CAUSEUR MAGAZINE n°126 - Page 1 - 126 2 CO-ANIMÉ PAR JEREMY STUBBS CÉLINE PINA & Une fois par semaine, 30 minutes d’échange avec des invités sur l’actualité Retrouvez nos podcasts en ligne sur causeur.fr et sur l’ensemble des plateformes : L'ÉDITORIAL D'ÉLISABETH LÉVY ILFAUTSAVOIRTERMINER UNETRÊVE e me suis trompée et j’en suis ravie. Les JO n’ont pas été la catastrophe que je craignais. En termes d’organisation et de sécurité, ils ont même été une réussite remarquable. On croyait notre État impuissant, juste bon à persécuter les honnêtes citoyens : non seulement, il a permis au comité d’organisation et aux entreprises impliquées d’exécuter un projet aussi pharaonique qu’éphémère – la parade d’ouverture sur la Seine –, mais pendant quinze jours, il a assuré aux Parisiens les services que des contribuables dociles sont en droit d’attendre – propreté, sécurité, transports. À vrai dire, une ville quadrillée par la police, aussi sympathique soit celle-ci, ce n’est pas vraiment mon idéal d’urbanité. N’empêche, pour nombre de citadins, qui ont redécouvert le plaisir de flâner sans être emmerdés par des vendeurs de rue, des mendiants, des consommateurs de crack ou de vrais voyous, cela signifie que quand on veut on peut. Sauf qu’on ne peut pas affecter indéfiniment à Paris un tiers de nos forces de l’ordre, ni refiler de façon permanente à nos belles provinces les multiples patates chaudes générées par nos politiques suicidaires. J’ai aussi eu grand tort de penser que, sur le plan sportif, les Jeux ressembleraient au cirque habituel du sport-business, quand, entre deux scandales financiers ou sexuels, on est priés de s’extasier sur les valeurs du sport et sur nos footballeurs, jamais à court d’un tweet idiot (songeons au petit ange parti trop tôt de MBappé). Pour le coup, on les a vues à l’œuvre, ces valeurs, et comme l’observe Zemmour dans l’entretien qu’il nous accorde (pages 16-23), ce sont celles que la société et les médias s’emploient généralement à combattre, en particulier à l’école – effort, surpassement, singularité, hiérarchie, compétition, méritocratie. Les athlètes et leurs exploits insensés nous ont en prime offert les seules émotions esthétiques de la quinzaine – et les paralympiques qui commencent au moment où j’écris devraient en offrir d’autres. À ce niveau, le sport s’apparente parfois à l’art. En revanche, au-delà du prêchi-prêcha woke pour les nuls et des provocations à deux balles, la cérémonie d’ouverture a surtout consacré le triomphe planétaire du kitsch. Il était difficile d’enlaidir les monuments de Paris. Pour le reste, ce show à ciel ouvert prouve qu’on appelle aujourd’hui beauté la conjugaison d’une musique de sourds, de costumes acidulés et de beaucoup d’agitation. Donnez-nous du bruit et de la couleur, on criera au miracle. Certes, la « marque France » cote à la hausse. Tant mieux, même si on peut se demander si ce monde où la puissance se mesure au nombre de téléspectateurs ou de touristes est sérieux. En attendant, la propagande olympique qui ne désarme pas, bien au contraire, commence à me courir sur le haricot. Quand j’entends les mots « parenthèse enchantée », j’ai furieusement envie de sortir mon revolver. Pour les commentateurs de tout poil et de tout bord, rien ne sera plus comme avant. Paris 2024 marquera la déconfiture des grincheux, des réacs et de tous ceux qui ne s’enthousiasment pas pour le monde tel qu’il va. Après une « séquence politique dominée par les passions tristes du déclin et de la xénophobie, nous apprend Le Monde, les Jeux de Paris ont offert à la capitale et à la France entière plus de deux semaines de ferveur et de bonheur ». Toute la France aurait, paraît-il, « communié » dans la joie olympique. En réalité, l’écrasante majorité des Parisiens avait fui. Et en dehors des sites olympiques, où régnait véritablement une belle ambiance, la plupart des Français ont suivi l’événement de loin, heureux de voir des athlètes tricolores triompher et de chanter La Marseillaise. Du reste, les ravis de la crèche olympique, ceux qui hier s’émerveillaient de l’ambiance tricolore lors des compétitions, se pincent généralement le nez devant toute manifestation de patriotisme. Demain, ils brailleront que La Marseillaise est un chant guerrier et « Vive la France ! » un slogan raciste. À en croire Le Monde, « l’héritage » des Jeux « devrait être d’affaiblir les discours exploitant les colères et les peurs, les stratégies misant sur la haine des autres ». Dommage que la niaiserie médiatique ne soit pas une discipline olympique, on aurait raflé toutes les médailles. J 4 InitialesCK/Eléonore Lhéritier/Reconquête – Hannah Assouline 28 États-Unis : une campagne entre cris et chuchotements Harold Hyman 32 Otages, ô désespoir Gil Mihaely 34 British Lives Matter Jeremy Stubbs FLEMMEOLYMPIQUE LAFRANCE ALLERGIQUE AUTRAVAIL 40 Métro, conso, dodo Élisabeth Lévy 42 « Plus personne ne nous fait ni crédit ni confiance » Entretien avec Nicolas Baverez Propos recueillis par Jean-Baptiste Roques 3 Il faut savoir terminer une trêve Élisabeth Lévy 10 Coup de rouge Olivier Dartigolles 12 Ma vie après l'Assemblée Emmanuelle Ménard 14 Antisémitisme : aux grands maux les grands mots Élisabeth Lévy 16 « La droite a renoncé à mener le combat culturel » Entretien avec Éric Zemmour Propos recueillis par Élisabeth Lévy 24 Le charme discret de la gauche désunie Jean-François Achilli SOMMAIRE N°126 – SEPTEMBRE 2024 Directeur de la publication Gil Mihaely Directrice de la rédaction Élisabeth Lévy Directeurs adjoints de la rédaction Jean-Baptiste Roques, Jeremy Stubbs Rédaction en chef Martin Pimentel (causeur.fr) Jonathan Siksou (culture) Rédaction Cyril Bennasar, Sami Biasoni, Jean Chauvet, Yannis Ezziadi, Alain Finkielkraut, Stéphane Germain, Jean-Luc Gréau, Pierre Lamalattie, Bérénice Levet, Patrick Mandon, Céline Pina. Correction Frédéric Baquet Secrétaire de rédaction Cécile Michel Ont participé à ce numéro Jean-François Achilli, Corinne Berger, Olivier Dartigolles, Didier Desrimais, GillesWilliam Goldnadel, Harold Hyman, Philippe d’Iribarne, Alexandra Lemasson, Frédéric Magellan, Patrick Mandon, Emmanuelle Ménard, Maximilien Nagy, Frederic de Natal, Georgia Ray, Ivan Rioufol, Vincent Roy, Julien San Frax, Emmanuel Tresmontant, Marin de Viry. Direction artistique Laurent Carré Iconographie Alexandre Denef Direction marketing et commerciale Marina Leroux Charles Lévy 01 84 79 01 35 Distribution MLP Gestion de la diffusion en points de vente BO Conseil Analyse Média Etude Otto Borscha - oborscha@boconseilame.fr 09 67 32 09 34 (contact points de vente) Abonnements et anciens numéros : https://boutique.causeur.fr/ 01 84 79 01 35 (Du lundi au vendredi 10h – 17h) ou clients@causeur.fr Impression Berger Levrault Graphique 2780, route de Villey Saint-Étienne 54200 Toul Image de couverture InitialesCK/Eléonore Lhéritier/Reconquête Causeur est édité par Causeur.fr SAS au capital de 153 850 euros - RCS Paris Siret 504 830 969 00037 Naf 5814 Z. Dépôt légal à parution - ISSN 1966-6055. Commission paritaire : 0325 D 90295. Enregistrement CNIL 1296122. 32, rue du Faubourg-Poissonnière 75010 Paris 01 84 79 01 35 / info@causeur.fr www.causeur.fr 5 InitialesCK/Eléonore Lhéritier/Reconquête – Hannah Assouline 46 Le pouvoir d'achat, ce paresseux mantra Stéphane Germain 48 C'est pas la faute à Voltaire Frédéric Magellan 52 Une distinction à abattre Philippe d’Iribarne CULTURE& HUMEURS 58 Benoît Duteurtre : requiem pour un nostalgique Marin de Viry 60 Le cinéma est mort Yannis Ezziadi 63 Delon / Jagger, y a pas photo ! Corinne Berger 64 Médaille de marbre Georgia Ray 67 La boîte du bouquiniste Didier Desrimais 68 Rentrée littéraire : le bel avenir du passé Jonathan Siksou 72 Cau & Co Patrick Mandon 74 Le diable probablement Julien San Frax 76 L'ambassadeur de Bacchus EmmanuelTresmontant 78 Tant qu'il y aura des films Jean Chauvet 80 Les carnets d'Ivan Rioufol 82 Une seule solution, la dissolution ! Gilles-William Goldnadel Prochaine parution : le 2 octobre 2024 6 D.R. L’Ukraine, depuis février 2022, est devenue le poste avancé de l’Europe contre le despotisme poutinien. Ursula von der Leyen mouille ainsi la chemise (en soie muga) pour que les 27 pays de l’Union apportent tout le concours nécessaire à la défense des « valeurs européennes » dont Zelinsky est désormais le parangon. Conformément aux dites valeurs, on imagine dans les tranchées du Donbass, non sans fierté, ces milliers d’hommes déconstruits faisant appel à la part féminine qui sommeillait en eux, dans le but de repousser les Au registre des séparatistes musulmans prompts à abuser du droit d’asile occidental, Yasser al-Habib est un cas d’école. Voilà une quinzaine d’années, ce prédicateur chiite koweïtien s’est installé au Royaume-Uni, où le statut de réfugié lui a été reconnu en raison de la persécution judiciaire qu’il subissait dans son pays pour avoir exprimé des positions théologiques dissidentes. En 2003, le quadragénaire avait déclaré publiquement qu’Aïcha, la plus jeune épouse de Mahomet, était une « ennemie de Dieu ». Un grave blasphème aux yeux de la plupart des autorités religieuses du monde islamique. Qui a valu à son auteur dix ans de prison par contumace au Koweït, assortis d’une déchéance de Latestostérone,unevaleur européenne? L’impossibilitéd’uneîle ParStéphaneGermain ParJean-BaptisteRoques soldat-(e)-s russes. On suppute également la discipline de fer qui a dû immédiatement se mettre en place, afin de ne pas mégenrer les éventuels prisonniers adverses capturés sur le front. On se prend à rêver d’un cliché de type Reichstag 1945 digne de celui du photographe soviétique Evgueni Khaldeï, immortalisant les militaires ukrainiens hissant, cette fois au sommet du Kremlin, un autre drapeau, l’arc-en-ciel des fiertés LGBT. Il se murmure d’ailleurs qu’un commando transgenre, épaulé par une brigade non genrée, aurait pris en étau (humm) une division soviétique basée à Koursk, bardée de cuir et de chaînes (l’affrontement n’aurait été ni très viril ni très correct au demeurant). Côté popote, la traçabilité des gamelles de tout fantassin ne peut qu’être assurée, conformément à la directive européenne JR-55-q27 (alinéa 12), ainsi que la fourniture alternative d’un plat végan ou hallal, au troufion(e) membre d’une minorité gustative ou religieuse. Sauf, évidemment, en cas d’attaque nucléaire survenue moins de trente minutes avant le service du plat chaud. Onsouligneraàcetteoccasionlepragmatismenormatif bruxellois, bien éloigné des clichés populistes. Renseignements pris, il semblerait que l’Europe mise tout sur la testostérone de mâles sévèrement burnés, qui entendent bien que leurs femmes ne soient pas violées par les Russes – mais qui exigent en revanche que la soupe leur soit servie à l’heure lorsqu’ils rentrent du front. Les « valeurs européennes », c’est quand même plutôt par temps calme, globalement. • nationalité. Depuis, al-Habib vit exilé dans le village de Fulmer, à 30 kilomètres de Londres, où il a ouvert une mosquée fondamentaliste, créé une chaîne de télévision et même tenté une aventure dans le cinéma en produisant récemment un long-métrage sur la vie de Fatima, la fille de Mahomet. Las, le film n’a pas rencontré son public… Comment rebondir après ce cuisant échec ? En prenant possession d’une île écossaise ! L’année dernière, al-Habib a lancé une souscription pour racheter l’île privée de Torsa (« l’île de Thor » en vieux norrois, langue scandinave médiévale), sur la côte ouest de l’Écosse, mise en vente pour 1,5 million de livres sterling. Son projet : permettre à ses fidèles « de s’installer à un endroit spécial en Occident » et d’y préparer « la domination civilisationnelle chiite ». Trois millions de livres sterling ont été récoltées dans le cadre de la levée de fonds. De quoi construire, sur ce territoire grand comme un quartier parisien, une école, un centre médical et même un camp d’entraînement pour une milice privée. Patatras. Face à la levée de boucliers des médias et des politiques locaux, les vendeurs ont fait savoir cet été qu’ils refusaient l’offre d’al-Habib. « Ils souhaitent que l’on continue de vivre sur leur propriété comme leur famille l’a fait durant des générations », a justifié l’agence immobilière en charge du mandat. Comment dit-on « continuité historique » en vieux norrois ? • 7 D.R. Ovidie est une ex-actrice porno reconvertie dans le féminisme, adulée par Télérama et la radio publique. Conceptrice d’ouvrages insignifiants sur la soi-disant société hétéronormative ou la prétendue masculinité toxique, elle a récemment cosigné La Fabrique du prince charmant, un roman-photo censé dénoncer l’homme faussement déconstruit et le patriarcat toujours triomphant. Pour en parler, le philosophe Charles Pépin l’a reçue sur France Inter le 7 août. Après avoir narré « l’histoire d’un homme blanc, hétéro, d’environ cinquante ans » qui, la tête dans les nuages, ne voit pas les femmes qu’il croise sur le trottoir, les obligeant ainsi à s’écarter sur son passage, l’animateur radiophonique s’interroge : ce comportement est-il celui d’un doux rêveur ou d’un homme « porté par des siècles de société patriarcale » ? Ovidie, on s’en doute, a la réponse. M. Pépin abonde d’ailleurs dans son sens : si certains hommes se sont rendu compte de « leurs privilèges », d’autres, en revanche, « sombrent dans un déni absolu ». Heureusement, la spécialiste des « codes du porno et de l’intime » veille au grain, affirme M. Pépin. En plus de « décentrer le regard pour produire une réflexion sur le sexisme », l’ex-star du X pratiquerait « une philosophie au sens de la dialectique socratique ». Bref, suggère Pépin, Ovidie est une penseuse de haut vol. Raison pour laquelle il n’hésite pas à lui poser l’épineuse question qui le tarabuste depuis des années : que faire pour sortir vraiment du patriarcat ? « Il s’agit de reprogrammer nos imaginaires », proclame alors notre penseuse, les synapses en fusion. Mais attention, ajoute-t-elle, « un certain nombre d’hommes n’y parviennent pas, car s’ils s’y essaient, ils pensent dans tous les cas être dans le bon camp, celui du bien, en pérennisant de vieux codes qui nécessitent d’être de toute façon déconstruits ». Malgré l’opacité du propos, chacun aura compris que l’homme, quoi qu’il fasse, a toujours tout faux. C’est d’ailleurs l’intérêt de la chose – sinon, de quoi vivrait Mme Delsart, alias Ovidie ? • Ovide,Ovidie,ovidé… ParDidierDesrimais Cédric Herrou refait parler de lui. Le gentil producteur de volailles et d’olives, bien connu de la justice pour être un passeur de migrants à la frontière avec l’Italie, n’aime apparemment pas le nouveau maire de sa commune. Quand il a découvert que l’édile, le ciottiste Sébastien Olharan, entendait installer une quarantaine de caméras de surveillance dans la petite ville de Breilsur-Roya (06), il a donc cherché la petite bête. « On a découvert que le maire avait déjà installé une dizaine de caméras sans autorisation et sans dossier déposé auprès de la préfecture », a dénoncé le défenseur des exilés au micro de France Inter. Nul n’est censé ignorer la loi ! Et en matière d’illégalité, Cédric Herrou en connaît un rayon : il a été poursuivi tellement de fois que son parcours judiciaire a permis à la notion de « délit de solidarité » d’émerger en France, et à notre prestigieux Conseilconstitutionneld’estimeren2018qu’incriminer un citoyen facilitant l’entrée ou le séjour irrégulier d’un clandestin sur le sol français était « partiellement inconstitutionnel » lorsque c’était pour des raisons humanitaires. Avec 15 habitants de gauche, M. Herrou a donc déposé un recours contre les caméras clandestines au tribunal administratif de Nice. Évidemment, au-delà, le militant dénonce un dispositif « inutile et disproportionné », avec à terme une caméra pour 55 habitants, soit le double de Nice selon ses calculs. « Un outil matériel répressif et restrictif des libertés publiques ! » s’énerve le militant, interrogé par L’Humanité. Oui, mais si Breil-sur-Roya n’est peut-être pas Chicago, les statistiques de la gendarmerie montrent bien une augmentation de la délinquance, plaide le maire, lequel rappelle que la commune s’étalant sur 86 km2 , il faudra bien autant d’appareils… Il assure en outre que les caméras déjà installées n’enregistrent aucune image, et que la mairie attendra le feu vert de la préfecture, pas avant cet automne. Il a déjà gagné au tribunal contre Herrou en référé, le 14 août. Affaire à suivre… M. Herrou doit-il craindre que la gendarmerie puisse d’ici quelques semaines facilement surveiller ses allées et venues ? • Camérasclandestines ParMartinPimentel 8 D.R. Alors que l’Europe renouvelle son exécutif, Thierry Breton bénéficie du soutien de Macron pour être reconduit à son poste de commissaire au Marché intérieur. Il en a bien besoin. Il est en effet peu apprécié par la présidente de la Commission, dont il lorgne la place avec une insistance dépourvue de finesse, mais il est surtout discrédité par son manque de sens politique et ses échecs en termes de réalisations. Son récent bras de fer avec Elon Musk a non seulement fini en humiliation pour lui, mais a réussi de surcroît à créer un grave incident diplomatique : le Congrès américain lui reproche dans un courrier cinglant d’entraver la démocratie en s’immisçant dans la campagne présidentielle américaine. Comme ancien PDG d’Atos, sa gestion alliant acquisitions mal pensées et ratages technologiques a conduit à la perte ce qui aurait pu être un champion industriel pour la France. Aujourd’hui l’entreprise est sur le point d’être rachetée par un milliardaire tchèque alors qu’elle est un des outils de la souveraineté française : ses logiciels sont essentiels à la politique de dissuasion nucléaire. Tout ce qu’il met en avant pour se pousser du col est à l’avenant. La politique de réindustrialisation dont il se vante d’être l’acteur déterminant est un des grands impensés stratégiques de l’UE, qui se montre incapable de s’accorder sur des priorités ou de soutenir son industrie par une véritable politique de coopération. La seule chose que l’Europe crée en masse, ce sont des consommateurs de moins en moins capables de produire de la richesse. Quant à la création d’une stratégie de défense commune fondée sur la préférence communautaire, ambition qu’il s’attribue également, l’idée n’existe que sur le papier. La situation calamiteuse du projet de char européen en témoigne. Le seul domaine où Thierry Breton apparaît pertinent est son activité d’auteur de science-fiction. Dans Softwar, il dépeint un avenir où le destin de l’Europe est entre les mains des Américains et des Russes. Sans voir qu’il est l’incarnation même de ce déclin, lui dont le rêve est de faire de l’Europe un empire où la réglementation tatillonne demeure le seul horizon de l’action politique. • ParCélinePina En permettant aux internautes de retrouver leurs anciens amis et de partager avec eux leurs photos souvenirs, le milliardaire Mark Zuckerberg a construit sa fortune. On ne sait pas vraiment s’il considère Facebook comme un nouvel empire, mais en 2018 « Zuck » a confié au New Yorker qu’il admirait l’empereur Auguste au point de donner ce prénom à l’une de ses enfants. Aussi, pour immortaliser son épouse, Priscilla Chan, il a bien sûr eu une idée plus grandiose qu’un vulgaire cliché photographique. Le 13 août, il s’est vanté sur Instagram d’avoir « renouvelé la tradition romaine des sculptures de femmes », en présentant au monde la statue la représentant qu’il venait d’offrir à sa chère et tendre. Une œuvre des plus bizarres, en réalité. Mesurant plus de deux mètres de haut, comme si elle était destinée au Forum romain, l’œuvre, commandée à un certain DanielArsham,faitplutôtpenseràlafemmedupersonnage de dessin animé Shreck, ou à la performance de Philippe Katerine lors la cérémonie d’ouverture des JO. Beaucoup d’internautes l’ont qualifiée de creepy, mot anglais qui veut dire à la fois sinistre et pervers. Le style de la statue n’est donc pas vraiment romain, et l’ensemble est d’un mauvais goût qu’on pourrait qualifier de « Silicon kitsch ». Où entreposer une statue aussi massive si nos nouveaux riches venaient à s’en lasser ? Étant donné le nombre de leurs propriétés, Priscilla aura l’embarras du choix. Elle pourra même la planquer dans l’abri atomique post-apocalyptique de 450 m2 , autosuffisant en énergie et en nourriture, que son chéri vient de faire construire à Hawaï. Il faut bien qu’épouser le milliardaire le plus ennuyeux de la planète ait quelques avantages. Cependant, quand les Martiens découvriront la Terre après l’apocalypse, on peut douter qu’ils regarderont la statue avec le même enthousiasme que nous les vestiges de l’Empire romain. • Ave,chérie! Uncharismebruxellois ParMartinPimentel 9 D.R. L’Église d’Angleterre, dont le roi Charles III est le gouverneur suprême, mais l’archevêque de Cantorbéry, Justin Welby, le chef spirituel, envisage-t-elle d’éliminer le mot « église » de son langage pour mieux attirer le chaland ? Selon une étude publiée par un centre de réflexion ecclésiastique, ce pas a été franchi spontanément au niveau local. L’étude, intitulée « Nouvelles Choses » (New Things) pour souligner la variété des termes qui se sont substitués à « église », a enquêté sur 11 des 42 diocèses anglais et a trouvé que, depuis dix ans, aucun des quelque 900 projets de création de nouveaux lieux de culte n’utilisait le mot. Les termes préférés étaient surtout « communauté » ou « assemblée », bien qu’« ecclésia » signifie justement « assemblée » en grec ancien. Il semblerait donc que l’Église anglicane, dont la mission centrale devrait être de préserver et de transmettre l’intégrité de l’enseignement du Christ et des apôtres, soit tombée dans le piège de l’adaptation au monde moderne. L’étude en question a noté que, quand la théologie traditionnelle perd de son influence, on cherche l’inspiration dans d’autres sources, « à savoir l’entreprise et le management ». Pourtant, il est peu probable qu’un rebranding L’indésirablegénéral L’Église honteuse ParMaximilienNagy El Watan a dénoncé un cas de « révisionnisme historique ». Le 1er mai, à Nancy, le chapitre lorrain de la Ligue des droits de l’homme a manifesté contre l’idée d’honorer un officier si controversé, et le 25 mai dans la même ville, des manifestants ont défilé de nouveau, exhibant une fausse statue en carton-pâte. En juillet, le centre culturel France-Algérie a adressé une lettre au sous-préfet exigeant l’interdiction pure et simple du monument et rappelant que le nom du général est « associé à une technique d’assassinat (“crevetteBigeard”) ». Il s’agit de prisonniers, les pieds coulés dans du ciment, jetés dans la Méditerranée depuis un hélicoptère. Le général a toujours nié toute implication dans de telles pratiques, ainsi que dans l’usage de la torture. Lors de sa mort en 2010, un projet pour transférer ses cendres aux Invalides a dû être abandonné face à une levée de boucliers. Malgré tout, la Fondation Général Bigeard, qui finance la statue, ne lâche rien. Pour elle, comme pour le maire (PS) de Toul, Alde Harmand, il est hors de question de se laisser intimider par ceux qui voudraient réécrire l’histoire à leur sauce ou stigmatiser un héros qui a pourtant fait ses preuves durant la Seconde Guerre mondiale et en Indochine. La statue sera installée, dit-on. Mais quand ? L’inauguration, initialement prévue le 18 juin, date de la mort de Bigeard mais aussi date hautement symbolique, a été reportée. En somme, la statue a été déboulonnée avant d’avoir vu le jour. • de l’anglicanisme puisse ralentir le déclin du culte. Pour certains membres du clergé et leurs paroissiens, le mot « église » rappelle trop des notions de hiérarchie et tradition, et évoque un passé qu’il s’agit surtout de nier. L’année dernière, le synode général a décidé que chaque paroisse devait mettre en place un plan d’action pour combattre l’injustice raciale, tandis que la commission qui gère les actifs immobiliers de l’Église veut absolument que cette dernière lève 1,2 milliard d’euros pour expier le péché de ses investissements dans la traite atlantique au début du xviiie siècle. Tout en oubliant son rôle central dans la campagne pour abolir la traite et l’esclavage. Au passage, on notera que l’expiation ne requiert plus une âme contrite, mais du fric. Voici revenu le temps des indulgences. • Ce qui aurait dû être un simple hommage à un enfant du pays s’est transformé en une guerre des mémoires. Depuis 2018, sa ville natale de Toul (Meurthe-etMoselle) caresse le projet d’ériger une statue à la mémoire du général Marcel Bigeard, figure marquante delaguerred’Algérie.Aujourd’hui,lastatuedebronze, haute de 2,5 mètres, est prête à rejoindre son socle. Pourtant, l’opposition, notamment à gauche et en Algérie, s’est mobilisée. En avril, le quotidien algérien ParFredericdeNatal 10 C OUP DE ROUG E ParOlivierDartigolles Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise. E t de deux. Le bouclage du précédent numéro de Causeur a eu lieu entre les deux tours – donc avant les résultats – des élections législatives. Pour cette rentrée, je vous écris sans savoir qui sera nommé à Matignon par Emmanuel Macron. Dissolution, pas de clarification, puis cette procrastination élyséenne qui a obtenu un record, celui de la longévité d’un gouvernement démissionnaire. Mieux que les trente-huit jours qui se sont écoulés entre le cabinet René Mayer et celui de Joseph Laniel en mai-juin 1953 ! Alors que le premier message des urnes a exprimé l’aspiration à un vrai changement, le président Macron est en marche sur les pas d’Edgar Faure (« Voici que s’avance l’immobilisme et nous ne savons pas comment l’arrêter. ») et d’Henri Queuille (« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. »). Décidément, sous ses faux airs de modernité, le macronisme est un succédané de la IVe République. Nous vivons le temps du retour du Parlement. Tant mieux ! C’est pourquoi Emmanuel Macron devrait d’abord nommer à Matignon la représentante du Nouveau Front populaire, coalition arrivée en tête le 7 juillet. Son gouvernement pourrait être aussitôt censuré par une majorité à l’Assemblée nationale, mais cela se déciderait précisément au Palais-Bourbon, non à l’Élysée. Le pays profond détourne son regard et se dit que, décidément, « rien ne change ». C’est ce même pays qui s’est enthousiasmé pour les Jeux olympiques, qui s’est pris au jeu. Et pourtant, il n’a pas manqué de voix tonitruantes, politiques et médiatiques, pour nous dire que nous allions à coup sûr au désastre, que la France allait connaître une véritable humiliation, qu’il n’y aurait pas de public dans une capitale grillagée et désertée. Jusqu’à la toute fin, alors que nous apprenions que Léon Marchand ne serait pas l’un des deux porte-drapeau tricolores pour la cérémonie de clôture, j’ai pu lire : « Que cache cette élimination pour d’obscures raisons non avouables ? » Puis l’athlète aux ondulations de dauphin, héros de ces superbes olympiades, est apparu à l’écran pour ouvrir cette cérémonie. Il avait rendez-vous avec la vasque-montgolfière dans le jardin des Tuileries. Beauté. C’est ce même pays qui pleure la disparition d’Alain Delon, la dernière étoile cinématographique. « Nul ne guérit de son enfance », disait Ferrat. Delon en a fait Tancrède, Roger Sartet, Jef Costello, Rocco Parondi, Roch Siffredi, Robert Klein, Choucas, Verlot, Xav, Niox, Pierre Larcher et tant d’autres personnages… Je n’aime pas les injonctions. Notamment celles qui consistent à nous dire ce qu’il faut aimer, ce qu’il convient de détester, et nous somment d’appartenir à une majorité, relative ou absolue, en matière artistique ou sur le terrain des idées. Mais j’avoue ne pas bien comprendre comment ces deux moments français, la ferveur populaire pour les JO, ce patriotisme joyeux, puis cette tristesse, cette douce nostalgie, quand Delon s’en est allé rejoindre ses parents (et Gabin !) ne peuvent pas nous réunir. Et de trois ? On bouclera certainement encore le mois prochain dans des conditions incertaines. Faisons confiance aux événements, ils ne manqueront pas de se produire. • 11 © Crédit BULLETIND’ABONNEMENT 3 POSSIBILITÉS POUR VOUS ABONNER SUR INTERNET www.causeur.fr/boutique PAR COURRIER En nous envoyant ce formulaire avec votre règlement (chèque ou prélèvement SEPA) PAR TÉLÉPHONE 01 84 79 01 35 (DU LUNDI AU VENDREDI 9H30 - 17H) Sous enveloppe timbrée à : Causeur Abonnements 32 rue du Faubourg Poissonnière 75010 Paris Accompagné de votre règlement : Par chèque à l’ordre de Causeur.fr Je paye en une seule fois mon abonnement. Par prélèvement automatique (SEPA) Je serai prélevé mensuellement sur mon compte bancaire (résiliable à tout moment). Signature obligatoire pour autorisation de prélèvement 3. ENVOYEZ LE BULLETIN En application de la loi Informatique et libertés, les coordonnées demandées ci-dessus sont nécessaires à l‘enregistrement de votre commande. Celles-ci peuvent être communiquées à nos partenaires à des fins de prospection. 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