ROCK AND FOLK n°674 - Page 1 - 674 OCTOBRE 2023 R&F 003 Edito Ô vieillesse ennemie ! L’âge n’est généralement pas un problème dans l’art. Ne devrait pas l’être. Avec deux conséquences pourtant. Opposées. Devenir meilleur : l’expérience. Moins bon : le gâtisme. Dans le rock’n’roll, le problème serait donc double. Et cornélien. Peut-on continuer à faire cette musique de jeunes en étant âgé ? Et peut-on faire cette musique âgée en étant jeune ? Comment y vieillir ? Et comment la réinventer ? “Hope I die before I get old” écrivait Pete Townshend. Interdit-on à un peintre vieillissant de continuer de peindre ? A un écrivain d’écrire ? A Claude Lelouch de faire des films ? A la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de rugby de ne parler qu’aux octogénaires ? Non. Même si dans certains cas, il est évident que l’on devrait. “What a drag it is getting old” chantaient les Rolling Stones juvéniles. Dans le clip de leur nouveau single “Angry”, ils bottent en touche. Ils se montrent, certes. Mais pas aujourd’hui. On les voit sublimes, encore jeunes. Au pire quarantenaires ou cinquantenaires. Mieux. A toutes les époques. Souvent fantastiques bien sûr. Pas fou, le Mick ! Damon Albarn n’aime pas trop se voir aujourd’hui depuis qu’il remplit son baggy. Kiss avait trouvé une forme de parade mais, démaquillés, personne ne voulait d’eux. Daft Punk était la solution parfaite en quelque sorte ! Iggy s’en fout ! Chrissie Hynde aussi. Assumant magnifiquement tout ça ! Le problème de cette musique est cette putain d’énergie. Difficile à reproduire à 70 ou 80 ans. Pour le moins. La génération de nos grands-pères ou celle de nos pères pour certains, jouaient aux courses, au 421, buvaient des coups, pêchaient. Fumaient. Ça ne tuait pas à cette époque. Mais ne se tortillaient pas en se touchant les testicules. Nos grands-mères pâtissaient, cousaient, tricotaient. Mais ne jouaient pas de la Telecaster. Ce n’était pas mieux avant. Non. C’était comme ça. Contemporain de la révolution pop. L’expliquant sans doute en partie. Vincent Tannières Parution le 20 de chaque mois Mes Disques A Moi Isabelle Chelley BEN SWANK 10 In Memoriam Eric Delsart Sixto Rodriguez 14 Tête d’affiche Vianney G THE UNDERGROUND YOUTH 16 Isabelle Chelley BE YOUR OWN PET 18 Romain Burrel COURTNEY BARNETT 20 Eric Delsart THE CORAL 22 Alexandre Breton TEENAGE FANCLUB 24 En vedette Basile Farkas GRANDADDY 26 Léonard Haddad Wilco 30 Stan Cuesta LILI DROP 34 Eric Delsart THE WHO 38 H.M. LEO FERRE 42 Story Nicolas Ungemuth Frankie valli and the four seasons 48 En couverture Jérôme Soligny Pretenders 54 RUBRIQUES edito 003 Courrier 006 Telegrammes 008 Disque Du Mois 061 Disques 062 Reeditions 070 REHAB’ 074 vinyles 076 DISCOGRAPHISME 078 HIGHWAY 666 REVISITED 080 Qualite France 081 Erudit Rock 082 Et justice pour tous 084 FILM DU MOIS 086 Cinema 087 SERIE du mois 089 IMAGES 090 Bande dessinee 092 LivRes 093 Live 094 PEU DE GENS LE SAVENT 098 Sommaire 674 54 Pretenders www.rocknfolk.com Rock&Folk Espace Clichy - Immeuble Agena 12 rue Mozart 92587 Clichy Cedex – Tél : 01 41 40 32 99 – Fax : 01 41 40 34 71 – e-mail : rock&folk@editions-lariviere.com Président du Conseil de Surveillance Patrick Casasnovas Présidente du Directoire Sophie Casasnovas Directeur Général Frédéric de Watrigant Editeur Philippe Budillon Rédacteur en Chef Vincent Tannières (32 99) Rédacteur en Chef adjoint Eric Delsart Chef des Infos Yasmine Aoudi (32 94) Chef de la rubrique Live Matthieu Vatin (32 99) Conseiller de la Rédaction Jérôme Soligny Maquette Christophe Favière (32 03) Secrétaire de rédaction Manuella Fall Publicité : Directeur de Publicité Olivier Thomas (34 82) Assistant de Publicité Christopher Contout (32 05) PHOTOGRAVURE Responsables : Béatrice Ladurelle (31 57), Flavien Bonanni (35 29) Chromiste : Hugues Vuagnat (3489) VENTES (Réservé aux diffuseurs et dépositaires) : Emmanuelle Gay (56 95) ABONNEMENTS : Promotion Abonnements : Carole Ridereau (33 48) Abonnement : France 1 an - 12 numéros papier et numérique : 131,48 e, prélèvement mensuel : 5,95 e Suisse et autres pays et envoi par avion : nous contacter au (33) 03 44 62 43 79 ou sur : abo.lariviere@ediis.fr VENTE PAR CORRESPONDANCE : Accueil clients 03 44 62 43 79 Commande par Carte Bancaire ou sur www.rocknfolk.fr COMPTABILITé (32 37) Fax : 01 41 40 32 58 Directeur de la Publication et Responsable de la Rédaction : Patrick Casasnovas IMPRESSION : Imprimerie de Compiègne Zac de Mercières 60205 Compiègne Cedex. 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On arrive même à trouver bons les frères Gallagher, c’est dire ! Sans être passéiste, il semble que c’était mieux avant non ? J’envie les gus qui découvraient en 1967 le premier Doors, “Sgt. Pepper”, “The Piper At The Gates Of Dawn” des Floyd, “Are You Experienced” de Hendrix par exemple. Si je fais un bond en 1977, je découvrais ado “Low” et “Heroes” de Bowie, “Marquee Moon” de Television, “Lust For Life” et “The Idiot” d’Iggy, “Rocket To Russia” des Ramones et aussi The Clash, Suicide, Talking Heads, Kraftwerk. La liste est longue. Aujourd’hui, c’est le mp3 dégueulasse, les coffrets avec 112 versions vendus au prix de poils de cul de yéti, des vinyles attrape-con au son pourrave et hors de prix. Heureusement, comme pour Mozart, Bach, Beethoven ou Debussy, sûrement que les Beatles, Stones, Hendrix ou Bowie (remplacez ou rajoutez qui vous voulez) s’écouteront encore dans deux cents ans. Des classiques quoi ? Bonne journée à tous. Alain Chareyre 006 R&F OCTOBRE 2023 Robbie Robertson Quelle immense perte pour le monde de la musique et des musiciens. Les hommages pleuvent des artistes les plus célèbres, des musiciens les plus influents de ces dernières décennies : Bob Dylan, Eric Clapton, Van Morrison, etc. La liste est infinie et témoigne de l’influence majeure de cet artiste et son groupe The Band, ainsi que sa carrière en solo. Je retiendrai pour faire court le témoignage de Martin Scorsese — ami, et réalisateur du film incontournable “The Last Waltz” qui résume la carrière exceptionnelle de ce groupe et de Robbie Robertson. Encore un monstre sacré qui disparaît, la liste s’allonge... Bernard Grunberg Seconds couteaux Beautiful losers. Alors que la tournée du Patron a fait le plein des stades européens et que Bruce a mouillé sa chemise à chaque concert, ne décevant aucun de ses fidèles (dont je fais évidemment partie, j’ai croisé la route de mon chanteur préféré à Munich le 23 juillet dans l’enceinte du stade olympique), me prend l’envie de vous écrire pour réparer une injustice et pour vous demander de braquer les projecteurs sur une flopée de songwriters qui mériteraient bien que vous leur consacriez enfin quelques pages de votre revue tant le succès les a boudés et laissés sur le carreau alors que leur talent aurait pu ou dû les entraîner vers le sommet, là où Springsteen demeure indétrônable. Sa prestation munichoise m’a une fois de plus laissé sur le carreau. Les places au pinacle sont chères, oui, en effet, car pour un Springsteen, combien de perdants magnifiques restés confidentiels et combien de trésors oubliés ou enterrés ? La liste est longue et il y aurait matière à une belle galerie de portraits avec un résumé de carrière succinct et quelques repères discographiques : Graham Parker, Garland Jeffreys, Southside Johnny, Willie Nile, Joe Grushecky, John Hiatt, John Mellencamp, James McMurtry, Willy DeVille, Delbert Mc Clinton, Lee Clayton, j’en passe et des meilleurs... Elliot Murphy et Bob Seger par exemple. Le chanteur de Détroit ayant une petite part du gâteau tout de même. Soulignons au passage que c’est grâce à Antoine de Caunes et à ses émissions Chorus (du rock après la messe du dimanche !) et radiophoniques Marlboro Music que j’ai découvert bon nombre de ces artistes à la fin des années 1970 et dans les années 1980. Merci, Antoine ! les chansons de ces seconds couteaux sont la bande-son de ma vie : elles m’accompagnent et me soutiennent encore aujourd’hui. Christian quelque chose, confessant que : “ ‘Sister Morphine’ a été écrite avant même que j’aie pris de la morphine. C’est une histoire. Je l’ai inventée, mais les gens ne croiront que ce qu’ils voudront croire. Tout ce que je peux dire, c’est qu’après avoir écrit ‘Sister Morphine’, j’ai appris qu’on doit faire très attention à ce qu’on écrit parce que... cela peut devenir vrai !” Dominique A résume : “Un ami m’avait prévenu une fois, il faut accorder toute son attention à ce qu’on écrit ; l’écriture nous devance, elle en sait souvent plus que nous”. “La chanson ‘Walls Come Tumbling Down’ [du Style Council] était en hommage à cela, n’est-ce pas ? Ce qui incidemment est arrivé quelques années après, le Mur est tombé”, fait valoir rétrospectivement à cet égard Paul Weller. Et dans le documentaire “Damon Albarn : Une Histoire Anglaise”, ce dernier fait référence à l’album “The Good, The Bad And The Queen” sorti en 2018 en ces termes “[Dans une des chansons, “The Truce Of Twilight”], ça dit :‘Profitezen tant que ça dure car les choses vont bientôt changer’. Je n’imaginais toutefois pas ce qui allait arriver”, révèle cependant le leader de Gorillaz et de Blur. “Mais c’est dingue d’écrire ces paroles et de se rendre compte qu’un an plus tard, elles résumaient parfaitement la situation (cf. covid-19)”. Dont acte. Ainsi aussi, King Tuff, récent acquéreur d’une Subaru bleue de 1982, y faisait-il déjà référence “comme la voiture de ses rêves” dans la chanson “The Other” : “C’était comme si c’était écrit, ou bien alors c’est la chanson qui a eu cet effet !”. Déjà écrit, hein ?... Quoi qu’il en soit, une chanson appelle des situations, provoque des coïncidences, élit des signes. Quelquefois, supplantant notre référentiel de réalité commun, les chansons façonnent la leur, de réalité... Dans son bouquin “See A Little Light”, Bob Mould appelle cela : “Le don de voyance. Les gens ne comprennent pas totalement [dit-il], ou ne sont pas sensibles au pouvoir de l’esprit, au pouvoir de la pensée et au pouvoir de l’écrit comme prophétie auto-réalisatrice”. Et voilà somme toute un autre pouvoir à mettre au crédit de la chanson... Dans “England’s Dreaming”, Jon Savage cite enfin Jacques Attali : “La musique est une prophétie. Elle fait entendre ce qui, par la suite, deviendra visible, s’imposera, réglera l’ordre des choses. Elle n’est pas seulement l’écho de l’esthétique d’un temps, mais le dépassement du quotidien, et l’annonce de son avenir”. Convenable. Eddy Durosier Prémonition ? “L’album devait s’intituler ‘Smile’. Quand on a commencé, j’avais toutes sortes d’idées. On chantait, allongés sur le sol, les micros posés sur nos têtes, à faire les fous... Et on a remarqué un sac étrange. Dedans, il y avait une cassette. C’était la chanson ‘Fire’, qui était alors presque terminée.” Ainsi s’exprime l’ancien leader des Beach Boys dans le dramatique et bouleversant “Brian Wilson : Le Génie Empêché des Beach Boys”. L’aîné de la fratrie poursuivant : “Et [alors] un bâtiment de la rue a brûlé le jour même de l’enregistrement des bandes de ‘Fire’. On avait des casques de pompier, un seau avec du bois brûlé pour enfumer le studio... c’était dingue ! J’ai fini par penser que l’incendie était d’origine mystique. Alors on a détruit la bande.” Mysticisme ? Prémonition ? Folie douce ? Dans le documentaire “Hallelujah, Les Mots De Leonard Cohen”, un don de prescience était déjà attribué, au détour d’une séquence, à la fameuse “Suzanne”, chanson qui n’était pas, on l’apprenait tardivement, prédestinée initialement par Leonard Cohen à sa première femme et mère de ses deux enfants, rencontrée plus tard, mais à une autre “Suzanne”... Réaction spontanée de l’intéressé, grand sage décidément imperturbable, dans le film face à l’interviewer qui se montrait désireux d’en savoir davantage : “C’est peut-être la chanson qui l’a fait venir ?” Dingue, en effet de constater que parfois les chansons portent nécessairement et immodérément en elles la prémonition de circonstances ultérieures... “Dans la création des chansons, un récit parallèle intervient souvent, comme une histoire dans l’histoire”, comme l’évoquait Keith Richards. Et Marianne Faithfull en sait Mais que fait la Police ? Police n’a pas sorti d’album depuis 1983. Que fait Darmanin ? PAtrick Moalic Eclectique Détester Trump et écouter en boucle le dernier PiL, est-ce incompatible ? E. T. Déconing People novembre 2019 R&F 007 Confidence L’interview de Rodney Crowell par Léonard Haddad dans votre édition d’août 2023 devrait être encadrée et servir de référence à toute la presse spécialisée. Photos splendides, songwriter — pourtant immense — d’une humilité et d’une autodérision rares, anecdotes sublimes recueillies par un journaliste respectueux qui connaît ses dossiers et qui a pu pousser Rodney à la confidence. On sent que ces deux-là ont pris un énorme plaisir à échanger. Ces pages figurent parmi les plus belles qu’il m’ait été donné de lire dans votre magazine. Et j’en ai lu quelquesunes depuis mon premier numéro, le 58, de novembre... 1971. Bravo et encore, please ! Pierre-Yves Maspoli Objectivité… C’est bon ça, tu retrouves du mordant et du tranchant mon cher R&F, avec quelques disques chroniqués gentiment dézingués. Cela reste un plaisir coupable de lire une plume négative, même si certain(e)s ne comprennent pas pourquoi parler d’un disque si c’est pour en dire du mal. Sauf que... Sauf que dans notre époque où “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil”, cela fait du bien d’avoir aussi les avis contraires... Sauf que cela n’est pas censé changer son propre avis... Je me régale ainsi à lire Nicolas Ungemuth quand il peste contre l’album “The Wall” qui reste un de mes albums préférés. Avoir un avis contradictoire reste un fondement dans une société où on souhaite que la culture reste importante... Sauf que cela peut permettre à un lecteur de faire la différence entre un album de blouze comme celui de Selwyn Birchwood (que l’on peut trouver “agréable” au demeurant) et le fait de remonter à la véritable source du delta. Sauf que R&F reste un des rares magazines à se permettre une ligne éditoriale libre où Greta Van Fleet peut être mis en couverture, appuyé par un journaliste conquis, puis se retrouver avec une étoile et demie dans la chronique d’un journaliste qui n’en voit que les défauts. Et finalement, souhaitons que le terme pluralité ne disparaisse pas dans notre futur. Bruno Swiners De gauche à droite Le meilleur moment, c’est parfois quand on monte l’escalier qui va de la boîte aux lettres à l’appartement (sauf quand on habite au-dessus du parc Monceau avec ascenseur) et qu’en enlevant le blister du dernier R&F, on lit Sweet Jane sous cette belle photo (recadrée et photoshopée) du si regretté Michel Baret, qui faisait également la couv’ de l’ “Humanité” (mais positionnée de gauche à droite, bien sûr !). Pas vu une aussi belle première de couv’ depuis le numéro 626 (je crois !) avec Iggy. Bowie, Lou Reed, Sweet Jane. C’est bien vu ! Phil (L’Autre) Satisfaction Jeudi 6 avril 1967, 8 h 45, arrivée à la gare de Rome. Notre voyage de rhéto est de retour de Sicile pour une journée dans la capitale italienne avant de revenir au pays. Partout des affiches : les Rolling Stones au Palais des Sports à 21 h 00, ce 6 avril. Informations prises à l’hôtel, oui, on peut encore avoir des places ! Impensable ! On croit rêver ! Satisfaction ! Visite du Vatican en matinée en prélude au diable. Mick Jagger va sur ses 24 ans. Moi sur mes 18. Quelle soirée inoubliable ! Et à l’époque, je lisais déjà Rock&Folk. Michel Xhardé … et contradiction Si Greta Van Fleet s’inspirait d’un groupe de nazes, je comprendrais le coup de gueule de ce cher Vianney. Mais là, il s’agit de Led Zeppelin, allô quoi ? Eric F. Révélation ! Je tiens à vous informer que vous avez parmi vos collaborateurs un fâcheux individu qui s’exprime en formulant des phrases aussi boursouflées que : “Un chanteur qui braille comme un pasteur dément, en plein crise d’ébriété” ou encore “Un disque aussi aseptisé qu’une baignoire d’eau de javel”. Par pure charité chrétienne, j’éviterai de faire écho aux mauvaises langues qui prétendent que le gars est un brin égocentré et qu’il trimballe un colossal complexe de supériorité qui, je le sais, provoque chez certains de vos lecteurs des crises d’urticaire. Malgré cela, à mon grand désarroi, je dois convenir qu’il me faut désormais ma dose mensuelle de ses chroniques, surfant entre singularité, ironie et pointe de vitriol. Il m’arrive même de penser, ne le dites à personne, qu’on a de la chance, le bonhomme n’est ni anglais ni américain, non, c’est un beau spécimen, bien de chez nous... Nicolas Ungemuth est français... Ouf ! Méfisto Age d’or perdu Je me demande si ce n’est pas le bon moment d’opérer une mise à jour à la grande question existentielle. Pourquoi continuer à opposer deux groupes, alors que le débat est clos, l’histoire a consacré un célèbre quatuor, sans faire appel à la photo-finish. Une modification de l’interrogation originelle aurait au moins l’avantage de coller à l’actualité. Je verrais bien un truc stylé du genre “Les Rolling Stones, plus grand groupe de rock du monde ou... antiquité vintage ?”. Je le concède, la formule est un peu vacharde, mais pertinente, même si elle vient titiller frontalement votre côté soupe au lait sur ce sujet. Mais c’est aussi ça être rock, admettre, sans risquer les feux de l’enfer, que ce ne sont pas les sauts de cabri de Mick Jagger ou les solos rhumatisants de Keith Richards que le grand public veut retrouver, mais la magie et la flamboyance d’un âge d’or que l’on sait révolu... Bon, moi, ce que j’en dis... Ringa Storr Et quoi d’autre ? Salut R&F, jolie photo de Jane B en couverture du numéro 673, mais ne le sont-elles pas toutes ? En revanche, anglaise et de sexe féminin, t’es sûr ? Là, c’est trop. Sans parler du nez aquilin qui ne l’est pas. La photo plus le titre Sweet Jane, c’était plus classe et moins casse-gueule. Trop bavard... Didier Richy Réponse : Le titre Sweet Jane est de Rock&Folk, le reste de… Serge Gainsbourg. Evidence Nancy Sinatra et Lee Hazlewood ont enregistré un titre à Paris ? Quand j’écoute “I’Ve Never Had A Good Time... In Paris” de Galen et Paul, je me dis “oui”. Et c’est agréable dans ce monde de brutes. Jean-François Millet Pas convaincu 26 novembre 2002. La Maroquinerie, Paris. Un furieux guitariste chauve complètement speed arrive en bondissant sur la minuscule scène de la Maroquinerie, faisant cracher le feu à sa Fender ! C’était le grand Wilko Johnson, pourfendeur de riffs, celui-là même qui a repoussé sa fin biologique pourtant annoncée par un monstrueux bras d’honneur à la maladie en entamant une tournée de concerts interminable ! Chapeau. 11 juin 2023, même salle. Galen Ayers et Paul Simonon s’essayent sans violence à un tour de chant doucereux, formant un couple surprenant mêlant filet de voix discret pour la dame et chansons vintage avec guitare pour le monsieur. Lui, ancien bad boy qui faisait trembler Londres avec sa basse et ses potes retentissants et superbes ; elle, belle accompagnatrice vocale semblant sortir d’un film tourné aux studios Cinecittà ! Un peu léger quand même, ce nouveau couple glamour annoncé prometteur, et les vidéos sur YouTube ne m’ont pas davantage convaincu. J’avais pourtant été harponné par votre couverture alléchante : “C’est ce que mon père a fait, c’est ce que le Clash a fait” !? Mais après tout, tout artiste a débuté un jour, et le temps me fera peut-être mentir… Bill La vérité Enfin, il fallait que quelqu’un le dise, après tant d’éloges. Un homme au goût sûr se dresse et dévoile à la face du monde (enfin de la France, ça suffira) la vérité. Celle qui m’avait sauté aux yeux et surtout aux oreilles. Dans sa rubrique, Bertrand Burgalat dit tout le mal que j’ai toujours pensé au sujet de Bobby Gillespie. C’était tellement évident pour qui a un peu de feuille. PPARIS Ecrivez à Rock&Folk, 12 rue Mozart, 92587 Clichy cedex ou par courriel à rock&folk@ editions-lariviere.com Chaque publié reçoit un CD OCTOBRE 2023 R&F 007 008 R&F OCTOBRE 2023 MICHAEL ANTHONY L’ex-bassiste de Van Halen a cédé sa spacieuse propriété de Glendora en Californie pour 1,3 million de dollars. ALLAH-LAS Après quatre années de silence, le cinquième opus du quatuor garage rock californien “Zuma 85”, renfermant treize morceaux et précédé des simples “The Stuff” et du morceau éponyme sera commercialisé le 13 octobre. ARCHIVE La confrérie londonienne menée par Darius Keeler proposera, uniquement en digital, son nouvel et douzième album “Call To Arms & Angels” en version Deluxe le 6 octobre. Elle le défendra sur plusieurs dates à travers l’Hexagone en octobre et novembre, et finira sa tournée le 24 à l’Accor Arena à Paris. HUGUES AUFRAY Le chanteur âgé de 94 ans a convolé en justes noces le 2 septembre dernier à l’église Saint-Vigor de Marly-le-Roi. BEATLES Après le départ de sa copine, et pour “éviter de sombrer dans l’alcool”, Jack Marriott s’est investi d’une mission :parcourir le monde (23 pays visités) durant deux ans à la quête des monuments consacrés aux Fab Four. “Beatles Blackouts : Voyages Autour Du Monde A La Recherche Des Monuments Des Beatles” compile ses découvertes du Brésil au Pérou en passant par le Japon, le Kazakhstan… En librairie le 26 septembre. BURNING MAN Totalement embourbé, le festival situé à Black Rock City, en plein désert du Nevada, a été contraint de s’interrompre. On déplore un décès, et de nombreux festivaliers sont restés plusieurs jours durant ensevelis sur place dans des conditions apocalyptiques. NICK CAVE “Foi, Espérance Et Carnage”, réflexion profonde sur divers sujets, est écrit à quatre mains par l’Australien et le journaliste Sean O’Hagan (“The Guardian”). L’ouvrage, de 347 pages tirées de plus de quarante heures d’entretien, est à lire depuis le 14 septembre. CROC’ THE ROCK Pour sa douzième édition, le festival lausannois d’Etagnières aura lieu du 26 au 28 octobre et accueillera la fine fleur de la scène rock actuelle avec Shame, Life, Ditz, Annie Taylor, Underground Youth, The Jackets… DARTS Pour clôturer sa tournée mondiale Snake Oil Tour 2023, le quatuor féminin punk rock originaire de Phoenix, Arizona, jouera son troisième album au Point Ephémère (Paris) le 24 septembre. DOORS Condensé de la discographie du groupe de Venice, “The Doors”, au format vinyle, est l’œuvre de Gilles Scheps et Serge Kaganski, et sera en librairie le 28 septembre. De son côté, le label Rhino/ Warner vient de sortir “Live At The Matrix 1967: The Original Masters”. DURAN DURAN Des Rolling Stones aux Specials en passant par Siouxsie And The Banshees. “Danse Macabre” du quatuor britannique renfermera sept inédits et six reprises. Précédé du vrombissant single éponyme, le seizième opus est espéré pour Halloween, le 27 octobre. BRIAN ENO Le Britannique virtuose, ex-Roxy Music, ambiancera la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) le 26 octobre prochain. JEAN FELZINE Le crooner français de Mustang assurera la soirée du 23 septembre aux Trois Baudets, aux côtés de Niki Demiller et Olivier Rocabois. FESTIVAL DE MARNE La 37ème édition aura lieu du 30 septembre au 21 octobre à travers le département du 94. Au programme, Tagada Jones, Arthur H, Jeanne Added, Bertrand Belin... MARIE FRANCE Ecrit par Jacques Duvall et composé et réalisé par Leonard Lasry, le nouvel album “La Nuit Qui Vient Sera Belle”, comprenant douze morceaux de l’égérie des nuits parisiennes, sera dans les bacs le 20 octobre. GREEN DAY Une édition Deluxe “Dookie – 30th Anniversary Deluxe Edition” célébrera les trente ans du classique pop punk “Dookie” du trio originaire de Berkeley. Au programme, démos inédites, extraits et concert inédit capté en juin 1994 à Barcelone, le tout sera à découvrir dès le 29 septembre. GUM Gum, projet solo de Jay Watson, membre actif de Tame Impala et Pond, vient de révéler son deuxième opus, “Saturnia”. Télégrammespar Yasmine Aoudi Allah-Las PhotoKellySahr/MikeBrya-DR Darts PhotoDR JIMI HENDRIX Janie Hendrix et John McDermott ont planché sur l’ouvrage “Jimi Hendrix, Le Livre Officiel”. Il renfermera des photos rares, des archives, notes manuscrites, paroles, ainsi que les témoignages de Paul McCartney, Kurt Cobain, Keith Richards… En rayon le 18 octobre aux Editions Glénat. JEFFREY LEE PIERCE Nick Cave, Warren Ellis, Debbie Harry, feu Mark Lanegan, Jim Jarmusch ou Lydia Lunch font partie des artistes participant au quatrième volet de la série The Jeffrey Lee Pierce Sessions Project. “The Task Has Overwhelmed Us”, hommage à l’Américain disparu en 1996, sera en vente le 29 septembre, et contiendra des standards du Gun Club, ainsi que de ses solos. KILLS Après leur parenthèse respective, la chanteuse Alison Mosshart et le guitariste Jamie Hince réactivent The Kills avec “God Games”. Produit par Paul Epworth, il est attendu le 27 octobre. M L’interprète de “Je Dis Aime” a investi le musée Grévin depuis le 11 septembre. La création grandeur nature a nécessité six mois de travail. MAGMA En amont des deux concerts Salle Pleyel à Paris, les 7 et 8 octobre, un coffret “Une Histoire de Mëkanïk – 50 Years Of Mekanïk Destruktïw Kommandöh”, en édition limitée à 2 000 exemplaires, verra le jour le 6 octobre. Il célébrera le jubilé du troisième opus “Mekanïk Destruktïw Kommandöh” du combo emmené par Christian Vander. NEBULA En parallèle de la sortie en vinyle de son album culte “To The Center”, le trio californien, comptant deux ex-Fu Manchu, adepte de stoner rock psyché reprend du service avec “Livewired In Europe”. En vinyle, CD ou digital dès le 27 octobre. MICHEL POLNAREFF Raechel Leigh Carter, autrice et chanteuse (Baby Birkin, Piano Magic) a joint ses forces à celles de Jean-Emmanuel Deluxe, auteur, critique, patron du label Martyrs Of Pop, pour donner vie à “Michel Polnareff : Polnaroïd”, retour détaillé sur sa vie et son œuvre. Préfacé par Bertrand Burgalat, il sera à potasser dès le 12 octobre. ROLLING STONES Précédé du simple “Angry”, “Hackney Diamonds”, vingtquatrième disque tant attendu des rockers, est produit par Andrew Watt. Steve Jordan est en lieu et place de Charlie Watts. Le disque a été annoncé par le trio survivant lors d’une conférence de presse à Londres pour le 20 octobre prochain. RYUICHI SAKAMOTO Paru en 1984 au Japon sur son label School, “Ongaku Zukan” bénéficiera d’une réédition et contiendra la version originale japonaise et ses deux éditions (la normale avec LP plus un 45 tours deux titres, et l’édition limitée avec maxi trois titres). A découvrir le 29 septembre. SLOWDIVE Les shoegazers anglais reviennent, après six longues années, avec le successeur de leur quatrième album “Slowdive”. “Everything Is Alive” est déjà dans les bacs. OCTOBRE 2023 R&F 009 RACHID TAHA De Carte de Séjour à sa carrière solo en passant par ses diverses collaborations, le lourd coffret “Cétoului” réunit l’œuvre complète de l’artiste disparu il y a cinq ans. TRICKY “Maxinquaye”, premier solo paru en 1995 du Britannique Adrian Nicholas Matthews Thaws à la ville, fera l’objet d’une réédition remasterisée le 13 octobre prochain. VAN HALEN Le coffret “The Collection II” regroupera quatre disques studio remasterisés de la période allant de 1989 à 2004 du combo. Il sera en rayon le 6 octobre en version 5 LP ou 5 CD. WARLOCKS Le très personnel et douloureux “In Between Sad”, pamphlet sur la perte d’un proche, a été écrit à la suite du décès du frère du leader Bobby Hecksher. Les huit morceaux sont déjà à écouter. Condoléances Clarence Avant The Godfather (producteur américain, Motown...), Jimmy Buffett (chanteur et guitariste américain de country, rock et pop), John Gosling (pianiste et organiste britannique, Kinks), Lee Halliday (chanteur et danseur américain, premier agent artistique de Johnny Hallyday), Steve Harwell (chanteur américain de rock, Smash Mouth), Ray Jacobs ‘August 08’ (chanteur et producteur américain), David LaFlamme (violoniste américain de classique et de rock, Jerry Garcia, Janis Joplin), Magoo (rappeur américain, Timbaland), Bernie Mardsen (musicien britannique de rock et de blues, Wild Turkey, Paice, Ashton & Lord, Whitesnake), Roland Nurbel (guitariste et chanteur français, Doc Lebrun, Vulcanos), Jamie Reid (artiste graphiste britannique, Sex Pistols), Robbie Robertson, Sixto Rodriguez, Jack Sonni (guitariste américain, Dire Straits), Corinne Stenneler (attachée de presse française, FCom, Naïve), Gary Wright (chanteur et claviériste britannique de hard rock, Spooky Tooth), Sakevi Yokoyama (chanteur japonais de punk hardcore, Gism), Gary Young (batteur, auteur-compositeurinterprète américain, Pavement).Kills PhotoMylesHendrik-DR AVEC JACK WHITE ET L’AUTRE BEN (BLACKWELL), BEN SWANK EST LE TROISIÈME HOMME DE THIRD MAN RECORDS, LABEL AU CODE COULEUR JAUNE (PANTONE 109C) ET NOIR QUI A RELANCÉ L’INTÉRÊT POUR LE VINYLE EN TANT QU’OBJET DU DÉSIR, BEAU DEHORS ET BON DEDANS. C’est aussi l’ancien batteur des sous-estimés Soledad Brothers, trio de rock garage qui, plus de quinze ans après sa séparation mériterait bien un programme de rééditions. Et s’il baigne dans la musique, décrit avec l’œil qui frise son équipement d’audiophile et est dans son élément lorsqu’on le lâche dans les rayonnages des Balades Sonores avant la séance photo (“Où sont les Dutronc classiques ? Oh, pas grave, il y a Nino Ferrer !”), il n’a rien d’un fétichiste à qui les vapeurs de vinyle auraient annihilé la zone du bon sens. “Je ne comprends pas cette obsession de la réédition de certains disques. Combien de fois est-il nécessaire de ressortir ‘Rumours’ de Fleetwood Mac ? Il y en a des milliers d’exemplaires en occasion qui ne coûtent rien…” Skaters ROCK&FOLK : Premier disque acheté. Ben Swank : J’ai acheté deux 45 tours le même jour dans un grand magasin de Maumee, ma ville dans l’Ohio : “Modern Love” de David Bowie et Quiet Riot reprenant Slade. A cet âge-là, je n’avais jamais entendu parler de Slade et j’ignorais qui était Bowie, mais j’aimais ces chansons parce qu’elles devaient passer sur MTV. Ma famille ne s’intéressait pas à la musique. Il n’y avait que des disques de Barry Manilow à la maison, et je garde un faible pour lui d’ailleurs. Je n’écoutais pas beaucoup la radio hors de la voiture, jusqu’à treize ans où je me suis intéressé au rock classique, ma porte d’entrée vers le punk. J’étais le plus jeune de la famille. Je suis adopté, mon grand frère aussi. Comme il n’avait pas d’intérêt particulier pour la musique, j’ai fait mes découvertes seul avec mes amis. R&F : Après ces disques, vous plongez dans la discographie de ces artistes-là ? Ben Swank : Non, j’ai continué à acheter des choses qui m’attiraient. Mon premier album, c’est “Purple Rain” de Prince. C’est ce que je voyais sur MTV, j’aurais aussi bien pu acheter un disque de Billy Joel, mes goûts n’étaient pas très raffinés. R&F : Et quand les goûts s’affinentils ? Ben Swank : Au lycée, j’avais un ami plus âgé à fond dans la musique underground. J’ai grandi avec des skaters à l’époque où ils écoutaient du punk. Quelqu’un m’a donné une cassette où était copié “Daydream Nation” de Sonic Youth et ça m’a transformé. Après ça, terminé Billy Joel ! Je n’avais rien entendudesemblable,çam’étaitétranger Il est rare que le sujet de cette rubrique n’ait aucune actualité brûlante. Mais qui a besoin d’actualité quand on travaille au quotidien pour le label Third Man qui, en 2009, lorsque l’industrie du disque était moribonde, a débarqué avec ce slogan : “Votre platine n’est pas morte” ? Ben Swank Recueilli par Isabelle Chelley - Photos william Beaucardet 010 R&F OCTOBRE 2023 Mes disques à moi “Ma porte d’entrée vers le punk” OCTOBRE 2023 R&F 011 012 R&F OCTOBRE 2023 et pourtant il y avait du rock’n’roll dedans. Je me suis mis à fond dans Galaxie 500, Spacemen 3 et aussi tout ce qui était populaire à l’époque. Un peu de shoegaze, les trucs alternatifs les plus bizarres. J’aimais The Jesus And Mary Chain, tout ce larsen, ce bruit. J’ai monté un groupe avec des copains. On était atroce. Personne ne jouait d’un instrument, on s’est dit qu’on allait faire ça ensemble. Quelqu’un a dit qu’on sonnait comme les Stooges, dont on n’avait jamais entendu parler. Je me suis mis à les écouter, ça m’a orienté vers plus de punk. J’avais 16-17 ans, mes parents étaient croyants, j’ai décidé de plus m’affirmer. Les Stooges ont compté pour moi. R&F : Dans un podcast, vous citez un concert marquant de Laughing Hyenas. Ben Swank : Oui, au même âge. J’ai débarqué en T-shirt Batman de nerd et, une fois encore, je n’avais jamais rien vu de semblable. C’est heavy, super agressif, très groovy, dans l’esprit de Birthday Party, que je ne connaissais pas encore. Ça se passait chez B-Bop, le seul bon disquaire de Toledo. Ça m’a retourné la tête, c’était effrayant et incroyable, un peu violent aussi. Ce groupe est devenu mon obsession. Je me suis passionné pour les Butthole Surfers, Scratch Acid et Jesus Lizard qu’on suivait dans le Midwest comme certains font avec le Grateful Dead. Je viens d’une petite ville et j’allais à Detroit, à 45 minutes de là, pour voir des concerts. Quand j’ai fini par m’y installer, je me suis dit que j’avais trouvé les miens. Au fil du temps, j’ai joué dans un meilleur groupe. Et le plus fou, c’est que les Hyenas nous ont demandé de faire leur première partie plusieurs fois, on était des genres de Rolling Stones punk, mais au moment où ça marchait pour nous, les deux gars principaux sont partis. On venait de nous proposer la première partie du Blues Explosion qu’on adorait, on allait décrocher un contrat, et tout s’estarrêté.C’estlemomentoùjemesuis intéressé au blues et à cette période où SunRecordsetKingRecordssontpassés du hillbilly au rockabilly. Mon groupe d’après, les Soledad Brothers, était ancré dans cette histoire. R&F : Les disques qui vous ont le plus marqué ? Ben Swank : J’ai été vraiment obsédé par “Exile On Main Street”, “Liar” de Jesus Lizard et “Gluey Porch Treatments” des Melvins. Et Sonic Youth, j’aime tout, même si “Daydream Nation” reste mon favori. Je ne suis pas collectionneur, je n’achète que ce que je veux écouter. Mais dans le cas de Sonic Youth, je veux toujours l’album original. Quand j’ai découvert ESP Records, je me suis passionné pour Pharoah Sanders, “Thembi”, c’est le premier que j’ai eu. Et “Kick Out The Jams” du MC5 a fait résonner quelque chose de très profond en moi. “Everybody Knows This Is Nowhere” de Neil Young m’a marqué aussi. R&F : Et vos disquaires favoris de tous les temps ? Ben Swank : B-Bop à Toledo, puis quand j’ai déménagé à Detroit, mon préféré est devenu Car City. Et à Londres, j’allais souvent chez Intoxica, il y avait des disques d’exotica, de Billy Childish, des 45 tours de r’n’b rares. R&F : Qu’est-ce qui vous a poussé à monter un groupe ? Ben Swank : Comment ai-je pu oublier de citer “My Generation” des Who ? Quand j’ai découvert Keith Moon, j’ai voulu l’imiter. Même chose avec le PhotoFabriceDemessence OCTOBRE 2023 R&F 013 Velvet Underground. Je suis peut-être bizarre, mais j’ai essayé de trouver un équilibre entre ces deux styles qui n’ont pas l’air d’aller ensemble. J’aime un jeu de batterie très direct qui explose, et c’est ce que je voulais faire. J’avais un ami très proche depuis l’âge de six ans, Jimmy Danger, enfin, c’est son nom punk. C’est lui qui a dit : “On monte un groupe”. J’ai récupéré la batterie de mon oncle, je cognais comme un fou dessus, j’ai fracassé des cymbales et des baguettes à tout va. Je suis un batteur agressif, et si j’ai gravité vers la batterie, c’est grâce à Keith Moon et Moe Tucker. On m’a souvent comparé à Animal des Muppets, j’ai tendance à être voûté avec les bras qui partent dans tous les sens. Ambient americana R&F : Vos disques les plus étonnants ? Ben Swank : Je dirais Jandek, un guitariste ermite, anonyme, qui presse lui-même ses disques. Et Little Howlin Wolf, super étrange et original, ce n’est pas vraiment du blues, il enregistre tout lui-même, son chant est curieux, enfin, comme on l’imagine de la part d’un Polonais se faisant appeler Little Howlin Wolf. R&F : Le fait de travailler dans un label change-t-il la façon dont on écoute la musique ? Ben Swank : Non. Je ne travaille qu’avec des groupes que j’aime. Il m’arrivedetrouverhorribleuntrucquetoutlemondeapprécieaubureau. J’essaie d’avoir l’esprit plus ouvert. Je me dis aussi que j’ai cinquante ans et qu’il est temps de passer le flambeau. Pour un mec de mon âge, je ne suis pas trop largué, mais au lieu d’ajuster mes goûts pour vendre des disques, je préfère faire confiance aux plus jeunes et continuer de faire ce que je fais. Tous les disques que j’ai sortis ne sont pas des succès, mais on rentre dans nos frais. Depuis le Covid, je me concentre sur des disques ambient. On a surnommé ça ambient americana. J’ai été instrumental dans l’émergence de ce courant, en m’occupant d’artistes comme William Tyler qui s’est fait un nom dans ce style et en sortant des disques de Luke Schneider ou Rich Ruth. C’est de la musique acoustique simple, avec de la pedal steel sublime. R&F : Vous avez cité “Exile…” plus haut. Vous avez évidemment la version de Pussy Galore ? Ben Swank : Oui.C’estPussyGalorequim’afaitdécouvrirRoyal Trux. Je reste un grand fan de Jon Spencer, j’adore ce qu’il fait avec les Hitmakers. Ils sont venus chez Third Man. J’ai l’impression qu’il s’éclate toujours, c’est ce que j’aime chez lui, il en a pris pour perpétuité, il ne s’arrêtera jamais. C’est grâce à lui que j’ai découvert la soul plus obscure. Il avait fait une reprise d’Otis Redding et un de mes amis a acheté un coffret de neuf disques du catalogue Stax. Ça a été mon point d’entrée dans la soul. R&F : Vos héros ? Ben Swank : Link Wray. Et Les Rallizes Dénudés, c’est resté très obscur pendant longtemps. Il y a beaucoup d’histoires complètement folles associées à eux. Leur bassiste était un terroriste qui a détourné un avion pour l’armée rouge japonaise. C’est dur de choisir des héros, je suis sûr qu’il y en a de plus évidents. R&F : On conclut sur les concerts inoubliables chez Third Man ? Ben Swank : Mudhoney a été incroyable, ils ont joué tous leurs hits et pour le rappel, des covers punk. Et Jerry Lee Lewis. Il voulait un bassiste qui n’était pas disponible et on lui a suggéré Jack Lawrence, il est parfait, jamais une faute. Jerry Lee n’aime pas répéter, il joue, les autres suivent. Il devait jouer dehors, mais comme il faisait trop froid, il a reporté au lendemain et a fait un concert intimiste dans la Blue Room. Il y avait beaucoup de musiciens présents dans la salle, dont Kris Kristofferson, à qui j’ai dit que j’adorais son film “Convoy”, je crois qu’il m’a pris pour un fou. Tout le monde pleurait, il était encore en forme. A un moment, il a regardé Steve Cropper, désigné Jack Lawrence et dit : “He’s a killer”, son compliment ultime. Jack a été béni par le pape ! Et j’ai adoré jouer avec Gibby Haynes. Il est très cool, drôle, très terre à terre. Un véritable honneur pour moi. Je crois qu’il m’a apprécié car, pendant un moment, il m’a bombardé de SMS. Puis il a disparu du jour au lendemain. H MES DISQUES A MOI Ben Swank “ ‘Kick Out The Jams’ du MC5 a fait résonner quelque chose de très profond en moi”
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