre à la jeunesse je décidai d’appeler le Wine Loft. Diversion brillante en fait pour ne pas évoquer le quartier douteux et l’immeuble suspect. Une fois la grille passée, une longue allée, jalonnée de vitres brisées, puis la cour où toute la journée des Chinois pressés chargeaient et déchargeaient des vêtements et des tissus. Bâtiment D UNE INVITATION AU PLAISIR 19 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 19206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 19 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55 – cage d’escalier : odeurs désagréables, graffitis, et en son cœur, telle une œuvre d’art inutile, un monte-charge constamment défectueux. Quatre étages plus haut, enfin, le Wine Loft. À ce stade, l’enthousiasme de mes clients, qui avaient quitté leur hôtel pour une dégustation qu’ils imaginaient sans doute incarner l’élégance et le chic de la culture française, avait été sérieusement douché. La plupart arrivaient à la porte avec en tête leur survie : le Wine Loft était comme ça, il se méritait. Vrai de vrai À l’époque, ma mère me demandait sans cesse de trouver ce qu’elle appelait « un vrai boulot ». – Regarde tous tes copains, ils font des trucs normaux, eux. Thomas, il travaille dans une banque, c’est bien, ça, une banque. Et puis Marc, il est chez Danone… c’est une très bonne boîte, ça, Danone. Elle me suppliait de mettre un terme à cette folie. Ce que je ne fis pas et je ne saurais trop expliquer pourquoi. Pendant des années, alors que mes amis recevaient de confortables salaires, des congés payés, des RTT et autres avantages, j’avançais sans un sou ni un jour de vacances. Il y avait beaucoup de bons moments, mais dire que je me régalais serait inexact. Je passais mes journées à laver des verres, à livrer des bouteilles et autres tâches qui ne pullulent pas sur les listes de conseils pour devenir un entrepreneur à succès ou un sommelier réputé. 20 INTO WINE 206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 20206964YCI_WINE_cs5_pc.indd 20 04/10/2013 17:53:5504/10/2013 17:53:55
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