EE 55 Legerete - Page 195 - Revue Etoiles d'encre n°s 55-56 : Légèreté J’ai reçu un gentil message de remerciement de Mahi à qui j’ai envoyé quelques photos. Il a beaucoup apprécié le moment à la Maison Martin Luther King. En bref, je n’ajouterai rien sur le plaisir éprouvé à revoir Anouar Benmalek et à l’avoir présenté… revoir Boualem Sansal a été une grande joie, connaître Yahia Belaskri (que j’avais raté l’an dernier) une superbe découverte, discuter avec Fouad Laroui de son désir d’acheter une maison dans le coin mais aussi de la Palestine, profiter du charme certain de Yamen Manaï, et de l’authenticité d’Abdellah Taïa, avoir eu la primeur de voir le tableau qui servira de couverture au prochain roman de notre duo vainqueur… passer un moment de détente avec Mahi) Bref, ma fatigue n’a d’égal que mon enthousiasme ! Côté femmes… Je remercierai Behja de m’avoir fait confiance, grâce à elle j’ai découvert Catherine Rossi, j’ai apprécié aussi les moments avec Maïssa, Fatema... Kaouther Adimi et Kaoutar Harchi… Au plaisir de vous voir tous, sous un ciel bleu céruléen, pour un méchoui par exemple… (193) légèreté À gauche Abdelatif Laâbi, à droite Fouad Laroui 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 193 de gauche à droite : Janine Gdalia, Colette Fellous, Behja Traversac, Leïla Sebbar, Pierre Daum 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 194 Le Maghreb au croisement des héritages Behja Traversac Ce thème est celui d’une des nombreuses tables rondes qui se sont tenues durant la Comédie du Livre de Montpellier les 7, 8 et 9 juin 2013 dont l’Algérie était l’invitée d’honneur ainsi que les littératures du Maroc et de la Tunisie J’ en étais modératrice et interrogeais Colette Fellous, Leïla Sebbar, Janine Gdalia et Pierre Daum Vaste sujet s’il en est ! Si nous devions le traiter en historiens, il nous enjoindrait de faire un petit recul historique afin d’aller audelà du système de représentations sur le Maghreb qu’on a tant au Maghreb-même, qu’à l’extérieur. On en a une vision fantasmatique qui le présente sous le signe de l’uniformité, de l’homogénéité, de l’unanimisme, toutes choses qui ne résisteraient pas à un simple regard attentif. Ce regard nous permettrait de mettre en perspective tout le contraire de cette pseudo unité identitaire et rappellerait un héritage d’une extraordinaire richesse souvent méconnu par les héritiers eux-mêmes. Outre que l’histoire du Maghreb ne se réduit pas à la seule contemporanéité des phénomènes qui la traversent, l’analyse de la situation actuelle montrerait que rien n’y est moins qu’uniforme. 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 195 étoiles d’encre (196) La Comédie du livre à montpellierétoiles d’encre (196) la Comédie du livre à montpellier Sans parler des traces préhistoriques qu’on relève au Maghreb (comme les peintures rupestres) l’histoire ancienne nous apprend que le Maghreb a connu des brassages, des mélanges, des passages de civilisations et de peuples multiples depuis des millénaires. Phéniciens et Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes et, plus près de nous, Portugais, Espagnols, Italiens, Turcs et Français se sont succédé sur ces territoires qui n’étaient pas, bien sûr, des déserts humains. Ces « passagers », si je puis dire, côtoyaient ou se greffaient sur les peuples « résidents », qu’on a appelé les berbères ou Imazighen et qui occupaient des espaces allant de l’Ouest de la vallée du Nil jusqu’à l’Atlantique et l’ensemble du Sahara. Toutes ces traversées, ces présences de civilisations ont bien entendu profondément marqué le Maghreb et y ont laissé des traces, indélébiles pour certaines. Des traces physiques, sociales, culturelles, religieuses, linguistiques. C’est ce qui fait la diversité de ses peuples et de leur patrimoine. Le Maghreb a été judaïsé, latinisé, christianisé et islamisé. Il a connu des langues tout aussi diverses : le libyque, le punique, le grec, le latin, le turc, l’espagnol, l’italien, le portugais, l’arabe, le français… C’est de tous ces apports, le plus souvent partiellement oubliés, que sont nés les femmes et les hommes du Maghreb actuel. Et dont atteste aussi, en partie, la patronymie et la toponymie. L’identité des Maghrébins s’est donc transformée, forgée, au cours des siècles au contact de peuples venus d’ailleurs, d’alliances inévitables, consenties ou imposées par les invasions 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 196 et les dominations. Des invasions qui ne furent pas d’ailleurs que belliqueuses mais parfois pacifiques et souvent commerciales. C’est en installant des comptoirs sur le pourtour méditerranéen que les Phéniciens s’installèrent au Maghreb. Et il semblerait, selon certains historiens, que c’est avec eux qu’arrivèrent les Juifs 1 . Mais l’histoire nous apprend aussi que les apports culturels des autochtones à l’époque romaine, par exemple, et contrairement à des idées reçues, ont été importants par exemple dans le domaine de la construction et de la décoration et que s’est développé un style proprement africain, dans le domaine de la mosaïque notamment. Fondamentaux sont également les apports dans le domaine de l’hydraulique (aqueducs, grands ouvrages d’art, assainissement). Le Maghreb a également fourni de nombreux personnages importants pour l’Occident : des empereurs romains dont Septime Sévère le plus célèbre, puis Macrin. Mais aussi à l’Eglise catholique avec Saint Augustin comme père de l’Eglise et un pape au quatrième siècle, le 32ème (311–314). Le Maghreb comptait à l’époque plus d’évêchés que la Gaule qui commençait juste à être christianisée. Apulée, compatriote de St Augustin, fut un grand philosophe, écrivain et brillant orateur. Même si le passé éclaire le présent nous sommes bien conscients que l’abondance des référents historiques ne fait pas à elle seule des sociétés pluriculturelles et, sauf chez les élites savantes, n’octroie pas non plus une claire conscience de l’inscription de ces références dans la mémoire collective. La coexistence du passé avec le présent est liée à la volonté politique des institutions (197) légèreté 1. D’après Gilbert Meynier, c’est d’ailleurs par ce canal que se seraient implantés les premiers foyers juifs (Cananéens des origines d’après certains historiens) en Afrique du Nord. 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 197 étoiles d’encre (198) La Comédie du livre à montpellier en place n’est-ce pas ? Et, n’oublions pas, que la coexistence des différentes strates du passé entre elles induisent que le processus d’intégration de l’histoire évolue de façon non linéaire, mais par des flux, des reflux, des pauses et même des arrêts, ce qui explique certaines failles ou certains mutismes sur la connaissance du passé. Quoi qu’il en soit, faire parler l’histoire permet de rompre avec des schémas univoques sur l’appartenance de tel peuple à telle culture. Et c’est sans doute cette idée de l’imbrication, du brassage, de la résurgence obstinée d’une pleine diversité anthropologique, d’une pensée postcoloniale débarrassée de son monolithisme, d’un Maghreb qui accepte sa part « d’indigénéité » et sa part « d’exogénéité », que les organisateurs de la Comédie du Livre ont souhaité vous interroger. C’est pourquoi je voudrais saluer les auteurs – et leurs livres – qui, hors de tout calcul politique ou même sociétal, nous rappellent que les racines ne se cherchent pas uniquement dans l’état d’une société, à un moment donné de l’Histoire, mais se cherchent dans les strates humaines et culturelles qui se sont associées, ou opposées au fil des siècles et les ont structurées. Chacun de vos livres reflète l’histoire de ces cohabitations, de ces partages « tu t’appelleras Fortuna, Fortunae reçois ce monde que je te donne, fais-en ce que tu veux mais protège-le » écrivez–vous, Colette Fellous, dans votre livre « Avenue de France ». Extrait de l’introduction étoiles d’encre (198) la Comédie du livre à montpellier 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 198 Wassyla Tamzali et Boualem Sansal Sophie Bessis 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 199 étoiles d’encre (200) La Comédie du livre à montpellier Le passage des langues : le point de vue des éditeurs Avec Élisabeth Daldoul et Marie-Noêl Arras Au-delà de la thématique qui nous a permis d’échanger sur les langues pratiquées et lues en Tunisie et en Algérie, ce qui, pour moi, est ressorti de cette rencontre, ce sont les nombreux points communs entre nous. Entre les personnes d’abord : nous nous sommes établies dans un pays du Maghreb à la suite d’un mariage, nous avons enseigné le Français Langue Étrangère dans ce pays et nous sommes depuis l’enfance, passionnées de littérature. Ensuite, entre les éditions Élysad et les éd. Chèvre-feuille étoilée: créées toutes les deux en réaction à une situation politique et sociale difficile, un climat d’asphyxie et d’interdiction de se réunir en Tunisie et dix années de terrorisme en Algérie, elles ont eu le même désir de donner et de prendre la parole grâce à la littérature. Une même volonté de continuer contre vents et marées… Les éditions se sont rencontrées pour la première fois autour des livres collectifs, « Mon père » et « A cinq mains » que nous avons présentés ensemble au CCF d’Alger et à l’IMA à Paris. Rencontre due aux auteures communes à ces deux livres: Leila Sebbar, Cécile Oumhani, Maïssa Bey et Rajae Benchemsi. Au fil des ans d’autres auteur(e)s ont publié dans les deux maisons d’édition dirigées toutes deux au féminin : Ali Bécheur, Tahar Bekri, Marcel Bénabou, Djilali Bencheikh, Karima Berger, Sophie Bessis, Aymen Hacen, Hubert Haddad, Abdelaziz Kacem, Mohamed Kacimi, Wahiba Khiari, Dominique Le Boucher, Amina Saïd, Guy Sitbon, Alain Vircondelet et, en ce mois de juin 2013, Azza Filali pour notre dernier né « Femmes et Révolution en Tunisie »… un titre qui prouve, s’il en était encore besoin, nos intérêts communs et notre solidarité. 7 ee 55 La comédie_Mise en page 1 24/09/2013 18:22 Page 200 . à livres ouverts ©Elene Usdin, Chaude nuit d’été, 2010. 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 201 étoiles d’encre (202) à livres ouverts Leïla Sebbar a encore sévi. Que ce soit chez Bleu Autour, Chèvre-feuille étoilée ou bien elyzad, elle ne peut s’empêcher de faire écrire les auteurs sur les sujets qui l’intéressent. Et comment pourrait-on lui reprocher? Le résultat est, encore ici, fort intéressant. Ces Méditerranéens (ou presque: Meknès n’est pas sur le versant méditerranéen du Maroc ni la banlieue parisienne sur celui de la France) ont tant de belles choses à nous raconter sur leur pays natal. Pays natal où ils ne vivent souvent plus, au moins de façon continue, mais auquel ils restent attachés comme à une sorte de référence. à travers leurs récits on découvre des pays. Que ce soit chez Mohamed Kacimi qui nous croque, en un court dictionnaire, l’Algérie moderne. ou bien chez Paul Balta qui, en esquissant sa riche généalogie, nous fait sentir ce qu’est l’essence d’Alexandrie, sa ville natale comme celle d’innombrables artistes qui ont réussi à faire aimer l’Orient à des multitudes d’Occidentaux. Certains ne le portent pas dans leur cœur, le pays natal, ou plutôt si car ils ne peuvent s’en débarrasser mais disons qu’ils ne lui manifestent pas une grande affection. Ce livre est une ode au mélange, des êtres, des racines, des religions mais à un mélange profondément enraciné dans un terroir. Leïla la première qui, née à Aflou, qu’elle ne connaît pas, ne cesse d’en parler, glissant d’Aflou, sur le Jebel Amour, à Eugène Étienne (Hennaya), où elle a grandi, dans l’Oranie verdoyante, d’où aucun de ses parents, instituteurs, n’était originaire. Le pays natal, certains s’enorgueillissent de lui, d’autres essayent de l’oublier sans jamais y parvenir tout à fait. La qualité première de cet ouvrage, à mon avis, est de nous laisser entrevoir l’immense diversité de ce pays natal, qui a peu à voir avec la géographie mais beaucoup avec l’histoire et le vécu de chacun. à voir, pour beaucoup d’entre ces auteurs, avec la diversité culturelle, ô combien fréquente, autour de cette mère méditerranée généralement tant, voire trop, aimée malgré, ou peut-être à cause, de cette violence toujours sous jacente qui, comme c’est étrange, ressemble à la violence de l’accouchement. Que Leïla Sebbar, magnifique pyrotechnicienne du verbe, soit donc remerciée de nous offrir, avec ses seize auteurs que l’on ne peut tous citer, un superbe feu d’artifice de la natalité autour de la Méditerranée. Jamal T. Le pays natal Textes inédits recueillis par Leïla Sebbar éditions elyzad, Tunis 186 p. 14 x 22,5 cm - 19,90 € 8 ee 55 alivres ouverts_Mise en page 1 24/09/2013 18:27 Page 202
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