LE NOUVEL OBS n°3166 - Page 1 - 3166 Editorial à tuer, soient terriblement économiques. L’écrivain GiulianodaEmpolil’observefinementdans«l’Heure des prédateurs » (Gallimard) : « Il y a des phases dans l’histoire où les techniques défensives progressent plus vite que les techniques offensives. Ce sont des périodes où les guerres deviennent plus rares parce que le coût de l’attaque est plus élevé que celui de la défense. […] Ces jours-ci, l’attaque coûte moins cher que la défense. Beaucoup moins. Et le prix continue à baisser. » Cette dimension économique de la guerre est tragique, car les Ukrainiens veulent la paix. Après avoir refusé le principe même d’une concession territoriale à leur agresseur, ils seraient même sans doute prêts à des arrangements de ce type, pourvu que leur sécurité et leur liberté soient garanties par un traité sérieux. Mais encore faudrait-il commencer par un cessez-le-feu. Un maigre espoir a vite été douché, mi-mai, quand des négociations directes entre Russes et Ukrainiens se sont enfin tenues à Istanbul. Elles n’ont abouti qu’à un accord sur l’échange de2000prisonniers,confirmantcequeseulDonald Trump, même après deux heures au téléphone avec Poutine,faisaitencoresemblantd’ignorer:ladéterminationmeurtrièredudespoterusserestesanslimites. C ela ne signifie pas que Poutine ait pris un avantage militaire décisif sur son voisin, comme il aime le dire pour inhiber la communauté internationale et plaire à ses compatriotes les plus nationalistes. Son invasion de l’Ukraine a échoué, dès 2022. Les progrès de son armée sur le terrain sont désormais médiocres (elle n’aurait mis la main que sur 0,15 % du territoire ukrainien depuis janvier selon l’agence de presse Bloomberg). Et plus les mois passent, plus le coût humain de son « opération militaire spéciale » devient effroyable (au moins 100 000 soldats russes seraient morts en trois ans, selon la BBC). Simplement, Poutine compte à présent sur ses innombrables drones pour faire durer le cauchemar ukrainien jusqu’à ce que les soutiens de Kiev se lassent. Tout en pariant sur la versatilité mercantile de Trump, auquel il fait miroiter en parallèle la possibilité d’un deal sur les gigantesques réserves de terres rares russes. La plupart des dirigeants européens ont compris à quelpointlasituationmenacenotrecontinentetnos démocraties. Ils doivent plus que jamais continuer à unir leurs forces : leur dix-septième paquet de sanctions, notamment contre la « flotte fantôme » qui exportelepétrolerusse,vacertainementdanslebon sens ; au moment où Poutine muscle ses infrastructures militaires à la frontière finlandaise, il est malheureusement à craindre que cet effort soit insuffisant pour le contraindre au moindre cessez-le-feu. L e week-end dernier, alors que le Festival de Cannes venait de décerner sapalmed’oraucourageuxcinéaste iranien Jafar Panahi, que le PSG remportait sa seizième Coupe de France face au Stade de Reims, et que les fleuristes s’apprêtaient à vendre des brassées de pivoines et d’hortensias pour la fête des Mères, les services d’urgence ukrainiens ont subi « une nuit de terreur dans la région de Kiev ». Dimanche au petit matin, leur bilan des frappes russes était sinistre : « L’attaque nocturne massive a fait quatre morts et seize blessés, dont trois enfants », auxquels s’ajoutaient au moins huit morts dansd’autreszonesdupays.Parmieux,deuxenfants de 8 et 12 ans, et un adolescent de 17. Le communiqué ne précise pas s’ils avaient encore leurs mères. Qui s’émeut encore de ce genre d’information glaçante, après bientôt 1 200 jours d’un conflit monstrueux qui a déjà tué et blessé des dizaines de milliers de personnes ? On s’habitue à tout, hélas. Même à la banalité du mal, même sur notre continent. La guerre a pourtant muté depuis que Vladimir Poutine a lancé ses chars contre son voisin le 24 février 2022. Tandis que le front s’est figé dans des tranchées comparables à celles de 1914-1918, le développement exponentiel de drones futuristes ne cesse de révolutionner les combats. Notre dossier le détaille cette semaine : la guerre d’Ukraine, c’est « le Feu » de Barbusse dans la réalité augmentée de « Black Mirror ». Et le plus inquiétant, peut-être, c’est que lesdrones,cesnouvellesmachines La guerre à bas prix PAR GRÉG OI RE LEM ÉNAG ER , DIR ECT EU R A DJ OIN T DE L A RÉDACTIO N Tandisqu’enUkraine lefronts’estfigédans lestranchées,le développementdedrones futuristesnecessede révolutionnerlescombats. © STÉPHANE MANEL POUR «LE NOUVEL OBS» 4 Le Nouvel Obs nº3166 · 29/05/2025 Devenez nul en négo. Plus besoin d’être bon négociateur pour faire baisser sa mensualité de crédit immobilier. 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Sommaire N° 3166 - du 29 mai au 4 juin 2025 En couverture Grands formats Idées 32 Inceste La toile 38 Référendum Le « non » en héritage 42 29 mai 2005 Le jour où internet l’a emporté 44 Immigration Parlez-vous assez bien le français pour être français ? 46 Macronie Le lobbying intéressé de Cédric O 48 Musulmanes et amoureuses « Une vie passée à mentir » 52 Eva Illouz « Les émotions sont une brèche pour l’action politique » Entretien avec la sociologue franco-israélienne 56 Histoire L’affaire Petiot, un fait divers de la collaboration 57 Nouvelle-Calédonie « Le pari de l’intelligence » Les raisons d’une crise politique analysées dans un ouvrage de l’anthropologue Benoît Trépied 18 LA GUERRE DES DRONES L’usage des drones a explosé depuis l’automne en Ukraine. Une stratégie de saturation « low cost » qui, dans une course effrénée à l’innovation, redéfinit les pratiques militaires et permet à Vladimir Poutine de prolonger indéfiniment le conflit EN COUVERTURE © PHOTOMONTAGE D’APRÈS DANYLO ANTONIUK/ANADOLU VIA AFP ET VYACHESLAV PROKOFYEV/POOL/AFP Culture Tendances 58 Rachid Ouramdane Vertige pour tous 62 Raphaël Quenard L’électron libre 66 Charli XCX La « sale gosse » de l’hyperpop 68 Le bloc-notes de Jérôme Garcin 69 Le guide critique Livres, cinéma, expos, musique… Notre sélection 80 Mixologie Les reines du shaker 84 Luxe Brunello Cucinelli sans fard 87 L’Observatrice par Sophie Fontanel 88 Spécial placements Epargner serein 101 Métropoles Des villes attractives 110 Jeux par Gaëtan Goron 112 Le courrier des lecteurs Les solutions des jeux 113 Par ailleurs La BD de Lisa Mandel 114 Un dernier mot par David Caviglioli © CHRISTOPHE MAOUT – LOUISE DESNOS POUR « LE NOUVEL OBS » – GUILLAUME BELVÈZE ABITBOL POUR « LE NOUVEL OBS » – ILLUSTRATION : ALINE BUREAU POUR « LE NOUVEL OBS » 6 Le Nouvel Obs nº3166 · 29/05/2025 Originedupapier:Suède.Tauxdefibresrecyclées:0%.CemagazineestimpriméchezNewsprint,certifiéPEFC.Eutrophisation:PTot=0.003kg/tonnede papier.Ouvrageimpriméavecdesencresconformesàlanorme«BlueAngel». 10-31-3364 / Certifié PEFC Ce produit est issu de forêts gérées durablement, de sources recyclées et contrôlées. www.pefc-france.org Lapublicationcomporte116pages.Pourlesabonnés,uncahier«TéléObs»de24pagesestjoint.UncatalogueLinvosgesestposésurlaplupartdesabonnésFrancemétropolitaine. Chiffredetirage:155300exemplaires.ImprimeursNEWSPRINTetHELIOPRINT.Sociétééditrice:LeNouvelObservateurduMonde.Directricedelarédaction:CécilePrieur.Président dudirectoire,directeurdelapublication:SandroMartin.NuméroCPPAP:0525C85929.NuméroI.S.S.N:2416-8793.Dépôtlégal:àparution.Abonnements:France(unan):160€. Etudiants:109€.Etrangeretentreprises:nousconsulter.Relationsabonnés,67,avenuePierre-Mendès-France75013Paris–Tél:01-40-26-86-13/abonnement@nouvelobs.com. Vous pouvez consulter nos conditions générales d’abonnement à l’adresse suivante : https://www.nouvelobs.com/cgv. L’Obs (ISSN 2416-8793) is published weekly by Le Nouvel Observateur and distributed in the USA by UKP Worldwide, 3390 Rand Road, South Plainfield, NJ 07080. Periodicals postage paid at Rahway, NJ. and additional mailing offices. POSTMASTER:SendaddresschangestoL’Obs(Publisher)C/O3390RandRoad,SouthPlainfieldNJ07080. Par téléphone au 01 40 26 86 13 Sur nouvelobs.com/abo12 Abonnez-vous au NouvelObs PA R D OMI NI QUE NORA , JO URNALISTE AU SE RVICE ÉCO NO MIE Chronique Economie sociale renvoient, pour l’essentiel, aux différences de parcours éducatif : « l’effet diplôme » explique, à lui seul, près des deux tiers de l’écart total de revenus d’activité. Paradoxalement, alors que 69 % des Français ont accès à l’école, seuls 11 % d’entre eux estiment y recevoir un traitement équitable, selon Occurrence. Malgré tout l’argent investi et la mise en œuvre de politiques d’éducation prioritaire, le système scolaire français reste l’un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE. La panne de l’ascenseur social est déjà, en soi, un motif de frustration. Mais ce sentiment est encore aggravé par le décalage important entre la réalité… et les promesses républicaines affichées dans les discours politiques. Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, avait précisément inscrit l’égalité des chances comme l’un des objectifs de sa loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de 2015. Une fois élu président, il n’a cessé de marteler son refus d’une « assignation à résidence » sociale. Il a cependant multiplié les mesures favorisant les entreprises et élites économiques, ses fameux « premiers de cordée ». D’où son étonnant mea culpa, en janvier 2024 : « Nous n’avons pas radicalement changé les choses. L’avenir des enfants de la République reste encore par trop déterminé par le nom de famille, l’endroit où l’on est né, le milieu auquel on appartient », a-t-il admis, au bout de six ans et demi de règne. M ême s’il n’est pas intentionnel, ce quasi-« apartheid » éducatif et social est un poison lent qui nourrit le sentiment de déclassement et la colère d’une frange croissante de la population. Même les jeunes qui ont obtenu un diplôme bac +5 peinent aujourd’hui à décrocher des jobs rémunérés à la hauteur de leurs espoirs! Un phénomène encore accentué par la transition numérique, chacun se demandant quel métier qualifié ne sera pas « grand-remplacé » par l’intelligence artificielle et les robots… Ce ressentiment engendre, de manière structurelle, une profonde désillusion vis-à-vis de l’action politique : 49 % des répondants à l’enquête Occurrence déclarent ainsi ne pas pouvoir influencer les décisions affectant directement leur quotidien. Ce qui explique la montée de l’abstention et des votes extrêmes. Bien qu’abondamment documentée, ce�e inégalité des chances n’est pas assez abordée dans le débat public. Elle devrait pourtant, au premier chef, obséder les leaders de gauche, car elle questionne la réalité de la justice sociale, ébranle les fondements de notre idéal républicain et nourrit le populisme qui sape notre démocratie. Un “apartheid” éducatif et social L’inégalitédeschances ébranlelesfondements denotreidéalrépublicain etnourritlepopulisme quisapenotredémocratie. © STÉPHANE MANEL POUR «LE NOUVEL OBS» 8 Le Nouvel Obs nº3166 · 29/05/2025 S eulunFrançaissurdixestimevivre dans un pays où chacun a réellement sa chance. Pas plus de 10 %! C’est le constat troublant d’une récente enquête, réalisée par OccurrencepourFranceTravailet l’associationDiversidays.Cechiffre révèle une perception de la fracturesocialeparticulièrementmarquée chez les femmes, les jeunes etlesclassespopulaires.Hélas,ce sentimentcollectifdeméfiancene tientpasseulementduressenti.Le phénomène est patent quand on regarde l’insertion sur le marché du travail. France Stratégie a récemment analysé le pouvoir prédictif du sexe, de la profession des parents, de l’ascendance migratoire et de l’appartenance territoriale sur le niveau de revenu d’activité perçu pendant la première partie de la vie active. Conclusion : le facteur le plus déterminant – et de loin – est l’origine sociale, c’est-à-dire la profession des parents. A statuts migratoires et territoriaux comparables, les personnes issues de milieux favorisés, en effet, gagnent en moyenne 1100 euros net de plus par mois que celles d’extraction modeste. Soit presque deux fois plus que l’écart de 600 euros qui persiste entre hommes et femmes (essentiellement en raison de la maternité). Or ces inégalités professionnelles d’origine BANQUE D’ÉPOQUE DANS son époque Au Crédit Commercial de France, nous nous appuyons sur plus d’un siècle d’expérience pour proposer des solutions adaptées aux besoins d’aujourd’hui. Rendez-vous dès maintenant en agence ou sur ccf.fr CCF | BANQUE PATRIMONIALE DEPUIS 1917 CCF - S.A. au capital de 147000001 euros, agréée en qualité d’établissement de crédit et de prestataire de services d’investissement, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 315769257 - Siège social: 103 rue de Grenelle - 75007 Paris. Intermédiaire en assurance immatriculé à l’ORIAS sous le numéro 07030182 (www.orias.fr). Chronique Etranger Rien que sur nouvelobs.com réfugiés, en envoie de nouveaux au Liban – les Alaouites, victimes de massacres ; et la questiondudésarmementduHezbollah,délicatemalgrélesproclamationsparlegénéral Aoun du principe du « monopole des armes » dévoluàl’Etat.Sansparlerdel’agendanational,avecdesréformesindispensablesquise heurtent à des intérêts mafieux ou politico-affairistes enracinés depuis des décennies. Cela fait beaucoup pour le gouvernementd’unpaysexsangue,quivientdevivre une guerre, certes imperceptible quand on se trouve au centre de Beyrouth, mais qui laisse de nombreux Libanais démunis. Pourtant,comparéauxdernièresannées, entrelesconséquencescatastrophiquesde l’explosion du port de Beyrouth en 2020, la puissance paralysante du Hezbollah et l’échecdela«thaoura»,larévolution, ce printemps démocratique qui a suscité des espoirs déçus, le contexte actuel permet un peu d’espoir. Les Libanais n’en sont pas à croire à un dépassement du système politico-confessionnel, que la « thaoura » rêvait d’abattre, mais au minimum à un pays fonctionnel, capable de fournir de l’électricité à ses habitants–contrequelquesheures par jour actuellement –, de débloquer les avoirspersonnelsgelésparlesbanques,ou encore d’assurer la sécurité de ses citoyens. Beaucoupdépenddel’évolutiondespays voisins,delastabilitéoudel’effondrement de la Syrie d’Ahmed al-Charaa, qui conditionne la présence de centaines de milliers de réfugiés ; ou de l’attitude d’Israël, hégémonrégionalàl’hubrisillimité,quiaaffaibli leHezbollahmaisnepermetpasauProcheOrientderetrouverunéquilibre.LeLibana assurément besoin de ses amis, au premier rangdesquelslaFrance,pourquecetespoir ténu ne soit pas gâché. Retrouvez la sélection de la semaine sur notre site : qrco.de/SurLeWeb ↓ Lettres « Je me sens plus impuissante que jamais face à cette guerre… » : entre Israël et Gaza, deux étudiantes poursuivent leur correspondance Par Dimitri Krier Société « Les Frères musulmans, un mouvement en perte d’influence en France » : entretien avec le politologue Haoues Seniguer Par Cécile Deffontaines Sous influence Laurent Ruquier : « Pierre Bénichou est l’homme qui m’a le plus fait rire au monde » Espoir libanais PAR PIE RRE HASKI,É DITO RIALISTE LesLibanais n’ensontpas àcroireàun dépassementdu systèmepoliticoconfessionnel, maisàunpays fonctionnel. © ARCHIVE PERSONNELLE – FRÉDÉRIC PETRY/HANS LUCAS VIA AFP– D’APRÈS JACQUES BENAROCH/SIPA – ILLUSTRATION : STÉPHANE MANEL POUR «LE NOUVEL OBS» 10 Le Nouvel Obs nº3166 · 29/05/2025 L a ministre est assise au premier rang, tandis que l’humoriste fustige les gouvernementssuccessifs,incompétentset corrompus.Illaregardeetdit:«OK,les ex-gouvernements!»Toutlemondeéclatede rire,laministrecomprise.ÇasepasseàBeyrouthenmai2025,àl’occasiondelaNuitdes Idéesorganiséeparl’Institutfrançais,etnulle partailleursauMoyen-Orient!C’estlegrand paradoxelibanais:devéritablesespacesde liberté et un authentique pluralisme d’opinion, qui cohabitent avec la guerre pas tout àfaitéteinte,lesdégâtsdel’impotencepolitique, et un contexte géopolitique explosif. Il y a une petite brise d’optimisme sur le Liban, c’est assez rare pour être signalé. Les bouleversements des dix-huit derniers mois, l’affaiblissement du Hezbollah et de son parrain iranien, la chute d’Al-Assad dans la Syrie voisine, l’émergence de l’Arabie saouditecommeLApuissance régionalesunnitequicompte… Tout cela a débloqué la situation. L’élection en début d’année d’un président, le général Joseph Aoun, ex-chef de l’armée, a été rendue possible par des interventions française et saoudienne;puisladésignation d’unPremierministreauprofil remarquable:NawafSalam,quiétaitjusqu’à janvier président de la Cour internationale de Justice des Nations unies. Et désormais ungouvernementcomptantdespersonnalitésincontestables,commeGhassanSalamé, anciendiplomateonusienetspécialistedes relationsinternationales,nomméministrede laCultureet trèsprocheduPremierministre. Il ne suffit pas d’avoir de bons ministres pourredresserunpaysenpiteuxétat,mais çaaide…Lesdéfissontcolossaux,avecIsraël qui y bombarde des cibles presque chaque jourmalgrélecessez-le-feu;laSyriequipeine àsestabiliseretqui,aulieudereprendreses Chronique Société L’amour au temps des collégiens PAR MARA GOYET , ESSAYISTE l’aider car il est en train de périr dans une fonderie, livré à un odieux personnage qui l’agonit d’injures et le roue de coups de fouet, « encore, encore » (« mallon, mallon »). Ce message poignant semble, aujourd’hui encore, secoué de sanglots et d’urgence. Intriguée par cette émouvante histoire, j’ai poursuivi mes lectures dans un domaine dont j’ignorais tout : les messages privés rédigés sur du plomb dans la Grèce antique. Repliées sur elles-mêmes, ces lamelles ne payaient pas de mine et les archéologues ont pu les confondre avec des plombs destinés à lester des filets de pêche. Il en reste donc peu. Les analyses des chercheurs qui ont étudiélemessagedeLèsisont tendanceàdiverger. Le jeune homme était-il un esclave? Un métèque (un étranger)? Sa mère étaitelle affranchie? Xénoclès était-il son beaupère? Un oncle? Un tuteur (« kyrios ») ou un garant légal (« prostatès ») ? Son bourreau était-il de condition servile? Tantdequestionsensuspens… Je n’ose imaginer ce que cela donnerait si l’on retrouvait, dans plusieurs siècles, les messages non datés de mes élèves. Il y aurait des tentatives de datation (« prank » ; « wesh »); une étude du matériel (la teinte pastel du surligneur). On aurait recours aux plus grands spécialistes de l’amour au xxie siècle dont les analyses s’appuieraient sur des extraits de littérature young adult ainsi que sur un corpus virtuel vertigineux. Vais-je devoir m’atteler à la longue rédaction d’un appareil critique afin d’aider les chercheurs du futur? Je les imagine déjà en train de débattre de la santé mentale d’un professeur aussi scrupuleux, d’en tirer des conclusions pour l’éternité… Bref, j’ai jeté les petits mots. M’apprêtais-je àdétruire unprécieux témoignagedela viesentimentale del’ère 2024-2025? © STÉPHANE MANEL POUR «LE NOUVEL OBS» 12 Le Nouvel Obs nº3166 · 29/05/2025 Fondateurs:JeanDaniel,ClaudePerdriel. 67,avenuePierre-Mendès-France,75013Paris. Standard:01.44.88.34.34. Pouradresserune-mailàvotrecorrespondant,ilsuffitdetaperl’initiale desonprénompuissonnomsuivide@nouvelobs.com DIRECTION Conseildesurveillance:LouisDreyfus(président),LouGrasser(vice-présidente), BéatricedeClermont-Tonnerre,FrédéricCurtet,Jacques-AntoineGranjon, VioletteLazard,XavierNiel,ClaudePerdriel,MatthieuPigasse. Directoire:SandroMartin(président),CécilePrieur(directricedelarédaction). RÉDACTION Directrice:CécilePrieur. Directeursadjoints:SylvainCourage,GrégoireLeménager,FloreThomasset. 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J’allais tout jeter quand j’ai éprouvé un léger scrupule : m’apprêtais-je à détruire un précieux témoignage de la vie sentimentale de l’ère 2024-2025? Ce serait une faute majeure pour une enseignante. J’entrepris alors de les relire et je m’aperçus qu’avec le recul je peinais à savoir, pour la plupart de ces petits billets, de quoi et de qui il s’agissait. Tout m’était désormais obscur. Les mots me semblaient même avoir perdu leur caractère compromettant (pour les amoureux) ou outrageant (pour ma sublime autorité). Ils n’avaient plus de valeur. Et pourtant, impossible de les mettre à la poubelle. Quelques jours plus tard, le hasard (mais peut-être pas tant que cela) d’une lecture m’a incidemment replongée dans ce tiroir aux murmures. En lisant « Graver pour l’éternité. La Grèce au fil des écritures », de Caroline Fourgeaud-Laville et François Lefèvre (Les Belles Lettres, 2025), j’ai découvert l’existence d’une inscription gravée en grec sur une petite lamelle de plomb par un jeune homme vivant à Athènes aux alentours du ive siècle av. J.-C. Elle a été retrouvée dans un puits de l’agora. Son contenu est déchirant : le jeune homme, Lèsis, s’adresse à sa mère ainsi qu’à un certain Xénoclès. Il les supplie de ON S’EMPLOIE ÀRECRUTER DANSNOS RÉGIONS En tant que banque coopérative et locale, nous avons recruté 6257 collaborateurs en 2024, dans toutes les régions de France. Source : BPCE. Toutes Banques Populaires confondues. BPCE, Société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 207603030 euros – Siège social : 7, promenade Germaine-Sablon, 75013 Paris – RCS Paris no 493 455 042. Crédit photo : Getty Images – 05/2025. z TONDELIER VEUT UN DEAL NATIONAL La secrétaire nationale des Ecologistes rêve d’un accord à gauche aux prochaines municipales. Objectif: conserver Bordeaux, Lyon, Strasbourg et les autres grandes villes conquises par les Verts en 2020. Sauf que ce scénario paraît improbable. Les insoumis, qui voudraient faire tomber plusieurs bastions socialistes, ont bien formulé une offre aux Ecologistes: ils se rangeraient derrière les maires écolos sortants en échange d’un soutien à Montpellier et à Toulouse. Mais on voit mal dans quelle configuration les socialistes feraient liste commune avec LFI. «Marine veut un deal national, elle en a parlé plusieurs fois, mais ça ne marchera pas, ça va échouer», prédit un député vert. z LA MACRONIE SE DÉFIE DE DATI Renaissance va-t-il soutenir Rachida Dati à Paris en 2026? Le premier adjoint à lamaire de la capitale, Patrick Bloche, n’y croit pas. Sauf à acter qu’«effectivement le macronisme se termine avec Macron». La ministre de la Culture, qui milite pour une réforme du mode de scrutin à Paris, pourrait même se faire avoir à son propre jeu: «S’il y a un vote direct pour le maire, Renaissance peut vouloir jouer un coup, parie le socialiste. Je n’écarte pas l’option Attal, il peut changer d’avis.» Dernièrement, l’ex-Premier ministre a exprimé son refusd’être candidat en 2026. «Ça montre queça bouge», affirme pourtant Bloche dans un sourire. De son côté, Pierre-Yves Bournazel, proche d’Edouard Philippe, accélère : le 3 juin il réunira au Trianon ses soutiens, en présence du maire du Havre et de figures macronistes dont Clément Beaune, Jean-Michel Blanquer et Agnès Buzyn. Q MÉDIAS HANOUNA S’AFFICHE AVEC BARDELLA EN BREF © JACK TRIBECA/BESTIMAGE – DANIEL PERRON/HANS LUCAS VIA AFP 14 Le Nouvel Obs nº3166 · 29/05/2025 Lors de sa dernière émission sur C8, en février 2025, CyrilHanounaavaitconfirméunerumeur:oui,ilavait bien reçu, l’été précédent, Jordan Bardella (ci-dessus, en novembre 2024, sur le plateau de « TPMP ») dans sa villa de Saint-Tropez. Pour évoquer, avait-il expliqué, « Un an avec Jordan Bardella», le documentaire que son chroniqueur Guillaume Gentonétaitenpassedeproduire etdecoréaliser.«Jeluiaidit:“Passe à la maison”», racontait l’animateur. Mais curieusement, lors de cette rencontre, «il n’y avait pas Guillaume». Absent au générique, Hanouna s’est manifestement impliquédanslafabricationdece documentairediffusésurC8,ajoutantmême:«“On”aproduitundoc.» Y a-t-il eu retour d’ascenseur? En févrierdernier,depuisWashington envisio,Bardellaétaitbiendeceux quisesontindignésdel’arrêtdela chaînedeVincentBolloré.Depuis, l’animateurtéléetleprésidentdu RN ont été revus ensemble à plusieurs reprises. Hanouna n’hésite plusàs’afficheravec«Jordan»:ill’a notammentrejoint,letempsd’un dîner, dans un restaurant parisien très fréquenté. Et voiciquel’animateur-producteuraannoncé,dans«le Figaro», la création, avec deux associés, de l’agence decommunicationChapchak,destinéeauxpolitiques perdus dans l’arène médiatique. Bardella sera-t-il bientôt client? VéroniqueGroussard Téléphone rouge z RETAILLEAU FAIT UN BIDE EN LIBRAIRIE Bruno Retailleau, nouveau patron des Républicains, ministre de l’Intérieur et désormais candidat putatif à l’Elysée, est-il aussi un bon vendeur de livres? Paru le 30 avril, son opuscule « Ne rien céder : manifeste contre l’islamisme » (Editions de l’Observatoire) ne s’était écoulé, selon Edistat, qu’à environ 1200 exemplaires, trois semaines après sa sortie. Mais que le Vendéen se rassure, d’autres personnalités politiques sont encore moins bien loties : Aurore Bergé, la ministre déléguée chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, à qui certains observateurs prêtent même des ambitionsprésidentielles, échouait encore, mi-mai, à atteindre les 400 ventes pour son « Nos combats pour la République » (Robert Laffont, paru le 6 mars). Bide aussi pour le député Karl Olive avec « On n’est pas K.O.! », publié chez Fayard, et Vincent Bolloré : 220 exemplaires… z HIDALGO PRÉPARE SA RECONVERSION L’avenir d’Anne Hidalgo, 65 ans, se précise. La maire de Paris, qui a décidé de ne pas briguer de troisième mandat, lorgne sur la direction du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. « Elle est très motivée et s’y prépare », confirme un proche. Si sa candidature est retenue, elle devra succéder à l’Italien Filippo Grandi le 1er janvier 2026. Et quitter son poste à l’Hôtel de Ville avant la fin de son mandat, ce qui n’est pas exclu. Sa nomination signerait en tout cas la fin de sa carrière politique, selon ce même proche : « Elle ne pourra pas parler de Paris ou du PS, et cela pendant dix ans si elle fait deux mandats! » Q AGRICULTURE DUPLOMB RÉCHAUFFE L’ASSEMBLÉE Qui est donc ce Monsieur duploMb, dont la proposition de loi qui vise à « lever les contraintes » en agriculture a enflammé les débats de l’Assemblée nationale? Eleveur laitier, ce sénateur LR a l’écologie dans le nez. Il s’était fait remarquer en janvier en réclamant la peau de l’Agence Bio. Ex-président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire, ce proche de Laurent Wauquiezinquiètedésormaislagaucheavecuntexte qui entend réautoriser l’acétamipride, un insecticide néonicotinoïde interdit en France en raison de sa toxicité envers les abeilles, mais réclamé par les producteurs, qui rappellent que celui-ci est autorisé dans d’autres pays européens. Réduire l’influence de l’Agence de Sécurité sanitaire (Anses) et faciliter le stockage de l’eau et la construction des bâtiments d’élevages sont aussi au menu. « La République s’est construite sur le triptyque “Liberté, Egalité, Fraternité”. En mettant l’environnement au-dessus de tout, on est en train de le remplacer par un autre triptyque : “Peur, culpabilité, interdit” », confiait-il au « Nouvel Obs » en mars dernier. Duplomb est un « climatorassuriste » décomplexé : « Depuis que je suis agriculteur, j’ai connu plus de sécheressesdanslesquinzepremièresannéesquependantlesquinze dernières années. Le changement climatique ne s’appliquera pas de la même manière partout. Dans ma région, ce sera très bénéfique.»IndignationduclimatologueChristopheCassou:«C’est cynique et immoral de considérer les impacts limités sur les montagnes de Haute-Loire alors que le reste de la France grillera et que la sécurité alimentaire sera menacée. » SébastienBillard Les informés chaque mercredi avec de Jean-Rémi Baudot et Agathe Lambret, du lundi au jeudi à 20h EN BREF © ALAIN JOCARD/AFP – XOSE BOUZAS/HANS LUCAS/AFP – CARINE SCHMITT/HANS LUCAS/AFP 15 nº3166 · 29/05/2025 Le Nouvel Obs
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