Une Breve Histoire des Indigenes du Bresil - Page 14 - la vie et les coutumes des indigènes du Brésil, leur destinée, leur histoire; le contact entre indigènes et colonisateurs 9 Durant ces deux périodes de 10'000 ans chacune, le niveau des océans s'est abaissé de 120 à 150 mètres selon diverses estimations. Cet abaissement a été provoqué par la rétention de gigantesques quantités d'eau sous forme de glace, formant deux immenses calottes polaires et une expansion considérable des glaciers continentaux. La diminution du niveau des océans a fait apparaitre d'énormes surfaces de terres nouvelles, entre les continents asiatique et américain. Cette nouvelle basse plaine a été nommée Béringie par les chercheurs; elle s'est couverte d'une riche végétation de graminées et arbustes, aliment idéal pour divers animaux de moyenne et grande taille, comme les mammouths, les cervidés, les bisons, les tigres-dents-de-sabre (smilodons) et des chevaux sauvages, entres autres espèces. Les hommes qui chassaient ces animaux les suivirent sur ces nouvelles terres émergées et s'aventurèrent progressivement jusqu'à atteindre l'autre "rive", le continent américain. Il n'y a pas de véritable consensus parmi les scientifiques pour dater les diverses ondes migratoires à travers la Béringie. Il se pourrait qu'une première onde migratoire ait eu lieu il y a environ 40'000 ans déjà, et que d'autres suivirent entre 23'000 et 1' 000 ans av. J.-C. À cette époque, l'humanité vivait encore au Paléolithique. Sur cette carte, la route de migration 1 est considérée comme la plus probable, et la route 2 comme une alternative possible. La carte ne montre pas une troisième hypothèse : une route qui serait partie d'Europe, passant par l'Angleterre, l'Ecosse, puis l'Islande, le Groenland, pour arriver au nord du Canada actuel. Pour les paléontologues et d'autres chercheurs, les diverses hypothèses ne s'excluent pas l'une l'autre. (ii) Des datations furent réalisées sur de nombreux sites sur tout le continent américain ; elles sont encore aujourd'hui sujettes à controverses et interprétations. Pour cette raison, je n'entrerai pas dans les détails au sujet de dates de peuplement des diverses parties de ce continent en général et du Brésil en particulier. Cependant, en m'appuyant sur divers ouvrages consultés, j'arrive à la conclusion que les tout premiers peuplements au Brésil seraient apparus entre le 14ème et le 10ème millénaire avant notre ère, les plus anciens étant localisés au Nord et les plus récents au sud du Brésil. Des études ont aussi démontré la possibilité d'une seconde route de migration qui serait venue d'Australie ou du Sud de l'Asie, impliquant une supposée traversée de l'océan pacifique (on peut en effet imaginer que cet océan devait, à cette époque, être couvert de nombreuses iles aujourd'hui disparues sous les flots). Cette hypothétique seconde route migratoire aurait été postérieure à celle qui aurait passé par la Béringie (1) 10 Enfin, on considère aussi comme possible une migration venue de la France ou de l'Espagne, passant par le nord de l'Europe, suivant les contours de la calotte polaire, passant ensuite par le Groenland pour arriver au nord du continent américain (Canada actuel) (2). 2 La préhistoire des peuples indigènes du Brésil De manière très simplifiée on peut diviser la préhistoire du Brésil en deux périodes: la période précéramique, appelée aussi période archaïque, et la période des diverses "cultures de la céramique". Mentionnons encore le cas particulier de diverses "cultures amazoniennes". 2.1 La période archaïque La période archaïque s'étend du 11ème millénaire jusqu'à l'an 2'500 avant notre ère. Les diverses populations paléo-indiennes dispersées sur ce qui est le Brésil actuel, étaient des chasseurscueilleurs qui ne connaissaient pas la céramique et pratiquaient une agriculture rudimentaire. Sur ce vaste territoire, les hommes s'adaptèrent de manières très différentes en fonction des caractéristiques géologiques et hydrographiques où ils se trouvaient. Sud du Brésil: Au sud du Brésil se développèrent deux Traditions, nommées Umbu et Humaitá. Ces peuples étaient des chasseurs-cueilleurs pratiquant peut-être une agriculture de subsistance appelée coivara (agriculture sur brûlis). Ils travaillaient les os et la pierre pour en obtenir des outils. Planalto Central: Sur le Planalto Central et une partie de la région Nordeste, caractérisé par des savanes semi-arides, se développèrent diverses Traditions de peintures rupestres, entre 7'000 et 4000 ans av. J.-C. Parmi elles on peut citer la Tradition Planalto, dont la caractéristique principale est une peinture monochrome représentant des animaux (zoomorphisme); ces peintures rupestres ont été exécutées dans plus de cent lieux différents, généralement des abris ou des cavernes, aujourd'hui préservés et protégés. De son côté, la Tradition Nordeste, aux caractéristique assez semblables, comprenant une peinture monochrome et zoomorphe, incluait pourtant déjà des représentations anthropomorphes (figures humaines). Signalons une troisième Tradition, la Tradition São Francisco, datée de la fin de la période archaïque (2'500 av. J.-C), qui s'est développée au long du fleuve São Francisco, caractérisée par des motifs et symboles géométriques monochromes et polychromes (3). Littoral méridional: Sur le littoral méridional du Brésil actuel s'est développé la surprenante et intrigante Tradition des sambaquis. Un sambaqui (terme d'origine Tupi qui signifie "montagne ou dépôt de coquillages") est un amoncellement de coquillages vidés et os (ou cartilages) de poissons. Commençons peut-être par le début: Aux alentours du 12ème millénaire av. J.-C., la longue période glaciaire s'arrête, et une inversion de température se produit. Commence alors une lente fonte des glaces, provoquant ainsi une tout aussi lente remontée du niveau des océans; petit à petit, les bords de mer redeviennent "praticables"; des peuplades s'en approchent. Il y a environ huit mille ans, le littoral brésilien, depuis l'État de Espirito Santo jusqu'à l'État de Rio Grande do Sul qui fait frontière avec l'Uruguay, se peuple de gens qui jusque-là se nourrissaient principalement du produit de leur chasse (surtout des petits animaux: singes, tortues, tapirs, opossums, etc.) et qui vont commencer à s'alimenter de poissons, crustacés et fruits de mer, principalement des mollusques (huitres, moules, coques, etc.). Comme cette source d'alimentation ne tarissait jamais, ces peuples sont 11 restés sur place durant plusieurs milliers d'années, agroupés près de plages, de marigots ou de mangroves. Les mollusques étaient ouverts au feu et les coquillages abandonnés sur place, s'accumulant au cours du temps. La consommation de mollusques fut si grande que l'amoncellement des coquillages fini par se transformer en petites collines. La hauteur moyenne de ces sambaquis allait de 5 à 10 mètres environ, mais certains sambaquis atteignaient plus de 25 mètres de hauteur, soit l'équivalent d'un immeuble de 9 étages! Ces collines de coquillages avaient généralement une forme allongée, avec une longueur variant de cinquante à deux cents mètre et une largeur allant de vingt à soixante mètres. Le volume moyen des sambaquis se situait aux alentours de cinq-mille m³, mais certains d'entre eux atteignaient plusieurs centaines de milliers de m³! La formation des sambaquis aurait donc débuté il y a sept à huit mille ans environ, et se serait poursuivie jusqu'à l'arrivée des Tupi-Guarani au tout début de l'ère chrétienne. On ne sait pas grand-chose sur la durée moyenne "d'exploitation" d'un sambaqui depuis le début de sa formation jusqu'à son abandon. Cependant, des excavations conduites par des archéologues suggèrent que les grands sambaquis comme le Jabuticabeira-II, situé près de la ville de Jaguaruna (État de Santa Catarina) étaient actifs durant mille ans au moins. Le Jabuticabeira-II est l'un des plus récents, la formation du site ayant débuté il y a 2'900 ans; il fut abandonné en l'an cent-cinquante de notre ère, au IIème siècle. Sambaqui sur la plage d'Ypuã (Laguna, Etat de Santa Catarina) (iii). Durant longtemps les chercheurs ont imaginés que les habitants de ces collines de coquillages (nommés "sambaquieiros" dans les travaux, principalement en langue portugaise, consacrés à l'étude des sambaquis) vivaient dans des cabanes situées au sommet de ces collines, sur leurs propres détritus, hypothèse défendue par de nombreux archéologues. Coquillages, os de poissons, éclats divers, outils, squelettes humains, trous formés par des piquets: tous ces éléments mélangés seraient des indices démontrant qu'ils ne séparaient pas en des lieux différents des actions telles que manger, déposer les détritus, ensevelir les morts. Récemment pourtant, ces chercheurs firent de nouvelles recherches, changèrent d'idée et proposèrent d'autres scénarios. Selon l'un de ceux-ci, les sambaquieiros pourraient bien avoir habité en un endroit spécifique de la colline et déposé les restes de leur alimentation (os et coquillages) en un autre. D'autres études plus récentes tendent à démontrer que les sambaquis 8 ne sont pas seulement une accumulation de déchets alimentaires, mais qu'ils représentaient surtout un marquage intentionnel, chargé d'une signification symbolique par le fait de leur importante visibilité dans 8 Aujourd'hui, le terme sambaqui n'est plus que rarement utilisé; les brésiliens, dans le langage courant, parlent de "casqueiros" (amas de coquillages). 12 le paysage environnant. Ces nouvelles études montrent que les sambaquis servaient aussi à divers rituels, en particulier aux rites de sépulture. Les excavations conduites par l'archéologue brésilienne Maria Dulce Gaspar sur le grand sambaqui Jabuticabeira-II cité plus haut suggèrent qu'il était en fait utilisé uniquement comme lieu de sépulture. M. D. Gaspar et ses collaborateurs ont calculé que ce sambaqui contenait près de 43'800 corps, soit 1575 "enterrements" par génération de 25 ans durant 700 ans, période estimée durant laquelle ce rituel d'ensevelissement aurait été pratiqué sur ce sambaqui. Avec une hauteur variant de 5 à 9 mètres, une longueur de 350 mètre et une largeur de 150 mètres, le Jabuticabeira-II a donc un volume calculé de 320 mille m³. Les excavations réalisées sur le site ont montré une densité d'ensevelissement d'un corps pour chaque 1,4 m³, d'où a été estimé le chiffre de 43'800 sépultures ((4)) Aujourd'hui il n'existe plus guère de sambaquis intacts au Brésil, ceci pour plusieurs motifs: les sambaquis les plus anciens, ceux qui ont été constitués il y a plus de six mille ans ont été submergés par la mer au cours de la remontée du niveau des océans. D'autre part, lorsque les colonisateurs portugais et espagnols occupèrent les régions méridionales du Brésil, ils se servirent de ces montagnes de coquillages (et de squelettes !) pour les transformer en calcaire (et donc en chaux) avec lequel la presque totalité des maisons de colons furent chaulées. Cet abondant matériel fut aussi utilisé tel quel pour paver les rues des villages et petites villes qui furent crées à cette époque coloniale dans la région. Encore aujourd'hui existent des petites "fabriques" de calcaire installées aux pieds de certains grands sambaquis. Les rares sambaquis encore plus ou moins intacts se trouvent sur le littoral des États de Rio Grande do Sul, Paraná, Santa Catarina et São Paulo (5), ((6)), ((7)). Deux vues d'un même sambaqui, le Figueirinha-I, près de la ville de Jaguaruna (Etat de Santa Catarina). L'image de gauche montre le sambaqui dans sa longueur, face à la mer. L'image de droite le montre dans sa largeur. La hauteur maximale est de 18 mètres; on peut en déduire une largeur d'environ 50-60 mètres et une longueur d'environ 70-80 mètres, ce qui résulterait en un volume d'environ 25 à 30'000 m³. (iv) 2.2 Les Cultures de la céramique La céramique est apparue au Brésil aux alentours de 2'500 av. J.-C., pratiquement simultanément sur tout le territoire brésilien. L'homme des premiers temps de la céramique devint nonseulement un chasseur-cueilleur, mais aussi un agriculteur. Cependant, le manioc et le maïs n'apparaitront que plus tard, apportés par les puissantes ondes migratoires des Tupi-Guarani. À nouveau, des cultures et Traditions différenciées apparurent sur ce vaste territoire. Planaltos du Sud : Sur les hautes-plaines du sud du Brésil et de l'Uruguay s'est développée la Tradition TaquaraItararé. Les potières de cette Tradition fabriquaient des petits vases aux formes simples, de vingt à trente centimètres de diamètre, certains peu profonds et au col ouvert, d'autres profonds 13 d'environ quarante centimètres, aux parois verticales. Le fond des vases était toujours légèrement arrondi et le haut des parois comportait des trous pour la suspension ou de petites anses. Ces vases étaient généralement de couleur sombre, et rarement décorés dans le nord (depuis Santa Catarina jusqu'à Itararé, État de São Paulo). Cependant, les céramiques des régions méridionales de cette Tradition, comme celles trouvées dans l'État du Rio Grande do Sul ou dans les Missions d'Argentine, présentaient souvent une surface délicatement décorée avec des "ponctuations", des incises ou des "pincés" (8). Vase de céramique de la Tradition Taquara-Itararé (Museu Paranaense, Curitiba, Etat du Paraná) (v). Ces peuples de Tradition Taquara-Itararé étaient les ancêtres des actuelles tribus Kaingang et Xokleng, connues comme les peuples des maisons souterraines. Ces peuples, pour se protéger des hivers rigoureux qui sévissaient sur les plateaux élevés du sud du Brésil, construisaient leurs maisons "enterrées", c'est-à-dire qu'ils creusaient de grandes fosses, parfois rectangulaires, le plus souvent circulaires, qui leurs servaient d'habitation, et qui les protégeaient des bourrasques de neige et des vents violents et froids qui balayaient ces plateaux. Le toit de ces "maisons" suivait la forme de la fosse et s'appuyait sur des étais de bois: un poteau central appuyé sur le fond de la fosse soutenait le faîte et de longues perches appuyées d'une part au poteau central et d'autre part aux bords supérieurs de la fosse formaient l'ossature de cette toiture. Ce toit se terminait légèrement au-dessus de la surface naturelle du sol, garantissant ventilation, luminosité et passage pour les habitants. Maison souterraine (vi) 14 Les dimensions de ces maisons circulaires enterrées étaient très variables, le diamètre allant de 2 à 13 mètres, avec une profondeur variant de 2,5 jusqu'à 6 mètres. La terre retirée était disposée en anneau à quelque distance du bord de la fosse, dans le but de dévier l'eau des pluies et protéger ainsi la maison d'une inondation. De nombreux sites archéologiques ne comportent qu'une seule maison souterraine, isolée; mais de nombreux autres sites contenaient des ensembles de maisons, formant de véritables petits villages formés de cinq, dix, voire jusqu'à vingt maisons (9). L'habitation en maisons souterraine perdura pour plusieurs siècles, peut-être même pour un millénaire entier. Certaines de ces maisons existaient encore et étaient même occupées lors de l'arrivée des colonisateurs portugais et espagnols, qui les nommaient "casas de bugres", maisons de bougres 9. Brésil central et côte du Sud-Est: La céramique est aussi apparue dans le centre du Brésil et sur la côte centrale, il y a environ quatre à cinq mille ans. Un exemple de cette époque est la Tradition Una, dont la poterie n'était pas décorée; cependant, les peuplades de cette tradition ont laissé de très belles peintures rupestres. Les analyses de ces peintures laissent à penser que ces peuples possédaient déjà une agriculture relativement organisée. 2.3 Cultures et peuplement de l'Amazonie Le vaste bassin amazonien fut le lieu de cultures indigènes parmi les plus avancées d'Amérique du Sud avant la conquête portugaise, et peut être considéré comme le berceau de la céramique du Brésil. De plus, c'est grâce aux peuples de l'Amazonie que s'est propagées une agriculture efficace et organisée. L'immense territoire amazonien se compose de deux topographies distinctes : d'une part les terres hautes, couvertes de forêts, aux sols généralement pauvres en éléments nutritifs, d'autre part les terres basses bordant les fleuves, régulièrement inondées et fertiles. La densité de population était plus élevée en Amazonie que dans les autres régions du Brésil, ce qui parait aujourd'hui paradoxal. C'est sur ces basses terres amazoniennes, ainsi que sur le littoral, près de l'embouchure du grand fleuve, que s'est développé un grand groupe céramiste, formé de deux Traditions appelées Polychrome et Incisé-Ponctué. L'expression culturelle la plus importante des indigènes du Brésil est représentée par, d'une part, la céramique produite sur l'ile fluviale de Marajó, où l'Amazone se déverse dans l'Atlantique, et d'autre part par les objets de céramiques produits dans les alentours de l'actuelle ville de Santarém, à l'embouchure du fleuve Tapajós dans le fleuve Amazone. Les artefacts crées par ces sociétés indigènes témoignent d'une évidente avancée culturelle. Sur la vaste ile de Marajó, de 48'000 km² (superficie de la Suisse : 41'000 km²), se sont succédées diverses cultures et Traditions ; la première a débuté vers 1'600 av. J.-C., et la plus récente s'est développée entre les ans 410 et 1320 de notre ère. Cette ultime Tradition, nommée Marajoara, représente certainement l'apogée du développement culturel de la région, faite de céramiques polychromes splendides, décorées de motifs géométriques, zoomorphes, et anthropomorphes ((10)). La production des céramiques Marajoara était entièrement organisée par les femmes des tribus; elles étaient responsables de tout le processus, de la sélection des argiles au modelage, de 9 Le terme "bugre", aussi bien en portugais qu'en espagnol, est très péjoratif. Le Grand Dictionnaire Aurelio dit : terme utilisé pour désigner l'indien dangereux, sournois, rétif à la soumission, mais aussi inculte, dans le sens de barbare, sans lois, trompeur. Le substantif provient, au travers du français "bougre", du latin médiéval bulgarus (bulgare), c’est-à-dire hérétique, non-chrétien. Au XIXème et au début du XXème siècle on nommait bugreiros les colons qui s'adonnaient à la chasse aux indiens Kaingang et Xokleng du sud du Brésil. 15 la cuisson à la décoration des objets. Les peuples de la Tradition Marajoara possédaient un vaste répertoire d'objets: statuettes, objets utilisés par les pajés au cours des rituels tels que les maracás, une vaste gamme de récipients pour l'usage domestique, ainsi que des tangas (une forme de cache-sexe en céramique), utilisés par les femmes et jeunes filles lors de cérémonies et rites de passage. Plus en amont du fleuve Amazone, où le fleuve Tapajós se déverse dans l'Amazone, vivaient les Tapajó, principal groupe indigène de la région. Le groupement le plus important de cette tribu était localisé près de l'actuelle ville de Santarém. La céramique Tapajó se caractérisait par la représentation de figures humaines ou animales, tels que l'urubu (un type de vautour), des petits batraciens, des tapirs, des singes. Les objets les plus significatifs de la céramique de Santarém sont les vases de cariatides 10, les vases à goulots, ainsi que les statuettes et les pipes (11). Une igaçaba, urne destinée à recevoir les os des défunts lors de cérémonies funéraires. Tradition marajoara. (Museu do Encontro, Forte do Presépio, Belém, Etat du Pará). (vii) Selon les anthropologues, ces sociétés étaient hiérarchisées; certaines étaient organisées en grandes villages (aldeias) comprenant de larges zones agricoles et un cimetière; tout cet ensemble était disposé sur de vastes espaces de terres artificiellement surélevées, avec comme finalité de les protéger des inondations annuelles. De tels travaux devaient nécessiter une énorme main d'œuvre, et donc une agriculture efficace. D'ailleurs, des recherches récentes ont démontré que la partie inférieure du fleuve Amazone était très peuplée, ce qui a obligé à une drastique révision sur les chiffres de population de toute l'Amérique du Sud. On estime aujourd'hui à 7-8 millions d'individus la population du seul bassin amazonien de cette époque, chiffre infiniment plus élevé que celui qui était estimé jusqu'alors. 10 Les cariatides (sculpture de la Grèce antique) sont des figures humaines, généralement des femmes drapées d'une longue tunique, soutenant sur leur tête un élément architectonique ou un objet. 16 Vase de cariatides. Céramique Tapajó; (Museu Paraense Emilio Goeldi, Belém, Pará). (viii) 2.4 La culture Tupiguarani À la fin des années 1960, des chercheurs du Programa Nacional de Pesquisas Archeológicas (PRONAPA), dirigé par des archéologues nord-américains, découvrirent de nombreux sites archéologiques sur lesquels apparaissaient des fragments de céramique décorée, certains comportant des traces de peinture rouge ou noire sur un fond blanc. Ces vestiges furent classifiés et réunis sous le terme de Tradition Tupiguarani (sans trait d'union), indiquant par là qu'il s'agissait d'une unité culturelle primitive liée aux peuples parlant les langues Tupi-Guarani (avec trait d'union). Les datations effectuées par le C14 montrèrent que ces artefacts avaient été fabriqués au long d'une période allant du Vème au XVème siècle de notre ère. Vase tupiguarani (Musée d'archéologie et ethnologie; São Paulo) (ix). 17 La dispersion des groupes formant le tronc linguistique Tupi-Guarani a eu lieu à une époque antérieure au développement de la céramique tupiguarani. Prenant en compte la grande dispersion géographie de ces peuples pourtant liés par un même tronc linguistique, les archéologues créèrent des subdivisions de cette Tradition tupiguarani, en Tradition Guarani au sud (fleuves Paraguay-Paraná et fleuve Uruguay), et Tradition Tupinambá au nord (fleuves Guaporé, Madeira, rive sud du fleuve Amazone, Nordeste). La Tradition tupiguarani dans son ensemble a pour caractéristique principale une céramique polychrome et une forme demisphérique des vases, pots, récipients pour la cuisson; en effet le fond de tous ces récipients n'était jamais plat, mais toujours en forme de calotte sphérique. Les parois étaient généralement enflées et les bords ouvrant vers l'extérieur; les dimensions étaient très variables et le volume allait de 1 à 5 litres. Rares étaient les pièces (vases, urnes, ou autres artefacts) comportant des éléments décoratifs. Sur plusieurs sites furent découvertes des urnes funéraires, généralement utilisées comme sépulture secondaire 11, bien que l'on ait aussi trouvé des restes humains dans des urnes de grande dimension, ce qui laisserait à penser que celles-ci servaient également à des inhumations primaires. Il est possible que ces inhumations primaires dans des urnes n'aient eu lieu qu'en des circonstances particulières ou pour des personnages importants du groupe. Les peuples Tupi-Guarani introduisirent des profonds changements dans les régions qu'ils envahirent lors de leur expansion, tels qu'une nouvelle agriculture, basée sur le manioc amer dans le Nord, et sur le maïs12 et le manioc doux (aipim) dans le Sud ((12)), ((13)), ((14)). 2.5 L'expansion des Tupi-Guarani À partir de ce point il n'est plus question d'une culture ou Tradition tupiguarani, mais bien de deux peuples qui, dans un passé lointain, ont partagé des caractéristiques linguistiques et ethniques communes. Il s'agit ici de peuples Tupi et de peuples Guarani, ou Tupi-Guarani lorsqu'il s'agira de l'histoire commune de ces peuples. Unis par un même système linguistique, les Tupis et les Guarani se différenciaient en certains aspects, par exemple dans l'alimentation: alors que la base alimentaire des Tupis était le manioc, celle des Guarani était le maïs (et cette différence n'est pas que subtile, vous diront les anthropologues). La migration (ou l'expansion) des Tupi-Guarani à travers le Brésil, fascina, et aujourd'hui plus que jamais, les ethnologues, archéologues et autres scientifiques occidentaux, et ces cinquante dernières années les brésiliens tout particulièrement. En vérité, de nombreuses questions demeurent encore sans réponse définitive. Cette migration a été le sujet de nombreuses hypothèses, controverses et discussions entre savants. L'intérêt particulier porté sur les TupiGuarani s'explique surtout par leur grande importance historique, culturelle et démographique ; ce sont eux que les premiers colons portugais rencontrèrent en débarquant sur la côte brésilienne. Dès la fin du XVIIème siècle, les peuples Tupi (en particulier les Tupinambá) avaient déjà presque totalement disparus en raison de la conquête et occupation de leurs territoires par les portugais; au contraire, les peuples Guarani sont toujours présents, malgré leur destin tragique de peuple pourchassé et décimé par les forces conjointes des deux nations ibériques, l'Espagne et le Portugal. 11 Pour une description des rites funéraires secondaires (ou "doubles"), voir pages 151 et 256. 12 Le maïs a été importé de peuples plus "avancés" localisés à l'ouest des Andes. Notons que la "révolution agricole", selon une hypothèse largement acceptée par les archéologues s'est répandue à partir du Mexique en direction de l'Amérique Centrale, ensuite vers les régions andines. À partir des Andes, cette nouvelle agriculture s'est répandue en direction du bassin amazonien, plus tard vers le littoral atlantique, et finalement vers le Sud en direction du Rio de la Plata jusqu'aux plaines de la Patagonie. 18 D'où est partie la migration des Tupi-Guarani ? Et quelle fut sa direction ? De nombreuses hypothèses furent avancées et étudiées par les scientifiques; parmi eux je voudrais mentionner Alfred Métraux 13. Il n'existe pas, aujourd'hui encore, de consensus entre eux pour localiser l'aire de départ de cette migration. Il existe encore actuellement au moins cinq hypothèses principales et environ dix autres hypothèses secondaires sur le centre originel des peuples Tupi-Guarani: Auteurs Date Région d'origine de la migration Karl Ph. Von Martius 1838 Entre le Paraguay et le sud de la Bolivie Rodolfo Garcia 1922 Les sources des fleuves Paraguay et Paraná Alfred Métraux José P. Brochado 1928 1973 Limitée au nord par le fleuve Amazone, au sud par le fleuve Paraguay, à l'est par le fleuve Tocantins e à l'ouest par le fleuve Madeira. Betty Megger 1972 Pieds des Andes en Bolivie Betty Megger & Clifford Evans Pedro L. Schmitz 1973 1985 À l'est du fleuve Madeira À l'est du fleuve Madeira José P. Brochado Francisco Noelli 1984 1996 Amazonie centrale Amazonie centrale Résumé de quelques hypothèses sur le centre d'origine de l'expansion Tupi-Guarani (15) Il n'existe pas non plus d'accord entre les savants sur la "route d'expansion" suivie par les TupiGuarani. Il y a actuellement deux théories qui tentent de décrire cette migration à partir du versant sud de l'Amazonie. L'idée dominante, proposée par Alfred Métraux en 1927, est que les TupiGuarani, ensemble, migrèrent vers le sud jusqu'à atteindre le fleuve Paraguay, il y a 2'000 ans. Arrivés là, dans une région qui pourrait se situer entre les plaines du Chaco paraguayen et le sud du Brésil, ces peuples se seraient séparés en deux grands groupes. Un de ces groupes se serait dirigé vers le sud, pour former la branche Guarani. L'autre groupe, formant la branche Tupinambá se serait dirigée vers l'est, et arrivé sur le littoral du Sud-Est brésilien, se serait dirigé vers le nord, occupant toute la côte jusqu'au Nordeste brésilien. La seconde théorie, appelée "théorie du grand jacaré amazonien", ou aussi "modèle des pinces", de l'anthropologue brésilien José Proenza Brochado, défend l'idée qu'il y aurait eu deux fronts d'expansion : les protoguarani seraient sorti de la forêt amazonienne en direction du sud, atteignant le fleuve Paraguay, et de là auraient occupé le bassin du rio de la Plata, au début de l'ère chrétienne. Le second courant migratoire, celui des prototupinambá, se serait dirigé vers l'est, descendant peu à peu le fleuve Amazone; arrivés à son embouchure, ces Tupinambá se seraient répandu en direction du sud, entre les années 700 et 1'200 de notre ère. La théorie de la double expansion est moins acceptée car elle n'expliquerait pas la proximité linguistique des deux groupes, et n'expliquerait pas non plus le fait que l'on n'aurait jamais trouvé de vestiges Tupi sur le littoral amazonien (16). 13 Alfred Metraux (1902-1963) était un anthropologue suisse, né à Lausanne et formé à Paris. Il se spécialisa dans l'étude des peuples d'Amérique du Sud et des Caraïbes. Alfred Métraux resta dans la mémoire de ses collègues comme un homme de science respecté et d'une éthique exemplaire; il a mis son travail au service des droits de l'homme. À l'époque où il travaillait pour l'UNESCO, il a mis en place plusieurs programmes d'anthropologie appliquée, en particulier en Amazonie, dans les Andes et en Haïti. Il a lutté activement contre le racisme. En plus de l'anthropologie, son travail touchait encore d'autres domaines connexes, comme l'histoire, l'archéologie et l'ethnographie. J'ai rencontré des citations de ses travaux dans de nombreuses études scientifiques. Sa bibliographie comprend plus de 200 articles et livres, parmi lesquels je mentionne ici celui qui me parait le plus proche du sujet de ce chapitre: "La civilisation des tribus Tupi-Guarani", Ed. P. Geuthner, Paris (1928) (17).
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