EE_ 55_wobook - Page 1 - Etoiles d'encre n°55-56 La légèreté Ce numéro accueille une nouvelle venue, une philosophe et écrivaine égyptienne Fawzia Assaad qui a beaucoup à dire sur la légèreté. Sur un ton léger ou grave, elle nous conte les époques de l'âge humain où se croisent Isis et Osiris, Ra' et Tot, Kierkegaard et Nietzsche… et dont le désir de la légèreté de l'oiseau, peuple les rêves, et s'accouple au désir d'éternité. Un récit vif-argent, flambant des mythes des hauts pays d'Égypte qui en constituent le socle mais non la totalité. Parce qu'il parcourt ce chemin millénaire, ce texte est une magnifique fresque qui n'est inféodée à aucune époque, ni à aucun territoire, mais au contraire nous révèle l'universelle quête humaine de légèreté. Ce numéro accueille de nombreuses auteures qui expriment, dans leurs nouvelles et récits, comment la légèreté nous permet d'accepter l'amour et la mort. Eros et Thanatos… Ce numéro s'élabore autour d'une typographie et d'une mise en page repensées, plus modernes, plus audacieuses. Il s'articule autour du travail d'Elen Usdin, une artiste photographe de talent en plein essor qui ajoute cette touche de nouveauté et de liberté que nous ne cessons de rechercher. Nous vous invitons à découvrir son expo de photos, jusqu’en mars, dans les salons du musée d'Arts Décoratifs à Paris. Ce numéro enfin, annonce le tournant très prometteur que notre maison d'édition vient de prendre en entrant dans la structure collective et professionnelle de La Différence diffusion. C'est pour les objectifs d'indépendance, de solidarité et de professionnalisme, que se fixe cette structure, que nous sommes heureuses d'en être partie prenante. Ce collectif solidaire exposera au Salon du Livre de Paris en mars 2014. Behja Traversac di é to 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 1 Le désir de légèreté Fawzia Assaad Le désir de légèreté tourmente l’être-au-monde depuis que celui-ci a vu les oiseaux voler. Pourquoi l’oiseau ? Pourquoi pas moi dira sans doute le penseur qui a senti la vie passer comme un vol d’oiseau sur son enfance, sur ses vieux jours. Pour aller où, s’est-il encore demandé? Alors il s’est inventé un ciel qui lui ouvrirait les bras comme pour les oiseaux. Il s’est inventé une âme aussi légère qu’une aile d’oiseau. Qui se délestait de la pesanteur de la terre, pour mieux voler, devenir éternelle. Qui animerait peut-être un autre corps que le sien. Peut-être une pierre, une fleur, peut-être un mendiant… Pourquoi n’animerait-elle que son corps défunt? L’âme est légère. Elle s’est libérée. Libre, elle trace son avenir, une œuvre d’imagination. Trop légère pour s’allier à la mort. Mais le défunt qui l’a perdue la veut pour lui tout seul, veut la thésauriser, comme un avare banquier. Il lui volerait sa légèreté pour la ramener à lui, il attendrait, patiemment, que vienne son jour, il attendrait, jusqu’au jour du jugement dernier. Les ancêtres mythiques des anciens Égyptiens ont sans doute pressenti les refus de l’âme légère, libérée, libre enfin. Ils ont ordonné que l’on huile, parfume, momifie son corps, qu’on le vide de tous les intérieurs qui pourraient le pourrir, le voilà allégé, ennobli; plaira-t-il à l’âme, ce corps aseptisé, momifié, que l’on dit glorieux? Mais encore. Les ancêtres ont commandé une statue en 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 2 pierre, une belle statue, on dirait un double du défunt qui désire l’immortalité; belle, pour que l’âme veuille l’habiter. Attirée par la beauté de la statue, l’âme reconnaîtra alors son corps, ou sa statue, elle ne choisira pas un autre corps. Le sien répondra à son nom, lui prêtera sa noblesse. Son image s’animera, elle montera des profondeurs de la terre où le corps glorieux a été enterré; comme une flèche, comme un vol d’oiseau, comme la lumière du jour, elle touchera les étoiles, elle reviendra sur terre avec la légèreté de l’enfance, sa lumière se coulera dans la forme d’un jeune soleil enfant, l’enfant que les anciens ont nommé Horus, né de la chair du Père. Autrefois, en des temps qui précèdent le temps; longtemps avant le temps des Pyramides; parce que les hommes aiment la vie et détestent la mort et que l’immortalité ne leur est pas accordée, les anciens ont espéré l’éternel rajeunissement. Le corps, avec la momification, l’âme, avec des mots et des images. Des mots qu’on disait magiques. C’était aussi l’espoir du prince de la ville d’Uruk, Gilgamesh, loin, dans l’ancienne Mésopotamie, aujourd’hui l’Irak. Gilgamesh pleurait la lente disparition de son ami Enkidu. Parce qu’il refusait la mort, il alla chercher le secret de l’immortalité chez celui qui avait survécu au déluge. Il affronta les embûches du long défilé qu’emprunte le soleil quand il sort de l’obscurité pour éclairer la terre. Rien n’est éternel lui dit le sage; fleuves, montagnes, hommes et animaux, tout est mortel. Nous ignorons seulement la date et l’heure de notre fin. La déception de Gilgamesh est grande. Alors Utanapishti propose à Gilgamesh une épreuve. S’il peut résister au sommeil 7 jours et 7 nuits il pourra résister à la mort. Gilgamesh, épuisé par le voyage, a vite fait de s’endormir. Pour le consoler, Utanapishti lui dévoila le secret de la plante de jouvence: revivre la jeunesse plaisait bien au héros de l’histoire. Hélas! Encore une fois, Gilgamesh ne sut résister au sommeil; il s’endormit sur la plante; un serpent, alerté par l’odeur de ce faux (3) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 3 jasmin, la lui vola. C’est, dit-on, pour cette heure de sommeil que le serpent change de peau toutes les saisons. Et que Gilgamesh perdit l’occasion de retrouver sa belle enfance. Ce désir d’éternel rajeunissement est écrit sur des tablettes d’argile, le texte est plus vieux que le récit biblique du déluge lequel remonte au très vieux temps. Ce même désir les Égyptiens l’ont inscrit en hiéroglyphes sur les murs des Pyramides, puis ils ont transformé les hiéroglyphes en beaux tableaux colorés qu’ils ont répétés sur les parois d’autres tombeaux pour que le mythe devienne réalité. La beauté des images était une garantie d’éternité. Le soleil régnait alors sur le monde. Il était roi, surroi. Il se nommait Ra’. Pharaon était fils du Soleil. Fils de Ra’. On plaçait son nom à l’intérieur d’un cartouche royal pour dire qu’il régnait sur tout ce qu’éclaire le soleil dans son circuit autour de la terre. Car autrefois, c’était bien le soleil qui tournait autour de la terre. Il avait pour ennemi un frère jumeau, qui représentait la mort et les ténèbres de la nuit. Les frères jumeaux ne cessaient de se battre. Frères jumeaux, Frères Ennemis, comme le jour et la nuit, le bien et le mal, la vie et la mort. Le tribunal des dieux siégeait jusqu’à cent ans pour condamner l’un ou l’autre, mais ne parvenait jamais à prononcer un verdict. L’histoire abonde d’épisodes de guerres entre frères ennemis. Il était une déesse qui veillait à ce que la lumière l’emporte sur l’obscurité; la vie, sur la mort. Elle se nommait Ma’at. Elle était fille du Soleil, elle était le socle de son trône. Son hiéroglyphe dessinait une plume. Ou un rectangle biseauté. Une plume pour la légèreté, le rectangle biseauté pour le trône. La déesse représentait le trône. Légère comme une plume, elle maintenait l’équilibre d’un monde menacé par les conflits. De solides liens l’unissaient à un dieu lune, Thot. Thot était le dieu de l’écriture, de la parole, du calendrier des jours et du calendrier des nuits. Il était l’inventeur des mythes et des nombres, du étoiles d’encre (4) 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 4 rituel, il était maître des Maisons de Vie où se réglait le gouvernement du monde. Le croissant de lune éclaire le monde quand le soleil entre dans la nuit, comme la parole dit le soleil quand le soleil n’est pas là et fait exister le soleil. Lune parce que messager et remplaçant. Belle métaphore: Thot était représenté par un oiseau ibis parce que le bec de l’ibis est courbé comme le croissant de lune. Les anciens Égyptiens se sont fiés à la beauté des mots et des images pour s’assurer l’éternel rajeunissement. Un croissant de lune a de multiples rôles. Non seulement il représente le soleil en l’absence du soleil, mais encore, son bec d’oiseau ibis devient barque pour porter le soleil et le conduire à travers la nuit. Voici donc le voyage du soleil vieillissant porté par le bec du dieu Thot qui l’accompagne tout au long du voyage, et le guide par les paroles divines qu’il prononce. Plus tard, quand le monde deviendra chrétien le Verbe guidera les vies des hommes, de jour et de nuit, comme autrefois, la barque du dieu Thot. La barque solaire, image du dieu Thot: le ba du soleil défunt l’emprunte pour traverser la nuit. Une cour de passagers divins l’accompagne. Ils affronteront, au fil des heures de la nuit, de grands dangers, car le méchant frère Seth a pris la forme du serpent. Il dessèche l’eau d’un fleuve Nil souterrain pour que la barque s’enlise. Les déesses s’activent pour aider l’oiseau caqueteur: Thot. Des génies désensablent le lit du fleuve, halent la barque, quand par un coup de théâtre, ce même Seth prête ses forces pour tirer le convoi. Comme si toute la pesanteur du Mal disparaissait avec le poids des ans. À ce moment décisif, le soleil monte à l’horizon, jeune enfant, l’index dans la bouche. Le désir de légèreté serait-il le désir d’âme? La Pyramide est un tombeau d’où l’on sort vivant. Comment, si l’on ne vole pas à l’oiseau sa légèreté? Comment, quand la vie passe ailleurs, on ne sait où, on se demande comment et dans quoi, (5) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 5 quand ne restent que les images d’un monde miroir sans autre garantie de réalité que le pouvoir des mots? L’Égyptien des temps anciens s’exprimait en hiéroglyphes pour penser et dire l’âme, et faisait la part grande à la légèreté de l’oiseau. Le mot âme en français est opaque, ne vole pas assez haut, ne vole tout simplement pas. Tandis que ce mot qui dit l’âme, les anciens égyptiens l’ont doté de magie, de sagesse, et peuplé d’oiseaux. Des hiéroglyphes écrits en images empruntent à ceux-ci le pouvoir de voler. L’ibis à aigrette, ou la huppe dit la force de transfiguration lumineuse qui apparente le défunt aux astres. L’âme se nomme alors le akh, la brillance. Une autre âme, l’oiseau ba sert de lien entre ciel et terre; elle est ce pouvoir de voyager vers la nouvelle naissance, son signe hiéroglyphique est une tête d’homme portant barbe postiche de pharaon couronné sur corps d’oiseau. Léger est l’oiseau ba pour donner pouvoir aux mots de voler vers la lumière, ou tout simplement vers le jardin que le défunt arrosait de son vivant. Les mots qui accordent à l’âme le pouvoir de voler expriment sa nature divine: les textes des Pyramides se remplissent d’oiseaux pour dire ce pouvoir d’éternité que possède l’âme de Pharaon. Car le soleil défunt renaît enfant et tête le sein de sa mère. étoiles d’encre (6) Il va au ciel comme les faucons et ses plumes sont celles des oies 1, Il s’élance au ciel comme la grue, il baise le ciel comme le faucon, il saute au ciel comme la sauterelle, c’est ainsi qu’il s’envole loin de vous, ô hommes; il n’est plus sur terre, il est au ciel 2 . Auprès de ses frères, les dieux, où la déesse du ciel lui tend le sein 3. 1. Texte des Pyramides, formule 573, §1484 2. ibid. 3. formule 302, § 459. 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 6 Pharaon est un mythe. Semblable aux astres qui s’allument au firmament, il partage la vie de la lumière. Il venait de quitter la terre où il régnait du règne du bon roi, celui d’un autre ancêtre: l’Osiris tué par le méchant frère Seth. Deux fois tué. Une première fois lors d’un banquet: Seth avait commandé un sarcophage aux dimensions d’Osiris et l’offrait à quiconque se trouverait à sa mesure. Sitôt qu’Osiris s’y étala Seth et ses compagnons en rabattirent le couvercle, le scellèrent et le jetèrent dans le Nil. Le courant du fleuve emporta le sarcophage jusqu’à Byblos où la reine des lieux en fit une belle colonne pour son palais. Isis, sœurépouse d’Osiris se transforma en milan pour rôder autour de la colonne. Légère, comme le sont les créatures du mythe, elle traversait toutes les frontières, jusqu’à celles qui séparent la mort de la vie. Car elle parvint à obtenir le sarcophage, puis à le cacher dans les marais du delta et de ce corps mort de l’époux, donner naissance à l’enfant Horus. Mais voilà que le méchant frère Seth s’empare du corps mort d’Osiris, le coupe en morceaux qu’il éparpille tout au long du fleuve Nil… Et tente de tuer l’enfant. Encore une fois, Isis rend vie à Osiris. Elle rassemble les morceaux épars de son époux pour les enterrer. Dans chaque lieu où s’en trouvait un, elle publiait qu’elle y ensevelissait le corps entier d’Osiris. Jusqu’à ce jour, de nombreuses villes d’Égypte portent le nom d’Abousir, Ab wsir, tombeau d’Osiris. Isis trouva tous les morceaux de ce corps, excepté le membre viril, qu’elle moula avec le limon du Nil, symbole de fécondité. Et toute la vallée du fleuve s’identifia à Osiris. C’est là un mythe fondateur qui accompagnera les hommes de la Terre Noire de longs millénaires. Pharaon, successeur d’Osiris quand il vieillissait, de l’enfant Horus quand il naissait assurait la continuité de la vie dans le cercle des morts et des renaissances. Son âme, l’oiseau ba partira sans cesse sur la barque solaire pour traverser les heures de la nuit. Partira pour ce voyage semé d’em(7) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 7 bûches. Le voyage de la barque solaire jusqu’au bout de la nuit répète la passion d’Osiris. Chaque heure de nuit est une descente vers les ténèbres, dans un paysage où le fleuve Nil se dessèche et la barque s’enlise L’épreuve la plus effrayante se déroule dans le domaine du dieu Sokar, ce lieu qui prête son nom à la pyramide de Sakkarah. Alors se manifeste la force de vaincre la pesanteur. L’âme lumineuse, le akh, rejoindra le soleil qui renaît, enfant. Ce monde d’oiseaux qui peuple les hiéroglyphes possède le pouvoir de l’imaginaire. Faits de légèreté, prononcés par le dieu caqueteur Thot, ils porteront Pharaon sur la barque solaire, de l’obscurité au monde de la lumière, de la descente aux enfers à sa remontée vers les étoiles. L’enfant-roi devient faucon pour monter à l’horizon comme le jeune soleil; les deux plumes du rapace plantées sur sa couronne en sont la garantie. Pharaon répétant le destin de son ancêtre mythique, Osiris, représente l’univers et le contenu de l’univers. Tout ce qui renaît de la mort sera nommé Osiris. Le soleil lui-même sera un Osiris parce que tous les jours il trouve la force de surgir à une vie nouvelle, parce que l’Osiris devenu un être de lumière est monté vers le monde des étoiles, léger comme ces oiseaux que l’homme a tant envié de savoir voler. L’âme appartient au ciel, le corps à la terre dit encore le texte des Pyramides. Dans les temps anciens, quand Pharaon était puissant, il était seul à faire ce voyage qui mène à une vie nouvelle. Il représentait l’âme du monde. Il entraînait dans son voyage l’univers. Il était l’Osiris qui renaissait. Il était le soleil nourricier de l’humanité et de la nature. Il était l’Osiris, le bon roi du mythe. Mais Pharaon épuisa vite sa toute-puissance, les nobles qui nourrissaient les morts parce que plus riches que Pharaon lui-même, désiraient accompagner celui-ci dans son voyage vers les ténèbres et voler vers le soleil, devenir lumière. Le privilège de ce rituel devint alors accessible aux nobles, puis lentement, par un phénomène de étoiles d’encre (8) 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 8 démocratisation, le privilège de chacun. Et la morale se fraya un chemin dans le rituel. Au cœur du voyage, il est désormais une embûche fatale, la pesée des âmes de chacun. Le dieu qui siège à la pesée n’est autre qu’Osiris. Son trône est soutenu par le hiéroglyphe de la Ma’at. Devant lui est la balance. Sur un plateau est placé le cœur du défunt. Sur l’autre, la plume de Ma’at. Si le cœur est plus lourd que la plume, le défunt est condamné. La dévoreuse est dans l’attente du verdict pour dévorer le défunt. Le défunt récite sa confession négative. Je n’ai pas commis l’iniquité entre les hommes. Je n’ai pas commis de péchés dans la Place de Vérité. Je n’ai pas cherché à connaître ce qui n’est pas à connaître. Je n’ai pas fait le mal. Je n’ai pas commencé de journée ayant reçu une commission de la part des gens qui devaient travailler pour moi, et mon nom n’est pas parvenu aux fonctions d’un chef d’esclaves. Je n’ai pas blasphémé Dieu. Je n’ai pas appauvri un pauvre dans ses biens. Je n’ai pas fait ce qui est abominable aux dieux. Je n’ai pas desservi un esclave auprès de son maître. Je n’ai pas affligé. Je n’ai pas affamé. Je n’ai pas fait pleurer. Je n’ai pas tué. Je n’ai pas ordonné de tuer. Je n’ai fait de peine à personne. Je n’ai pas amoindri les offrandes alimentaires dans les temples. Je n’ai pas souillé les pains des dieux. Je n’ai pas volé les galettes des bienheureux. Je n’ai pas été pédéraste. Je n’ai pas forniqué dans les lieux saints du dieu de ma ville. Je n’ai pas retranché au boisseau. Je n’ai pas amoindri l’aroure, Je n’ai pas triché sur les terrains. Je n’ai pas ajouté au poids de la balance. Je n’ai pas faussé le poids de la balance. Je n’ai pas ôté le lait de la bouche des petits enfants. Je n’ai pas privé le petit bétail de ses herbages. Je n’ai pas piégé d’oiseaux des roselières des dieux. Je n’ai pas pêché des poissons de leurs lagunes. Je n’ai pas retenu l’eau dans sa maison. Je n’ai pas opposé une digue à une eau courante. Je n’ai pas éteint un feu dans son ardeur. Je n’ai pas omis les jours à offrandes de viande. Je n’ai pas détourné le bétail du repas du (9) légèreté 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 9 dieu. Je ne me suis pas opposé à un dieu dans ses sorties en procession. Je suis pur, je suis pur, je suis pur… Ma pureté est la pureté de ce grand phénix qui est à Héracléopolis… 4 La destruction du défunt qui n’a pas réussi la pesée du cœur est totale. Il n’est pas de purgatoire. La dévoreuse est dans l’attente pour le détruire, corps et âme, âmes au pluriel. A-t-il menti, celui qui a réussi au tribunal des dieux? Sans doute. On en a la preuve sur les ostracas qui s’adressent au cœur. Cœur cher cœur. Je t’en prie, ne me contredis pas. Ne me découvre pas. On dirait le cambrioleur de nos jours qui commet son larcin disant au bon dieu, Dieu, couvre-moi. L’histoire ne dit pas si le cœur a pris à la légère le jugement d’Osiris ou s’il a découvert une autre voie, plus ouverte. Si plutôt que de s’embarquer dans le négatif, ce négatif qui plombe toute créativité, il cherchait des valeurs de vie nouvelle. C’est que les mots justice et vérité ne traduisent pas la Ma’at, seule juge dans le tribunal d’Osiris. La Ma’at est l’équilibre du monde, un équilibre sans doute instable, mais efficace. Il faut s’alléger, pour que du fond des ténèbres surgisse à la lumière, vers un nouveau jour, une nouvelle vie, pour que la vie passe, à travers la mort, malgré la mort. L’âme vise les étoiles, la Ma’at la délestera de toute la pesanteur du péché. Elle sait que les Frères Ennemis n’existent que l’un par l’autre. Et pour maintenir cet équilibre elle dépasse la justice et la vérité. Les philosophes d’hier et d’aujourd’hui ont formulé, autrement, les mêmes questions existentielles. Heidegger a suggéré la dike elle aussi déesse, comme la Ma’at; elle fait converger tous les chemins qui mènent à l’Être. étoiles d’encre (10) 4. Chapitre 125 du livre de la Sortie au jour. Traduction Paul Barguet , 1967, pp. 158-60 55 p 1 a 16_Mise en page 1 24/09/2013 15:49 Page 10
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