GAZOLINE n°336 - Page 1 - 336 SOMMAIRE Gazoline n° 336 nITINÉRAIRE BIS Le Puy-de-Dôme : cap sur une terre de feu millénaire..........56 nMUSÉE DU MONDE Musée de la 2 CV [France] : laDeuchedanstoussesétats.. 64 nRESTAURATION Renault Juvaquatre AHG 2 1951 [12] : démontage de la caisse [4]... 68 Moteur-boîte Citroën 3 n GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 VOLUME 31 - NUMÉRO 336 Espace Clichy, Immeuble Agena, 12 rue Mozart - 92587 Clichy Cedex T. : 01 41 40 32 32 Président du conseil de surveillance Patrick Casasnovas Présidente du directoire Sophie Casasnovas Directeur général Frédéric de Watrigant Pour joindre votre correspondant, composez le 01 41 40 suivi du numéro de poste qui suit son nom. RÉDACTION Rédacteur en chef Stéphane Guitard (33 52) Conseiller technique Philippe Sauvat Secrétaire de rédaction Céline Mangin Maquette Bruno Chaffard Ont collaboré à ce numéro : HuguesChaussin,RodolpheGoupil, StéphaneGuillou,Jean-LouisLoubet, FrançoisRousseletMarcoVisani Petites annonces Cadrat1 27 rue Jacqueline Despeyroux, 33470 Le Teich / T. 06 64 39 04 31 PUBLICITÉ Darius Média 7 rue Saint-Eloi, 49300 Cholet Directeur de publicité Morgan Fonteneau morgan@dariusmedia.fr PROMOTION-ABONNEMENTS Directeur des abonnements : Nicolas Guidarini (34 47) Chef de produit abonnement Kahina Houist (01 47 56 54 43) Accueil clients abonnements et vente par correspondance T. 03.44.62.43.73 email : abo.lariviere@ediis.fr Correspondance : 45 avenue du Général-Leclerc, 60643 Chantilly Cedex. Tarifs d’abonnement France : 1 an, 12 numéros + 1 hors-série version papier + digital offert = 62 euros. En prélèvement = 5,16 euros par mois. Autres pays et par avion, nous consulter : T.(33) 03 44 62 43 73. Distribution MLP Ventes au numéro (réservé aux dépositaires et aux diffuseurs de presse) : Directrice des ventes Emmanuelle Gay (34 99) Pour les diffuseurs belges Tondeur Diffusion 9 av. Van Kalken, 1070 Bruxelles T. 02.555 02 21 / press@tondeur.be Gazoline est une publication des Editions Larivière S.A.S. au capital de 3 200 000 euros Dépôt légal : à parution Commission paritaire : 0426 K 86469 ISSN 1262-4357 CCP 115915-A PARIS RCS Nanterre B 572 071 884 12 rue Mozart 92587 CLICHY CEDEX T. : 01 41 40 32 32 - Fax : 01 41 40 32 50 Directeur de la publication Patrick Casasnovas Imprimerie Roto France Impression SAS 25ruedelaMaisonRouge,77185Lognes. Papier issu de forêts gérées durablement / Origine du papier : Allemagne / Taux de fibres recyclées : 100 % / Certification : PEFC / EU ECO LABEL / Eutrophisation : 0,004 kg/tonne La rédaction n’est pas responsable de la perte ou de la détérioration des textes ou photos qui lui sont adressés pour appréciation. La reproduction, même partielle, de tout ou partie du matériel publié dans le magazine est interdite. Créditsphotoscouvertureetsommaire:Hugues Chaussin,Marcovisani,IsolaPress,RodolpheGoupil, ArchivesGazoline,VolvoCarCorporation,Constructeurs etWikimediaCommons. p. 12 RENAULT 3 BULLETINS D’ABONNEMENT EST EN PAGES 85 ET 99 p. 20 p. 28 p. 48 ESSAIS Traction 11 [14] : démontage du moteur [2].....76 Peugeot Q3A 1949 [1] :joli projetassociatif........................86 nFICHE PRATIQUE 263. Remplacer une capote de Citroën 2 CV..........................93 nAGENDA A partir du 21 juin ..............100 Courrier des lecteurs..............4 Gazo en voyage .......................8 nACTUALITÉS Lundi 22 juillet 1963 : la liberté de réussir ..............10 nREDÉCOUVERTE Renault 3 : l’anti-Deuche...12 Ford Mustang 289 ci Hardtop Coupé 1966 : le bon cheval .........................28 nHORS-SÉRIE Fiat 124 C4 : voyage apostolique............................20 nCOUPS DE CŒUR 5 berlines de caractère des 70’s.................................. 36 Alfa Romeo 2000 Berlina : Giulia sous stéroïdes.............38 BMW 528 : les “Merco” dans le viseur....40 Citroën CX 2400 GTi : elle en a enfin sous le capot....42 Peugeot 504 Ti : du sport sans ostentation.... 44 Renault 16 TX : la maturité lui va bien......... 46 nSAGA Les usines Volvo : de la Suède au monde entier........ 48 MAGAZINE nPETITES ANNONCES Annonces classées ..............106 Carnet d’adresses................110 nMINIATURES Les nouveautés du mois............................... 126 nRÉTROSPECTIVE RétroGazo........................... 130 p. 36 FIAT 124 C4 FORD MUSTANG 289 ci HARDTOP COUPÉ LES USINES VOLVO berlines DE CARACTÈRE DES 70’s 5 ALFA ROMEO 2000 BERLINA BMW 528 CITROËN CX 2400 GTI RENAULT 16 TX PEUGEOT 504 TI 4 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 LE DESSIN DU MOIS par François Roussel COURRIER des lecteurs SUR VOTRE ALBUM our le commun des mortels, c'est une Renault 4. Et pourtant, la vraie première rivale de la célébrissime 2 CV, ce devait être elle : la Renault 3, une version au moteur dégonflé proposée moins chère. Raté ! Totalement délaissée par la clientèle, elle sera abandonnée et presque totalement oubliée. P Pour nous écrire ou nous envoyer vos photos, deux solutions : - Par mail à : gazoline@editions-lariviere.com - Par courrier à : Gazoline, Immeuble Sirius, 9 allée Jean Prouvé, 92587 Clichy Cedex. NOM DE CODE R1121 Lecteur de Gazoline depuis des années, je suis de près les recherches sur les anciennes atypiques au destin singulier ou disparues. Et pour cause, mon père, Serge Fabbrini, agent Citroën à Cagnes-sur-Mer, a été hanté jusqu’à la fin de ses jours, en 2011, par une auto dont il s’était séparé 56 ans auparavant. Une véhicule unique puisque, doté de mains en or, il l’avait profondément remanié. Quelle était cette auto ? Au départ, une Traction faux cabriolet d’avant-guerre d’avant février 1939, mon père m’ayant précisé qu’elle était équipée d’un moteur 11 non Perfo. Grâce à l’aide que des passionnés m’ont apportée tout récemment, je peux désormais situer sa date de naissance entre 1936 et 1937 ; il s’agit donc d’une 11 AL faux cabriolet. Sur les photos prises entre 1952 et 1954 dans les Alpes-Maritimes, la métamorphose est bien visible : la calandre chromée qu’il avait réalisée, le capot à ouverture “crocodile” en une seule pièce, le pare-brise double... Sur une vue latérale, on distingue une curieuse seconde vitre arrière. La capote était aussi de sa fabrication. Initialement noire, elle avait été repeinte en gris clair peu avant sa vente. Il l’avait surnomCes pages sont les vôtres UNE BOUTEILLE À LA MER mée “Aglaë”. Aglaë a quitté Cagnes-sur-Mer le 12 septembre 1955, avec à son volant Monsieur André Leblond, employé des chemins de fer* qui l’a ramenée chez lui, à Lunéville en Meurthe-et-Moselle. Depuis – et malgré mes nombreuses recherches –, nous avons perdu sa trace. Peu de chances qu'elle existe encore, mais sait-on jamais : si cette auto et son histoire parlent à quelqu’un... * D’après mes lectures sur Internet, André Leblond serait par la suite devenu secrétaire général du syndicat CGT des cheminots de Lunéville. S’étant remarié en 1959 avec une Grenobloise, il est possible quue la petite Aglaë ait suivi le mouvement. Hubert Fabbrini, internaute La nouvelle calandre est très réussie et modernise beaucoup l’avant de l’auto. Si un lecteur peut venir en aide à Hubert, merci d’écrire à la rédaction, qui transmettra : gazoline@editions-lariviere.com 6 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 COURRIER des lecteurs QUESTION/RÉPONSE SUR VOTRE ALBUM SUR VOTRE ALBUM Il y a quelques mois, vous aviez publié un courrier concernant le fait qu'il n'était pas nécessaire d'assurer une voiture si la batterie était démontée et/ou si elle était sur chandelles, donc dans l'impossibilité qu'elle soit "automobile" de “auto” soi-même et “mobilis” se mouvoir ! Et donc, que de mobilis, elle devienne immobilis (c'est une réplique de Pierre Richard dans un film). Si jamais vous pouviez me renseigner sur le sujet ou, tout du moins, si vous aviez un texte de loi s’y référant... Boris Anghel, 03220 Saint-Léon Faute d’un homme de loi sous la main, nous avons posé la question à Thierry de Franceschi, fondateur de Mascotte Assurances, qui nous connaît suffisamment pour nous répondre sans langue de bois. « Ce qu’il faut retenir principalement, c’est que selon l’article L.211-1 du Code des assurances, tout véhicule terrestre à moteur doit être assuré en responsabilité civile dès lors qu’il est en état de circuler, même s’il est stationné de manière permanente. La Cour de justice de l’Union européenne a d’ailleurs renforcé cette obligation dans plusieurs arrêts récents : le simple fait de détenir un véhicule implique de l’assurer, sauf s’il est retiré définitivement de la circulation (par exemple : véhicule désimmatriculé, hors d’usage ou entreposé sans moteur ni batterie). Reste cependant un cas bien particulier : celui d’un incendie. Et là, il y a deux possibilités : - Si l’incendie provient de l’habitation (par exemple, un court-circuit dans le tableau électrique, une cheminée défectueuse, etc.), c’est l’assurance habitation qui interviendra pour indemniser les dommages au logement, mais également au véhicule, même s’il est dans un garage ou un box privé appartenant à l’assuré. Le véhicule sera indemnisé au titre de la responsabilité civile de l’assurance habitation, mais toujours à condition qu’il ne soit pas en état de circuler (attention, cela pourra vouloir dire que tous les fluides – huiles, essence… – ont été vidangés, renseignezvous). S’il est en état de marche, l’assureur habitation peut refuser d’indemniser, considérant que le véhicule devait être assuré individuellement en tant que véhicule terrestre à moteur. - Si l’incendie provient du véhicule (par exemple, un court-circuit dans le faisceau électrique ou une fuite de carburant) et que celui-ci n’est pas assuré, aucun assureur n’indemnisera les dommages, ni pour la maison, ni pour le véhicule. L’assuré sera personnellement responsable car un véhicule terrestre à moteur non assuré, même à l’arrêt, est en infraction avec la loi. L’assurance habitation exclut généralement les dommages causés par un véhicule terrestre à moteur, sauf clause particulière. D’où l’intérêt d’assurer un véhicule non roulant en responsabilité civile en ou hors circulation pour s’éviter pareille déconvenue. On trouve des contrats à partir de 17 euros par an, hors frais de courtage. » Voici une idée de rangement pour notre magazine préféré. Ça change des étagères, des cartons et même des cabines téléphoniques ! Jean-Michel Leroux 60650 Ons-en-Bray ASSURER OU PAS COUP DE POMPE UN PEU DE POÉSIE Une fois n’est pas coutume, voici un échantillon de poésie assez approximative, mais super motorisée. Ça s'appelle La Ballade du fondu de populaires... Le manuscrit, signé Emile Borne l'Increvable, a été retrouvé par hasard au fond d'un tiroir d'établi par un mécano qui cherchait une clé à bougies. On ne sait rien d'autre sur l'auteur, que ce qui transparaît dans son chef-d'œuvre... Collectionneur givré comme un carbu, avide de tout ce qui roule au passé, kéké sentimental qui n'a jamais grandi bien loin de ses Dinky Toys et de ses Norev ? Bref, notre semblable et notre frère. Philippe Galy, internaute « Quand je promèn' ma 4 CV, C'est comme si on avait des ailes ! Quand je pilot' ma R4L, Ça roul' quand mêm' mieux qu'à vélo... Ah quel bonheur ! Ah c'est la fête De fair’ la cour à mes starlettes ! Quand j’kick(e) ma Norton Commando, Ça fait des prouts, ça fait des flammes, Ça vous guérit du vague-à-l’âme Mais ça vous rend sourd comme un pot ! Ah quel bonheur ! Ah c’est la fête De fair’ péter mes pétrolettes ! Les mecs, quand je boug(e) ma Traction Garez vos fess(e)s et vos arpions ! Pour tchallènger ma 203, Y a plus personn' : le Roi, c'est moi ! (Ma pov' gazelle, ma Coccinelle, Pardon d'avoir froissé tes ailes... Prends vit' deux cachets d'aspirine, Surtout dis rien à Gazoline...) … mais c’est d’la bombe, oui, c'est la fête, De s'la péter en Estafette ! Quand j'fais vrombir mon char Sherman, Dans un brouillard trash et crado, J'évit' d'écorner les platanes, D’écrabouiller les p’tits vélos. Le top, c'est quand j'sors mon Berliet : Ça bouscul', ça pue, c'est parfait ! Faut pas traîner sur le goudron, Les escargots, d'vant mes camions ! Quel festival, quel trip Unic, Quand j’fais rouler mes mécaniques ! Ah quel bonheur ! quel super fun, De faire fumer mes 35 tonnes ! Un jour, une manif d'écolos M'a crié : « Papi, trop c'est trop ! Arrêt' de polluer la planète A fair' tourner des Mobylettes... Et puis d'abord, t'es pas Fangio ; Respecte un peu tes vieux tacots... » Alors j'ai repris mon vélo, Moitié péteux, moitié vénère... Au nom du climat, du bon air, De mes trésors patrimoniaux, J'ai remisé mes populaires, Mes panzers, Mes bazars de guerre, Mes mastodontes et mes motos… Sans bruit, j’ai éteint la lumière. Dormez en paix, mes chèr(e)s autos... ... Mais je l'avoue, Nom d'un tonnerre ! Au fond du hangar solitaire, J'ai pleuré sur ma 4 CV. » 8 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 COURRIER des lecteurs A Faro, j’ai rencontré cette Mercedes rutilante. Daniel Honoré, 84800 Fontaine-de-Vaucluse J uste devant l’entrée du plus grand temple des Indes du Sud, à Trichy, est stationnée une Hindustan Ambassador. Voiture classique ici, elle attend tranquillement son propriétaire en regardant un DVD… Frédéric Garret, 94240 L’Hay-les-Roses T oujours avec Gazo et à l’affût, j’ai fait une très belle rencontre avec cette Renault Siete encore roulante sur cette île magnifique. Sophie et Sébastien Bassuel, 31220 Cazères C ette Renault 12 TS de deuxième série toujours en service fait partie d’une flotte locale presque exclusivement de marque Toyota. L’auto est en bon état général et le volant d’origine a été remplacé par celui d’une R11. Vincent Belly, 35750 Saint-Maugan GAZO AU CAMEROUN GAZO À MAJORQUE GAZO AUX CANARIES L ors de vacances passées à Fuerteventura, j’ai croisé cette Ferrari 328 GTB stationnée dans la rue. Jean-Pierre Vrignaud, 85500 Les Herbiers GAZO ENINDE GAZO AU PORTUGAL 9 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 Merci à tous de nous faire partager vos voyages. Notez que les photos prises à l’étranger et avec une voiture ancienne sont prioritaires. Vous pouvez nous les envoyer par courrier ou par mail à : gazoline@editions-lariviere.com. N’oubliez pas d’indiquer votre adresse pour l’abonnement offert en cas de publication. UN AN D’ABONNEMENT POUR VINCENT, DANIEL, FRÉDÉRIC, JEAN-PIERRE, SOPHIE, JEAN, JEAN-JACQUES, RAPHAËL, NICOLAS, LAURENT ET PATRICE P rès du parc animalier national d’Uda Walawe, je n’ai pu résister à poser avec mon Gazoline préféré aux côtés de ce Mercedes L327 des années 60 à la cabine et au pare-brise carrossés localement et toujours en service (quoique fumant très noir !). Jean-Jacques Ledauphin, 32120 Mauvezin GAZO AU SRI LANKA D escendu avec Gazoline au café de Cassibile (entre Syracuse et Noto), j’ai bondi en voyant s’arrêter devant moi un Sicilien au volant de cette si typique Piaggio. Il ne parlait ni français, ni anglais, mais j’ai compris qu’il en avait quatre... Raphaël Hubin, 1208 Genève (Suisse) P etit souvenir de la frontière entre l’Italie et la Slovénie au cours d’un road trip avec notre Renault 17. Patrice Arone, 13630 Eyragues P etite photo avec notre fils Pierre Louis, devant l’un des nombreux camions anciens croisés dans ce pays. Nicolas Boudinet, 19140 Espartignac GAZO EN GRÈCE GAZO EN CHINE GAZO EN SICILE GAZO EN IRLANDE GAZO ENITALIE J ’ai croisé cette Citroën 2 CV6 sur la Sky Road, près de Clifden dans le Connemara. Elle était en “LHD” (Left Hand Drive) car française ! Laurent Beyls, 56370 Sarzeau S urpris dans le Péloponnèse, dans un petit village près de Kalamata, ce VW Combi pick-up est visiblement encore en activité, même s’il est un peu rouillé, et arbore sa couleur d’origine. Je lui trouve un charme fou. Jean Wolka, 59494 Aubry-du-Hainaut Lachroniquedejean-LouisLoubet UN EVENEMENT UN JOUR 10 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 Historien. Professeur des Universités. L e 22 juillet 1963, la visite surprise de Pierre Dreyfus [1] à Georges Pompidou [2] fait débat. Qui est à l’initiative d’une rencontre de 30 minutes, tenue à 19h à l’hôtel Matignon? S’agitil d’une demande d’entretien du président de la Régie Renault ou d’une convocation du Premier ministre? La question se pose après la dernière entrevue Dreyfus-Pompidou, le 4 janvier 1963. Ce jour-là, Pompidou avait sommé Dreyfus de venir s’expliquer sur l’octroi chez Renault de la quatrième semaine de congés payés. Une réunion tendue où ce dernier avait défendu avec force ses initiatives, lançant sa célèbre formule : la liberté de réussir [3]. La recontre du 22 juillet 1963 est bien différente. Le sujet est l’usinedemontagequeveutcréer la Régie. Dreyfus n’est pas là pour demander l’accord des pouvoirs publics, ce choix d’une usine étant du seul ressort de Renault. Mais il souhaite échanger avec Pompidou à propos d’un lieu d’implantation. L’engagement d’une politique nationale d’aménagement du territoire a conféré à l’Etat un rôle majeur sur les zones d’industrialisation. Sur ce point, le travail de la DATAR [4] est incontestable. Celle-ci est d’abord venue au secours des régions agricoles, très marquées par l’exode rural, incapables d’offrir des emplois aux populations entrant dans le monde du travail. Le cœur de la Bretagne et de la Normandie ont été deux des territoires les plus aidés. Mais, à l’aube des années 1960, le déclin des zones portuaires modifie la situation. Avec la régression des chantiers navals, la chute des marchés coloniaux et surtout la concurrence des ports du nord de l’Europe, ce sont des lieux comme Nantes/Saint-Nazaire, Lorient, La Rochelle, Le Havre ou Boulogne-sur-Mer qui peinent à retrouver leur souffle. Les pouvoirs publics cherchent alors à développer la côte Atlantique, se focalisant sur l’ensemble Nantes/ Saint-Nazaire. La DATAR propose à la Régie de s’y installer, dans la même logique qu’elle avait poussé Citroën à s’implanter à Rennes. Or, la délégation a des moyens de séduction (aides financières, exonérations fiscales…) et des liens très étroits avec les hauts fonctionnaires du Plan qui décident des futures autoroutes et voies de chemin de fer. De son côté, la Régie développe ses propres réflexions. Son idée première était d’agrandir Flins, la seule usine au monde à ne pas tourner en deux équipes! Mais passer de 9 000 à 14 000 personnes signifie «construire une nouvelle ville avec écoles, terrains de sport, piscines, cinémas car Renault veut éviter une ville-dortoir genre Sarcelles ; elle veut offrir à ses ouvriers une vie collective et intellectuelle [5]». Sans surprise, les pouvoirs publics mettent leur veto. Pas de développement massif en région parisienne. Ils proposent alors la province, mais pour aller où? Si Renault songe aux régions de la sidérurgie, au plus près des aciéries de l’Est et des frontières européennes, les villes imaginées ne manifestent aucun entrain. La DATAR suggère de prospecter en Bretagne. Mais cette région aime-t-elle la vie usinière? La Régie a essayé en novembre 1961 d’attirer1000Bretons,touslogés Pour sortir Renault de Boulogne-Billancourt, les ministères ont choisi Flins et Cléon, dans la logique de l’axe de la Seine à Billancourt, en foyers pour les célibataires et en HLM pour les familles. Le salaire proposé était de 700 francs mensuels, contre 400 en Bretagne ! Après deux mois d’efforts, le constructeur n’a trouvé que 200 personnes… et fait venir mille Italiens des Abruzzes! Un échec, mais pour quelle raison ? Il semble que l’attachement des Bretons à leur pays natal et à son mode de vie les a empêchés de partir à Paris. «Et il y a peut-être aussi la peur de l’usine [6]», estime le directeur du personnel. De quoi chercher une autre piste, cette fois choisie par Renault. Toujours, cette liberté de réussir. Les services de la Régie sont pragmatiques. Ses sites affichent une cohérence géographique. Pour sortir Renault de BoulogneBillancourt, les ministères ont opté pour Flins et Cléon, dans la logique de l’axe de la Seine. La continuité pourrait conduire le constructeur plus en aval, jusqu’à l’embouchure de la Seine, donc pourquoi pas au Havre. Le lieu est stratégique [7]. D’abord, si l’usine s’y installait, elle serait alimentée en pièces et éléments par Billancourt, Flins et Cléon. Ensuite, Le Havre est la porte de l’exportation. C’est de là que partent chaque jour 500 Dauphine en direction des Etats-Unis. Enfin, les intérêts de la Régie rejoindraient ceux de la DATAR qui veut redynamiser la Basse-Normandie. Les aménageurs du territoire aimeraient voir Le Havre concurrencer Rotterdam ou Anvers en s’appuyant sur le pôle industriel qui court de Rouen à l’estuaire. Celui-ci est déjà en place, et de surcroît très actif. La vraie difficulté porte sur la ville du Havre. Elle s’endort! Sa démographie stagne alors que celle de la Seine-Maritime est la plus rapide en France après la Lorraine. Ses sociétés navales se sont si bien regroupées qu’elles ont laminé leurs [1] Pierre Dreyfus (1907-1994) a été président de la Régie Renault de 1955 à 1975. [2] Georges Pompidou (1911-1974) a été Premier ministre de 1962 à 1968. [3] Pierre Dreyfus a publié, en 1977, ses souvenirs chez Renault : Pierre Dreyfus, La liberté de réussir, édition Jean-Claude Simoën, 1977, 216 p., réédité en 1981 chez Fayard. [4] Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale. [5] Maurice Bosquet, lettre à Roger Clees, 10 janvier 1963. [6] Roger Clees, note à Maurice Bosquet, 10 janvier 1963. [7] Pierre Dreyfus, lettre à Olivier Guichard, 29 mai 1963. [8] Olivier Guichard (1920-2004), LUNDI 22 JUILLET 1963:LA LIBERTÉ ACTUALITÉS dans le monde 11 n GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 effectifs. Le port n’est plus qu’un centre d’hydrocarbures, activité qui ne recrute pas. Le BTP y a perdu 6000 emplois et la métallurgie n’a plus aucun projet en vue. Comment réanimer cette ville, sinon par l’automobile? Les services des domaines et du port autonome ont déjà trouvé un terrain de 200 hectares sur la commune de Sandouville, juste à côté du site Goodyear. Alors, pourquoi ne pas lancer aussitôt le Plan Renault ? Tout simplement parce qu’Olivier Guichard [8], patron de la DATAR… et futur député de Loire-Atlantique, a annoncé l’arrivée de la Régie à Nantes. Une déclaration hâtive, probablement opportune au moment où les Forges d’Hennebont déposent le bilan dans « une atmosphère de combat [9]». La confusion est telle qu’on ne sait plus si la marque au losange vient sauver Hennebont ou installer son usine. Peut-être les deux vu les raccourcis pris par les politiques et les aménageurs. Tous semblent croire – et faire croire – en l’installation de Renault à Nantes. Un imbroglio que Dreyfus vient justement dénouer ce 22 juillet 1963 auprès d’un Premier ministre qui a sollicité la présence de l’incontournable Olivier Guichard. De sa voix douce et calme, Pierre Dreyfus va droit au but : «Monsieur le Premier ministre, nous avons le désir d’aider les pouvoirs publics sur la question de la décentralisation, mais il n’est pas question de Nantes, il ne peut être question que du Havre [10].» Georges Pompidou écoute un Pierre Dreyfus précis, qui entame un exposé, sans la moindre note. Ses services ont calculé les différences de coûts entre Flins, Le Havre et Nantes. En tenant compte des transports interusines et de la sous-traitance, de la distribution des véhicules aux réseaux, de la gestion et de l’exploitation des différents sites, le surcoût d’une installation à Nantes par rapport à Flins agrandie se monterait à 18 millions de francs par an, soit 300 francs par voiture! En s’implantant au Havre, le surcoût serait encore de 10 millions, soit 150 francs par automobile. Un chiffre qui serait supportable si l’usine du Havre construisait un modèle supérieur. «Avez-vous tenu compte des différences salariales?, interroge le Premier ministre. Les salaires en province sont très avantageux.» «Monsieur le Premier ministre, il existe deux systèmes de taux horaires à la Régie. Depuis toujours. L’un pour les usines parisiennes, l’autre pour les usines de province, comme Cléon ou Le Mans. La différence est de 3,5 %, c’est un abattement global de principe… Ce régime a toujours été appliqué et n’est pas modifiable. Ou nous allons à Nantes avec nos salaires, c’està-dire région parisienne moins 3,5 %, et là, nous risquons de provoquer des drames dans l’économie des autres industriels de la région nantaise qui sont à moins 17 %. Ce serait fâcheux pour le gouvernement. Ou la Régie s’aligne sur les salaires de la région nantaise et alors, ce sera non seulement la Régie, usine de Nantes, qui aura des difficultés, mais toutes les autres usines en amont, choses désagréables et pour les pouvoirs publics, et pour la Régie nationale [11].» Pierre Dreyfus a gagné, Renault ira bien au Havre. Mais comme il n’est pas question de désavouer le patron de la DATAR, la marque est invitée à regarder ce qu’elle pourrait faire en Bretagne [12]. Elle y installera deux filiales, l’une à Lorient, l’autre à Nantes, transférant de Billancourt une partie de ses activités de fonderie et de caoutchouc industriel [13]. Si la liberté de réussir existe bel et bien, elle se paye toutefois chèrement. n haut fonctionnaire au ministère du Plan, est en charge de la DATAR. Il deviendra député UNR de LoireAtlantique en 1967, maire de La Baule en 1971. [9] “Le comité de défense des Forges d’Hennebont prépare une action coordonnée pour empêcher la fermeture de l’usine”, Le Monde, 26 septembre 1963. DE RÉUSSIR EVÉNEMENT Illustrateur, peintre et dessinateur de bandes dessinées renommé, Jacques de Loustal a réalisé, pour la société APRR, une série de panneaux touristiques et culturels sur les autoroutes qui traversent la Savoie, la Haute-Savoie, l’Isère et la Drôme. Principale contrainte : que ces images soient immédiatement comprises par les automobilistes sans pour autant distraire leur attention. Avec talent, Loustal a su s’approprier les principaux points d’intérêt de la région donnant, grâce à son univers graphique si particulier, un charme inimitable à ces panneaux qui font indéniablement penser aux publicités touristiques des années 60. Tout l’été, une exposition, produite par le Fonds Glénat en partenariat avec le musée des Beaux-Arts de Chambéry, rassemble une quarantaine de tirages numériques de ces panneaux mythiques, mais aussi des dessins préparatoires, des planches de bandes dessinées, des carnets et des fusains. Au total, ce sont près de 130 œuvres de l’artiste qui sont mises en avant. Immanquable si passez dans la région ! Loustal, Les Alpes au fil de l’autoroute, jusqu’au 27 septembre, couvent Sainte-Cécile, 37 rue Servan 38000 Grenoble. Du lundi au samedi, 9h-12h30/14h-17h30. Infos au 04 76 88 75 75 ou sur www.couventsaintececile.com ROUTE DES VACANCES LA JEUNESSE DE GIPAR BIBLE AUTOMOBILE D ans ce 12e volume de ses aventures, Jacques Gipar nous emmène vers ces jeunes années alors que, près de l’Opéra, il aperçoit une silhouette qui lui rappelle 1944 et les sombres heures de l’Occupation. Alors livreur au journal L’Indépendant, Jacques Gipar est sous la menace d’une dénonciation. Il décide de quitter la capitale, mais alors qu’il rentre chez lui prendre des affaires, une famille juive de son immeuble est arrêtée. Malgré lui, Gipar va sauver la toute jeune Sarah qui a réussi à se cacher. A présent disponible en français, l’Officiel des classics regroupe plus de 600 marques et 15 000 modèles allant de 1910 aux youngtimers. Cet annuaire exhaustif rassemble les autos les plus courantes comme les plus confidentielles. Chaque véhicule de l’ouvrage est identifié par une vignette photo et par des informations techniques relativement complètes (type de moteur, puissance, dimensions, production…). Une cote est précisée en fonction de son état. Vous y trouverez également des bonnes adresses pour entretenir votre ancienne. Une bible indispensable aux passionnés comme aux professionnels. L’Officiel des classics, 2025, OneFaktory, 40 euros. Infos sur www.lofficieldesclassics.com ou www.compagniedelahousse.com Une longue cavale commence alors, vers le Sud et la ligne de démarcation... L’ambiance est bien entendu très différente des précédents albums, mais cette BD se dévore d’un trait tant on a envie d’en connaître le dénouement. L’Etoile filante, Jean-Luc Delvaux et Thierry Dubois, 2025, Editions Paquet, 48 p., format 240 x 320 mm, ISBN 978-2-88932408-8, album cartonné, 14,50 euros. [10] “Projet de conversation avec M. Pompidou”, Secrétariat général de la Régie Renault, 20 juin 1963. [11] Ibid. [12] Conseil d’administration de la Régie Renault, 15 octobre 1963. [13]SociétéBretonnedeFonderie etdeMécanique(SBFM)àLorientet CompagniedesProduitsIndustriels del’Ouest(CPIO)àNantes. 12 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 Pas plus énergique qu’une 4 CV, la Renault 3 se “traîne” bien comme il faut. Mais elle avance toujours plus qu’une 2 CV. REDÉCOUVERTE Renault 3 L’anti-Deuche 13 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 Elle devait contrer frontalement la 2 CV, mais son histoire a tourné court. Un an après son lancement, la Renault 3 a été discrètement retirée du catalogue faute d’avoir trouvé la moindre clientèle. Retour sur l’une des pires déconvenues qu’ait connues Billancourt. Texte et photos Hugues Chaussin 14 ■ GAZOLINE 336 - JUILLET 2025 E n 1952, la 4 CV n’a que quatre ans, elle se vend comme des petits pains, mais Renault pose déjà les bases de sa remplaçante. La sortie de la Citroën 2 CV est évidemment au cœur de la réflexion. C’est même elle qui a stimulé cette prise d’initiative. La petite Citroën est inédite dans la production automobile à l’échelle industrielle. Elle possède quatre roues indépendantes, une suspension novatrice en termes de confort et de tenue de route, la “traction avant” ainsi qu’un minuscule moteur. Son plancher plat et sa modularité multiplient les usages possibles alors que sa fabrication économique permet de contenir drastiquement son prix de vente. La Régie nationale ambitionne de répliquer, mais sans précipitation. La remplaçante de la 4 CV devra être un produit abouti, très bien réfléchi, peaufiné dans les moindres détails. Ces précautions vont découler des échecs cuisants de la Colorale et de la Frégate, lesquelles vont fragiliser la santé de l’entreprise dans la deuxième moitié des années 50. C’est Fernand Picard, père de la 4 CV, qui REDÉCOUVERTE Renault 3 ailleurs pour un système d’articulations graissées à vie, une première en Europe, et lors de la fabrication, chaque rebut de tôle est réemployé pour l’emboutissage de petits éléments. Après diverses réflexions sur son appelLa Renault 3 coûte quelques francs de moins que la 2 CV au prix d'un dépouillement extrême chapeaute les études, secondé par un jeune talent nommé Yves Georges. Si la prudence est de mise, le patron Pierre Dreyfus valide un projet en rupture avec la 4 CV qui souffre chaque jour un peu plus de la comparaison avec la nouvelle Citroën. Dreyfus accorde une importance majeure aux réflexions sociologiques. Un nouveau véhicule doit apporter des réponses aux évolutions de la société quitte à prendre les devants sur celles qui apparaîtrontdansplusieursannées.C’est ce postulat qui a aidé à poser les bases du projet 112. La 4 CV du futur sera polyvalente, elle devra satisfaire des usages distincts, ceux de la semaine et ceux du week-end, dans un monde de plus en plus orienté vers les loisirs avec l’accession prochaine à la quatrième semaine de congés payés. Ce cahier des charges d’un nouveau genre s’accompagne de contraintes féroces telles qu’un prix de vente inférieur à 350 000 F afin de se situer en dessous de la concurrente. Considérant l’ingénierie nécessaire à l’étude de cette voiture fort différente de ce qui a jusqu’alors été conçu chez Renault, l’exercice s’apparente à un numéro d’équilibriste. Dans la mesure où de nombreuses dépenses sont incompressibles, les ingénieurs décident de réemployer le moteur Ventoux des 4 CV. Ils optent par Dépourvu de bouton, le hayon arrière s’ouvre au moyen de la clé, ce qui est loin d’être pratique. La gâchette est en zamak peint couleur carrosserie. La calandre nue, juste peinte, donne des airs de “prototype” à cette petite Renault décidément ultradépouillée. Les pare-chocs tubulaires soudés à leurs crosses (ils étaient boulonnés sur les fourgonnettes) sont laqués en gris 667. Les roues, sans enjoliveur, sont peintes en gris 667. lation, la “112” se place dans la lignée de la 4 CV en faisant référence à sa puissance fiscale. Commercialisée à partir de septembre 1961 en quatre versions, elle prend les dénominations de Renault 3, Renault 4, Renault 4 L L’imposantsiglemétalliqueest fixéparunevisapparente.L’écrou estaccessibledepuisuntrousitué dansladoubluredehayon. Les portes de phares sont peintes dans la couleur de la caisse. Les languettes en plastique de réglage de hauteur des feux n’existaient pas encore en 1962. Il s’agissait de petites cuillères métalliques.
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